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mardi 6 juillet 2010

Entretiens

posté à 20h07, par Lémi
52 commentaires

Jean-Pierre Garnier : « Ce rouleau compresseur s’appelle lutte des classes »
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Comme un rouleau compresseur en territoire urbain. Qui chasse les classes populaires, dépossédées de leur « droit à la ville », vers de lointaines périphéries. Et qui draine en son sillage des populations aisées, invitées à faire définitivement main-basse sur des villes aseptisés. Une violence spatiale documentée avec précision par le chercheur et sociologue Jean-Pierre Garnier. Excursion urbaine.

Il paraît que certains mots ne se disent plus. Que parler de « lutte des classes » ou de « guerre sociale » est grossier et inconvenant1. Que continuer à fréquenter Marx et ses pairs revient à soulever une très vieille poussière - anachronisme absolu. Pourquoi agiter les vieux spectres de la contestation sociale alors que l’époque est démocratisée, aseptisée ? Nous ne sommes plus au 19e siècle, que diable…
Contre l’air du temps, pourtant, certains s’accrochent, refusent la novlangue de la domination pacifiée. Jean-Pierre Garnier, chercheur en sociologie urbaine, est de ceux-là. Avec Une Violence éminemment contemporaine (Agone), salutaire recueil d’articles englobant plus de trente années de recherches, il revisite les métamorphoses de la ville au prisme de l’analyse marxienne. Et livre un ouvrage précieux, limpide et documenté. Un vrai réactif à l’air (gris) du temps.

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Un constat, donc : la domination de classe reste plus que jamais d’actualité, mais elle s’est modernisée, transformée, aussi bien portée par les intellectuels que par les politiques culturelles. Champ d’application privilégié de cette violence pesant sur les classes populaires, sur ces gens « mutés d’office vers des zones plus en adéquation avec leur condition », le territoire urbain s’est fait symbole d’une faillite sociale généralisée maquillée en modernité. Clinquante et sécurisée, la ville contemporaine est plus que jamais un lieu de ségrégation.
Croisé lors d’un débat où il intervenait sur le sujet des violences policières, à Lille2, Jean-Pierre Garnier a gentiment accepté de me revoir, pour un dialogue ouvert et vivant. De l’hypocrisie des politiques culturelles municipales aux révoltes de 2005, visite guidée de métropoles dénaturées.

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Les articles composant ton livre sont échelonnés sur environ trente ans. Tu as commencé très tôt à étudier ces questions ?

Le premier article date de 1979, en effet. J’ai commencé à m’intéresser à la thématique de la « ville » à la sortie de mes études, après mon service militaire, dans le cadre d’un organisme technocratique, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région parisienne. J’y ai travaillé pendant trois ans. On m’avait recruté pour rédiger le long texte de présentation du schéma directeur d’aménagement urbain de la région parisienne. En fait, j’avais été engagé parce que j’écrivais bien : les architectes sont bons pour faire des plans, pas pour manier la langue française. J’ai donc appris sur le tas tout ce qui concerne l’urbanisme et l’aménagement.
J’ai ensuite fait la même chose pendant cinq ans à Cuba, au Plan directeur de La Havane, mais, évidemment, dans un contexte totalement différent. C’était la fin de la période romantique, révolutionnaire-lyrique et guevariste, de la révolution cubaine, le début de l’alignement sur le « modèle » soviétique. Pour moi, ça s’est terminé en taule.

De quoi étais-tu accusé ?

Tout partait d’une divergence politique, mais j’ai été officiellement accusé de « propagande contre-révolutionnaire et espionnage ». En fait, j’avais seulement eu le tort de dire à plusieurs personnes, dont des journalistes (y compris Régis Debray, qui s’est empressé de faire le flic auprès des autorités), que Cuba n’était pas un régime socialiste mais un régime de capitalisme d’État, avec une bourgeoisie bureaucratique au pouvoir. Ça s’est su.
J’étais sur place depuis longtemps et j’étais très impliqué : j’avais intégré un Comité de défense de la révolution, la milice populaire – à l’époque, on armait encore le peuple contre une éventuelle invasion nord-américaine – , j’avais fait du travail volontaire, j’étais marié à une Cubaine… Bref, j’étais en immersion totale dans la révolution. Mais ça ne m’a pas évité de goûter à la prison pour avoir dit ce que je pensais. Je n’ai passé que cinq jours, entrecoupés d’interrogatoires, entre quatre murs : c’était surtout de l’intimidation. Après, je suis rentré en France.

Quand j’étais à Cuba, on m’envoyait toujours les universitaires français de passage, à qui je faisais des topos. En plus, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, la mode était, dans l’université et la recherche françaises, à l’analyse marxiste des phénomènes urbains. J’ai donc facilement trouvé une place à mon retour en France, et j’ai commencé à enseigner à Toulouse, d’où j’ai été viré pour agitation sur le campus. On m’avait recruté pour faire du commentaire de lutte des classes, mais il ne fallait pas passer à la pratique en foutant le bordel dans les facs… J’ai ensuite donné des cours en tant que vacataire dans diverses facultés parisiennes, Paris 1, Paris 8, avant de rentrer au CNRS, en géographie urbaine, puis en philosophie matérialiste marxiste avant de terminer en sociologie urbaine. En gros, j’ai toujours travaillé sur l’urbain, réfléchi, analysé, étudié des éléments qui relevaient de ce champ d’investigation. Voilà sur quoi se base mon dernier livre, Une Violence éminemment contemporaine, qui résume ce travail.

Dans l’introduction de ce livre, justement, tu fais référence à la notion de « droit à la ville », théorisée par Henry Lefebvre…

Oui, je pars d’un constat : dans toute société de classes, appartenir à la classe dominée implique d’être dépossédé du « droit à la ville ». À savoir de l’accès à la centralité urbaine et à ce qui va avec : l’animation, la diversité et la culture, ce qui fait la richesse de la vie urbaine. Cette privation va de pair avec une ségrégation socio-spatiale.
Le capitalisme étant évidemment une société de classes, le phénomène a été présent dès ses débuts. Dans le capitalisme industriel du 19e siècle, on observait déjà un clivage spatial entre les classes dominantes se trouvant dans les « beaux quartiers » – titre d’un roman de Louis Aragon – et les classes dominées logeant dans les « bas quartiers ». Si le capitalisme a changé et n’est plus celui du 19e — il s’est financiarisé, transnationalisé, technologisé — , si son inscription spatiale a évolué, la ségrégation subie et involontaire3 reste une constante : ceux que l’on désigne comme membres des couches dominées sont expulsés et évincés du centre des agglomérations vers des périphéries de plus en plus lointaines. On parle beaucoup des « cités », mais cela n’englobe qu’environ quatre millions d’habitants. La majeure partie des couches populaires habite aujourd’hui dans ce que l’on appelle le péri-urbain. Soit autour des banlieues, au-delà des banlieues proches.

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Dans toutes les villes françaises et européennes (aux États-Unis, le schéma est inversé4), les classes populaires se trouvent dépossédées du droit à la centralité urbaine. Elles sont éjectées dans des zones moins accessibles, où les activités culturelles sont quasiment inexistantes, où il faut posséder une voiture pour rejoindre le centre, et même pour avoir accès à des commerces autres que les hypermarchés. Avec la baisse du niveau de vie et la hausse du prix des transports, ces gens se retrouvent bien souvent assignés à résidence.
Tout cela forme l’un des traits principaux de l’urbanisation capitaliste, l’autre étant concomitant : la colonisation des anciens quartiers populaires dans la ville-centre par la nouvelle petite bourgeoisie, ou petite bourgeoisie intellectuelle. Sous la poussée de ces deux phénomènes, une hiérarchisation se développe, dans un espace toujours plus élargi. Cette ségrégation n’est pas nouvelle, mais elle est plus diluée et plus dispersée.

