mercredi 23 septembre 2009
Entretiens
posté à 19h07, par
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Il est des films qui vous regonflent. « Walter, retour en résistance », documentaire centré sur la figure de l’ancien résistant Walter Bassan, homme resté fidèle aux valeurs qui lui ont fait braver tous les dangers, est de ceux-là. En le suivant au quotidien, le réalisateur indépendant Gilles Perret a commis un très beau film politique. Il s’est aussi attiré les foudres de l’UMP. Entretien.
Mars 2008, plateau des Glières. Pompe présidentielle et fastes républicains, Nicolas Sarkozy se rend en l’un des hauts lieux de la résistance. Devant le monument aux maquisards, à deux pas des tombes de 105 d’entre eux tombés au combat, le chef de l’État se recueille quelques dizaines de secondes. Puis se dirige vers les anciens résistants présents pour les saluer.
Surexcité, confit d’autosatisfaction, Nicolas Sarkozy se laisse aller. Regarde à peine les deux républicains espagnols venus risquer leur peau plus de soixante ans plus tôt pour cette France qu’il est censé incarner, tout juste capable de leur dire : « Très heureux. C’est formidable ! Et en plus, moi je défends les Espagnols. » Rictus amusé, il enchaîne : « Mais les Italiens sont pas mal non plus… Maintenant que je suis marié à une Italienne, hein… » Sourire crispé, il observe un jeune militaire : « Il est beau, ce chasseur alpin ! Vous savez que j’ai été jeune, moi aussi ? » Les anciens résistants ne disent mot, un gradé de l’armée française tente de ramener le chef d’État à un peu de dignité. « Nous nous sommes refusés à laisser des résistants qui étaient tombés dans une embuscade enterrés dans une fosse commune. Nous les avons ramenés ici dignement », explique t-il, très vite interrompu par un président qui ne feint même pas de se sentir concerné. Qui tend le doigt pour montrer une cascade sur les hauteurs. Qui rigole sur l’habit rose d’une membre de l’assistance. Et qui tourne les talons en assénant : « Ben oui, faut bien s’amuser un peu… »
À l’écrit, l’indécence présidentielle paraît amoindrie, mots et phrases insuffisants à dire toute l’obscénité de la conduite de Nicolas Sarkozy en ce lieu symbolique. À l’écran, il en est tout autrement : elle saute aux yeux, saisit le spectateur et l’indigne. Et il faut rendre grâce à Gilles Perret, réalisateur du film Walter, retour en résistance, que d’être le seul caméraman - alors qu’ils étaient des douzaines sur place - à l’avoir immortalisée.
Un risque, toutefois : que cette séquence emblématique efface le propos du documentaire, le fasse passer au second plan. C’est que Walter, retour en résistance1, projeté depuis un moment en Haute-Savoie et qui sortira dans toute la France le 4 novembre, ne se limite pas - et de loin - au spectacle ridicule et honteux d’un homme d’État incapable de tenir son rang. Le sujet n’est pas Nicolas, mais Walter Bassan, ami et voisin du réalisateur, ancien résistant, arrêté à 17 ans en mars 1944 et déporté à Dachau. La caméra entre doucement dans sa vie, l’accompagne dans ses nombreuses activités, lors d’une intervention auprès d’écoliers, d’une visite pédagogique à Dachau avec des jeunes savoyards ou de l’inauguration d’un musée de la Résistance. Le suit sur le plateau des Glières à l’occasion de la visite de Sarkozy puis, une semaine plus tard, lors d’un pique-nique citoyen organisé au même endroit pour protester contre la tentative de récupération présidentielle. Y revient avec lui un an plus tard, rassemblement reconduit en présence de Stéphane Hessel pour rappeler « les principes du Conseil national de la résistance (CNR) qui à défini des règles de vie commune basées sur la solidarité, l’entraide et la réussite de tous ».
