ARTICLE11
 
 

jeudi 20 novembre 2008

Entretiens

posté à 10h10, par JBB
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Georges Lapierre : « A Oaxaca, tout continue, malgré la répression et la terreur. »
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Une ville qui s’insurge et prend sa liberté face à un pouvoir violent et corrompu, une insurrection qui dure, libertaire dans l’âme et pour toujours insoumise : c’était Oaxaca. Sur les événements qui ont agité la ville de mai 2006 à janvier 2007, les médias se sont tus, façon de nier l’existence de la plus belle des communes. Mais quelques esprits libres ont témoigné : Georges Lapierre est de ceux-ci. Entretien.

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"Il existe aujourd’hui, dans un monde dominé par la lâcheté, la résignation et la servitude volontaire, une ville et une région résolues de résister à un gouvernement local et mondial qui ne connaît d’autres lois que celles de la corruption et du profit.

Depuis plusieurs mois, la population d’Oaxaca refuse les diktats d’une administration corrompue, qui n’hésite pas à tuer les opposants à sa politique de malversation. Le mouvement n’a cessé de se développer et a donné naissance à une assemblée populaire, encore noyautée par la vieille politique clientéliste, mais qui s’oriente de plus en plus vers un refus de tout pouvoir et vers une priorité : améliorer la vie quotidienne des enfants, des femmes et des hommes."

Novembre 2006, la commune d’Oaxaca résiste encore. Pour dire son soutien à un peuple debout, sur les barricades et dans les rues, le situationniste Raoul Vaneigem prend la plume, appelant les esprit libres à soutenir les insurgés. Face à une répression qui commence à faire des ravages, il rêve d’un brin de mobilisation, d’une once de médiatisation, d’assez de remue-ménage pour empêcher le pouvoir d’écraser la plus belle des révoltes.

« Souvenons-nous ! C’est une prise de conscience mondiale qui a aidé le mouvement zapatiste encore fragile à échapper à la répression du gouvernement et de son armée, en janvier 1994 et en février 1995. Ce que les zapatistes ont réussi pour les communautés paysannes indigènes du Chiapas, la population d’Oaxaca est en train de le tenter en milieu urbain. »

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Las, le sursaut n’a pas eu lieu. La commune d’Oaxaca s’en est allée comme elle était venue : dans l’indifférence du monde. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette révolte magnifique, mouvement essentiel et combat de longue haleine, que de n’avoir suscité l’intérêt que de quelques maigres esprits éclairés.

« Nous ne risquions pas l’indigestion d’informations au sens usuel sur les développements des événements d’Oaxaca », rappelle Guy M sur L’escalier qui Bibliothèque1 « La révolte de quelques gueux d’instituteurs mexicains et la tentative d’auto-organisation de toute une population de crève-la-faim ne méritait guère de mobiliser des moyens pour envoyer un journaliste sur place… »

Parmi les rares qui témoignèrent, Georges Lapierre. Observateur privilégié autant qu’acteur, fin connaisseur des peuples amérindiens, lui a noué de longue date des liens privilégiés avec les mouvements contestataires et citoyens du Mexique. Une relation étroite née en 1997 quand, à l’initiative d’une association de Rouen, Carpe Diem, il a pris la mer, avec quelques compagnons et depuis Marseille, pour gagner le Mexique et partir à la rencontre des Indiens zapatistes du Chiapas.

« L’idée était d’apporter aux insurgés du Chiapas différentes expressions de notre soutien (lettres, cassettes, poèmes…) et le témoignage des luttes et des résistances rencontrées au cours du voyage, comme la lutte pour la liberté des menhirs de Carnac, que des technocrates voulaient enfermer, de peur sans doute qu’ils ne se dispersent sur la lande bretonne », raconte t-il. « A son arrivée, le voilier est resté à quai à Huatulco, petit port sur la côte pacifique de l’Etat d’Oaxaca. Nous nous sommes fait beaucoup d’amis dans l’Etat d’Oaxaca, des membres du Congrès national indigène (CNI), des instituteurs de la coalition des maîtres et des promoteurs indigènes d’Oaxaca (CMPIO) entre autres. Toutes ces rencontres ne sont pas restées sans lendemain, nous sommes retournés régulièrement au Mexique et à Oaxaca pour différentes activités d’échanges (…). Et nous avons, durant ces années, soutenu les indigènes de la région de Loxicha victimes d’une terrible répression. »

Sans doute l’un des mieux placés pour le faire, Georges Lapierre a donc conté l’effervescence jouissive de la commune, son insolente survie et sa résistance acharnée, avant que ne vienne la chute. Avec des courriels envoyés chaque semaine, joliment intitulés Bien le bonjour d’Oaxaca, il a livré la plus belle des chroniques de l’insurrection. Reprise par CQFD, cette chronique hebdomadaire est aussi devenue livre, La commune d’Oaxaca, chroniques et considérations, publié aux éditions Rue des Cascades2.