En parcourant ce livre, on a l’impression effrayante d’un rouleau compresseur, phénomène inexorable et exponentiel.

Ce rouleau compresseur s’appelle lutte des classes. D’autant que la bourgeoisie est passée à l’offensive à partir du milieu des années 1970 en France, et un peu avant en Angleterre et aux États-Unis. Beaucoup d’intellectuels marxistes anglo-saxons ont souligné cette évolution : le géographe David Harvey, par exemple, explique qu’on a mis en place à cette époque un nouveau modèle d’exploitation, celui de l’accumulation flexible du capital, fondé sur la déstabilisation du marché du travail et le démantèlement de toutes les conquêtes sociales.
La bourgeoisie réagissait alors à la crise de l’accumulation, provoquée en grande partie par les conquêtes ouvrières des soi-disant Trente glorieuses. A partir du début des années 1970, et surtout de 1974-75, elle a commencé à imposer ses vues, ce qu’on appelé néolibéralisme. Il s’agissait de démanteler l’ « État social » (une antinomie à mes yeux), le Welfare State (État providence), et de mettre en place de nouvelles modalités d’exploitation fondées sur la flexibilisation et l’individualisation. Bref, la bourgeoisie était à l’offensive aussi bien sur les lieux de travail qu’au dehors.

Dans le domaine de l’urbain, il y avait déjà eu des politiques d’éviction des classe populaires des centres-villes après la guerre, notamment à travers ce qu’on a nommé la « rénovation urbaine » des années 1960 qui faisait table rase des anciens quartiers pour implanter des immeubles de standing, des bureaux, des centres commerciaux, etc. Mais il y avait encore des résistances, appelées mouvements sociaux urbains ou luttes urbaines. Elles se sont ensuite intensifiées dans les années 1970 pour s’éteindre dans la décennie suivante… Après l’arrivée de la gauche institutionnelle au pouvoir, en effet, leurs leaders et théoriciens ont intégré l’appareil d’État au niveaux central ou local.
Ce processus d’éviction/colonisation s’appuyait sur l’apparition et le développement d’une nouvelle couche sociale, dont la bourgeoisie avait besoin pour asseoir et refonder son hégémonie : la petite bourgeoisie intellectuelle. Celle-ci avait et a pour fonction d’assurer la médiation entre les tâches de direction (réservées à la bourgeoisie – d’État ou privée) et les tâches d’exécutions (qui incombent au prolétariat), pour garantir la reproduction des rapports de production capitalistes. Effectuant des tâches de conception, d’organisation, de contrôle et d’inculcation, cette petite bourgeoisie intellectuelle est aujourd’hui largement inféodée à l’ordre établi et aux classes dominantes : elle joue le rôle de classe-appui, ou classe-relais. Bien entendu, elle est elle-même hiérarchisée, et les pans inférieurs de cette petite bourgeoisie intellectuelle sont menacés de prolétarisation. À l’image de tous ceux qui sortent de leurs études avec un Bac + 3, 4 ou 5, ne trouvent pas de travail et sont précarisés.
Il y a un avantage à cette situation, c’est que certains commencent à se radicaliser – on l’a vu dans la lutte contre la réforme des universités ou contre le CPE. En anticipant, on peut espérer un combat commun avec ceux qui sont les plus dominés et exploités.

Il s’agit d’une guerre sociale ?

Oui, je suis d’accord avec Éric Hazan sur ce point5, c’est une guerre civile rampante. Même si ceux qui maîtrisent le discours public et les néo-petits bourgeois ne le reconnaîtront jamais : pour eux, des termes comme « guerre sociale » sont à éliminer, à effacer, en même temps que « lutte des classes », « bourgeoisie », « prolétariat », « exploitation »… La novlangue contemporaine proscrit ce genre de vocabulaire.

Ce processus urbain que tu décris s’applique à toutes les grandes villes de France ?

Toutes les agglomérations importantes sont concernées, soit tous les pôles urbains regroupant enseignement supérieur, industries de pointe et dynamisme culturel – ce que les technocrates et les experts ès aménagement appelaient jadis « métropoles d’équilibre », et aujourd’hui « capitales régionales » ou « métropoles ». Ces villes sont en compétition les unes avec les autres. C’est l’application dans le champ urbain du principe de la « concurrence libre et non faussée ». Toutes doivent rivaliser pour attirer les investisseurs (les exploiteurs) et la matière grise (les néo-petits bourgeois). Au niveau national, il y a une lutte entre Lille, Strasbourg, Nantes, Bordeaux, etc… Marseille est la dernière grande ville française dont les classes populaires n’ont pas été totalement éjectées du centre ; mais là-bas aussi, le processus est en marche.

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D’autant que Marseille va devenir Capitale européenne de la culture, comme Lille avant elle, en 2013…

Le maire Jean-Claude Gaudin – un ignare fini – est dans la même optique que Martine Aubry à Lille ; laquelle ne s’est pas contentée de mettre en œuvre le projet de « capitale européenne de la culture », mais a aussi lancé Bombaysers de Lille et tous les événements liés à Lille 3000. La culture est aussi un prétexte pour nettoyer les villes de leurs « indésirables », c’est-à-dire virer les pauvres. Les espaces « requalifiés » sont exclusivement destinés à des « gens de qualité ».
À Paris, outre l’exemple de Beaubourg que je développe dans mon livre, on peut citer la récente création du « 104 »6, symptomatique de ce mouvement. L’endroit, un ancien entrepôt de pompes funèbres réaffecté et réhabilité, n’est pas occupé, ne marche pas du tout et n’attire personne. Coût de l’opération : 109 millions d’euros. Qu’importe : les environs du « 104 » sont déjà en cours de complète transformation, avec une nouvelle population qui s’installe – lofts, ateliers d’artistes, restos branchés... La rue d’Aubervilliers, juste à côté, un ancien lieu de deal, a été totalement aseptisée, et un « éco-quartier » – la zone d’aménagement concerté Pajol – est en train de voir le jour. Cette dernière va évidemment être réservée aux « bobos », malgré quelques logements sociaux — il faut savoir qu’il y a quatorze catégories de logements sociaux, avec du bas de gamme et du haut de gamme. Cette dernière catégorie n’est bien sûr pas du tout accessible aux classes populaires.

Et la guerre sociale se pare des habits de la culture, les dominants organisent des événements qui…

Je te coupe, parce que ce mot « événement » est très important, en ce qu’il dit de la propagande, et notamment de la propagande culturaliste des municipalités. Tu noteras qu’il n’y a plus aujourd’hui d’événements historiques, de ruptures ou de menaces de rupture possible dans le cours de l’histoire, avec irruption des classes dominées sur la scène politique. Ou plus exactement dans la rue, lorsque la politique ne se confond plus avec la représentation politicienne, comme pour la prise de la Bastille, la révolution de 1848 ou le Front Populaire. C’est terminé : il n’y a plus d’événements au sens historique, capables d’infléchir le cours de l’histoire. Mais seulement des événements au sens culturaliste du terme, programmés par les autorités municipales et sponsorisés par des entreprises. Lille est un très bon exemple : c’est une multinationale de la distribution qui organisait et finançait « Bombaysers de Lille ». Bien entendu, le mot « Bombay », dans la tête de Martine Aubry et de ses conseillers, renvoyait à une ville dynamique et exotique. Et faisait l’impasse sur les centaines de milliers, voire les millions, de gens entassés dans des bidonvilles.

