« Camarade lecteur, amie lectrice. Content de te retrouver. Franchement, si on m’avait dit que l’on se retrouverait un jour, toi et moi. » Voilà ce que m’écrit Nicolas Rey en 4e de couverture de son (très court) dernier roman, Un léger passage à vide. Paf, comme ça. Je veux bien, moi, mais bon, on n’a pas gardé les critiques littéraires ensemble, hein. Quoique, s’il le prend sur ce ton…
Nicolas,
C’est un fait, je ne suis pas très bon avec les ruptures, un peu comme tes personnages ; je cherche mes mots, je bafouille, je fuis dans la métaphore, bref, pas ma tasse de guignolet-kirsch. Tant pis, certaines choses doivent être dites.
J’aimerais t’évacuer d’un geste rageur et déterminé, te dire que tout ça est d’une limpide évidence, que la décision m’a frappé à l’occiput comme Zidane dans Materazzi, un choc frontal et franc, sans chichis. Mais ça n’est pas si simple. Car oui, j’ai encore en tête tes mots d’amour, ceux qui m’avaient hameçonné par surprise alors que je m’apprêtais à te détester, toutes griffes sorties (j’allais le démolir, l’écrivain à mèche, le pédant pressenti, il allait voir ce nullard que je rugissais avant de me plonger dans tes premiers livres… et de changer mon bazooka d’épaule). Je me rappelle qu’ils étaient ciselés et cyniques, un brin poseurs mais pas trop, qu’ils parlaient souvent d’errance sentimentale et d’incompréhension, d’un mal de vivre que tu trimballais comme un trésor maudit, celui qui te faisait vivre si intensément et en même temps te tuait. Rien de plus banal, tu me diras, mais tu savais y mettre les mots, jongler avec tes intempéries quotidiennes. Enfin, c’est comme ça que je m’en souviens, quand je creuse dans le brouillard de mes souvenirs d’époque (car, oui, ça ne nous rajeunit pas).
Je t’ai beaucoup pardonné par le passé. D’avoir usurpé – à une lettre près – le nom du grandiose réalisateur de Johnny Guitar (j’ai appris par la suite que tu n’y pouvais rien). D’avoir écumé les plateaux télé en surjouant ton personnage de dépressif trentenaire rebelle, te vendant au plus offrant, ce dont tu ne te cachais pas, que tu avouais même (dans Mourir à 30 ans) : « Écrire est un métier aussi dégoûtant qu’un autre. » Pourquoi pas la télé, hein, tu n’étais pas Naulleau, encore moins Zemmour, tu gardais une personnalité, un truc « touchant » comme ils disent, entre le chien triste et l’ado magique capable de s’enflammer sans calculer. D’ailleurs, je ne t’ai jamais confondu, comme d’autres1, avec les putes à show-biz, tu n’es pas Beigbeder ou Moix, tu as eu la grâce, ou en tout cas une certaine forme de grâce. Je t’ai même pardonné de passer à l’ennemi Grasset pour Vallauris Plage2, de lâcher les sympathiques éditions Diable Vauvert pour les réacs made in St Germain. Après tout, tu es revenu au Diable, finalement. Non, tout ça, je pouvais supporter. Mais il y a le reste, et surtout : l’ennui profond que désormais tu m’inspires. Rédhibitoire.
Longtemps, on ne s’est plus revus. Je ne cherchais pas spécialement à avoir de tes nouvelles, tu avais disparu de ma vie, c’était pas plus mal. Faut dire que tu n’étais pas de mon monde, même si on partageait certaines tendances à l’addiction, hips, et au spleen teen mal digéré. Bien sûr, quand, il y a un bail, j’avais enquillé tes quatre premiers livres d’un souffle – Un début prometteur, Mémoire courte, 13 Secondes et Courir à 30 ans –, j’étais sous le charme, on a vécu des moments forts, je ne te le cache pas. Mais fallait pas me demander de t’attendre, ni de te poursuivre de mes assiduités littéraires. Tu courais la gueuse télévisée, je courais la gueuse souterraine, un monde nous séparait. Tu es retourné à tes soirées coke, moi à mes journées rosé d’Anjou.