De ce portrait intime, celui d’un homme assez résolu pour n’avoir rien renié des convictions l’ayant poussé à prendre tous les risques plus de 60 ans auparavant, de ce film serein, se dégage paradoxalement une grande force. La conviction - aussi - que les idéaux du Conseil national de la résistance ne sont pas morts, ne pourront trépasser malgré les coups de butoir et les innombrables tentatives de récupération de la majorité. L’invitation - enfin - à ne pas baisser les bras. « Le moteur de la résistance, c’est l’indignation. Je vous conseille à tous d’avoir votre motif d’indignation, », déclare Stéphane Hessel dans le film. « L’esprit de la résistance est toujours vivant », lui fait écho Walter Bassan. Voilà.
Le réalisateur Gilles Perret, déjà auteur de nombreux films indépendants dont le remarqué « Ma Mondialisation », a eu la gentillesse d’accorder un long entretien (téléphonique) à Article11. Une interview au cours de laquelle il évoque le formatage médiatique et la façon dont les télés se prêtent si bien à la communication présidentielle. Le réalisateur revient aussi sur les efforts déployés par certains membres de la majorité pour discréditer un documentaire montrant notamment Bernard Accoyer - président de l’Assemblée nationale - sous un jour peu flatteur : invité à commenter devant la caméra le décalage entre la récupération de l’image de la résistance et la mise à bas de ses idéaux, le tout puissant patron politique de la Haute-Savoie s’énerve, jusqu’à menacer le réalisateur de représailles s’il diffuse la séquence. Gilles Perret ne s’est pas laissé impressionner. Résistance, encore.
Il y a une séquence particulièrement glaçante dans ce film, celle du passage de Nicolas Sarkozy au plateau des Glières en mars 2008. Vous êtes le seul, alors que les médias s’étaient déplacés en masse, à l’avoir enregistrée…
Pour situer le contexte, cette scène, à la fois drôle et très triste, se déroule une dizaine de jours après l’épisode du « Casse-toi, pauvre con ». Sarkozy, qui vient de se prendre un sérieux revers aux municipales, a décidé de se redonner une image de chef d’État en se rendant sur ce haut lieu de la résistance. Et il est censé y faire un discours, raison de la présence de Walter Bassan.
Sur place, la mise en scène était parfaite. En sus de tous les médias nationaux, il y avait cinq caméras de l’armée qui tournaient, chargées de redistribuer les images aux télés qui auraient besoin de séquences supplémentaires. Nicolas Sarkozy est arrivé, tendu comme une arbalète, s’est recueilli une minute devant le monument et est parti voir les résistants. C’est là que les équipes de télévision, jugeant sans doute qu’elles en avaient assez en boîte, ont cessé d’enregistrer, ont quitté la tribune et se sont ruées en salle de presse pour profiter du buffet. Je suis le seul, en compagnie d’un journaliste indépendant, à avoir fait « l’effort » de quatre-vingt mètres de marche pour rejoindre Sarkozy. Je filmais à quelques mètres de lui et il savait que j’étais là ; qu’importe, il était tellement content de faire la roue devant son auditoire et de rigoler qu’il ne s’est même pas rendu compte de l’image déplorable qu’il donnait. C’était surréaliste…
Et révélateur de la façon dont les médias travaillent…
Bien entendu. Les journalistes télés ne sont plus que des communicants, qui débarquent sur les sujets avec un timing très serré. Comme en sus, on leur mâche le travail et qu’on leur met tout à disposition… Le résultat est là : tous les journaux télés n’ont évoqué que le recueillement de Sarkozy devant le monument. Des images parfaites…
De toute façon, même si les journalistes télés avaient ramené les mêmes images que moi, rien ne dit qu’ils en auraient fait quelque chose. Après une projection en Haute-Savoie de Walter, retour en résistance, l’un des animateurs vedette de TV8-Mont-Blanc m’a expliqué que sa chaîne n’aurait pas diffusé ces images. Pas comme ça, en tout cas. Son argument était que tout le monde a droit à des moments d’égarement. Une position peu crédible alors que cette chaîne, qui se revendique de terroir et ne cesse de mettre en avant sa proximité avec ses téléspectateurs, a fêté il y a peu ses 20 ans d’existence à l’Assemblée nationale, avec des invitations envoyées par le savoyard Bernard Accoyer…
Ce droit à l’erreur des politiques est le même argument que celui avancé par de nombreux hommes de médias lors de la diffusion de la séquence montrant Hortefeux tenant des propos racistes…
Exactement. C’est d’ailleurs devenu un argument systématique, je l’entends très souvent. Le député Lionel Tardy me l’a même avancé lors d’une diffusion de Walter, retour en résistance, en tentant de prendre la défense de Nicolas Sarkozy et de Bernard Accoyer, tous deux montrés sous un jour négatif. Manque de pot, il l’a fait alors que la salle venait d’applaudir le film pendant dix minutes ; autant dire que son argument n’a pas vraiment porté…
En citant Accoyer, vous faites allusion à une autre séquence marquante du film, celle où le président de l’Assemblée nationale vous menace…
Il était venu pour l’inauguration d’un musée consacré à la résistance, alors qu’il n’était pas censé être présent. De mon côté, j’avais accompagné Walter, avec dans l’idée de constater comment l’histoire se fait récupérer, comment les idéaux de la résistance sont niés tandis qu’on se focalise sur les faits d’arme.