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De la même manière que pour une soirée musicale balkanique mettant la Roumanie à l’honneur, la mairie de Lille a fait évacuer les Roumains qui traînaient près de la gare...

Ils faisaient tache. Le paysage urbain doit être aseptisé, lissé et nettoyé, sur le plan écologique comme sur le plan social. C’est ce qui s’est passé à Lyon sous l’égide de la municipalité « socialiste » de Gérard Collomb, qui a récolté, dans la catégorie « localités » et il y a quelques années, un prix Orwell aux Big Brother Awards. L’histoire ? Une biennale d’art d’avant-garde, soi-disant anti-conformiste, avait été installée au cœur d’une friche industrielle en voie de reconquête. Et dans ce quartier alors à l’abandon, il y avait un certain nombre de roulottes dans lesquelles œuvraient les prostituées lyonnaises. Pour « l’événement », la mairie a donc fait évacuer manu militari les prostituées pour les envoyer dans la lointaine périphérie de Lyon, où elles sont soumises à des conditions terribles, sans aucune forme de protection, à la merci des macs, des flics et des agresseurs sexuels. Juste parce que ça la foutait mal d’avoir des types venant tirer leur coup à proximité de cette biennale prétendument « anticonformiste »… À mon avis, pourtant, les artistes présents étaient eux-mêmes des prostitués vendus à l’État et au secteur privé lyonnais.

Tu parles d’une violence « éminemment contemporaine », alors que c’est une violence sociale qui s’exerce depuis longtemps. Quels sont les éléments qui la rendent si contemporaine ?

D’abord, et je l’ai dit plus haut, le capitalisme d’aujourd’hui n’a pas grand chose à voir avec celui qui sévissait il y a cent cinquante ans ou même il y a quarante, avec le capitalisme industriel classique. Et si je dis « éminemment », c’est pour souligner une évolution politique et idéologique. Depuis le milieu des années 1970, et encore plus depuis la fin des années 1980, l’alternative socialiste/communiste qui était portée par le mouvement ouvrier a cessé d’être d’actualité. Les dirigeants et les penseurs censés l’incarner ont perdu toute crédibilité, tandis que les programmes et les visions du monde qui en découlaient se sont effrités, puis évanouis.
Ce qui est « éminemment » contemporain, donc, c’est que la violence des opprimés s’exerce désormais dans le vide. Il y a toujours eu une contre-violence des dominés contre les exploiteurs, mais elle était auparavant porteuse d’une positivité. Les réactions populaires étaient, certes, violentes et destructrices – on a coupé des têtes, brûlé des châteaux, pendu des salopards – mais il y avait un objectif, un idéal. L’horizon était celui d’une émancipation collective. Aujourd’hui, pour l’instant en tout cas, cet idéal n’existe plus, d’autant que le réformisme a depuis longtemps envahi toutes les composantes de la gauche. À partir de 1995, certains ont pourtant cru que ressurgissait une alternative, l’alter-mondialisme. Pour moi, ce n’était qu’un alter-capitalisme, luttant contre le néolibéralisme mais pas contre le capitalisme, voulant humaniser, rationaliser, civiliser, adoucir le mode de domination et d’exploitation capitaliste ; de toute manière, ce mouvement s’est dégonflé.

Bref, cette contre-violence des opprimés n’est plus orientée, comme l’était celle de la lutte des classes. Elle laisse place à la violence erratique des déclassés, sans cible bien définie. Rien de plus normal : une des caractéristiques du capitalisme actuel est qu’il est de plus en plus anonyme, dématérialisé. Par où l’attaquer ?
Prenons l’exemple des jeunes rebelles des « cités »… Eux ont trois certitudes sur notre société contemporaine : elle leur paraît injuste, irréformable et surtout, ce qui est nouveau, indestructible. Voilà pourquoi il n’y a pas d’alternative, pourquoi l’horizon est totalement bouché. Beaucoup d’entre eux sont révoltés, se sentent impuissants et ont des désirs de revanche sociale, mais ils ne savent pas contre qui tourner leur rage. Du coup, ils s’en prennent à tout, des policiers aux équipements qui représentent les institutions en passant par les autobus, là où on les contrôle. Tout peut devenir une cible, y compris des profs, des gens accusés d’avoir jeté un mauvais regard… Dans le même temps, beaucoup sont totalement aliénés par le consumérisme. Ils refuseront de payer dans les transports en commun, mais s’achèteront les dernières basket à la mode et hors de prix.

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La décomposition sociale entraînée par le capitalisme contemporain se traduit également par une décomposition éthique, cette « barbarie » dont parlait Rosa Luxembourg quand elle disait « socialisme ou barbarie ». Celle-ci n’épargne pas les couches populaires. Face à la barbarie des forces répressives, il y a aussi une riposte barbare de jeunes et de moins jeunes, cette « violence gratuite » qui fait saliver les journalistes.
Avec la flexibilisation de la force de travail, le blocage des salaires et le démantèlement de la protection sociale, les ménages d’ouvriers et d’employés se retrouvent de plus en plus acculés. Cela débouche souvent sur un surplus d’agressivité, parfois au sein même des ménages. Il suffit de parler avec des caissières de supermarché, des vendeurs de la FNAC ou des livreurs de pizza pour s’en rendre compte. Ce que ne feront jamais des intellectuels du genre d’Alain Badiou ou de Jacques Rancière, qui ne sont jamais sortis de Normal Sup, sinon pour aller gloser sur les campus universitaires, à Beaubourg, à la BNF ou dans les librairies bobos, et qui n’ont jamais eu de contact de toute leur vie avec les couches populaires.

La deuxième partie de ton livre, « critique de la raison pseudo-scientifique » n’est justement pas tendre avec les intellectuels. Tu te places dans la filiation de Guy Hocquenghem et de sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary7, qui date de 1986 ?

Bien sûr. Sauf que lui n’analysait pas vraiment la dimension de classe de ce revirement, de ce ralliement des ex-« contestataires » à l’idéologie bourgeoise. J’apprécie sa virulence, mais je ne suis pas convaincu par tout ce qu’il raconte, d’autant qu’il était maoïste. Personnellement, je ne pense pas en termes de « trahisons », mais de rapports de classe : les néo-petits bourgeois radicalisés de mai 68 formaient une classe de frustrés, qui voyaient les cartes leur échapper.
La nouvelle petite bourgeoisie intellectuelle prenait alors, en France et dans les pays d’Europe du Sud, son essor à la place et aux dépens de l’ancienne petite bourgeoisie – petits commerçants, paysans, artisans, professions libérales. Cette ascension se faisait au plan économique, démographique, idéologique, intellectuel ou culturel. On ne peut comprendre la Nouvelle vague, le Nouveau roman ou le succès d’un théâtre d’avant-garde avec le Festival d’Avignon sans prendre en compte cette ascension : cette nouvelle classe en pleine croissance exprimait ses aspirations à travers de nouvelles modalités de production artistique. Seul problème : elle était bloquée dans son ascension politique. En France, elle faisait face à un gouvernement technocratique et autoritaire, celui du Général de Gaulle. Et c’était la même chose en Italie, où la démocratie chrétienne verrouillait tout avec la Mafia et une bourgeoisie très traditionaliste, ce qui a débouché sur une radicalisation de ces couches nouvelles. Ou encore en Espagne avec Franco, ou au Portugal avec Salazar.
Cette couche radicalisée voulait – inconsciemment, la plupart du temps – peser d’un poids politique qui soit en phase avec la place qu’elle occupait déjà dans la société. Je me rappelle avoir eu une discussion avec Pompidou (rencontré via Louis Chevalier dans un restaurant), m’expliquant que les gauchistes de 68 étaient des gens aspirant au pouvoir. Il avait raison : quand leurs porte-paroles réclamaient « l’intelligence au pouvoir », cela voulait dire pour eux « la classe intellectuelle au pouvoir ». Lors de cette même rencontre, Pompidou m’a raconté avoir dit au Général de Gaulle qui hésitait à envoyer la troupe contre les étudiants : « Ces agités que vous voyez dans la cour de la Sorbonne seront l’élite de la France dans quelques années. Il ne faut pas tirer sur eux. »

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Pour toi, il n’y a pas eu « trahison » des intellectuels, mais simple affirmation d’un rapport de classe ?

