mardi 16 mars 2010
Invités
posté à 19h11, par
19 commentaires
Je te sens dubitatif, lecteur : un reportage au sein d’une réunion de la IVe Internationale ? Mh, ça sent son truc bidon. D’ailleurs, ça existe encore, la IVe ? Tu doutes, et pourtant... Notre reporter de choc était bien présent à la dernière réunion de l’amicale des amis de Léon, en Belgique. Et il en ramené un reportage tout ce qu’il y a de plus gouleyant, dessins compris.
Il y a des trucs comme ça qui sentent à la fois la poussière et les heures de gloire de la gauche radicale (pas toujours une bonne odeur, soit dit en passant) : le Front Popu, LIP, 68, le Kominterm, la IVe Internationale… Ah, la IV ! La maison-mère des trotskistes ! Il y a sans doute plus « chargé, question imaginaire » à gauche (comme on doit sûrement dire dans les boîtes de com’) ; mais - tout de même - voilà qui occupe une bonne place dans la boite à fantasme du Camps du progrès®.
Bon, si je ne doute pas que certains lecteurs ont interrompu leur sieste à la seule évocation de la chose, d’autres ne doivent même pas connaître la maison à Léon. Pas de panique : A111 va procéder à la mise à jour de ton logiciel. Sache déjà que les sentiments sont partagés à l’égard de la IV. Certains fantasment sur des réunions, en cave et avec des cagoules (forcément) rouges siglées d’un 4 en forme d’éclair, et sur des conspirations à gogo. D’autres imaginent des débats endiablés et de haut-vol, avec des intervenants brillants aux faux airs de Marx ou de Lénine qui analyseraient les soubresauts du monde-tel-qu’il-va pour en dégager de limpides, que dis-je, de lumineuses lignes de force. Où est la réalité ? Et bien, et bien… Ton site préféré a investi dans une cagoule pour aller voir sur place, au congrès de la IV.
Et 1, et 2 et 3-zéro
Un peu d’histoire, d’abord… Sache que chaque nouvelle Internationale correspond à une division dans la grande famille de la gauche. Après la courte vie de la première Internationale (Association internationale des travailleurs), qui réussissait à réunir dans la même salle proudhoniens, bakouninistes et marxistes (chapeau bas !), la IIe Internationale (Internationale ouvrière) a surtout regroupé les différents courants se revendiquant du marxisme. La révolution russe a ensuite provoqué, en 1919, une scission entre liquidateurs réformistes bourgeois et authentiques révolutionnaires (ou entre véritable mouvement ouvrier indépendant et homme-liges de Moscou, c’est comme tu préfères) : c’est ainsi qu’est née l’Internationale communiste. Souci, cette IIIe, ou Kominterm, (parce qu’en russe, l’Internationale communiste se dit Коммунистический Интернационал ou Kommunistitcheskiy Internatsional) a suivi la même évolution autoritaire-à-moustaches que la maison-mère de Moscou. Ce qu’il restait de conseillistes, de socialistes révolutionnaires et de communistes non-autoritaires au sein du Komintern se sentait donc de plus en plus en minorité… Ça tombe bien, Léon Trotski a fondé en 1938 une IVe Internationale destinée à fleurir sur les cendres du capitalisme et de la bureaucratie stalinienne. Pour résumer, et histoire de vérifier que tu as bien suivi toutes les bifurcations : cette internationale était donc destinée à ceux qui avaient choisi Marx contre Bakounine, puis Guesde contre Jaurès, puis Trotsky contre Staline.
Finalement, les cendres tardant à venir, la IV est devenue un réseau international de petites organisations trotskistes, victimes de la répression nazie puis occidentale (car communiste), et stalinienne (car du mauvais rouge). Outre un pic à glace dans le crâne du vieux Léon, les « marxistes révolutionnaires » ont subi moult désagréments pendant les décennies de l’après-Deuxième Guerre mondiale. D’où une vraie culture du secret, propre à la maison trotskiste et qui s’est avérée utile pour la longue période de pratique de l’entrisme3, ainsi qu’une grosse tendance aux scissions-exclusions. En est resté l’adage : « Un trotskiste, un parti ; deux trotskistes, une tendance ; trois trotskistes, une scission. »
Enfin, la plus grosse partie de la maison trotskiste, à l’échelle internationale, est réunie sous l’élégant sobriquet de Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI).
