samedi 23 mai 2009
Le Charançon Libéré
posté à 14h33, par
43 commentaires
Il se murmure que les Européennes approchent (ne niez pas, j’ai mes sources). Et il se trouve - aussi - que des amis-à-moi, non content de vouloir voter, envisagent de soutenir la liste Europe Ecologie. Par esprit de contestation et parce que l’opportunisme de cette liste m’insupporte, j’ai eu envie de pointer ses contradictions. Bref, cela valait bien un procès (virtuel).
Un palais de justice quelconque, un jour de juin 2009, peu avant les élections européenne. Six personnes à la barre, penaudes, font face à un président majestueux. Elles baissent la tête, lui les considère avec mépris. Cohn-Bendit se gratte la tête, le président tousse, l’audience commence.
Le président, voix grave : vous répondez devant ce tribunal d’association de malfaiteurs en vue d’un hold-up électoral. Vous avez été arrêtés à temps, avant que les électeurs de gauche ne portent leurs voix sur votre liste, Europe Ecologie1. Greffier, prenez note, je vais procéder à l’appel.
Le même, vérifiant les présences : Jean-Paul Besset, tête de liste pour la circonscription Centre… Hélène Flautre, pour le Nord-Ouest… Yannick Jadot, pour l’Ouest… Daniel Cohn-Bendit, dit Dany le Rouge…
Dany, l’interrompant : c’est un surnom qui n’est plus d’actualité.
Président : ah bon ? N’avez-vous pas affirmé récemment : « L’esprit de mai 68, c’est moi »2 ? Reprenons : Dany le Rouge, pour l’Île de France… José Bové pour le Sud Ouest… Enfin, Cécile Duflot ; bien qu’en position non éligible, vous étiez l’une des chevilles ouvrières de cette liste. Tout le monde est là, nous commençons.
Jadot : permettez, M. le président. Nous ne voyons pas la raison de notre présence, nous ne sommes coupables que d’avoir voulu assumer nos responsabilités devant nos électeurs.
Président : on vous reproche d’avoir menti sur les finalités de votre alliance, d’avoir ratissé large, au détriment de toute cohérence, et d’avoir maquillé, sous quelques mots ronflants, vos profondes divergences.
Duflot : c’est faux ! Nous étions sur une même ligne !
Dany : oui, nous avions résolu de « prendre une initiative pour les Européennes, avec des personnalités qui ont des points de vue convergents concernant les urgences environnementales, sociales et de transparence dans la démocratie »3.
Président, fouillant dans ses fiches : des points de vue convergents sur les urgences sociales ? Voyons voir… M. Cohn-Bendit, n’est-ce pas vous qui rappeliez en 2008 votre combat pour l’ouverture au marché du secteur de l’énergie et promettiez de combattre une gauche qui proposerait des nationalisations ?4
Dany : si fait, « des services comme le téléphone, la poste, l’électricité n’ont pas de raisons de rester dans les mains de l’Etat »5.
Président : et qu’en pense votre ami José ?
Bové : « Il faut défendre les services publics contre la marchandisation et (empêcher) le transfert de ces services publics vers des multinationales, vers le privé. Cela vaut aussi bien pour la santé, les transports, l’éducation ou l’énergie. »6
Président, souriant : je vois… Qu’en est-il de votre position commune sur le libéralisme ?
Dany : « Je suis persuadé que si on dit non à l’économie planifiée socialiste, on dit oui à l’économie de marché. Il n’y a rien entre les deux. »7 En ce qui me concerne, « je suis pour le capitalisme et l’économie de marché »8.
Bové, virulent : au contraire, « il est temps de décréter l’insurrection électorale contre le libéralisme économique. »9
Dany, goguenard : quel archaïsme ! Vous savez, M. le président, « chacun demeure libre de rêver d’un monde sans marchés financiers internationaux, sans libéralisation des échanges, sans globalisation de l’économie. Mais que gagnerait l’Europe, et chacun de ses peuples, à s’inscrire dans cette nostalgie ? »10
Bové, s’étouffant : conneries ! « Le combat écologique est incompatible avec le capitalisme actuel. »11
Duflot : exactement, « le libéralisme est incompatible avec une société écologique ». Voilà ce qui constituait le « socle commun » de notre alliance.12
Dany : je n’avais pas compris les choses comme ça…
Président, compatissant : je vois ça… J’imagine que les mêmes divergences apparaissent sur les réponses à apporter à la crise économique.