Absolument. Parler de « trahison », c’est tomber dans une analyse psychologisante et moralisante. En tant que matérialiste marxien – et non marxiste – , je ne verse pas dans ce genre d’approche. Car je ne confonds pas la pensée de Marx avec les idéologies des appareils bureaucratiques ou étatiques qui se sont emparés des idéaux socialistes et du communistes pour opprimer les couches populaires, ni avec les discours des révolutionnaires de salons ou de salles de cours qui rêvaient d’en faire autant.

De façon générale, le rapport de force n’est clairement pas en notre faveur. Tu crois qu’il pourrait s’inverser ?

Nous subissons un mode de domination extrêmement puissant. Outre le ralliement des intellectuels à l’ordre établi, il passe par de nombreux vecteurs : les médias, les institutions, les associations — complètement instrumentalisées — et les moyens militaires et policiers, adossés à des technologies répressives nouvelles très poussées. Cette société est pourtant extrêmement fragile. C’est paradoxal, mais logique : plus un système social est sophistiqué, plus il est vulnérable. Par exemple, le sabotage ou la paralysie des systèmes informatiques et de contrôle apparaissent assez aisés à mettre en œuvre. C’est d’ailleurs une éventualité qui inquiète beaucoup les classes dirigeantes : une panne électrique, un piratage des réseaux informatiques, etc… Ils y pensent beaucoup, développent énormément de moyens pour s’en protéger.
Ce n’est pas un hasard si les lois sécuritaires se multiplient — à cet égard, je renvoie au livre de Claude Guillon sur le Terrorisme démocratique8. Pourquoi multiplie t-on les agents de sécurité, les flics, pourquoi fait-on intervenir l’armée ? Si les dominants étaient sereins, ils n’auraient pas besoin de ce déploiement technologique, idéologique, institutionnel et médiatique. Mais ils gouvernent par la peur. Non pas la peur du pouvoir, mais en instillant la peur dans la population pour qu’elle réclame au pouvoir d’être protégée, ce qui est la base du principe de précaution si cher aux écologistes d’État. Concernant ces derniers, d’ailleurs, je les considère comme faisant partie du système de domination. À ce sujet, je partage le point de vue de Pièces et Main d’œuvre ou de l’Encyclopédie des Nuisances.

Dans quelle perspective te situes-tu, alors ?

Il me semble que tout marxien conséquent doit d’abord réfléchir aux voies nouvelles à emprunter pour révolutionner les rapports sociaux. Il est évident que le Grand soir ou, au plan tactique, les soulèvements classiques ne sont plus à l’ordre du jour. Notamment parce que la bourgeoisie est surarmée : la différence entre le potentiel répressif des couches dominantes et le potentiel insurrectionnel des couches populaires est sans comparaison avec ce qu’il a été du temps de la Commune ou même de Mai 68.
Pour compenser ce rapport défavorable, il faut déjà s’interroger sur un élément fondamental : comment parvenir à une jonction entre des mouvements de révolte menés par les catégories les plus dominées avec d’autres menés par celles qui risquent d’être prolétarisées, à savoir les franges inférieures de la petite bourgeoisie intellectuelle ? C’est à forger cette alliance de classes qu’il faut œuvrer. Et cela n’est possible que dans un combat commun où l’ennemi sera clairement désigné.



1 Sauf dans la bouche d’un dominant. Ainsi de cette citation de Warren Buffett, deuxième fortune mondiale : «  La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la remporter.  »

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3 « N’oublions pas qu’il y a une ségrégation volontaire, à l’exemple de cette petite bourgeoisie intellectuelle que les journalistes appellent « bobos » et qui cherche à vivre avec ses pairs dans des quartiers « gentrifiés ». »

4 « Les couches aisées ont tendance à s’exiler en périphérie, dans des banlieues dites « résidentielles », alors que les « Inner City » sont habitées par les couches défavorisées. »

5 Eric Hazan, éditeur à La Fabrique, est aussi l’auteur – entre autres essais – de Chroniques de la guerre civile, dont le titre reflète bien le point de vue.

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7 Editions Agone.

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8 La Terrorisation démocratique, éditions Libertalia, 2009.


COMMENTAIRES

 


  • en somme, nous ne serons pas dépassés par les réformes si nous savons AN-TI-CI-PER.

    merci bien Monsieur l’Inspecteur.

    signé
    un marxien

    • nous sommes un établissement Public Territorial, et nous organisons une conférence sur le sujet qui est en objet. Nous serons heureux d’inviter Jean-Pierre Garnier sociologue et spécialiste des violences urbaines mais hélas, nous rencontrons des difficultés à trouver son adresse mail. Son nom est associé à votre site, et nous avons pensé que avec un peu de chance, vous pourriez nous procurer son adresse.
      merci d’avance
      Juliette PIN
      01.55.93.63.64



  • mardi 6 juillet 2010 à 22h09, par ZeroS

    Aux écolos le green washing des sociétés transnationales, aux cultureux d’États le vernissage culturel ou cultural washing des politiques publiques.

    • mardi 6 juillet 2010 à 23h30, par Sourire

      La conclusion est intéressante mais insuffisante ; il faut aussi et surtout faire la jonction avec ceux qui se battent, les armes à la main, en Afghanistan, au Moyen Orient contre la dictature mondiale et contribuent grandement à l’ affaiblir . Cela exige un grand nettoyage idéologique .

      • mercredi 7 juillet 2010 à 09h11, par JBB

        @ Sourire : faire jonction avec les talibans ? Euh…

        Tu fumes du crack ? Ou c’est juste du Thierry Meyssan dans le texte ?

        • mercredi 7 juillet 2010 à 09h31, par SL

          oui et on ira tous lyncher des femmes violées et vider le vin dans les chiottes !

          • mercredi 7 juillet 2010 à 12h24, par un-e anonyme

            S’allier aux talibans n’est peut-être pas une si mauvaise idée...

            http://uppix.net/e/4/4/f3317f4dc45e...

            • mercredi 7 juillet 2010 à 12h49, par un-e anonyme

              c’est pas nouveau ça 12 h 24

              non, le truc nouveau, c’est la pub sur le détartrage des machines à laver avec un mec qui a un ongle court et sale
              je soupçonne même une pub antisémite, pour le coup

              non ?

              SI !

        • mercredi 7 juillet 2010 à 10h24, par un-e anonyme

          en tout cas, Fidel Castro s’y connaît à fond en nettoyage idéologique.

          c’est pas chez lui qu’un Charles Beigbeder serait venu faire de « l’agro investissement responsable ».

          Les bourrins marxistes, ça a du bon, n’est-ce-pas ?



  • A propos des soixante-huitards, si j’étais Renaud je réclamerais des droits d’auteur à M. Garnier :
    "Boutonneux et militants/
    Pour une société meilleure/
    Dont ils seraient les dirigeants/
    Où ils pourraient faire leur beurre/
    Voici le flot des étudiants /
    Propres sur eux et non-violents/
    Qui s’en vont grossir les rangs/
    Des bureaucrates et des marchands/
    ..Etudiant poil aux dents/
    Je suis pas de ton clan pas de ta race..."