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Tout y est, bien sûr. Le déclenchement de la révolte, ces professeurs manifestant en mai et en juin 2006 pour une augmentation salariale et qui bouteront à maintes reprises hors d’Oaxaca les forces de l’ordre qui les agressent. L’émergence de la commune, tout un petit peuple s’insurgeant et se donnant une représentation, l’APPO, Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca qui réunit plus de 300 organisations sociales, politiques, urbaines et rurales. L’érection de centaines de barricades, qui fleurissent dans les rues de la ville de juin à novembre 2006, bravent les milices du pouvoir et portent un immense souffle d’espoir et de liberté. Le retournement du rapport de force, aussi, le pouvoir qui reprend la main à la fin du mois de novembre, écrase l’insoumission et élimine l’opposition, en un impitoyable affrontement qui durera jusqu’en janvier 2007. Et cette braise qui couve toujours depuis, étincelle qui ne demande qu’à être rallumée.

Georges Lapierre ne se contente pas de raconter l’insurrection. Il élargit le discours. Il approfondit l’idée de révolution et pose les conditions de son émergence au XXIe siècle. Avec ce secret espoir que la commune refleurisse, un jour. Tout cela, il l’explique ici :

Comment expliques-tu cette chape de plomb médiatique à propos d’Oaxaca ?

Les mass médias n’ont pas pour fonction de nous informer, mais de nous divertir, de faire en sorte que nous ne nous interrogions pas sur notre situation réelle, sur ce qu’est notre vie. Il s’agit de faire en sorte que notre esprit soit attiré de ci de là par une infinité de sollicitations qui sont étrangères à ses préoccupations réelles afin que toute pensée critique cède la place au consentement et à la banalité.

Toutes tes chroniques, de fin septembre 2006 à fin janvier 2007, s’intitulaient « Bien le bonjour d’Oaxaca ». Le titre lui-même, comme celui d’une carte postale, fait penser à quelque chose d’heureux, avec un parfum de vacances (du pouvoir). C’était le cas ?

L’esprit est euphorisant, c’est le plaisir de la communication, ce ne sont pas seulement les murs qui parlent, mais les gens. Alors, tout se met à parler, les murs, les bus, les places, les arbres, les rues, les radios et même la télévision ; la pensée et, avec elle, la parole fleurissent sous le pas de chacun, la parole se fait alors musique et les premiers pas d’une insurrection sont des pas de danse, el son de la barricada.

A la fin novembre 2006, une répression très dure a frappé les insurgés. C’était écrit ?

Il était écrit que le pouvoir allait réagir et qu’il allait utiliser la force des armées pour éteindre l’incendie. Avant d’avoir recours à la force et afin que son usage n’ait pas de conséquences imprévisibles, incontrôlables ou difficilement contrôlables, l’Etat devait impérativement, d’une part, trouver des partisans à l’intérieur même du mouvement, des gens prêts à négocier avec lui les conditions de leur reddition - il les a trouvés avec une relative facilité - et d’autre part contenir la rébellion dans les limites de l’Etat d’Oaxaca et éviter qu’elle ne se propage comme une traînée de poudre ; il a été aidé en cela par les moyens de désinformation de masse et par le découpage du pays en Etats relativement autonomes et séparés les uns des autres : le Mexique est une somme de 33 Etats qui semblent s’ignorer mutuellement, ce qui amène la formation d’un « esprit de clocher », faisant obstacle à la communication. Dans ces conditions, un moment critique pour le pouvoir fut la marche des insurgés sur la capitale fin septembre 2006. Les termes de la confrontation sont désormais facilement reconnaissables, c’est la pratique de la communication opposée à la force des armes.

Entre les emprisonnements sauvages, les enlèvements et les assassinats, connaît-on le nombre de victimes de la répression ?

Vingt sept personnes exécutées, un chiffre hélas non définitif.

Tu établis un parallèle entre la Commune de Paris et celle d’Oaxaca. Il repose sur quoi ?

Une même éthique fondée sur la reconnaissance de l’autre.