Dany : Oh, non. Là, nous sommes d’accord : « Nous proposons ce que nous appelons le nouveau ’Green Deal’, c’est-à-dire un plan de relance de l’économie réelle, européen. »13
Besset : c’est ça… Comme d’habitude, « les ’godillots’ du principe de négation nous rabâchent qu’il faut continuer à accélérer nos consommations pour soutenir la croissance et diffuser le bien-être. Alors que, justement, c’est la croissance qui est le problème »14. Une seule solution : la décroissance !
Dany : pas d’extrémisme. Disons que « les critères de responsabilité environnementale doivent entrer en ligne de compte dans une politique de développement durable, donc de croissance soutenable »15.
Besset : c’est l’inverse ! « A la différence de la croissance, la décroissance, elle, peut être soutenable. »16
Président, narquois : foin d’arguties, votre convergence semble limitée… C’était déjà le cas au moment du référendum sur le Traité de Lisbonne, non ?
Flautre, se réveillant : moi, j’étais « pour un Oui de luttes, un Oui de gauche, un Oui Vert ! »17
Bové : pffff… c’est une honte. « En donnant valeur constitutionnelle à ce texte (…), les hommes et femmes de gauche (ont contribué) à figer dans le marbre une vision purement mercantile de la société, et donc à vider la politique de son sens. »18
Dany : et c’est reparti ! A l’époque déjà, j’avais dénoncé « la bêtise » de ces « gens de gauche (…) qui n’ont trouvé comme bouc émissaire que le plombier polonais »19. Mais, rien n’y a fait, M. le président.
Président : rien… Heureusement que vous partagez le même ancrage politique, hein ?
Besset : bof…« Face à l’enjeu écologique, la distinction gauche-droite n’est plus pertinente. »20
Duflaut : bien sûr que si ! « L’écologie ne sera jamais un projet de droite et du centre. »21
Dany : du calme, « Europe Ecologie ne demande pas de passeport de gauche. Nous accordons le droit d’asile aux gens de droite »22.
Président : je crois que nous pouvons en rester là… Au terme de cette audience, je vous déclare coupables de tripatouillage électoraliste et de déviationnisme politicien. Pour plagier votre camarade Bové, « on voit que les stratégies électorales, les logiques d’alliance et les ambitions personnelles brouillent la discussion »23. L’audience est levée !
1 Pour rappel - et pour copier-coller la présentation qu’elle fait d’elle même sur son site - la liste « Europe Ecologie est le rassemblement de citoyen-nes né d’une ambition : celle de fédérer le « peuple écologiste » en vue des élections européennes du 7 juin 2009, avec des candidats dans les huit circonscriptions autour de personnalités (Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly), militant-es issus du monde syndical et associatif (José Bové, Jean-Paul Besset, Sandrine Bélier, Yannick Jadot), ou de mouvements politiques (Hélène Flautre, Michèle Rivasi). »
2 Sur la Télé Libre, le 17 mai 2008.
3 Le 26 août 2008, sur le site Rue89
4 Le 9 septembre 2009, dans Les Matins de France Culture.
5 Cité par Serge Halimi dans un dossier spécial des Inrockuptibles en 1998.
6 Interview au quotidien Le Bien Public, le 11 avril 2007.
7 Dans Libération, le 6 janvier 1999.
8 Dans son livre Une Envie de Politique (1998), cité dans le N°56 de La Décroissance.
9 Dépêche AP du 1er février 2007.
10 Dans son livre Le Petit Dictionnaire de l’Euro (1998), cité par La Décroissance.
11 Lors d’un meeting d’Europe Ecologie le 15 janvier 2009 à Lyon.
12 Dépêche AFP du 23 août 2008.
13 Lors du Talk du Figaro, le 14 novembre 2008.
14 Dans son livre Comment ne plus être progressiste sans devenir réactionnaire (2005).
15 Lors des Entretiens du PSE, en octobre 2006.
16 Dans son livre, Comment ne plus être progressiste sans devenir réactionnaire (2005).
17 Lettre ouverte aux militants verts, 2005.
18 Dans Le Monde du 27 novembre 2004.
19 Dans Le Monde du 25 mai 2005.
20 Dans Politis, le 3 novembre 2005.
21 Dans l’Humanité, 0le 8 décembre 208.
22 Lors d’un meeting d’Europe Ecologie, le 15 janvier 2009 à Lyon.
23 Dans Le Monde, le 27 novembre 2004.