Tout ça peut paraître totalement folklorique, mais la maison trotskiste a tout de même été une importante productrice d’idée, de militants acharnés et de figure pour toute la gauche française. Son influence a finalement été beaucoup plus essentielle que le nombre de ses adhérents pourrait le laisser croire. Aujourd’hui, entre son influence réelle et la part de fantasme chez les staliniens ou socio-démocrates persuadés d’être en permanence noyautés, la IVe continue à jouir d’une image assez mythique et de solides inimitiés.
En congrès
La IV organisait son 16e congrès fin février, « quelque part en Europe ». « Quelque part en Europe », c’est la formule officielle : la pratique du secret reste solidement ancrée. Il faut y voir une réelle volonté de prudence (par exemple, pour les délégués chinois qui ont - tu le comprendras - plutôt intérêt à se la jouer discrets…), mais aussi une pratique limite-sectaire : le recours au secret sert à valoriser l’action intérieure (tout le monde nous en veut, donc nous sommes forcément importants) et à rendre cohérents les groupes (ils sont tous contre nous, serrons les rangs). Bref, au lieu d’annoncer un congrès à Ostende (oups ! je l’ai dit…), ce congrès mondial était prévu « quelque part »… Sur place, les documents du congrès étaient estampillés d’une fondation, les intervenants appelés uniquement par leur prénom et des parties du congrès se tenaient à huis clos.
Bref, nous y voilà ! Le congrès se déroule sur une semaine (faut c’qui faut…), dans une belle et grosse maison servant de centre de vacances à un syndicat. Il y a là un petit côté colonie-de-vacance et fraternité ouvrière, avec en plus les patates et la bidoche à chaque repas. Autour, c’est une station balnéaire belge ; l’été, ça doit déborder de corps tout roses et de jeux de ballons. L’hiver, c’est juste un front de mer gris, un mur d’immeubles de huit à dix étages, des boutiques fermées et une poignée de petits vieux qui se promènent face à la mer. Bref, tu ne risques pas trop de fuguer pour aller faire la fête… Ça tombe bien, l’ambiance au sein du congrès est plutôt conviviale.
Il y a quelque chose de très touchant à voir ces militants de tous âges, venus des quatre coins du monde pour se retrouver autour d’un même projet dans un bled paumé. Même si les réalités politiques et sociales sont forcément différentes, entre par exemple la petite organisation canadienne, quasiment clandestine de fait, et le Rebolusyonaryong Partido ng Manggagawa – Mindanao, la nettement plus grosse organisation philippine partiellement clandestine (mais là, c’est un choix) et armée.
Accolades, embrassades, donc. Les militants, qui ne se sont pas revus depuis le dernier congrès, se comptent les poils blancs des barbichettes et les nouvelles calvities. S’y mêlent les nouveaux venus, essayant de se faire aux usages du congrès et à ses codes.
Dont les badges : chacun en a un. Badge bleu pour la direction sortante, rouge pour les délégués, jaune pour les observateurs, vert pour les invités, orange pour les volontaires.
Début du congrès dans une grande salle et un certain brouhaha. « Assis ! » Les deux premières syllabes sortant du micro de Philomena, animatrice du moment, sont pour nous ordonner de nous asseoir. « Ça commence bien… », ronchonne mon voisin.
