mardi 26 mai 2009
Le Cri du Gonze
posté à 11h56, par
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Il y a des châtiments qu’on accepte sans broncher, des pluies de malédictions qu’on regarde tomber sans s’insurger. Une histoire de destin, on ne va pas en faire un plat. A genoux, la perspective ne manque pas de charmes, on se rassure. Et puis, « ceux d’en haut » - ces dirigeants - ont forcément leurs raisons, non ? Alors, on fait comme Job : on encaisse en geignant.
« Je veux rendre toute puissante l’influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici bas pour souffrir. » (Adolphe Thiers)
Il paraît que Sarkozy remonte un peu dans les sondages. Que c’est diffus, mais quand même, significatif. Il paraît que des gens biens vont aller voter sereinement aux Européennes, croyant faire bonne œuvre avec leurs votes PS ou assimilés. Il paraît que le Grand Soir n’est pas encore pour tout de suite, voire pour jamais, mais que c’est mieux comme ça. Il paraît que les grèves ne sauraient durer et que, en bon crétins responsables, le peuple de France a tout lieu de s’en réjouir. Il paraît que le système financier mondial ne sera pas réformé mais qu’il fallait s’y attendre, on ne va pas chipoter, quelques fausses mesures à effet d’annonce c’est déjà pas mal. Il paraîtrait même que si on a perdu à l’Eurovision, ce n’est pas un drame (je m’insurge).
En bon chrétien (comme tous les membres du vaisseau amiral A.11, bibi vogue sur une salutaire mer de conviction religieuse tels d’autres sur leur Titanic), je cherche toujours à trouver dans La Bible la cause et la solution à nos problèmes. Et, l’avouerais-je ?, ces derniers temps me laissaient un peu sur ma faim. L’exégèse n’éclairait rien du tout, je pédalais dans la semoule. A peine avais-je réussi à trouver quelques connexions entre Carla et Marie-Madeleine, ou entre Judas Iscariote et quelques transfuges PS, des broutilles, des trucs que tout le monde avait déjà relevés. Et puis, récemment, au sortir de ma prière de 14 h, l’auréole encore solidement greffée à mon crâne tonsuré, paf, l’illumination : Job. Job ! Damned, mais c’est bien sûr ! Qui d’autre pour symboliser parfaitement notre situation sociale et politique ? Pour illuminer ce chemin de croix d’une parabole adéquate ? Personne, c’est clair. Je vous sens perdus, alors je vous explique, mécréants (de mémoire, hein, que les théologiens furieux – je sais qu’il y en a des tas qui lisent A.11 – viennent pas faire chier à chipoter).
Job est le gusse qui a fait l’objet d’un pari entre Dieu et Satan. Ça commence le jour où Satan arrive avec ses gros sabots pour provoquer Dieu : « Dis-donc, mon Dieu, c’est bien beau tout ça, tous ces mecs qui croient en toi, leur confiance est touchante. Mais je ne suis pas sûr que les choses se passeraient de la même manière si leur existence se faisait un peu plus rude. » Un peu interloqué, Dieu prend la mouche, ça n’étonnera personne (on le sait un peu soupe au lait, le Dieu, Cf. le Déluge, les pluies de cricket, les dinosaures zigouillés, JFK à Dallas etc.) : « Quoi ? Qu’insinues-tu vil serpent ? Mes croyants sont du 100% fidèles, tiens-le toi pour dit ! » Et Satan de répliquer : « Prouve-le, vieux barbon ! » Ça s’engueule un peu, le ton monte et, de fil en aiguille, les deux maîtres du monde en arrivent à passer un pari : si, après que le Diable aura envoyé toutes les saloperies du monde au visage d’un croyant, ce brave persécuté n’a pas renié sa foi en Dieu, alors Satan retirera ses viles paroles. Et Dieu de se mettre directos en quête d’un fidèle assez cruche pour encaisser les pires avanies avec le sourire. Et il le trouve : Job, un béat parmi les béats, même chez les raéliens, on n’a jamais vu ça (il serait même un peu con, le Job, que ça ne nous étonnerait pas plus que ça…).
Méthodiquement (avec une pointe de perversité aussi, il nous semble), le Diable met Job sur le gril : d’abord il tue sa femme, puis ses enfants. Puis il dévaste ses récoltes. Puis met le feu à sa maison. Puis lui colle plein de bubons genre peste, en pire, sur la gueule. Puis il le fait souffrir de maladies atrocement douloureuses que même la grippe porcine c’est du pipi de chat à côté… Lucifer ne s’arrête pas avant que la vie de job ne soit devenue une espèce d’horrible souffrance perpétuelle, genre un concert de Mireille Darc qui durerait toute une vie. Alors, quand Job n’est plus qu’un petit tas de gémissements, un truc difforme et squelettique qui râle dans le désert en suçotant des cailloux chauds pour calmer sa soif, Satan et Dieu se penchent en cœur par-dessus les nuages : l’heure du verdict est arrivée. Ils tendent l’oreille en chœur, et ils entendent l’agonisant murmurer : « Merci mon Dieu. Loué soit ton nom, toi qui me fait souffrir pour des prunes. » Ça suffit pour le triomphe divin. Dieu se la pète, ses chevilles enflent, Lucifer tire la gueule, et l’histoire s’arrête là. Job ce crétin continue à râler dans le désert en remerciant son tortionnaire quand il tombe sur un caillou un peu plus goutu...
À bien y regarder, il me semble qu’on n’est pas loin de fonctionner comme ce débile de Job. On sait d’où viennent nos déboires – pas à chercher bien loin – mais on s’en accommode très bien. On est même prêt à remercier ceux qui nous mettent la tête dans la gadoue, après tout leur Job est dur (sorry), c’est pas facile tous les jours de régner sur un royaume, celui des cieux comme celui des hommes. Et puis, ils sont en haut, tout en haut, et nous en bas, sous leurs nuages. Il faut accepter les oukases sans broncher, avaler le bébé avec l’eau du bain, c’est plus prudent. Des récentes réunions du G 20 censées réformer le système financier mondial en profondeur (c’te blague) à ces élections européennes qui approchent avec leur lots de contorsions électorales, en passant par les sarkozies quotidiennes qu’on encaisse sans (vraiment) broncher et le soit disant débat écologique qui ne va pas tarder à sauver la terre (Claude Allègre Powa), on a rarement avalé autant de couleuvres sans s’insurger. Jobards comme pas un, on continue d’accepter les châtiments que d’intouchables sommités nous réservent. Le goupillon a perdu de sa force, mais a vite été remplacé par d’autres opiums. A terre, sonnés, on entend encore perceptiblement la ritournelle du débile manipulé par des sommités indétrônables : « Merci, mon Dirigeant. »
Dans ces conditions, pour finir dans le ton religieux de cette divagation, je ne saurais trop vous conseiller, chers amis, de prier très fortement Sainte Rita, joyeuse patronne des causes désespérées. Rita, dont la fête tombait pas plus tard que vendredi dernier, les choses sont bien faites. Amen.