    Voir en ligne : http://leblogdeconstantin.blogspot.com



  • au fait, hs, mais il est où votre lien « contact » ?

    • Il suffit que tu cliques sur le nom de l’auteur (écrit en petit).

      Par exemple, Lémi c’est ici, et moi .

      • Je suis assez d’accord avec l’ensemble ce que dit J.P. Garnier.

        Une remarque. Proposer « une alliance de classe » entre « les catégories les plus dominées » et la petite bourgeoisie en voie de prolétarisation est à la fois une nécessité stratégique évidente et n’a rien de très nouveau, beaucoup à gauche, dans l’extrême gauche, l’ont proposé depuis des lustres…
        Mais par contre, la situation est nouvelle au moins parce qu’il n’y a plus véritablement de « mouvement ouvrier » (les syndicats ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, des coquilles presque vides et qui lancent plutôt des mouvements d’opinion sur les questions sociales pour défendre leur position institutionnelle). Et nouvelle aussi parce que maintenant, la « crise », c’est plus les banques qu’il faut renflouer (ce qui pouvait provoquer une sorte de protestation morale), elle est bien là (avec la dette publique), pour une bonne partie de la population et la totalité des catégories populaires, avec une montrée de la paupérisation, mais aussi de toutes sortes de contradictions sociales et économiques dont la réforme des retraites en est un des symboles : travailler plus dans un moment où la force de travail devient de plus en plus surnuméraire…

        La vraie difficulté c’est de savoir sur quels contenus et avec quels outils, quelles formes de lutte et d’organisation, il est possible de réfléchir à une perspective d’émancipation qui pourrait concerner grosso modo les catégories subalternes du salariat, les jeunes prolétaires, les chômeurs, les ouvriers, précaires, etc.

        Une sous-remarque en passant. Je n’aime pas du tout Badiou mais je trouve assez pertinentes bien des choses qu’avance Rancière. Du moins si l’on de perd pas de vue qu’il ne faut pas seulement se battre “contre” un système ou des injustices, mais aussi “pour” obtenir ou gagner quelque chose, que ce soit une autre société, d’autres rapports sociaux (égalitaires, non marchands) ou l’exercice d’une capacité à décider de ce qui nous concerne.

        Sinon, bravo pour le site Article 11, ça aère l’esprit.

        • @ JBB : oui, c’ est bien ça faire jonction avec les Talibans qui ne font que résister au dictat américain et ses alliés . C’ est pour ça qu’ il faut un nettoyage idéologique dans les têtes européennes pour repenser le rapport à la religion, en général, et à l’ Islam en particulier .

          Pendant la guerre d’ Algérie, les combattants algériens s’ appelaient aussi les moujahidins et se référaient à l’ Islam suscitant le dédain et la réprobation de la gauche française à l’ exception de quelques rares militants. Et c’ est trop facile de dire, aujourd’hui, que leur combat était légitime, une fois qu’ ils ont gagné.

          A quoi sert l’ expérience si on n’ en tire aucune leçon ? Si les militants, comme ceux d’ hier, restent aveuglés par leurs présupposés idéologiques erronés ?

          Les autres peuples puisent, dans leur culture et leur conception du monde les ressources pour résister et se battre et ils ne sont pas obligés de se référer à d’ autres représentations pour trouver leur légitimité ; et cela d’ autant moins lorsque ces représentations proviennent des états qui tentent de les dominer.

          La lutte commune contre un ennemi commun est possible à condition de ne pas se considérer comme la seule référence universelle.

        • mercredi 7 juillet 2010 à 17h57, par Jean-Pierre Garnier

          Entièrement d’accord avec les remarques de François. Et notamment à propos de « la vraie difficulté : savoir sur quels contenus et avec quels outils, quelles formes de lutte et d’organisation ». Si j’avais un plan d’action clef en mains, je l’aurais proposé. Mais chacun sait, aujourd’hui, que les avant-gardes qui savent tout on fait leur temps, et que c’est dans la lutte et par la lutte que les « catégories subalternes du salariat » forgeront les nouveaux outils de l’émancipation. Catégories qui ne sont autres que le prolétariat ouvrier et employé, les franges de la petite bourgeoisie intellectuelle menacées de prolétarisation, la jeunesse condamnée à subir le même sort. Peut-être faudrait-il inclure aussi les agriculteurs et les éleveurs qui se battent contre la capitalisme agraire. Et en prime, les néo-petits bourgeois des franges moyennes voire supérieures ayant rompu autrement qu’en paroles avec leur classe d’appartenance.
          ce qui me ramène à Rancière. Je considère que certains de ses bouquins sont fondamentaux pour repenser la politique, à commencer par « la Mésentente ». Mais son élitisme, typique des normaliens, le tient éloigné des gens au nom de qui il parle (tout en feignant de ne pas parler à leur place), et le rend incapable d’effectuer une analyse concrète d’une situation concrète.

          J-P Garnier

          • mercredi 7 juillet 2010 à 19h59, par ZeroS

            D’abord, le terme bobo est un qualificatif que j’ai un peu de mal à saisir. Je l’entends sortir de manière méprisante autant de la bouche de personnes de droite, de centre gauche que de radicaux. Tous appartiennent souvent à la même petite bourgeoisie intellectuelle.

            Ensuite, un extrait de A l’origine de la postmodernité de Perry Anderson rappelle le profond cynisme des libéraux défenseurs du capitalisme. Je ne m’aventure pas à faire des remarques sur l’ouvrage (que je n’ai pas terminé) et sur le postmodernisme.
            « Schumpeter a toujours affirmé que le capitalisme, système économique intrinsèquement amoral animé par la quête du profit, et détruisant sur son passage tout ce qui faisait obstacle au bon fonctionnement du marché, reposait fondamentalement sur des valeurs et des coutumes précapitalistes, essentiellement nobiliaire, qui en assuraient la cohésion sociale et politique. Cependant, ce »soubassement« aristocratique, comme il le qualifiait, était généralement renforcé par une deuxième structure de soutien, celle des milieux bourgeois convaincus de la dignité morale de leur rôle [...]. »

            Enfin, lorsque J. Rancière fait l’éloge du spectateur émancipé contre la notion vague de public, il oublie que ledit spectateur émancipé - dans toute sa singularité - vient très souvent de la petite bourgeoisie intellectuelle. Ça souligne parfaitement l’échec actuel des structures d’éducation populaire (vente de services et coquilles vides politiques) et des notions aussi absconses que la démocratie ou la démocratisation culturelle, qui participent dans le discours et dans les faits au cultural washing. Il faut peut-être réfléchir à de nouveaux outils de productions et de diffusions culturels par le bas qui s’émancipent radicalement de l’Institution et du marché et qui soient capables d’investir d’autres personnes que quelques initiés traînant dans des squats et autres TAZ en mode autiste égocentrique (je suis taquin). Au niveau local, de telles alternatives existent déjà.

            • mercredi 7 juillet 2010 à 21h45, par un-e anonyme

              pour faire simple :

              autrefois des gens sans diplôme et avec de bons bras ne demandaient qu’une chose : travailler pour faire quelque chose

              aujourd’hui :
              il y a des gens avec des diplômes, à qui on donne pas de travail et qu’on fait chier à pointer

              c’est qui ce bordel organisé ?

              • mercredi 7 juillet 2010 à 23h56, par François

                @ JP Garnier

                Merci pour la réponse.

