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lundi 29 août 2011

Invités

posté à 10h16, par John Saint-Croix
23 commentaires

Angleterre : « A time to buy, and a time to sell »
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Dix août, lendemain d’émeute. La bonne société anglaise se réveille avec la gueule de bois. Après Londres et ses banlieues, Manchester et Birmingham se sont jointes aux affrontements, embrasement généralisé. Parmi les commentateurs, rares ceux qui dévient de la ligne « ce sont des sauvageons à abattre ». Il y a pourtant beaucoup à dire sur cet été anglais. De Manchester, analyse.

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Manchester, août 2011

L’association des assureurs britanniques vient d’évaluer les dégâts des récentes émeutes à 200 millions de livres sterling. C’est bien la seule abstraction à laquelle il soit conseillé de s’élever. Aux journalistes, aux politiciens, aux sociologues, et à tous ceux qui sont invités à discourir, ces émeutes posent un certain nombre de contradictions qu’ils ne tiennent pas à résoudre. Les médias anglais font mine de beaucoup s’interroger, sans parvenir à fournir un semblant de réponse aux centaines de questions accumulées, toutes accessoires. Une émission a même recensé les dix causes probables des émeutes, partant du principe qu’il vaut mieux dix hypothèses fallacieuses qu’une bonne raison. Ne pouvant invoquer une question purement raciale, ou religieuse ou même générationnelle1, les analystes s’en remettent à une condamnation morale qui présente les acteurs de ces journées de la même manière que les émeutiers français des années précédentes : des casseurs, des délinquants, des incendiaires, des brutes et des lâches.
Cet « angle », répété de nombreuses fois, dès le début de la « couverture médiatique » déployée sur ces événements, est résumé en un mot, martelé dans un reportage de Mark Stone sur Sky News : « mindless  », sans cerveau. Le géographe américain David Harvey a également souligné, dans un article paru immédiatement après les émeutes, la déshumanisation qui se cache derrière ces choix de langage mettant en avant l’animalité des protagonistes : « « Des adolescents sauvages et nihilistes », comme les a décrits le Daily Mail. Le mot « sauvage » m’a arrêté. Il m’a rappelé que les Communards, à Paris en 1871, étaient dépeints comme des bêtes sauvages, des hyènes, qui ne méritaient qu’une exécution sommaire (et parfois la recevaient) au nom du caractère sacré de la propriété privée, de la morale, de la religion et de la famille »2. Quelques jours après les « incidents », sur la façade du centre commercial Debenhams, à Londres, on appelait les honnêtes gens à dénoncer les « rats à capuche »3.

Dans le même temps, les émeutiers sont dépeints non plus comme des brutes assoiffées de sang ou de dangereux agitateurs, mais comme d’opportunistes pillards dont la seule ambition est de dérober les biens que l’emploi de leurs talents n’a pu leur procurer. Ce qui est étonnant, c’est qu’il y a dix manières de voler bien plus efficaces (elles sont en tout cas pratiquées chaque jour à haut niveau) et beaucoup moins risquées que de se jeter sous les caméras de surveillance qui quadrillent les villes anglaises et dont la concentration n’est jamais plus forte qu’aux abords des magasins... Que les deux thèses, celle du fou sanguinaire et celle du rusé malfaiteur, paraissent contradictoires, n’est pas un problème. Pas plus qu’il n’est difficile de concilier que les émeutiers aient pu vouloir, dans le même temps, piller les marchandises et les détruire par le feu : on prêtera aux incendiaires l’avidité du voleur, et aux pillards l’inconscience homicide du pyromane. Ainsi, en alternant rapidement les « analyses », et sans jamais les confronter, l’une chassant l’autre indéfiniment, il est possible aux responsables du télécran de faire leur métier, c’est-à-dire raconter n’importe quoi et son contraire, simultanément.
Ils sont plus rares à avoir souligné l’euphorie fébrile et provocatrice qui se dégageait presque malgré eux des émeutiers, tout comme de ceux descendus dans les rues pour « défendre leur quartier  » ou leur « communauté  » et qui, pour beaucoup, étaient aussi excités que les premiers à l’idée de se réapproprier brièvement le contrôle du pavé.

