dimanche 5 avril 2009
Sur le terrain
posté à 11h43, par
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S’il s’agissait de défiler dans la paix et l’amour, c’est raté. L’espace d’un après-midi, le contre-sommet de l’OTAN s’est transformé en guérilla urbaine, avec son cortège de destruction et d’affrontements. Les pisse-froids n’y verront que vandalisme et stupidité. Les autres mettront l’accent sur la légitimité d’une contestation radicale face à l’omniprésence policière. Récit et images.
Bakounine.
Les médias sont unanimes, les politiques aussi1. Un hôtel qui flambe, des militants chargeant la police, quelques bâtiments dévastés, des wagons déplacés pour servir de barricades... largement de quoi faire les gros titres. Les mêmes parleront sans doute beaucoup moins des tirs de lacrymos à hauteur d’homme - grenades partant à l’horizontal - , des flash-balls en action, des provocations policières, de l’envie de cogner tellement frénétique des CRS qu’ils finirent par s’arroser eux-mêmes de lacrymos - jouissif - et surtout de l’incroyable disproportion des forces en présence. A l’aune de cette dernière, et de l’avantage tactique de forces de l’ordre qui ont en grande partie cantonné la manifestation sur une île du Rhin, l’activisme brutal des black blocks2 tient davantage du baroud d’honneur très cher payé que de la violence gratuite. Ceux qui n’ont pas réussi à passer entre les mailles de ce filet mis en place par les CRS à la fin de la journée (avec tant de barrages filtrant qu’on en a perdu le compte...) ont eu droit à une chasse à l’homme parmi les bâtiments industriels de l’île qu’on imagine - sans guère de risque de se tromper - sans pitié3. Coups de matraque et mois de prison : l’activisme radical se paye comptant.
Reprenons. Au matin déjà, quelques groupes épars avaient réalisé des coups d’éclats en petits comités, ingénieux activistes parvenant habilement à éviter le gargantuesque déploiement de force de l’ordre enserrant Strasbourg depuis un semaine. Des précurseurs, en quelque sorte, dont une quarantaine finiront au poste.
Pour les autres, rendez-vous avait été donné en fin de matinée sur le Pont de l’Europe. Il s’agissait, pour ceux qui se définissent d’abord comme anti-capitalistes radicaux, de défiler en direction de la frontière allemande, pour rejoindre vers 14 h la manifestation unitaire. Et puis – qui sait ? – de tenter de forcer le blocus et de louvoyer hors de cet itinéraire imposé qui brillait par son absurdité, promenade dans une zone industrielle sous contrôle permanent des forces de l’ordre.
Kurdes du PKK, délégation grecque auréolée de ses récents exploits, black blocks allemands, anglais et français, anarchistes et électrons libres sont les premiers au rendez-vous. Face à eux, un premier barrage de CRS, bloquant un pont que la manifestation était autorisée à emprunter. 11 heures du matin et les pierres volent déjà par centaines, les lacrymos aussi, pluie de projectiles de part en part, ponctuée de quelques ruées militantes vers l’avant et de replis désordonné, les yeux larmoyants. Le ton est donné : on ne fera dans la dentelle, ni d’un côté ni de l’autre. C’est parti pour la journée.
Une petite heure d’affrontement et le cortège poursuit sa route jusqu’à la frontière. De l’autre côté, à Kehl - on l’apprendra plus tard - , 7 000 manifestants allemands trépignent pour rejoindre le cortège. Entre les deux, un pont, occupé par une police allemande toute disposée à faire joujou avec ses canons à eaux4. La jonction avec l’Allemagne ne se fera pas, les bâtiments désaffectés de l’ancienne douane servent d’exutoire, détruits avant que d’être incendiés.
Là, c’est presque un quartier que tiennent les manifestants, petit périmètre comme concédé par des forces de l’ordre devenues - pour un temps - invisibles. Quelques bâtiments en font les frais, dont l’hôtel Ibis, des caméras de surveillance et des panneaux publicitaires aussi, mis à bas par les radicaux tandis que les sympathisants communistes et trotskistes tiennent meeting un peu plus loin.
