vendredi 18 septembre 2009
Littérature
posté à 12h25, par
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Antisémite ! Le mot a été souvent galvaudé ces derniers temps, utilisé par des individus faibles en argument pour disqualifier des adversaires de gauche. Une réalité qui ne doit pas cacher qu’il a existé - et qu’il existe toujours - un antisémitisme à gauche. Ce que rappelle l’historien Michel Dreyfus, avec une plongée en eaux troubles, en évitant les écueils d’un débat piégé. Compte-rendu.
Le livre dont je souhaite vous parler s’intitule L’antisémitisme à gauche et non « l’antisémitisme de gauche ». La nuance est de taille. Il ne s’agit pas ici de l’essai d’un pseudo-intellectuel façon Finkielkraut fustigeant le péril représenté par une hypothétique alliance islamo-gauchisme, mais d’un ouvrage retraçant sur deux siècles l’histoire des positions de la gauche française vis-à-vis de l’antisémitisme. Son auteur est le chercheur en histoire Michel Dreyfus. Il a contribué à écrire l’histoire ouvrière, notamment avec les ouvrages suivants : Histoire de la CGT (1895-1995) (Complexe, 1995), Liberté, égalité, mutualité. Mutualisme et syndicalisme en France (1852-1967) (L’Atelier, 2001).
A droite ou à gauche, souvent les mêmes préjugés
Dans L’antisémitisme à gauche, histoire d’un paradoxe, Michel Dreyfus montre que, de 1830 à nos jours, toutes les composantes de la gauche ont tenu des propos - ou mené des actions - antisémites. Il réfute en revanche l’idée selon laquelle la gauche serait responsable de la recrudescence récente d’actes antisémites en lien avec le conflit entre l’État d’Israël et les Palestiniens. Dreyfus soutient que ceux qui invoquent une alliance islamo-gauchiste génératrice de judéophobie tendent à minorer le rôle de l’extrême droite dans la diffusion de l’antisémitisme. Dans une mise au point introductive, l’auteur indique d’où il parle, comme Bourdieu a encouragé les chercheurs à le faire : il se présente comme un citoyen juif et laïc, qui se réclame des valeurs de gauche, et affirme que son étude historique ne s’inscrit ni dans le « devoir de mémoire », ni dans un courant de repentance.
Le choix de parler d’un antisémitisme à gauche et non « de gauche » est lié à l’idée que cette dernière n’a fait le plus souvent que ressasser les préjugés du moment. Une exception de taille, cependant, lorsque l’auteur affirme que la gauche a innové en associant les juifs au capitalisme naissant. Le découpage chronologique et thématique montre que chaque époque se caractérise par de nouvelles façons de manifester sa haine des Juifs, sans pour autant remplacer les anciennes : d’abord fantasmés comme des riches et des privilégiés, les juifs sont ensuite assimilés aux Prussiens, les ennemis étrangers. Après l’affaire Dreyfus, on ne se revendique plus antisémite à gauche. Mais des manifestations judéophobes continuent sporadiquement, du PCF à la SFIO en passant par les pacifistes et les différents courants de la gauche révolutionnaire.
Des intellectuels aux itinéraires déviants
La partie du livre qui, à mon avis, est la plus intéressante, traite des négationnistes de gauche. Elle raconte comment les membres de ce courant de pensée se sont peu à peu rapprochés de l’extrême-droite sans pour autant rompre nettement avec leur famille d’origine. L’auteur ne sombre absolument pas dans un propos inexact, mais éculé, qui répèterait à l’envie que « bien évidemment, les extrêmes se rejoignent »…
Michel Dreyfus retrace l’histoire de ces intellectuels, qui ont défendu l’idée que les chiffres des assassinats dans les chambres à gaz nazies ont été beaucoup exagérés, puis tout simplement que le génocide n’était qu’une pure invention des puissants vainqueurs de la guerre et/ou de riches juifs. C’était à une époque, où l’on ne s’intéressait pas au témoignage des survivants des camps d’extermination. On leur préférait peut-être ceux des résistants de la dernière heure ou des prisonniers politiques plus ou moins éminents. Robert Paxton n’avait pas encore publié ses travaux historiques sur les archives allemandes. Le champ était plus libre pour ceux qui souhaitaient semer le doute sur la véracité de l’histoire telle qu’elle avait été écrite à la libération.
Le marécage révisionniste
Le père-fondateur du révisionnisme, qui se transformera plus tard en négationnisme, est Paul Rassinier. Il a forgé ses convictions révisionnistes à son retour de déportation. Dans les années 1960, Rassinier écrivait à la fois - mais sous pseudonyme - dans Rivarol, journal d’extrême-droite, et dans La Voie de la Paix, une gazette liée à l’Union Pacifiste française. La Fédération Anarchiste, où il était militant, a mis plusieurs année à l’exclure de ses rangs, après avoir été avertie par des camarades allemands qu’il publiait chez un éditeur néo-nazi.
Une autre personnalité centrale de cette lignée de négationnistes de gauche est celle de Pierre Guillaume. Antistalinien et tiers-mondiste, il a créé en 1965 La Vieille Taupe, une librairie près du Panthéon qui, glissant peu à peu, a servi de lieu de diffusion des idées négationnistes et de rencontre entre leurs partisans et certains militants d’ultra-gauche. Ces derniers rejettent l’antifascisme, qui « masque les crimes des vainqueurs de la seconde guerre mondiale ». Selon eux, « le capitalisme s’est servi du souvenir du génocide pour annihiler l’élan révolutionnaire à la libération ».
L’auteur raconte qu’après l’attentat contre la Synagogue de la rue Copernic à Paris en 1980, des tracts de groupes se réclamant de l’anarchisme et du communisme libertaire, dénoncent l’antifascisme, qui sert à « noyer les perspectives du prolétariat dans la confusion et à l’intégrer dans la défense du monde capitaliste ». Depuis la fin des années 1990, bien heureusement, la gauche rejette le discours négationniste.
Un livre pour déminer le débat
Avant d’entamer le bouquin, je pensais que je serais probablement en désaccord avec l’auteur. J’avais choisi de le lire parce que connaître les écrits de nos adversaires sert à mieux combattre leurs arguments et aussi à ne pas s’enfermer dans la lecture de textes qui s’adressent aux convaincus (en un seul mot). Je n’avais pas perçu que le titre promettait un contenu engagé et documenté. Dreyfus nous parle d’une histoire qui suscite le malaise. Je ne vous cache pas que débuter la lecture a été pénible, tant la brutalité des propagateurs de haine au sein même de mouvements que j’estime, me dégoûtait. Je crois qu’un peuple qui ignore son passé est condamné à le revivre, donc je conseille vigoureusement de se plonger dans cette histoire bien peu ragoûtante. Sa connaissance m’arme pour réagir à temps face à un retour toujours possible de relents haineux et excluant dans le discours de la gauche dont je me réclame.