On signale tout de même des morts ; cinq au total. Qu’on arrête les assassins. La police britannique voudra tenir sa réputation. Elle a même reçu des renforts inespérés de la population, encouragée à se constituer en milice. Les associations de commerçants, lourdement équipées en vidéosurveillance, ne se le sont pas fait dire deux fois. Comme en témoigne l’article d’Elise Vincent dans Le Monde, le système de délation s’est révélé «  très efficace », selon Phil Burke, «  responsable de la sécurité dans un hôtel du centre-ville » et porte-parole de Pub and Club, l’association de Manchester qui veille à ce que la ville « ait une vie nocturne sûre et vibrante ». Son acolyte, Andrew Stokes, président de l’association des commerçants du Village, le quartier gay historique de Manchester, n’est pas en reste :
« « Nous ne les laisserons pas gagner ! », assure M.Stokes qui, comme une grande partie de l’opinion publique anglaise, voit dans les violences des jeunes moins l’expression d’un malaise social que l’assouvissement d’une forme « d’avidité ».  » « Ce qu’on veut ici, c’est ‘business as usual’ », ajoute le petit commerçant, sans sourire4. C’est très sérieux en effet : l’enjeu est de taille. « Nous devons montrer au monde, qui nous a observés avec horreur, que les auteurs des violences que nous avons vues dans nos rues ne sont en aucun cas représentatifs de notre pays ni de notre jeunesse », a insisté (Dave Cameron). « L’immobilier londonien, l’un des plus chers du globe, doit rester un havre pour tous les nantis de la terre. Et les touristes continueront à apporter à l’économie locale ses 102 milliards d’euros de revenus annuels. »5 On retrouve dans le jargon des promoteurs immobiliers le même plaidoyer pour « un centre-ville vibrant ». En parcourant le catalogue du promoteur Urban Splash, qui propose des « lofts » à 200 000 livres sterling (à peu près 230 000 euros), à Albert Mills, une charmante ancienne fabrique de coton du XIXe reconvertie, on ne croise rien qui ne soit pas « an area of exciting new developpement at the edge of Manchester’s vibrant city ».

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Manchester, août 2011

De la cité industrielle en déclin à la dynamique métropole globale, la métamorphose ne s’est pas réalisée d’elle-même. Pour accueillir les plus aisés, il a fallu nettoyer le centre de la ville de tous les pauvres qui y demeuraient. Les promoteurs immobiliers se sont chargés de la besogne à partir du début des années 1980, souvent aidés financièrement par les pouvoirs publics ou l’Union européenne. La transformation subie par la ville aux mains des urbanistes, architectes et autres décorateurs a été radicale. Du patrimoine industriel, on a conservé les façades : les plus vieux entrepôts des docks, Merchant’s Warehouse, sont devenus des bureaux ; le Royal Exchange, la bourse du coton, est devenu le Royal Exchange Theater ; les immenses entrepôts de briques rouges de la Nothern Railway Company ont été transformés en un ensemble de cafés, de restaurants, de magasins et de vastes aires de stationnement ; Central Station, l’imposante gare construite en 1880 pour desservir Liverpool et fermée en 1969, se fait aujourd’hui appeler Manchester Central Convention Center. Ceux qui peuvent se le permettre quittent leur bureau pour consommer, à quelques pas de là, dans un quartier où plus personne ne vit, les marchandises qu’ils viennent de contribuer modestement à produire. Ce n’est pas sans intérêt que les autres assistent au spectacle, de plus ou moins loin. Les derniers rangs se sont remplis ces derniers temps, en Angleterre comme partout ailleurs.

Quelques-uns avaient tenté de réinvestir la ville abandonnée, lorsqu’elle était au plus mal. En 1976, les Sex Pistols étaient venus jouer au Free Trade Hall, un édifice qui accueillit les rassemblements politiques et corporatistes de la nouvelle bourgeoisie, puis des événements culturels de toute sorte. Ce soir-là, il n’y avait pas plus de quarante personnes dans la salle, mais plusieurs d’entre eux furent à l’origine de l’aventure du label Factory Records, qui édita notamment Joy Division, New Order ou les Happy Mondays, et qui ouvrit un club, l’Haçienda, en 1982, prenant au mot le Formulaire pour un urbanisme nouveau de Gilles Icvain, écrit 30 ans plus tôt : « Et toi oubliée, tes souvenirs ravagés par toutes les consternations de la mappemonde, échouée au Caves Rouges de Pali-Kao, sans musique et sans géographie, ne partant plus pour l’hacienda où les racines pensent à l’enfant et où le vin s’achève en fables de calendrier. Maintenant c’est joué. L’hacienda, tu ne la verras pas. Elle n’existe pas. Il faut construire l’hacienda. »
Comme dans tout bon épisode du Rock’n’roll, il y eut des soucis avec la drogue et l’argent. L’Haçienda ferma définitivement ses portes en 1997. Aujourd’hui, à son emplacement, des logements de standing, sous l’appellation Hacienda Appartements. La citation de Gilles Ivain est imprimée, en anglais, sur des T-Shirts que le centre d’information des touristes écoule à 25 livres sterling la pièce. Et au sommet du Free Trade Hall flotte désormais le drapeau de l’hôtel Radisson Edwardian Manchester, cinq étoiles.