Au cours d’un entretien donné à Article11, Raoul Vaneigem a expliqué : « Le mouvement des barricadiers, des libertaires et des communautés indiennes s’est débarrassé des ordures gauchistes – lénino-trotskysto-maoïstes – qui prétendaient récupérer le mouvement. Les choses sont claires. » Tu partages cette vision d’un insurrection qui n’est pas tombée dans le dogmatisme d’extrême-gauche ?

Oui. Les courants de l’extrême gauche et même de la gauche réformiste, qui soutenait Lopez Obrador, étaient représentés dans l’Appo, ils ont cherché par tous les moyens, convenables et non convenables, à imposer leur point de vue, ils ont toujours été pris en défaut par l’Assemblée. Dans une certaine mesure, ces courants ont profité de la répression à partir du mois de novembre pour revenir à la charge ; persécutée, l’Assemblée s’est trouvée dans une position inconfortable et elle devait continuellement rejeter et se défendre des propositions et autres initiatives intempestives prises par les « politiques », comme celle de participer aux élections de l’été 2007.

Raoul Vaneigem a aussi remarqué : « En dépit de la répression meurtrière, des exactions et des tortures, la résistance n’a pas cessé à Oaxaca. Le feu est entretenu sous la cendre. » Rien n’est fini ?

Effectivement. La résistance s’est faite plus souterraine, des initiatives sont prises en profondeur et elles sont fort intéressantes : initiatives de rencontres et de débats à l’intérieur d’un quartier ou d’une colonia, projets élaborés en commun, mais aussi des rencontres, comme l’initiative el sendero del jaguar (le sentier du jaguar), entre les jeunes des quartiers populaires et la région afin de tisser un réseau de solidarité effective entre les différents lieux de résistance aux projets industriels, énergétiques, miniers, touristiques que le pouvoir cherche à imposer contre la volonté des gens concernés. Beaucoup de radios communautaires ont vu le jour depuis l’insurrection ; fin août 2008 s’est tenue une assemblée des radios communautaires à Zaachila, petite ville à une vingtaine de kilomètres d’Oaxaca. En juillet, la Guelaguetza populaire et gratuite connut un grand succès auprès de la population alors que la Guelaguetza officielle a fait le vide autour d’elle. Nous sommes dans une phase de construction et d’organisation à partir des positions acquises lors de la rébellion. La commune d’Oaxaca est devenue invisible mais elle existe toujours, son avancée est solidaire du mouvement social qui touche l’ensemble du pays, Oaxaca se trouve entre le Chiapas zapatiste et le Guerrero de la police et de la justice communautaire.

Quel est l’état d’esprit de la ville aujourd’hui : toujours contestataire ou écrasé par la répression ?

Au cours des cinq mois de liberté, la violence restait circonscrite à l’Etat, elle avait une forme bien précise : les groupes paramilitaires qui, la nuit tombée, pénétraient en ville pour accomplir leurs forfaits, puis cette violence a pris la figure des forces policières et militaires ; la violence était devenue extérieure à la société, la société s’en était libérée et elle s’était organisée avec les barricades pour s’en défendre. Avec le retour à la norme, la violence a de nouveau envahi insidieusement, et cette fois avec plus de force, la société.

Faut-il pleurer la chute de la commune d’Oaxaca ou se réjouir de l’exemple qui a été donné au monde ?

La commune d’Oaxaca n’est pas partie de rien et elle n’est pas retombée dans le vide, elle fut un moment dans un long cheminement vers l’autonomie et l’émancipation de la société des forces qui l’oppressent, elle nous a permis de savoir de quel côté de la barricade nous nous trouvons et avec qui, c’est déjà pas mal.

Si tu devais garder un seul souvenir des mois que tu as passés dans cette ville en rébellion ?

Les retrouvailles en janvier 2007 sur cette petite place del Carmen el alto sous prétexte de la fête des radis, nous avons su que tout continuait malgré la répression et la terreur, malgré les trahisons.



1 Guy M a signé quelques très beaux billets autour d’Oaxaca. Je vous encourage vivement à lire sa recension du livre de Georges Lapierre, son hommage à Brad Will, journaliste d’Indymedia assassiné par le pouvoir mexicain, ou son billet en mémoire de Marcella « Sally » Grace, activiste enlevée puis tuée à Oaxaca. Hop !

2 Editions Rue des Cascades. 32, rue des Cascades, 75020 Paris. Courriel : ruedescascades@no-log.org


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