Quand les CRS repointent le bout de leur nez, les choses se précipitent : en un grand mouvement de foule, réformistes et activistes prennent la tangente ensemble, passant là où les autorités ne les attendaient pas. Surprise : les manifestants trouvent sur leur chemin une dizaine de cars de CRS, gardés par leurs seuls chauffeurs. Pour certains, l’occasion est trop belle : c’est sous une pluie de pierres que les engins prennent la fuite. Une vraie débandade.
On ne va pas tenir le compte de toutes les escarmouches, de tous les accrochages : ils furent incessants. Logique, les escouades bleu horizon étant déployées à chaque carrefour ou croisement, avec leurs canons à eau parés à tirés derrière d’imposantes grilles de fer5. Des rangées de CRS qui ont fini par se refermer sur le cortège, le prenant en tenaille alors qu’il traversait une île du Rhin. Policiers d’un côté, policiers de l’autre, le piège est parfait. Ceux des manifestants qui pensaient pouvoir résister derrière deux wagons à céréale déplacés et mis en travers de la route ne tiendront pas longtemps. Et ceux des black blocks qui ont pris d’assaut un remblais de voie ferrée de l’autre côté pour charger les CRS, parvenant à les faire reculer un temps sous une pluie de pierres, n’ont pas non plus réussi à briser l’encerclement ; tout juste ont-ils attiré en retour sur la manifestation des tirs de flash-balls et de lacrymos. Bref : les indiens ont encore perdu.
Le reste n’est plus que débandade. Séparés du gros de la troupe, une partie des radicaux tentent de se cacher dans les bâtiments industriels voisins, en pure perte tant il n’est pas d’échappatoire et tant les CRS semblent décidé à les traquer jusqu’au dernier. Les autres, regroupés autour du cortège du NPA, finiront par sortir de la nasse, après quelques tractations. Notons que la présence d’Olivier Besancenot, seul responsable politique national à avoir essuyé le tir de lacrymos et à ne pas s’être déballonné6, a sans doute permis de mettre un peu d’huile dans les rouages : ces mêmes CRS qui braquaient leurs flash-balls de partout donnaient du « monsieur-dame » à tout le monde en sa présence. Magique.
Reste que les forces de l’ordre ont méthodiquement filtré la sortie de la manifestation, scrutant et cherchant sans relâche tout ce qui pouvait s’apparenter à un black block. Certains auront eu l’intelligence de brûler leurs cagoules, gants et sweet-shirts avant de passer devant les CRS. Les autres...
Edit, dimanche 17 h 30 : contrairement à ce qui est sous-entendu dans ce billet, il semble que la chasse à l’homme contre les plus motivés des activistes ait été assez modérée. Par contre, de très nombreux contrôles d’identité et des interpellations étaient en cours cet après-midi autour du camp des anti. Billet à suivre, d’ici deux ou trois heures.
1 Certains s’amuseront de voir Frédéric Lefebvre et Marie-Georges Buffet sur la même ligne. D’autres, moins. L’empressement de la secrétaire nationale du PCF à condamner ceux qu’elle appelle des « imbéciles » prouve au moins que la notion de « camarade » doit être entendue en son sens le plus restrictif. Pas une nouveauté...
2 La rage a ses raisons que la raison n’ignore pas...
3 Finalement : pas tant que ça. Voir l’édit de bas de page.
4 Un émissaire des manifestants dépêchés auprès des autorités allemandes en rapportera cette sibylline déclaration : « Si nous intervenons, il y aura des jambes brisées. »
5 A noter, entre autres joyeusetés, ce photographe délicatement cueilli de dos par le jet surpuissant d’un canon à eau alors qu’il prenait benoîtement, isolé, quelques clichés des affrontements.
6 On n’est pas spécialement pro-NPA, mais la tentative (modeste, mais tentative quand même...) d’Olivier Besancenot de s’interposer quand les CRS filtrant le passage ont foncé sur un black block encagoulé nous rend le bonhomme plutôt sympathique.
7 Magie des manifs : quand l’anti-capitalisme mou rencontre l’anti-capitalisme à crête...