« Ceux qui voudraient revivre les raves d’antan peuvent se rendre au Fac251, le club de Peter Hook, ancien bassiste de Joy Division et New Order, et Ben Kelly, le designer de l’Haçienda. Fac 251 a ouvert en février 2011 dans les anciens locaux de Factory Records. [...] Conçu pour mettre en valeur la fonctionnalité froide que le nom suggère, Fac251 consiste en trois étages de parpaings de béton, de lumières saccadées et de machines à fumée. Un portrait de Tony Wilson, l’un des fondateurs de Factory Records et de l’Haçienda, se trouve au-dessus de l’entrée. Avec des sets rétro par les DJs locaux Mr.Hook et Mr. Haslam, le club fait recette sur le nom et le son des grandes heures de Madchester, mais il tente aussi d’en rendre l’intégralité de l’expérience sensorielle. Bien sur, on ne note pas sans ironie qu’un club né de l’insatisfaction de la classe ouvrière et de son opposition fondatrice au disco de masse, fasse aujourd’hui l’objet d’un repackaging commercial. »6 Là, comme dans les nombreux clubs qui refusent la nostalgie et où l’on peut goûter raggaclash, ghetto house, wonky-hop, post-dubstep, fidget house, chillwave ou encore electro-boogie, la scène est « vibrante ».
« Ailleurs se retrouvent d’autres beautés fragmentaires, et de plus en plus lointaine la terre des synthèses promises. Chacun hésite entre le passé vivant dans l’affectif et l’avenir mort dès à présent. Nous ne prolongerons pas les civilisations mécaniques et l’architecture froide qui mènent à fin de course aux loisirs ennuyés. »7

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Le long des berges réaménagées, les immeubles ont jailli. Les murs de la ville entière sont couverts du programme des travaux à venir, de l’offre de bureaux et d’appartements de choix, sous le contrôle étroit de la fameuse CCTV, closed circuit television, qui s’affiche fièrement au front de chaque immeuble qui en vaut la peine. Les caméras ont colonisé jusqu’aux saules pleureurs qui bordent les canaux de l’ancien port industriel, où l’on peut désormais s’arrêter pour prendre un verre coûtant le prix d’un dîner.
Un peu plus loin, à Salford - où les troubles furent violents -, les signes de ce changement sont également visibles. Cette banlieue attenante à Manchester comprend les anciens docks de la ville, fermés en 1982 et devenus quelques années plus tard l’objet d’un des plus vastes plans de réaménagement du Royaume-Uni. Élégamment rebaptisé Salford Quays, l’endroit abrite maintenant son centre commercial géant, un port de plaisance, et des monuments d’artiste à la mémoire de l’activité industrielle. Architecturalement, par un jour de soleil, ça ressemble à Doha. Sous la pluie, ça ressemble à Doha si jamais il y pleuvait.

Où sont donc passés les gens de Manchester ? Peut-être à Old Trafford, le stade de football tout proche, qui héberge Manchester United. Vendredi 5 août, on y célèbre Paul Scholes, un enfant de Salford, qui aura porté dix-sept années durant le maillot écarlate des Red Devils, avec un succès qui sera difficile à égaler. Peut-être y en a-t-il quelques-uns dans les virages, là où le prix des places descend sous les 30 livres. Les clubs anglais ont depuis longtemps résolu le problème du hooliganisme en augmentant les tarifs. Manchester United, l’un des clubs les plus titrés - et les plus riches - de l’histoire de la discipline, n’a pas de problème pour garnir ses tribunes. Mais combien sont-ils - de ces gens de Manchester - parmi la file d’attente qui s’étend au pied de la statue de Matt Busby8, à l’entrée de la boutique officielle, le ‘Old Trafford Megastore’ ?