Les 2 à 300 participants sont installés autour de trois séries de tables, perpendiculaires à la tribune : on fait face à un autre participant et il faut regarder sur le côté pour voir le micro. Ces grandes tablées, le carrelage beige au sol et le mobilier pour collectivité donnent à l’ensemble un faux air de cantine scolaire des années 60. On attendrait presque l’arrivée en bout de table de saladiers en pyrex remplis de nouilles tièdes…
Après avoir désigné le « présidium », qui animera toutes les sessions (par la technique du « qui-ne-dit-mot-consent »), l’animatrice demande aussi sec aux « badges verts » - dont moi - de sortir de la salle pour une petite réunion à huis clos. Oui : déjà… Pendant que ceux qui sont restés dans la salle décident de quelques points d’organisation (prise de parole ou non des invités, temps des interventions, ordre du jour etc.) les « badges verts »patientent à la cafétéria. « Ils auraient pu nous dire de venir une heure plus tard, ça aurait été plus sympa que de nous mettre dehors », ronchonne une invitée mauricienne. Elle n’a pas tort, d’autant que le huis clos est totalement inutile : le congrès est en effet couvert par le système ALIS4, qui diffuse des traductions instantanées par ondes courtes et que chaque congressiste peut capter avec une radio et un casque. Bref, les « badges verts » exilés à la cafétéria, les voisins des immeubles limitrophes, les RG belges, les services secrets chinois ou la boulangerie d’en face peuvent tout à fait suivre les débats sans être dans la salle.
Une heure d’attente, donc, puis le congrès recommence, avec un hommage aux disparus. L’effet est délétère : même s’il y a pas mal de jeunes dans la salle, la longue liste des camarades disparus depuis 2003 créé une ambiance de mouroir… D’autant qu’ici comme ailleurs, quand on parle du décès de Daniel Bensaïd, on évoque un cancer - à l’extrême-gauche aussi, mourir du SIDA serait inconvenant ?
Suit le rapport d’introduction sur la situation internationale. La nature de la crise globale et multidimensionnelle qui affecte le mode capitaliste est analysée finement, avec étude de la nouvelle offensive du capital, des contradictions du mode d’accumulation néolibéral, de la réponse capitaliste à la crise écologique. Ce n’est pas un brouet dogmatique, mais une vraie tentative de rendre intelligible, de mettre du sens dans les évènements politiques internationaux.
Laurent - je te le rappelle, les gens ne s’appellent que par leurs prénoms - décrit ensuite la nouvelle organisation du monde : le déclin de l’hégémonie US, le rôle nouveau de la Chine et des principaux pays émergents, les centres de tension militaire dans le monde, la nouvelle phase de confrontations en Amérique latine, l’Europe en crise profonde. Son analyse serait sans doute très largement partagée dans le mouvement altermondialiste - si ce n’est que ce mouvement est enterré en une phrase au détour d’un topo sur les points de résistance à la mondialisation…
Suit une analyse pessimiste de l’évolution de gauche et du mouvement ouvrier en Europe :
C’est Sabado qui devait normalement se charger cette introduction. Pendant pas mal de temps, Sabado a été à la fois le Monsieur Amérique Latine de la LCR et celui qui endossait au quotidien le rôle d’accompagnant du tout nouveau porte-parole à casquette de la Ligue. Mais une occlusion intestinale (ou un sale coup des fascistes) l’a malheureusement envoyé à l’hôpital quelques heures auparavant.
Après l’introduction, les délégués remettent des petits papiers au présidium, avec mention de leur prénom, organisation, sujet et langue (pour que les traducteurs puissent s’organiser). Le présidium choisit alors l’ordre des interventions pour qu’il y ait un peu de cohérence dans l’enchaînement des sujets abordés. Il s’agit aussi, bien entendu, de conserver un certain contrôle politique : après tel ou tel intervenant, on peut choisir de donner la parole à un tenant de la même position ou de placer trois ou quatre intervenants défendant une position opposée…
Chaque intervention dure sept minutes. L’un des animateur à la tribune joue le monsieur loyal avec des panneaux « 2 minutes », « 1 minute », « 30 secondes », « stop ! ». C’est marrant : sept minutes de néant politique, ça peut être très très long ; sept minutes d’intervention brillante, c’est très très court. La plupart des interventions oscillent entre ces deux alternatives ; ce qui est frappant, c’est la grande hétérogénéité des propos. On est très loin des exégètes de la pensée sacrée du vieux Léon : c’est vivant, parfois contradictoire. La crise est parfois « structurelle », parfois « de fond » ou « cyclique ». La crise de la sociale-démocratie n’est pas non plus vue de la même manière en Europe et en Amérique du Nord, de même que la différence entre réformistes et révolutionnaires. Quand les analyses convergent, sur les crises de la droite, de la sociale-démocratie et du communisme autoritaire, les conclusions sont multiples : ça va de l’euphorie (nous avons un boulevard devant nous) au catastrophisme (l’opinion publique ne demande qu’à basculer dans l’autoritarisme xénophobe).