Surprise, donc, Accoyer est arrivé, façon Roi Soleil, avec toute sa cour derrière… Je lui ai posé mes questions, lui demandant notamment si la résistance ne consisterait pas aujourd’hui à s’opposer au libéralisme, à défendre les acquis du CNR. Ça ne lui a pas plu, évidemment, mais il est resté professionnel, se comportant en parfait perroquet. Et de partir sur « la mondialisation qui profite à tous », « sur la nécessité de moraliser le capitalisme », ce même discours que les gens de ce parti nous déballent à chaque fois…
Quelques minutes plus tard, après qu’il se soit renseigné sur mon compte, la chanson n’était plus la même… C’était d’ailleurs très surprenant, quand il est revenu me voir, de constater le décalage entre son discours de communicant bien rôdé et la violence verbale dont il a fait preuve en m’agitant son doigt sous le nez et en me menaçant. Il ne savait pas - bien entendu - que j’enregistrais toujours et que ses menaces, ainsi que la lettre envoyée pour m’interdire d’utiliser son interview, allaient faire partie du film.
Il y a eu des mesures de rétorsion ?
Disons que ça a a été assez tendu. Il faut bien comprendre que Bernard Accoyer - et l’UMP avec lui - est tout puissant en Haute-Savoie, et il n’a pas hésité à se servir des leviers à sa disposition pour faire pression. Il s’est employé à discréditer le film par voie de presse, m’a accusé d’user de méthodes stalinienne, a menacé les programmateurs des salles de cinéma des villes UMP et a chargé quelques émissaires d’intervenir lors des débats d’après-séance. J’ai même reçu une lettre du Conseil général pour me signifier qu’il ne fallait pas espérer une quelconque participation du département au financement de mes prochains films…
Tout cela, je m’y attendais. J’ai par contre été très choqué de la bassesse de certaines attaques contre Walter Bassan, que le député Lionel Tardy s’est même permis de traiter de « triste sire ».
Ce même Lionel Tardy qui vous a reproché un prétendu « parallèle fait entre la période de la résistance et l’attitude du gouvernement » ?
Celui-là même. Il sait bien qu’il ne s’agit pas de comparer nazisme et sarkozysme, mais il défend comme il peut ceux de son camp. Cela renvoie aussi à une forme d’usurpation historique : ces gens-là voudraient nous faire croire qu’il n’y avait pas de dimension politique dans la résistance, qu’on n’y entrait que pour s’opposer à l’occupant. Ils la réduisent à un fait d’arme, en évacuant tout le programme politique. C’est finalement très révélateur de la façon dont ils voient la résistance : une belle histoire mise sous cloche.
Mais il y a encore autre chose. L’histoire du plateau des Glières a longtemps servi à redorer le blason de l’armée française, au prétexte que les dirigeants du maquis étaient des gradés. C’est notamment la tâche que s’est fixée le général Bachelet, un haut responsable militaire qui s’est autoproclamé gardien du temple des Glières. Il est trop jeune pour avoir fait la guerre, mais il a par contre mené un vrai combat contre le film, multipliant les communiqués rageurs à chaque projection.