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Mercredi 11 août, alors que la fumée se dissipait au-dessus de Londres, Manchester, Birmingham et de quelques autres villes du Royaume-Uni, on fêtait aussi le 46e anniversaire des émeutes de Watts, qui ne sont pas sans porter quelques similitudes avec les événements récents9. Le fait que les rangs des émeutiers britanniques de 2011 aient été composés avec beaucoup plus de « diversité » que ceux des Américains de 1965 montre seulement que la colère et l’amertume se sont étendues et ne sont plus le privilège de l’origine.

Vient à l’esprit le texte que Guy Debord avait écrit à ce sujet :
« La révolte de Los Angeles est une révolte contre la marchandise, contre le monde de la marchandise et du travailleur-consommateur hiérarchiquement soumis aux mesures de la marchandise. Les Noirs de LA, comme les bandes de jeunes délinquants de tous les pays avancés, mais plus radicalement parce qu’à l’échelle d’une classe globalement sans avenir, d’une partie du prolétariat qui ne peut pas croire à des chances notables de promotion et d’intégration, prennent au mot la propagande du capitalisme moderne, sa publicité de l’abondance. Ils veulent tout de suite les objets montrés et abstraitement disponibles, parce qu’ils veulent en faire usage. De ce fait, ils en récusent la valeur d’échange, la réalité marchande qui en est le moule, la motivation et la fin dernière, et qui a tout sélectionné. Par le vol et le cadeau, ils retrouvent un usage qui, aussitôt, dément la rationalité oppressive de la marchandise, qui fait apparaître ses relations et sa fabrication mêmes comme arbitraires et non-nécessaires.
(...)
La société de l’abondance trouve sa réponse naturelle dans le pillage, mais elle n’était aucunement abondance naturelle et humaine, elle était abondance de marchandises. Et le pillage, qui fait instantanément s’effondrer la marchandise en tant que telle, montre aussi l’ultima ratio de la marchandise : la force, la police et les autres détachements spécialisés qui possèdent dans l’État le monopole de la violence armée. Qu’est-ce qu’un policier ? C’est le serviteur actif de la marchandise, c’est l’homme totalement soumis à la marchandise, par l’action duquel tel produit du travail humain reste une marchandise dont la volonté magique est d’être payée, et non vulgairement un frigidaire ou un fusil, chose aveugle, passive, insensible, qui est soumise au premier venu qui en fera usage. Derrière l’indignité qu’il y a à dépendre du policier, les Noirs rejettent l’indignité qu’il y a à dépendre des marchandises. La jeunesse sans avenir marchand de Watts a choisi une autre qualité du présent, et la vérité de ce présent fut irrécusable au point d’entraîner toute la population, les femmes, les enfants et jusqu’aux sociologues présents sur ce terrain. Une jeune sociologue noire de ce quartier, Bobbi Hollon déclarait en octobre au Herald Tribune : « Les gens avaient honte, avant, de dire qu’ils venaient de Watts. Ils le marmonnaient. Maintenant ils le disent avec orgueil. Des garçons qui portaient toujours leurs chemises ouvertes jusqu’à la taille et qui vous auraient découpé en rondelles en une demi-seconde ont rappliqué ici chaque matin à sept heures. Ils organisaient la distribution de la nourriture. Bien sûr, il ne faut pas se faire d’illusion, ils l’avaient pillée... Tout ce bla-bla chrétien a été utilisé contre les Noirs pendant trop longtemps. Ces gens-là pourraient piller pendant dix ans et ne pas récupérer la moitié de l’argent qu’on leur a volé dans ces magasins pendant toutes ces années... » »

Citer Debord est toujours une faute de goût. Cela ne fait pas très sérieux, d’autant que l’intéressé n’a pas le moindre diplôme universitaire. On peut donc, depuis qu’il est mort et que l’on ne craint plus une riposte, s’en donner à cœur joie. La récupération, dans ce cas précis, consiste à le faire passer pour un aimable bouffon ou un joyeux déconneur. Il ne faut pas prendre tout ça au pied de la lettre, Debord a beaucoup exagéré... Parce qu’on a pas pu l’attaquer sur le plan de la logique, on a décidé que ses positions ne pouvaient être soutenues sur un ton sérieux.
L’État français est bien prêt à préempter ses archives pour éviter qu’une grande université américaine ne mette la main sur ce ‘patrimoine’, mais de là à lui reconnaître un quelconque caractère de vérité, il y a un pas. Ceux-là même qui ont consacré ses papiers ‘trésor national’ ne le franchiront pas, trop préoccupés de récupérer l’œuvre pour s’en servir, s’il se trouvait qu’ils en eussent jamais eu les moyens10. Ce n’est pas par dévotion que je cite ce texte désormais vieux d’un demi-siècle. En d’autres circonstances, on pourrait laisser à d’autres le soin de regarder la suite. Mais, dans le moment où nous sommes, il m’a semblé que personne ne le ferait.