Les Sud-américains reprochent à l’analyse d’être euro-centrée et de ne pas assez parler de… l’Amérique du Sud. Il faut dire que ce continent concentre les espoirs de changements de société. Mais même là, des divergences : si la Bolivie est vue avec optimisme, le Venezuela divise. Ça tortille. Entre les très critiques, qui dénoncent la « bolibourgoisie » et la bureaucratisation bolivarienne, et ceux qui prônent l’accompagnement acritique (le Venezuela est le Cuba du XXIe siècle), en passant par tous les accompagnements critiques ou oppositions bienveillantes, le panel des positions est large, très large.
À l’inverse, l’Asie désespère. Elle est perçue comme le far-west du libéralisme, en particulier par les intervenants du Japon et de Hong-Kong. L’absence de sections indiennes et les problèmes de visa de la grosse section pakistanaise ont sans doute donné à l’analyse asiatique une coloration très sino-centrée. Enfin, l’Afrique sub-saharienne : elle est, comme partout, très peu évoquée ; il n’y avait d’ailleurs quasiment aucun représentant-e-s de ce continent.
Note, aussi, que les mots et les concepts ne voyagent pas toujours sans encombre. Quand une jeune intervenante danoise monte au créneau pour dénoncer l’islamophobie, un frisson traverse la salle (manifestement, les débats sur le voile ne se sont pas arrêtés à nos frontières). Un militant algérien monte à la tribune ; lui ne met pas du tout la même réalité derrière l’islamophobie…
Restent des chants familiers. Sur la criminalisation des mouvements sociaux, sur la concentration des médias, sur la monté de la xénophobie. C’est même un chant polyphonique, tant le constat est partagé sur une bonne partie de la planète.
Staline !
À midi, de nouveaux participants, dont des militants brésiliens, débarquent. Les Cariocas aiment innover dans les patronymes en choisissant de donner comme prénom au fiston une figure appréciée (et que le fiston trimballera toute sa vie). On y croise ainsi des Vitor-Ugo Da Silva, des Ogust-Comte Silvera ou des rappeurs prénommés Lénine. Puis arrive dans la cafétéria une figure des luttes sociales vénézuélienne, Stalin Perez Borez. Et cette étrange scène, des figures internationales du trotskisme le saluant d’un grand sourire et le hélant : « Stalin !, Stalin ! »
Les débats se poursuivent. Entre le défaitisme ou l’inquiétude (sur la Palestine) et l’optimisme (sur l’Amérique Latine), les interventions survolent la planète. Et puis, entre deux analyses précises, pleines de nuances, un coup de grosse-caisse :
Fin de l’aprem’, un rien épuisé. Il y a pourtant encore des commissions, pour une ou deux heures. Le soir, une réunion « femme ». « Femme » et pas « féministe » : les hommes en sont exclus. Une organisatrice propose un tour de table. Calculs de tête rapide : avec deux minutes par intervenantes, si tout le monde respecte strictement le temps de parole, on arrivera presque aux deux heures allouées. Par-ci par-là, des interventions touchent à la question qui vient d’émerger, celle d’une « alternative féministe ». Pour certaines, c’est un saut qualitatif du féminisme, qui n’est plus cantonné à la revendication d’égalité de traitement et de liberté sur son propre corps ; pour d’autres, c’est une tentative de créer un nouveau paradigme gommant au passage la lutte de classes (pourquoi y aurait-il une approche spécifiquement féministe des OGM ou du racisme anti-indigène ?).