                Sur Rancière. Juste un point. Il m’importe de différencier ce que dit ou écrit quelqu’un de ce qu’il est ou ce qu’il fait ou ne fait pas, sur ce qui se dit sur sa personne, etc. Parce que là on ouvre la machine infernale du soupçon, un peu policière, un peu stalinienne…

                Sur les alliances : bien sûr qu’il faut inclure la petite paysannerie, qui même propriétaire de ses terres et de ses outils, bâtiments, machines..., n’en est pas moins complètement enchaînée (et paupérisé) à un agrobusiness à la fois fournisseur et client et à un système bancaire qui le « tient » par un système d’endettement. Bernard Lambert et les Paysans-travailleurs disaient cela il y a quelques décennies. Et pourquoi pas également une partie des petits commerçants : il y a là un prolétariat immigré qui survit à tenir des épiceries, des kebabs, des petits magasins de couture, de vente de cartes téléphoniques… en bossant 15 heures par jour, 7 jours sur 7, pour des clous. On manque de données là dessus, mais il y aurait un boulot d’enquête à faire là-dessus...

                D’accord aussi pour récuser toutes les avant-gardes. En ce qui e concerne, cela n’a jamais été ma référence, au contraire.
                Bien sûr la lutte et encore la lutte peut modifier bien des choses et notamment les conditions du possible, ouvrir sur d’autres possibles. Mais, il y a bien une crise, une extrême difficulté, à formuler des propositions politiques un peu nouvelles en adéquation avec l’actualité du capitalisme, sa crise, la crise du modèle productiviste/techniciste et aussi avec sa « gouvernance », les formes politiques de la domination : pseudo démocratie, Etat libéral-autoritaire…

                @ ZeroS
                Je ne suis pas sûr que Rancière fasse l’éloge du Spectateur émancipé. Je dirais qu’il combat d’abord l’idée d’origine situationniste, devenue aujourd’hui un lieu commun de la domination, disant que le spectacle a triomphé et que donc il n’y a rien d’autre à faire que le regarder, qu’à y participer activement en consommant, qu’à s’extasier devant la profusion des marchandises qui semblent produites par enchantement, etc. Il combat aussi une autre idée, élitiste, qui oppose la force de l’écrit (les humanités, la pureté de l’intellectualité) et la vulgarité ou l’insignifiance et la dangerosité des images. Idée qui s’enracine dans une longue tradition occidentale, avec des controverses d’origine religieuse (la puissance du Verbe, le danger des icônes, l’irreprésentabilité de la puissance divine, etc.)

                Lui il dit que les gens ne sont pas des abrutis ignares et aliénés mais que chacun, “n’importe qui”, peut ne pas rester à la place qui lui est assignée, peut regarder un film et se faire son propre film, lire un roman et s’inventer un histoire à partir de là… Bref, qu’être “spectateur”, ça peut être un cheminement, la possibilité d’un écart, d’une invention… Il y a longtemps, il s’est intéressé à des ouvriers poètes, à des artisans écrivains et rêveurs, à des maîtres ignorants. On est loin des bobos ou même de la petite bourgeoisie intellectuelle cultivée qui, pour moi, de toute façon, n’est pas plus “objectivement contre-révolutionnaire” que serait intrinsèquement “révolutionnaire” le prolétariat.
                Entièrement d’accord avec ça : « Il faut peut-être réfléchir à de nouveaux outils de productions et de diffusions culturels par le bas qui s’émancipent radicalement de l’Institution et du marché ».

                Que ce soit dans le champ de l’expérience esthétique ou de la politique, c’est bien la question de l’émancipation qui me semble posée, sur des contenus, par des luttes, grâce à de nouveaux outils de “production” et de diffusion politiques comme artistiques.

                • jeudi 8 juillet 2010 à 09h42, par un-e anonyme

                  « formuler des propositions politiques un peu nouvelles en adéquation avec l’actualité du capitalisme »
                  dit François

                  la tyrannie du présent, c’est ça

                  et raisonner comme cela présente un risque :

                  faire des amalgames dans les revendications.

                  c’est ainsi que les syndicats ont perdu pied avec la réalité en ayant des revendications contradictoires.

                  les revendications ouvrières ont été confondues avec celles du petit patronat et le « body count » est lourd.

                  en fait, c’est pas adéquat du tout, mais alors pas du tout !

                  et faudrait justement les canaliser puisque ce point de « détail » semble leur échapper.

                  perso, j’ai rien contre une avant-garde qui aurait une grille de lecture plus saine.

                  • jeudi 8 juillet 2010 à 14h43, par ZeroS

                    @ François :

                    Que ce soit pour J. Rancière (qui écrit des choses forts intéressantes) ou n’importe quel autre « intellectuel », la dialectique entre la dimension de l’expérience vécue et du discours me semble essentielle, surtout lorsque l’on parle de politique, de social(-isme) et d’émancipation. Dans les faits, sûr que nous chions tous sur la malbouffe mais que nous ne consommons que de la merde anti-écologique et anti-sociale.

                    Quant à la question du spectateur émancipé... J. Rancière n’invente rien. R. Hoggart ou encore M. de Certeau ne disait pas plus que lui et l’idée d’une appropriation de la réception, de son détournement, etc. n’est pas neuve. Les Cultural Studies et le postmodernisme en ont fait leurs choux gras. A mon sens, l’écueil est de se tromper d’échelle et de dimension : il existe un fossé important entre un processus d’individuation à une échelle micro et une dimension anthropologique et culturelle (industries culturelles ou cyniquement qualifiées de « créatives ») et une échelle macro et une dimension socio-économique (le marché capitaliste). Il n’y a pas de dichotomie mais une tension déséquilibrée permanente qui transcende les deux. D’une part, comme relevé précédemment, la base même (socio-économique) des spectateurs, hors mass-médias, a peu évolué, c’est-à-dire qu’on trouve peu de gens des couches populaires aux spectacles de cirque contemporain ou de théâtre d’objets. D’autre part, les indicateurs du système (PNUD) sont tous à la baisse sans que ça ne produise d’infléchissements politiques et les alternatives à la base sont souvent du faute de mieux bricolé.

                    @ 09:42 :

                    La question de l’avant-garde est celle qui habite fondamentalement l’opposition entre modernisme, héritage élitiste (mais éclairé ?) des Lumières, et postmodernisme, véritable culture du capitalisme avancé, fragmentée, éphémère, pop (d’aucun dirait, à raison, populiste) et surtout marchande ! Alors : élitisme pour tous ?

                    En revanche, je suis tout à fait d’accord avec le fait que lutter consiste à prendre en compte la forme actuelle du capitalisme qui, premièrement, étonnement stable, ne rompt pas radicalement avec ce qui a pu exister précédemment, et, secondement, a une fâcheuse tendance à ingurgiter ses propres critiques pour mieux dissimuler ses tares congénitales (exemple du green washing).

                    • jeudi 8 juillet 2010 à 16h40, par un-e anonyme

                      à O.S

                      je crois pas que la question soit :
                      élitisme pour tous ?

                      s’agit au départ de pas faire COMME SI tous les ouvriers pouvaient être des super génies en poésie et en littérature
                      sans enfermer les gens dans un projet fordiste pour analphabètes et main d’oeuvre immigrée.

                      secondo :
                      effectivement si les pratiques syndicales, elles, pouvaient faire en sorte de ne pas accompagner la régression organisée par rapport à l’époque des Lumières, ça m’arrangerait, tu m’étonnes et pas qu’un peu.

