mercredi 13 mai 2009
Invités
posté à 02h51, par
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Quand le gouvernement se pique de promouvoir le vote et fait réaliser un spot pour nous inviter à nous rendre aux urnes le 7 juin, ce n’est pas à la cuillère qu’il y va. Mais à la louche ! Peintre et dessinateur émérite - homme d’images, donc - Mathieu Colloghan déconstruit, plan par plan, cette vidéo de propagande gouvernementale. Avant de proposer quelques menues améliorations…
Le ministère de l’intérieur a lancé, comme avant chaque élection, une campagne pour inciter les citoyens à mettre le petit bulletin dans la grosse urne. On peut, bien entendu, s’interroger sur cette limitation de la citoyenneté au vote (où sont les messages publicitaires appelant les citoyens à se syndiquer ? Les affiches pour leur rappeler que la grève est une forme de participation citoyenne ? Que les acquis sociaux sont le fruit des luttes ? L’appel aux séquestrations citoyennes de patrons ?). On peut aussi se demander si l’appel au « civisme »ne peut pas se résumer à appeler à participer à un système tel qu’il est.
On peut, mais on ne va pas faire ça.
On va plutôt regarder la chose avec laquelle le gouvernement va arroser nos chaînes de télévision : le Ministère de l’Intérieur a sorti le 7 mai, avec le concours de l’Union européenne, un spot dans le cadre de la « campagne d’information et d’incitation au vote pour les élections européennes 2009 ». On peut le trouver sur le site du ministère, ICI.
Bien entendu, il ne s’agit pas de dire aux zélecteurs pour qui voter. Voilà qui serait odieux, contraire à l’étique, etc…
Donc, le spot incite simplement les Français à voter. Que ce soit blanc, ou à l’extrême droite, pour l’UMP, le MODEM, Europe-écologie, le PS, le Front de Gauche, le NPA, LO ou, je ne sais pas, Europe Décroissance ou toute liste bientôt en lice, qu’elles soient eurolucides ou eurobabas, libérales ou étatistes, gauche ou droite. Au choix.
Sauf que…
Le spot en question présente une lecture bien particulière de l’Europe.
Story-board
1er plan : on dirait l’intro des péplums américains avec le logo de la Century Fox, mais là, le montagne virtuelle n’annonce pas le généreux producteur mais une première étape de la construction européenne : « Le Français R.Schuman lance l’Europe » (1950).
Tout être doté d’un minimum d’’esprit critique se demanderait s’il n’existait pas, avant « le lancement de l’Europe » (C’est quoi ? Une nouvelle marque de savonnette ?), déjà un sous-continent avec quelque siècle d’Histoire. Mais bon… admettons.
2e plan : ça va vite. Et hop ! On signe un premier traité européen.
3e plan : ça va même très vite. Les chefs d’états européens, sur le même fond de ciel digne des meilleures productions brejnéviennes, apparaissent, estampillés « Paix » en gros sur encadré bleu.
4e plan : ça y est, la guitare électrique en fond commence déjà à être énervante… Un gentil petit garçon récite sa leçon sur le marché commun qui réunit enfin l’Allemagne et la France.
5. Pas le temps d’expliquer la présence à l’écran de cet enfant récitant son catéchisme européen que Pompidou apparaît. Europe = Pompidou ? Diantre ! On m’aurait caché des choses ?
6. Puis c’est la sémillante Simone Veil qui illustre l’activité des députés européens. Ah ?
7. On en est toujours à s’interroger sur la présence de Pompidou qu’apparaît Giscard. Voilà qui nous éclaire : on va avoir droit à tous les présidents français dans ce clip sur l’Europe. Il y a là une logique obscure, sinon à considérer que chaque rendez-vous européen est un rendez-vous personnel pour le chef de l’État français ; hypothèse constitutionnellement absurde, mais utile pour aider à l’adossement de la campagne de la majorité présidentielle sur l’image du président. Mais là, on galope sans doute. L’explication va nous sauter aux yeux un peu plus loin. Certainement.
8. Nouvelle étape : le passeport européen.
9. Mitterrand et Kohl, main dans la main. Réconciliation franco-allemande. Voilà qui confirme la théorie de la brochette de présidents.
10. Après le passeport européen, Erasmus…
11. Puis Delors, qui ne fut - d’après nos sources - jamais président de la France. Mais dont l’implication dans la construction de l’Europe Libérale n’est plus à démontrer (Enfin, Fakir l’a redémontré dans son dernier numéro).
12. Chouette : après la Paix, la Liberté (Des brochettes de présidents et une farandole de blocs bleus, ce spot est super structuré ! En plus, c’est chronologique… Voila qui est pratiquement génial !)
13. Bref, la Liberté, c’est la chute du Mur de Berlin. Et en musique, s’il vous plaît !
14. On passe rapidement sur une carte avec Maastricht. Attention, là, ça va beaucoup plus vite que sur le plan du Chabada-bada Mitterrand-Kohl ! Faute de vigilance, on pourrait rater cette indication, ça serait dommage…
15. Le retour du bloc bleu. Après la Paix et la Liberté, l’Innovation. C’est-y pas beau ! Au fait, le progrès, c’est un train (pas de caténaires à l’horizon…).
16. Le référendum sur la constitution. On admirera la sobriété du visuel : pas d’excès. D’ailleurs, on ne voit pas de « Non » victorieux. C’est dire la sobriété !