Soudain, une panne de micro. Un débat s’engage : faut-il aller chercher un technicien ? Si c’est un homme, ça ne signifierait-il pas que nous ne sommes pas autonomes ? Et si c’est un camarade, serait-il autre chose qu’un soutien ? La soirée se termine sur ce difficile débat…
Le lendemain, ça repart. Tous les participants sont présents pour la nouvelle session, même si certains ont manifestement fêté tard leurs retrouvailles de la veille… Le débat sur le climat et l’écologie est globalement de bonne tenue, les trotskistes semblant enfin décidés à prendre en compte sérieusement la donne environnementale. Chez les Européens, on parle d’écosocialisme - même s’il s’agit moins d’une fusion des problématiques écolos et sociale que de l’intégration des problématiques environnementales à la grille d’analyse marxiste. Chez les Latinos, qui font référence à l’écocommunisme, la synthèse a l’air plus facile. L’importance des concepts indigénistes (la Pachamama, Terre-Mère nourricière) joue à fond, et les militants sud américains semblent à l’aise avec les préoccupations des couches populaires. Deux ou trois scientistes cassent un peu l’ambiance, précisant combien tout ça est rétrograde. Vois-tu, la science soviétique, pardon, socialiste, a toujours su régler les nouveaux problèmes qui se posaient aux humains…
Par contre, du rapporteur aux intervenants, c’est un même cri d’épouvante pour dénoncer la décroissance. Ce sont surtout les membres du NPA qui montent au créneau pour fustiger cette « culture néo-malthusianistes », ces « pratique de bobo » inacceptables sur le reste de la planète. Beaucoup de confusions et d’amalgames… Avec subtilité, les partisans de la décroissance sont décrits comme des petits bourgeois souhaitant que tout le monde s’appauvrisse. On dirait du Philippe Val ! Elle devait valoir le coup, la campagne des régionales rassemblant NPA et objecteurs de croissance…
Certains délégués s’inquiètent de l’engouement pour l’écosocialisme et s’interrogent : « Va-t-on y perdre notre tradition ? » Un militant allemand répond, en paraphrasant Mahler : « La tradition, c’est transmettre le feu, pas prier devant les cendres. » Et vlan !
La vérité est ailleurs (?)
Dans les couloirs aussi, le débat est animé. Il s’agit notamment de régler un problème franco-français suscité par la création du NPA. Comme un trou d’air statutaire : la LCR était la plus grande composante de la IVe, tandis que le NPA n’a pas adhéré à l’Internationale, se disant même anticapitaliste plutôt que marxiste-révolutionnaire. C’est donc en tant qu’adhérents individuels que tous les anciens membres de la LCR sont membres - pour l’instant - de la IVe. Tous, y compris ceux qui ont préféré ne pas participer au NPA, comme les membres de la Gauche Unitaire. Hochets médiatiques du PCF pour prouver son ouverture lors des régionales, les militants de la GU avaient de l’importance au sein de la IVe. L’intervention de leur représentant est donc attendue avec inquiétude par les membres du NPA.
Autre problème pour le NPA, la présence de membres de sa tendance Convergence et Alternative, qui ont choisi de faire la campagne du Front de Gauche tout en restant membre du NPA. Là, l’outrage est trop grand et la section française de la IVe se réunit à la cafétéria pour empêcher le représentant de C&A de prendre la parole. Et là, Ami lecteur, tu te réjouis : ça, c’est du trotskisme ! Un congrès avec exclusion dans les couloirs ! Chouette… Sauf que non. Robert, pour la GU, et Mathieu, pour C&A, interviendront sans violence et marqueront leur divergence sans éclats de voix. Plusieurs intervenants du NPA s’étaient bien inscrits après les deux « dissidents » pour pouvoir bétonner une défense du parti ; c’est finalement apparu inutile.
Hexagone toujours. À la tribune, une déléguée française explique qu’on ne voit pas le PCF dans les deux luttes d’importance à Paris : contre la privatisation des hôpitaux et pour les sans-papiers. Un autre parle du travail en commission du NPA. Les délégués équatoriens ou sri lankais semblent peu intéressés. Le soufflé retombe. Petite déception.
Par contre, les quelques interventions pour dénoncer l’écologie des bobos suscitent encore de vives réactions. Une militante philippine intervient au nom de sa délégation pour rappeler que son pays subit le réchauffement climatique depuis plusieurs années déjà, sous la forme de typhons particulièrement violents. Une Colombienne tape du poing : avant de critiquer les écologistes, regardons-nous ! Regardons la destruction de la Nature engagée par Correa ou par Chavez dans le cadre de leurs grands travaux amazoniens !
