ARTICLE11
 
 

mardi 27 janvier 2009

Sur le terrain

posté à 11h30, par Lémi
12 commentaires

« Ici et aujourd’hui se finit l’état colonial » : le deuxième triomphe (modéré) d’Evo Morales
JPEG - 18.7 ko

Nos médias occidentaux s’en foutent royalement, ou peu s’en faut. La victoire d’Evo Morales, hier, ne fera pas la une des journaux, encore moins celle des télés. Pourtant, en faisant valider son projet constitutionnel par le peuple, le président bolivien a gagné son pari risqué. Et semble désormais assuré de poursuivre la politique sociale et anti-libérale initiée en 2005, même si le pays reste divisé. Depuis la Paz, récit de cette soirée électorale et analyse des résultats.

JPEG - 68.6 ko

Il y a eu un moment hier, pendant le discours du président bolivien sur la place Murillo, qui résumait très bien l’ambivalence de la large victoire du « oui » au référendum constitutionnel. Alors que la foule rassemblée sous le balcon du palais présidentiel applaudissait à tout rompre le héros de la soirée, celui-ci, après avoir tenu les propos attendus - « C’est une grande victoire pour le peuple bolivien », « Ensemble, nous allons continuer la révolution démocratique et sociale »… - , a infléchi son discours triomphateur l’espace d’un instant pour pointer ce qui à ses yeux posait problème dans la Bolivie contemporaine : « Tout va bien, il y a seulement un manque de coordination avec les préfets et les maires. » Au détour d’une phrase, tout était dit : les divisions régionales et les dissensions de provinces dissidentes restent plus que jamais d’actualité.

Un « triomphe » en demi-teinte

GIF - 52.3 ko

Le « oui » à la nouvelle constitution l’a donc emporté hier avec une marge confortable, s’arrogeant environ 59% des voix. Mais un simple coup d’œil sur la carte des résultats montre que le pays reste plus divisé que jamais, entre les provinces de l’Ouest pauvres et majoritairement peuplées d’indigènes (La Paz, Cochabamba, Potosi, Oruro…), et celles plus riches et blanches de l’Est (Santa Cruz, Tarija, Beni...), ces dernières taxant le nouveau texte constitutionnel de raciste et totalitaire. Ainsi, alors que les provinces occidentales ont voté - pour la plupart - à plus de 70% pour le oui (avec 76% pour la province de Potosi), celles de l’Est ont toutes plébiscitées le non (à 65% pour la province de Tajira ainsi que pour celle du Beni). La fracture qui traverse le pays est donc loin d’être cicatrisée.
Surtout, si on compare ce résultat au référendum révocatoire d’août 2008, les résultats sont en baisse partout pour le gouvernement Morales : 8% de l’électorat aurait, selon le journal La Razon, viré casaque, cessant de soutenir le président indien.

Une victoire en demi-teinte, donc, qui laisse la porte ouverte aux dissidences régionales. Les dirigeants des provinces orientales ont déjà prévenu qu’il faudrait tenir compte de ce résultat. Ainsi du préfet de Santa Cruz, Rubén Costa, déclarant hier soir : « On ne peut pas imposer un texte constitutionnel que le peuple a refusé. » Les mois à venir s’annoncent tendus…

Les acquis d’une victoire : la révolution (démocratique et sociale) qui vient

JPEG - 56.4 ko

Pourtant, si la victoire d’hier a un léger goût d’inachevé, il ne faudrait pas non plus en diminuer la portée. C’est bien un événement d’une portée historique qui vient de se dérouler en Bolivie, comme l’a rappelé dans son discours le président bolivien, réputé piètre orateur mais finalement capable de mener à ébullition une foule conquise d’avance : « De 2005 à 2009, nous sommes allé de victoires en victoires (…). Avec mon élection en décembre 2009, c’est le deuxième triomphe de toute la Bolivie. (…) Ici et aujourd’hui finit l’état colonial. »
On le soulignait hier, le nouveau texte constitutionnel n’a finalement pas été au centre du débat et s’est vu occulté par des considérations d’ordre plébiscitaires. Mais son approbation va permettre au gouvernement Morales de continuer ses réformes sur une base plus solide, moins mouvante.
La deuxième question à laquelle devaient répondre les électeurs avait trait à la taille limite des exploitations agricoles : il s’agissait de déterminer si celle-ci serait de 10 000 ou de 5 000 hectares. En plébiscitant la deuxième réponse (à plus de 70%), le peuple bolivien a clairement annoncé que les réformes pour limiter l’accaparement des terres par les plus riches étaient attendues. Et Morales de déclarer lors de son discours, triomphant : « c’est la fin des immenses exploitations agricoles et des grands propriétaires ».

Au final, le tableau reste positif et la voie ouverte pour la continuation d’une politique férocement tournée vers le social et clairement éloignée des modèles libéraux occidentaux. Même si, comme l’annoncent tous les commentateurs politiques, cette victoire modérée (si on la compare au raz-de-marée éléctoral en faveur du oui qui était attendu il y a quelques mois encore) infléchira sans doute le rythme des réformes, moins soutenu que ne l’aurait souhaité le président Morales. L’opposition est encore bien vivante, nul doute qu’elle le fera savoir.

Place Murillo, on fête la victoire : ferveur et liesse populaire

JPEG - 57.5 ko

Place Murillo, en face du palais présidentiel, la foule attendue après le scrutin est finalement moins dense que prévue (environ 2 000 personnes, beaucoup moins que pour nombre d’autres soirées électorales). Pour applaudir le discours de Morales et célébrer la victoire du « oui », de nombreux touristes (en grand majorité, de sympathique Argentins hystériques) sont venus se mêler aux locaux et brailler les slogans de circonstance : « Evo Hermano, el pueblo dijo si » (« Evo mon frère, le peuple te dit oui ») ou « El Pueblo unido jamas sera vencido » (« Le peuple uni ne sera jamais vaincu »), vieille et magnifique rengaine née au Chili durant l’opposition à Pinochet.
A l’arrivée de Morales, l’ambiance monte d’un cran : le président bolivien est accueilli comme une rock-star par la foule, et les journalistes se piétinent pour prendre un cliché de sa sortie de voiture. Le discours depuis le blacon du palais présidentiel, en présence de l’ensemble du gouvernement, est écouté avec une ferveur religieuse presque ridicule (rien de vraiment transcendant dans les paroles du président bolivien) par la foule en liesse. Sans doute parce que l’impression de vivre un moment historique trotte dans toutes les têtes...

JPEG - 66.4 ko

Plus tard, une fois le discours terminé, la fête s’empare de la Plaza Murillo et l’alcool coule à flot, au grand dam des policiers dépassés. De vieilles indigènes pactisent avec des argentins débraillés, des gosses courent partout en agitant des drapeaux et des concerts de flûte cacophoniques s’improvisent au coin des rues.

JPEG - 65.9 ko

Avant de quitter les lieux, on croise la route d’une vieille chola (femme indigène en habit traditionnel chapeau melonnesque) hautaine et digne. C’est elle qui a le mot de fin : « Le combat n’est pas fini : Evo avance, mais il faut qu’on soit là, derrière lui. Le peuple a son destin entre les mains. »


COMMENTAIRES