17. Une couche de président. Ici donc associé à « l’échec » référendaire.
18. Nous, le président, on l’aurait aussi bien placé après l’Airbus qui décolle, plutôt qu’après le référendum ! Un avion airbus qui s’envole (les salariés d’Airbus apprécieront…) après un train, logique. Quant à la fusée, on a vu plus haut qu’elle était associée à Giscard.
19. Attention, saut en avant : on passe à aujourd’hui. Cercle étoilé européen autour d’une tour Eiffel turgescente. Va savoir comment un Psy analyserait cette collusion.
20. Façon générique de la guerre des étoiles, on annonce la "présidence française…
21. … de l’union européenne". Le découpage en deux temps de l’info lui fait occuper plus de temps que des événements secondaires, tels que la Chute du Mur.
22. Oups ! ce n’est pas fini… Il y a aussi le « Sommet du G20 ». Comment ça, il y a un souci ? Comment ça, que vient faire le G20 dans la construction européenne ?
23. Joie, bonheur et stimulations : le président Sarkozy apparaît. Seul.
24. Ah non ! Il est entouré d’élus européens attentifs à son auguste parole.
25. Pendant qu’une brochette de candidats à la prochaine pub Benetton nous récite un truc sur l’Europe-que-c’est-important-qu’une-nouvelle-étape-patati-patata, on peut continuer à méditer sur Président Sarkozy, au centre des élus européens, et sur le G20. C’est beau (et pertinent) comme du Copé expliquant comment le bilan de la présidence franco-sarkozienne de l’Union européenne a permis d’arrêter le nuage de la crise à nos frontières, a fait mettre genou à terre au dragon chinois au Tibet et a sauvé la Géorgie de l’Ours post-soviétique.
26. Et donc, maintenant, faut voter. Compris ?
Avant d’applaudir des deux mains à cette magnifique représentation de l’Europe (c’qu’elle est belle !) et du président qui l’a encore plus embelli (et donc de se précipiter pour voter UMP le 7 juin), je me proposerais bien d’ajouter quelques éléments à ce clip. Histoire d’améliorer - bien sûr… - son pourcentage d’impactement sur son cœur de cible, comme disent les démocrates quinquas à Rollex.
Propositions de menus ajouts
Enrichir le spot, donc. Par exemple : dans les premiers jours de la construction européenne, on aurait pu mentionner les volontaires européens contre le bolchevisme sur le front de l’Est ou les premiers rapprochements franco-allemands des années 40.
Sans oublier le portrait des champions de la démocratie de marché qui ont tellement inspiré les chefs d’états européens.
Non plus cette monnaie unique qui allait nous mettre à l’abri - c’est évident ! - de toutes les crises.
Tiens, c’est vrai ça : pourquoi ils ne parlent pas de l’Euro, dans leur clip ?
Pourquoi, pour illustrer l’Europe de la Paix, ne proposent-ils pas des images de Bosnie, de Serbie ou du Kosovo ?
Ou d’Irak, d’ailleurs (la première guerre, celle avec tous les Européens). Voilà qui aurait fait très chic avec un encadré « Paix » sur fond bleu.
Et question « Liberté », pourquoi pas la fin des colonels en Grèce ou la révolution des œillets au Portugal ? À moins de penser que se débarrasser d’un dictateur libéral et catholique est moins « libérateur » que d’en finir avec le système des pays de l’Est ?
Et Franco, aussi ! L’Espagne, Franco, la Liberté. Il y avait peut-être quelque chose à faire, non ?
Sauf à considérer - bien entendu - que l’Union européenne n’a pas fait grand chose pour faire trébucher Salazar ou Franco…
Mais je m’égare. On parle de l’Europe qui se construit.
L’autre Europe
Et bien, on aurait pu rajouter un truc sur les mobilisations sociales européennes, non ? L’Europe dans la rue, ça relève bien de la construction européenne, n’est-ce pas ?
Sur les marches européennes de chômeurs aussi, d’ailleurs, on aurait pu mettre un petit truc.
Ou sur les mobilisations européennes contre les convois de déchets radioactifs. Ça vaut bien Erasmus, non ?
Tiens, Renault Vilvoorde. Si ça, ce n’est pas de l’Europe !
On aurait même pu évoquer les autres constructions européennes. Les camps style No Border, la CES, les Forums sociaux européens…
Ça aurait été encourageant. Pour montrer que l’Europe ne se fait pas que par « le haut ».
Et puis, question étape de construction, on aurait pu illustrer autrement la question du Traité constitutionnel. Avec une photo plus joyeuse…
Dommage de ne pas avoir eut le temps de tout mettre, hein ?
Ceci dit, parler de social, de mobilisations, de manif, d’ouvriers, de bruits de bottes à l’Ouest (Tiens ! pourquoi pas des images des mobilisations à Prague, Gênes, Évian, Rostock ou Goteborg. L’Europe de la répression et des robocops ?)…
Donc, parler de tout ça aurait juré dans ce spot où l’Europe se construit au rythme des présidents français. Une suite ininterrompue d’avancées techniques, de gains de Paix, de Liberté et de Progrès (pitoyable quand on ne peut mettre en avant que le projet Erasmus, qui ne concerne qu’une poignée d’étudiants riches !) fièrement portés par Sarkozy.
Ça aurait juré.
L’important, c’est bien de s’être gardé de toute propagande idéologique !
Et tant que tu y es : retrouve les très classes tableaux de Mathieu Colloghan ICI. Hop !