                      • jeudi 8 juillet 2010 à 18h09, par un-e anonyme

                        je rajouterais la chose suivante pour terminer :

                        si les dirigeants politiques et syndicaux arrêtent pas de faire du « COSPLAY » pour améliorer l’ordinaire
                        il est temps de les vider de leur Barre Balzac

            • jeudi 29 juillet 2010 à 08h07, par Garnier Jean-Pierre

              Je me suis expliqué sur l’usage que je faisais dans mon bouquin du terme « bobo », néologisme forgé par l’éditorialiste du New York Times, David Brooks, et repris dans son livre au titre éponyme traduit en français pour désigner une fraction de la bourgeoisie issue des secteurs de pointe du capitalisme (informatique, info-com., etc.), conservatrice au plan social, mais innovatrice au plan « sociétal ». Si je l’utilise parfois, toujours avec des guillemets, pour désigner les néo-petits bourgeois dotés d’un fort capital scolaire et culturel, soucieux de se différencier des autres classes de manière grégaire par un mode de vie et un art de vivre « branchés », c’est principalement en raison de la connotation ironique que recèle ce terme, pour marquer le caractère dérisoire de leurs prétentions.

          • C’est bizarre, parce que c’est typiquement le genre de critiques que formulait Rancière à l’égard de Bourdieu. Lire à ce sujet le livre de Charlotte Nordmann.

            • vendredi 9 juillet 2010 à 15h59, par ZeroS

              Tout à fait. D’ailleurs, pas seulement J. Rancière faisait ces remarques à P. Bourdieu. Il suffit d’ouvrir un manuel de Laurent Fleury, type Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, pour d’une part voir entretenue sans trop de fard l’idée de « démocratisation culturelle » comme pertinente au local et, d’autre part, voir gommer l’idée même d’une distinction entre classes.

              Lors d’un séminaire, Guy Bellavance, sociologue canadien, invalidait le travail de P. Bourdieu par une approche micro, à l’échelle de l’individu, en terme de goût différent au même d’un même groupe socio-professionnel. Sa population type était des cadres. La question suivante lui a été posée : pourquoi avoir choisi des cadres et non pas des ouvriers ou du tertiaire non qualifié ? La réponse a été claire : ils n’auraient pas fait l’affaire... il en est revenu tout seul à une distinction entre classes.

              • vendredi 9 juillet 2010 à 18h14, par un-e anonyme

                c’est pas la politique scolaire actuelle qui va permettre la distinction de classes, car en ce moment avec le socle commun, c’est le nivellement par le bas qui se poursuit.

                pour avoir le brevet des collèges, « faut 80 % du minima » des compétences communes
                absurde, of course
                80 % du minima !

                objectif :
                bouziller l’education nationale dans les plus brefs délais pour ouvrir les boîtes privées.

                alors, les marxiens dans la salle, merci de prendre en compte ce « détail » pour la route.

    • jeudi 29 juillet 2010 à 08h09, par Garnier Jean-Pierre

      jp.garnier34@gamail.com

    • jeudi 3 février 2011 à 21h14, par solange pottecher

      Bonsoir,
      C’est avec beaucoup d’émotion que je t’écris,je suis Solange POTTECHER ,et je t’ai cherché longtemps tout au long de ma vie,je vis
      à Orléans et c’est par hasard que j’ai trouvé sur internet l’éminent
      sociologue que tu es devenu qui préparait sa maîtrise sur Trotsky
      déjà brillant étudiant.J’aimerais correspondre avec toi.Je vis à
      Orléans.J’ai lu ta biographie je t’adresse mes coordonnées
      tel 0609817407 0238519320



  • N’empêche ce texte fait du bien.
    il m’aide à mettre des mots sur des processus et des conséquences que je ne comprends pas encore mais que je peux au moins nommer à présent.
    instinctivement dans la nature, les animaux montrent à leur petits l’ennemi.
    Ce genre de texte me permet de faire pareil.
    C’est ça la conscience de classe ?

    • samedi 10 juillet 2010 à 01h40, par ZeroS

      @ ego :

      A titre informatif, des écoles privées maintiennent des rythmes scolaires très élevés, genre pour les lycées de la seconde à la terminale D.S. et entraînement au bac toutes les semaines avec une demi-journée banalisée pour l’occasion... idem pour certains lycées publics où on retrouve l’élite où les profs filent des cours payant groupés après le lycée. Le socle n’est pas si commun que ça... ainsi que le nivellement par le bas.

      • samedi 10 juillet 2010 à 07h56, par un-e anonyme

        à 1 h 40 :

        ségrégation spatiale ET scolaire donc.

        et ce qui se passe en coulisses, on sait à peu près ce qu’il s’y passe depuis de nombreuses années... :

        sur le socle commun, des élites sont actuellement sélectionnées pour être des bêtes de cirque.
        Impossible de laisser parler sa tristesse dans ces conditions, pas ?

        • samedi 10 juillet 2010 à 10h49, par ZeroS

          @ 07:56 :

          Tout-à-fait.

          • samedi 10 juillet 2010 à 15h20, par un-e anonyme

            à 10 h 49
            y’aurait de quoi à être pour l’exil volontaire
            mais comme on est pas des bleus...



  • Merci pour ton bouquin jean pierre j’ai beaucoup apprécié et je me suis instruit.

    Signé : un pseudo-prolo qui se prend de temps à autre pour un néo petit bourgeois capable de lire ce genre de bouquin... qui habite Montreuil mais avant c’était le 20e bien sûr...



  • le rouleau compresseur n’aime pas le bruit

    un aspect un peu anecdotique (mais pas tant que ça) de la colonisation des centres villes des capitales régionales par ce que vous appelez la petite bourgeoisie intellectuelle , se retrouve dans ce qu’on a baptisé à montpellier « la lutte contre le bruit » ; toute une classe sociale qui a investie à grands frais dans des appartements du centre ville ne supporte plus aucune sorte de nuisance sonore ; les collectivités sont harcelées en permanence par les injonctions d’associations de quartier leur demandant de faire fermer les lieux musicaux, les epiceries de nuit, presque d’instaurer un couvre feu à partir de 22H (j’exagere à peine) ; l’exercice est d’autant plus surréaliste que les collectivités en question sont elles memes productrices de ce genre de nuisances (fete de la musique, animations diverses, autorisation de fermeture tardive des bars....) sans compter les nuisances directement liées à l’activité meme des infrastructures ( tram, ramassage des ordures....)

    • dimanche 11 juillet 2010 à 10h12, par ZeroS

      Article cité dans le livre de J.-P. Garnier sur le concept de bobo : http://cybergeo.revues.org/index766.html

      • dimanche 11 juillet 2010 à 10h35, par ZeroS

        Dans les travaux des sociologues qui décrivent (et dénoncent) la gentrification... je n’ai encore jamais rien lu sur la violence de ce qui se passe à la Reynerie et au Mirail à Toulouse qui vaut bien l’embourgeoisement de la rue de la République à Marseille.

        Grand Plan Ville (GPV pour les intimes) : établissement préalable d’une zone franche pour entreprises à haute valeur ajoutée avec cadres à Basso Cambo, destructions progressives des tours existantes, reconstruction de bâtiments moins élevés, rénovation de l’université et décloisonnement physique vers le quartier, création d’un « grand » centre pour l’Image à la place de l’actuelle place Abal (avec tous les commerces de proximité), transformation du château de la Reynerie en musée (d’art contemporain ?), pourcentage de logements sociaux réservés (pour quelle population ?) et évidemment relégation en cours de la population actuelle aux périphéries de l’agglomération toulousaine. Vu la proximité du quartier au centre de Toulouse (métro, etc.), d’une université et d’une zone franche industrielle (GDF, Siemens, EDF, Thalès, Nexter, etc.), il est probable qu’en plus d’être HQE, les nouveaux logements accueilleront, comme le souligne J.-P. Garnier qui décrit ce processus, des étudiants, le bas de la classe moyenne dans les logements sociaux et des cadres.