Les tâches
Troisième matin. Toujours du monde, belle discipline ! Là, le débat revêt un enjeu sans doute essentiel : « Rôle et taches ». L’introduction n’est pas optimiste : crise pour la démocratie, crise pour la gauche, crise pour la social-démocratie, crise aussi pour le reste de la gauche. Le rapporteur, avec une bonne tête, l’air ouvert, borde tout de même le débat avec de jolis parpaings de sectarisme : « On nous bassine avec l’unité, l’unité, l’unité, mais il n’y aura d’unité qu’avec ceux qui ont réellement décidé de rompre avec la gauche libérale. » OK, mais qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Il borde à droite, « contre l’opportunisme électoral », et à gauche, « contre la pureté révolutionnaire ». C’est suffisamment flou pour être applicable à tout le monde. Va savoir pourquoi, je me sens même attaqué deux fois…
Puis, deux débats se croisent. D’un côté, l’embarrassante proposition de Chavez de construire une Ve internationale ; les Européens ne sont pas très chauds, les Latinos sont beaucoup plus enthousiastes. De l’autre côté, c’est la proposition de définir la IVe internationale comme une internationale anti-capitaliste.
Cette deuxième proposition française est destinée, sans doute, à permettre l’adhésion du NPA, mais elle lève une multitude de problèmes. La IVe est aujourd’hui composée de structures très disparates : des organisations anciennement trotskistes ayant aggloméré autour d’elles des forces d’autres sensibilités (pour qui la notion d’anticapitalisme ne semble pas poser de problème), des tendances « révolutionnaires » au sein de larges regroupements anticapitalistes et qui souhaitent garder leur identité spécifique, des clubs « purs et durs » qui ne voient pas pourquoi changer une virgule, des organisations estimant que le très encombrant Nouveau Parti Anticapitaliste est tout de même culotté de vouloir imposer une normalisation de la IV pour s’aligner sur leur propre mutation… La question devient compliquée, entre perspectives révolutionnaires, orthodoxie trotskiste, auto-dépassement permanent. Vu le nombre d’intervenants inscrits, les interventions sont ramenées de sept à cinq minutes, ce qui ne simplifie pas grand-chose…
Heureusement arrive un bol d’air frais, avec la prise de parole du représentant de Lutte Ouvrière5 : c’est une intervention d’anthologie et qui semble totalement décalée par rapport au débat. À l’en croire, la IVe aurait fait le jeu du nationalisme dans le tiers-monde, au lieu de rester fidèle à la révolution (et pan dans la gueule pour les décennies de luttes anticoloniales), et son aventurisme écolo-guévariste à tendance libertaire est totalement erroné (et pan sur le NPA). Sic…
Cela se termine par un petit bonheur pour les militants trotskistes : la création d’une section russe de la IVe, soit l’adhésion du groupe « Vpered ». Il y a comme un air de revanche dans le plaisir avec lequel les délégués accueillent la nouvelle. D’autant que cela marque la fin de cette épuisante journée de débat.
La soirée festive va commencer. Hélas, mille fois hélas, je ne pourrai rien voir du karaoké promis : je plie les gaules. Le lendemain, dernière journée du congrès, sera consacré aux votes et aux mandats. Tout ça à huis clos.
Au final ? Je m’attendais à d’âpres débats, esclandres, tensions. Ce furent des débats sereins. Tout se perd… Pas de portraits de Trotsky, de drapeaux rouges frappés de la faucille, du marteau et du 4. Pas d’Internationale entonnée à plein poumon. Pas une exclusion. Pppffff ! Me voilà bien déçu.