Et puis, il y a quelques jours, tu es revenu. Notre séparation n’était que la résultante d’Un Léger passage à vide3 me disais-tu, je suis là maintenant, accorde moi une chance. J’ai dit Ok. On a passé la soirée ensemble, dîner romantique et tout le tralalas, une petite heure et des poussières. Tu pavoisais tout en pleurnichant sur ton sort, mélange bizarre. Je n’arrivais pas à comprendre que tu sois resté si grandiloquent, dopé au tragique larmoyant. Malgré tout, au début, je me suis surpris à en rire. Tes mots avaient gardé quelque chose, tu semblais encore capable de me faire sourire :
« Les ancêtres ont ce point commun avec les chiards en maternelle.
Comme ils n’ont rien à perdre, ils disent toujours la vérité. »
Ou bien, évoquant la naissance de ton gosse : « Il arrive, il est là, on me propose de couper le cordon, je propose qu’elles aillent se faire foutre. »
J’y ai presque cru. J’ai bu tes paroles et laissé tomber les défense. Tu me disais que tu avais décroché de tout, que tu t’occupais de ton enfant, que boire de l’eau c’était pas simple, que les articles dans Paris Match, pourquoi pas, hein, « Je mène la vie d’un oisif en action », et il faut bien la financer, cette vie. Je laissais couler. Sous narcose. Temporaire.
Peu à peu, de laisser couler, je me suis rendu compte que je ne retenais rien. Que tu me parlais en creux, en brouillard. Et même, que tes mots manquaient leur cible, s’écrasaient ailleurs : « Le noir, parfois, est encore capable d’offrir un peu de couleur aux gens. », m’as-tu susurré, fier comme un pape sous les Borgia. Hmm. Ouaip, ça marche sur les collégiennes, ça, après faut se renouveler un tantinet, creuser d’autres horizons. Et le reste continuait sur le même ton, comme si on t’avait privé de conversation, d’envergure rhétorique. D’ailleurs, en passant, je te signale que quand quelqu’un comme Christophe Ono-dit-Bio dit de toi (parlant de ce Léger passage à vide) « le style n’est plus sous cocaïne, il est sous oxygène : vivant », c’est mauvais signe, tu sais, son oxygène à lui pue la mort. Enfin, tout ça pour dire que d’enrober enrober enrober ta prose et tes effets faciles, tu tournais un peu en rond. Et que, sur la longueur, j’ai piqué du nez. Elles étaient où les méchancetés joyeuses ? Les piques cyniques ? Les envolées absurdes ? Je m’ennuyais comme un rat mort entre tes virées à Disneyland racontées par ton fils (procédé à deux balles), tes (parfois touchantes, je te l’accorde) considérations sur ton combat pour l’abstinence et ton énième et prévisible amourette avec une jeunette un peu conne. Lisse et vide, écrin sans bijou.
Tiens, ça me rappelle une aventure d’Achille Talon. Celle où il prépare un pique-nique avec Virgule de Guillemet, sa dulcinée. Habitué qu’il est à ce que ce genre de situation parte méchamment en couille, il prépare tout à la perfection : la pelouse sera un Ritz et le panier à provision une succursale de Fauchon ; les contrariétés sont toutes évacuées, des fourmis à Lefuneste, de l’oubli de l’ouvre-boite à l’éventuel taureau en embuscade derrière la nappe. Et soudain, alors qu’il inaugure ce pique-nique parfait, aseptisé et rutilant, Achille s’interrompt, blanc comme un linge, et explose en sanglot : « C’est le pique-nique le plus ennuyeux de toute ma vie ! » Typique.
J’ai pensé à ça en finissant ton dernier livre comme on grignote un sandwich SNCF, papilles atones. Je l’ai reposé. J’ai regardé la couverture toute blanche avec le citron, design vide et plat. Feuilleté les 182 pages corps 18 (dont moitié de pages blanches). Recherché en vain quelques passages qui auraient pu me faire revenir sur ma décision. Et puis, je suis tombé sur le prix4, 17 euros5. Du coup, j’ai relevé la tête pour te demander si, par hasard, tu n’avais pas l’impression de te foutre de la gueule du monde. C’est là que j’ai vu que t’avais pris la poudre d’escampette. Mufle. Filer en loucedé pour pas payer la note ? Bordel ! Mais où est passée ta classe ?
1 Comme machin de Le Mag, qui te prend de tellement haut et se touche de te descendre, ego malvenu en bandoulière.
2 Ceci dit, je ne l’ai pas lu, faut pas pousser mémé Lémi dans les sorties, non plus.
4 Ayant reçu la chose en service de presse, la considération financière ne m’avait jusqu’ici pas trop effleuré.
5 S’emmerdent pas au Diable Vauvert : 17 euros l’heure de lecture, ça fait cher du bâillement…