    • jeudi 29 juillet 2010 à 08h28, par Garnier Jean-Pierre

      Pour avoir vécu et travaillé à Montpellier pendant plusieurs années et à plusieurs reprises, je suis assez au fait de la sociologie de cette ville et de us et coutumes de se différentes catégories d’habitants. Pour ce qui est des « nuisances sonores nocturnes » dans le cente ville (aux alentours de la Place de la Comédie et dans le quartier ancien de l’Écusson et celui de la gare), il est exact que le calme est trouvent troublé à des heures tardives par les prestations bruyantes de jeunes gens plus ou moins éméchés qui semblent difficilement supporter l’alcool, comme on dit. Il est dès lors logique que les riverains, « bobos » ou bourgeois, réagissent. De la à prendre la défense des gestionnaires de « lieux musicaux » ou des épiciers qui sont ouverts la nuit, il y a un pas que j’hésite à franchir. D’abord parce qu’il ne s’agit que de commerçants à qui seul importe leur tiroir-caisse. Ensuite, parce que je ne vous pas pourquoi leur clientèle devrait échapper à la critique dès lors qu’elle se saoule la gueule en se foutant totalement du reste.



  • Intéressant article. La conclusion s’avère évidemment décevante, au regard de la justesse de l’analyse.

    Les classes dominées semblent dans l’impasse. La convergence rêvée des luttes ne sera pas pour demain, incapables qu’elles sont de concevoir la nécessité de se rassembler.

    Un bémol cependant : je reste assez dubitatif quant à la pertinence du vocabulaire employé : qui est cette (néo)-petite bourgeoisie (intellectuelle) que M . Garnier appelle une fois « matière grise » ? qui sont ces « bobos » ?

    Il est vrai que je récuse personnellement l’utilisation de termes tels que « bourgeoisie » et « prolétariat », que je juge dépassés, car on les attache inconsciemment à des niveaux de richesse différents. Les riches d’un côté, les pauvres de l’autre. Quelles catégories ces deux mots recoupent-ils ? Est-on « bourgeois » ou fait-on partie de la « petite bourgeoisie » si on gagne plus de 3000 euro par mois en tant que salarié ou cadre moyen d’une multinationale ? Est-on « bourgeois » si on est prof agrégé au service de l’EN ? Je préférerais les termes « exploiteurs » et « exploités ».

    • jeudi 29 juillet 2010 à 11h48, par Garnier Jean-Pierre

      La réponse à vos remarques nécessiterait un article entier. Je suis donc obligé de la résumer.

      1° « La conclusion s’avère évidemment décevante » Pouvait-il en être autrement étant donné la conjoncture socio-historique présente ? J’aurais pu terminer sur une note optimiste. Du genre : « Alors que se fissure la croyance dans le futur que les puissants et leurs larbins politiques ou médiatiques nous proposent, une ligne de plus en plus claire se se dessine entre les gens qui persistent à croire qu’une solution est possible dans le cadre du système capitaliste et ceux qui n’y croient pas. Pendant que le monde est secoué par les crises, un nombre grandissant de populations sur la planète se trouvent du côté des réfractaires qui doutent de la légitimité des pouvoirs en place. La crise climatique, en particulier, semble avoir ouvert la possibilité d’unir un large spectre de luttes anticapitalistes, malgré les efforts des écologistes d’État pour colmater la brèche. Des peuples autochtones aux collectifs de travailleurs, des sans-terre des pays du Sud aux autonomes européens, des campeurs des camps action-climat aux jeunes rebelles de cités en voie de politisation, des anti-industrialistes aux anarcho-syndicalistes, un vaste front est appelé à se constituer. Aussi varié que l’éventaildes stratégies, des tactiques et des rêves. Même si les divisions entre entre les mouvements radicaux de lutte de classe et les mouvements environnementalistes sont réelles, des connections peuvent se réaliser à partir d’intérêts communs, alimentées par la répression accrue dont font l’objet toutes les formes « non conformes » de contestation. Etc... »
      Tout en partageant de point de vue, je pense néanmoins que ce genre d’envolée ne se réfère qu’à une éventualité souhaitée, et qu’en faire la conclusion d’un entretien sentirait un peu trop la proclamation attendue ou le vœu pieux convenu.

      2° Pour savoir « qui est cette (néo)-petite bourgeoisie intellectuelle », il vous suffirait de lire mon bouquin ou un autre, intitulé « La deuxième droite », écrit avec Louis Janover, où nous analysions la nature de classe de la gauche institutionnelle.

      3° Ce qui m’amène à votre troisième objection : « je récuse personnellement l’utilisation de termes tels que « bourgeoisie » et « prolétariat » ». Vous auriez dû dire que vous la refusiez, car une « récusation » suppose une démonstration. absente de votre propos.
      Jusqu’à preuve du contraire, nous vivons toujours dans un système capitaliste, devenu véritablement sans frontières aujourd’hui, ce qui implique le maintien de la division des sociétés en classes exploiteuses et exploitées. Les unes « possèdent » les moyens de production, à titre privé ou non (il existe une bourgeoisie d’État ou bureaucratique non juridiquement propriétaire de ces moyens, qui en contrôle aussi le fonctionnement et le développement). Pour désigner les premières, le terme « bourgeoisie » (ou « capitalistes ») me semble toujours le plus adapté. Si vous en trouvez un autre, faites le moi savoir. Je vous rappelle que ce n’est pas le niveau de revenus ou la quantité de patrimoine ni le capital culturel qui définit la bourgeoisie, mais sa place dans les rapports de production : celle de classe dominante.
      Quant aux classe exploitées dont la force de travail génère la plus-value qui lui est extorquée sur la base du salariat, je ne vois pas non plus pourquoi on devrait cesser de la désigner sous l’appellation de prolétariat, qu’il soit ouvrier ou employé. À cet égard, les franges inférieures de la petite bourgeoisie intellectuelle affectée aux tâches de médiation (conception, organisation, contrôle, inculcation), calées entre celles de direction et d’exécution qui incombent respectivement aux classes précitées, une partie d’entre elles, « flexibilisation » et « dérégulation » aidant, se trouve effectivement menacée de prolétarisation. notamment dans le bien nommé secteur des services. Mais un enseignant du primaire ou un travailleur social, pour ne prendre que deux exemples, aussi mal payés et soumis à une hiérarchie oppressante soient-ils, ne sont pas des exploités car ils ne produisent pas de plus-value. Ils sont, comme tous les néo-petits bourgeois rétribués sur de la plus-value rétrocédée correspondant aux « frais généraux », indispensables à la reproduction des rapports de production capitalistes, entraînés par les activités qui y concourent. Cela vaut pour les prof comme pour les policiers.



  • « la différence entre le potentiel répressif des couches dominantes et le potentiel insurrectionnel des couches populaires est sans comparaison avec ce qu’il a été du temps de la Commune ou même de Mai 68 » : c’est en effet un constat historique primordial. Mais dans un deuxième temps, on pourrait s’interroger sur la tolérance à la violence de la société dans son ensemble (y compris via sa représentation médiatique). Jusqu’où peut réellement aller la répression aujourd’hui en terme de violence physique sur les individus ? La police ne craint rien tant que de faire un seul mort lors d’une opération de maintien de l’ordre.



  • jeudi 14 octobre 2010 à 11h49, par un-e anonyme


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