Les organisations membres de la IV : Al-Mounadhil (Mar), Corriente Democracia Socialista (Eq), Democracia Socialista - Nuevo Proceso (Eq), Espacio Alternativo (Esp), Espai Alternatiu - Valencia (Esp), Espacio Alternativo de Burgos (Esp), Espacio Revolucionario Andaluz (Esp), Ezker Alternatiboa - Euzkadi (Esp), Forbundet Internasjonalen i Norge (Norv), Fourth International Caucus of the NSG (Can), Groupe Révolution Socialiste (antille), Internationale Sozialistische Linke (Allemagne), Revolutionär Sozialistischer Bund (Allemagne), Sozialistische Alternative (autr), Ligue communiste révolutionnaire (Belg), Socialist Action (Can), Tendencia Socialista Revolucionario (Chil), Socialistisk Arbejderparti (Dan), Section of the Fourth International (eg), Revolta Global - Catalogne (Esp), Socialist Action (USA), International Socialist Group (GB), Organosi Kommouniston Diethniston Elladas - Spartakos (Grec), Inquilabi Communist Sangathan (Inde), Socialist Democracy (Irl), Tajammu’ al-Shuyu’i al-Thawri (liban), Revolutionär Sozialistesch Partei (Lux), Partido Convergencia Popular Socialista (par), Socialistische Alternatieve Politiek (Holl), Rebolusyonaryong Partido ng Manggagawa - Mindanao (Phil),Taller de Formación Política (Porto-rico), Gauche Socialiste (Que), Nava Sama Samaja Pakshaya (Sr Lan), Socialistiska Partiet (Sue),Organisation communiste révolutionnaire (Tun), Yeni Yol (Turq). Organisations avec courants membres de la IVe : Verein für Solidarische Perspektiven (Alle), PSoL (Brés), Presentes por el Socialismo (col), Muvimentu di a Manca Naziunale (corse), Alliance rouge et verte (Dan), Labor Standard (USA), Solidarity (USA), Sinistra Critica (It), Parti socialiste unifié (Mar), Rouge (Norv), Partido Convergencia Popular Socialista (par), Bloco de Esquerda (por),AJ/PADS (sen), AAS (Syr), ÖDP (Tur) Organisations sympathisantes : Workers’ Organization for Socialist Action (Af du S), PST (Alg), Socialist Democracy (Aus), Nodong-ja-euy Him (Corée du S), Revolutionary Communist Party (HK), Nihon Kakumeiteki Kyôsanshugisha Dômei (Jap), Kokusaishugi Rôdôsha Zenkoku Kyôgikai (Jap), Lalit (Maurice), SADI (Mali), Partido Revolucionario de los y las Trabajadores (Mex), Partido Revolucionario de los y las Trabajadores-Convergencia Socialista [45] (Mex), Liga de Unidad Socialista (Mex), Labour Party Pakistan (Pak), Nurt Lewicy Rewolucyjnej (Pol), Mouvement pour une alternative réunionnaise à l’ordre néolibéral (Réunion), SolidaritéS (CH), BFS/MPS (Ch), Partido Socialista de los Trabajadores (Ur), Colectivo Militante por la unidad de los Revolucionarios (Ur). Organisations observatrices : Democratic Socialist Perspective (Aus), Kokkino (Grec), Vperiod (Russ).
1 Mais non, pas l’autoroute du bonheur ; suis un peu, tout de même !
2 Peinture de l’auteur. D’ailleurs, toutes les illustrations de ce billet, sauf le logo de la IV, sont de Mathieu Colloghan. Tu serais bien inspiré d’aller jeter un œil gourmand sur son travail, ici.
3 L’entrisme a toujours fait débat au sein du courant trotskiste ; il est même à l’origine de la scission de la première organisation trotskiste en France, dès sa création. Sommairement, cela consiste à envoyer des militants trotskistes, dans les organisations de masse à gauche, au PC, au PS, dans les partis travaillistes, les syndicats, pour en radicaliser la gauche ou l’ensemble. L’entrisme « à drapeaux déployés » revient à ne pas cacher sa barbichette trotskiste, tandis que l’entrisme « clandestin » consiste, par exemple, à envoyer Lionel Jospin au PS en masquant son appartenance. En général, les « drapeaux déployés » ont rapidement été exclus et les « clandestins » vite perdus pour la cause. L’entrisme est pourtant resté source d’une super paranoïa des organisations de gauche.
4 Ce système a été mis au point par le mouvement altermondialiste
5 Pour les Français, seul LO et les Alternatifs avaient été conviés.