vendredi 8 janvier 2010
Le Charançon Libéré
posté à 21h04, par
26 commentaires
Ce pourrait juste être risible et ridicule. Ça l’est. Mais pas seulement… Les grandes pompes médiatiques et politiques déployées à l’occasion de la mort de Philippe Séguin, chant d’amour poussé en tous lieux, sont aussi révélatrices. Il ne s’agit pas seulement (ou pas du tout) de célébrer sa mort, mais de rendre hommage à ceux qui restent. Eux sont vraiment à plaindre.
Il n’est guère plus révélateur que les épitaphes - non pour ce qu’elles disent clairement, mais pour ce qu’elles dessinent en creux, impriment en filigrane, suggèrent et sous-entendent.
Et les oraisons funèbres - ce grand moment d’hypocrisie publique où un voile pudique est jeté sur une existence, filtrant le bon et le mauvais pour ne garder qu’un meilleur si hyperbolique qu’il en devient absurde - témoignent davantage des peurs et attentes de ceux qui restent que de la trajectoire de celui qui bouffe les pissenlits par la racine.
Il faut ainsi lire dans l’omniprésence médiatique de Philippe Séguin - jamais aussi entendu que depuis qu’il est mort, chanté sur tous les supports, crédité du meilleur dans les journaux comme sur les blogs, pareillement loué par ses adversaires de droite et de gauche pour l’excellente raison qu’il ne lui restait plus ni alliés ni camarades, sanctifié mythe politique parce que mort plutôt que vif - le deuil collectif de quelque chose d’autre que le bonhomme lui-même, grincheux caractériel qui n’intéressait plus personne depuis longtemps et n’avait qu’un poids médiatique des plus réduits.
En clair, voir derrière la grande mascarade médiatique avec flonflons de rigueur ce dont Philippe Séguin est l’acte de décès.
Il faut se gausser - c’est le minimum - de cette ridicule messe funèbre célébrée par tout ce que le pays peut compter de porte-paroles médiatiques ou politiques, oraison qui semble un passage obligé pour quiconque croit posséder un ersatz d’influence.
Il faut en rire, évidemment.
Et il faut souligner combien le sort du désormais-plus-célèbre-fumeur-de-clope-après-Gainsbourg indiffère tout honnête homme.
Normal.
Mais au-delà : si médias et politiques ne cessent de tartiner sur la disparition du « dernier gaulliste », la fin d’une prétendue « droite sociale », la mort d’un « politique intègre et entier », le décès d’un « bon vivant » sachant profiter des plaisirs de l’existence, c’est pour dessiner en négatif le visage de l’autre, qui occupe le palais de l’Élysée et ne saurait être plus éloigné de ce portrait en forme d’image d’Épinal.
Et ce qu’ils pleurent - paradoxalement - est d’avoir tant plongé, épaules en avant et tête entière, dans les dangereuses chimères sarkozystes que le point de non-retour est dépassé depuis un bail.
Tous sentant confusément qu’il n’existe plus aucun échappatoire ni alternative, sinon s’enfoncer davantage dans ce marécage de bas affairisme et de vil nationalisme où ils sont volontairement allé se perdre.
Et tous souhaitant aussi profiter de cette occasion inespérée d’ouvrir le livre d’image de l’ancien temps, de parcourir ces photos jaunies et datées, de faire semblant et comme si, avant de retrouver la sombre réalité.
Ainsi : il ne s’agit pas de sa mort, mais de la leur.
En cette représentation symbolique d’une dépouille fantasmée, il n’est rien à comprendre que nous ne sachions déjà.
Qu’il s’agisse de la fin de l’utopie démocratique, de l’extinction de toute morale politique ou de la déliquescence avérée d’une idée de République ne cessant de tomber un peu plus en lambeau.
C’est pour ça, finalement, que la mort de Philippe Séguin est si révélatrice : par ce qu’elle déclenche de spectacle médiatique et politique, par ce qu’elle remue en l’opinion de mythes et d’illusions, elle dit la fin d’une époque - le mythe démocratique - , le désarroi de la nôtre - le sarkozysme - et la nécessité d’une aube radieuse - le grand bouleversement.
Et je veux croire que ce n’est pas si tiré par les cheveux que ça : il y a quelque chose de révolutionnaire dans le décès du président de la Cour des comptes.
Et même, si j’osais : cours, camarade, Philippe Séguin est derrière toi.