C’est ce même homme qui était aux côté de Nicolas Sarkozy quand celui-ci s’est comporté de façon lamentable aux Glières, en mars 2008. C’est lui qui essayait de l’intéresser au sort des défunts et qui évoquait les fosses communes alors que le président ne se préoccupait que de faire le beau. Ça a dû être très humiliant pour lui… Et le fait que le film ait immortalisé ce moment peu glorieux ne doit pas être étranger à sa vindicte.
On vous a tendu des bâtons dans les roues, donc. Mais paradoxalement, le film a connu un vrai succès en Savoie, où il a bénéficié d’une sortie anticipée…
Oui, il y a déjà eu 6 000 spectateurs en Haute-Savoie, ça a très bien marché. Mais ce n’est pas l’essentiel : ce qui compte vraiment, c’est l’émotion suscitée dans les salles. À la fin de la projection, quand les lumières se rallument, les gens sont souvent debout à applaudir, une partie d’entre eux avec les yeux brillants.
Je pense que ce film vient au bon moment, qu’il était temps de poser certaines questions. On a désormais suffisamment de recul sur l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale pour revenir sur l’héritage de la résistance.
Et donc sur le programme du Conseil national de la résistance ?
Bien sûr. En filigrane, il y a cette question : est-ce qu’il n’est pas temps de réfléchir à un nouveau programme de la résistance ? Les problématiques de 1945 - séparation de la presse et des pouvoirs de l’argent, construction d’un pôle public fort, distinction entre les besoins vitaux et l’économie - n’ont jamais été aussi actuelles. Le film est d’ailleurs aussi né de cela, d’un sentiment de ras-le-bol face à un gouvernement qui ne cesse de détruire, tout en prétendant sauver ce qu’il nous reste de protection. Je me suis dit qu’il fallait attaquer, gratter la couche de communication.
D’où ce rassemblement aux Glières ?
L’idée est née quand Walter a découvert que Sarkozy avait décidé de se rendre sur le plateau, en 2007. Une semaine après son passage, lui, deux autres anciens résistants, moi-même et deux amis avons organisé un pique-nique citoyen de protestation, qui a réuni 1 500 personnes. Le rendez-vous a été reconduit en 20082, sur le thème du Programme national de la résistance : 800 personnes ont fait le déplacement, assistant notamment à une magnifique intervention de Stéphane Hessel, lui aussi ancien résistant. Il faut être honnête : quand ce monsieur parle sur le plateau des Glières, ça a une autre gueule que quand le chef de l’État tente de faire main-basse sur l’héritage de la résistance… Et quand cet homme de 92 ans, à la forme et à la vivacité d’esprit incroyables, explique : « C’est à vous d’y aller, maintenant. N’attendez pas », sa voix porte.
Mais qui l’entend ? On peut se poser cette question à la vision d’une autre séquence du film, celle qui - dans le bus, au retour d’une visite pédagogique au camp de Dachau - voit des collégiens et lycéens évoquer leurs convictions et le bulletin qu’ils auraient choisi s’ils avaient pu voter. En grande majorité : Sarkozy. C’est une séquence étonnante, où la réflexion des jeunes et leur vote ne sont pas du tout raccord…
C’est vrai que le choix de ces jeunes fait l’effet d’une douche froide… Mais il faut remettre les choses en contexte : cette séquence a été filmée début juin 2007, soit un mois après l’élection de Sarkozy. On peut supposer que la proximité des présidentielles n’est pas étrangère à cette tendance écrasante à choisir le candidat UMP.
Je crois aussi que cela renvoie à quelque chose de plus profond : ces lycéens et collégiens - nés alors qu’était tombé le mur de Berlin, élevés dans la conviction qu’il n’y a plus d’alternative possible et qu’il n’existe plus de différence entre droite et gauche - sont finalement profondément déconnectés de la politique. Ils ne font plus le lien entre leurs valeurs et le bulletin de vote qui y correspond. Ils ne sont pas les seuls, d’ailleurs : il y a une vraie perte de repère dans la culture politique en France. Comment - sinon - expliquer qu’un candidat au discours aussi abruptement démagogique et populiste ait pu être élu ?
Un site est consacré au film Walter, retour en résistance : ICI. Quant à la bande-annonce, la voici :