C’est pourtant la marchandise que l’on trouve au cœur des actions apparemment désorganisées des émeutiers de Manchester et d’ailleurs. Les dépossédés ont décidé de se faire voir brutalement, au centre même de la ville, dans les quartiers qui leur sont interdits, non par décret - nous sommes en démocratie ! - mais de fait : si vous n’avez rien à acheter, circulez. Derrière la rage des incendiaires et des casseurs, derrière l’ « avidité » des pillards, le dénominateur commun, c’est la cible : la marchandise, le « bien de consommation », dont le nom suggère déjà les qualités éthiques dont il est paré. En lançant une brique dans la devanture d’un magasin désert, c’est l’idole que l’on attaque.
Il aura fallu 140 ans pour établir le magasin de meubles House Of Reeves, mais seulement quelques minutes pour le détruire. Le 9 août, au matin, après que les incendiaires ont laissé ce symbole de Croydon en ruines, son propriétaire présentait un visage digne aux journalistes : « Le magasin était là depuis 1867, il avait survécu à deux guerres, une dépression. Et pourtant, il semble que la communauté l’a détruit par les flammes »11.
Alors que tout le monde pleurait, avec moins de dignité que son propriétaire, la perte de ce monument historique de la distribution, personne ne s’est demandé si ce n’était pas la raison même pour laquelle certains des émeutiers les plus résolus en avaient fait leur cible, spontanément.

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Manchester, août 2011

On s’accorde pour l’instant à dire qu’il est tout à fait impossible à de si faibles esprits, qui se traduisent dans une langue de plus en plus inaccessible, de concevoir un projet si profond. Leur incapacité à fournir les motifs de leur colère ou le détail de leurs requêtes constitue du reste la meilleure preuve de leurs sombres motivations. Si ces malheureux avaient pu articuler trois mots sur leur malaise social et leur mal à l’Angleterre, alors peut-être aurait-on pu repérer un leader, et discuter avec lui. S’ils s’avançaient groupés, comme un seul manifestant derrière sa banderole, on pourrait appliquer la même vielle méthode : « Confinement dans un espace restreint, déploiement d’experts de la surveillance sur les toits, infiltration par des policiers en civil et contrôle des stations de métro et des gares », comme le rappelle Le Monde (12 août), qui ajoute que «  la collecte de renseignements sur les leaders et leurs actions joue un rôle-clé dans ce processus : hélas !, les pires émeutes depuis des années n’étaient pas organisées  »12.

En dédaignant la manifestation organisée pacifique, les émeutiers proclament sa défaite, de la même manière qu’ils n’ont pas adopté de slogan. S’il y avait eu un slogan, il aurait été récupéré par l’extrême-gauche, qui les a tous brevetés. C’est le rôle de l’extrême-gauche que d’empêcher les débordements. Quiconque déborde la manifestation syndicale unitaire par la gauche commet une lourde faute technique, immédiatement sanctionnée. Il est toujours préférable de rester dans le rang et de goûter la parole des révolutionnaires professionnels, forts d’une expérience du combat si longue qu’on en vient à se demander s’ils ont jamais souhaité une victoire. La seule chose que quelques-uns avouent désirer encore, c’est un retour au bon vieux temps de l’État-providence, du keynesianisme glorieux, au cours duquel les aspirations du peuple profitèrent de leur brève coïncidence avec les intérêts de l’État. Incapable de voir que ce n’est pas la répartition de la valeur qui pose problème mais bien le principe qui a présidé à sa création et qui régit son développement, la vieille extrême-gauche, après avoir promis longtemps que les lendemains chanteraient, réclame aujourd’hui le retour des jours meilleurs, sur des airs d’antan. Elle n’a pas encore compris qu’ « on ne s’évadait pas du temps », et qu’elle était condamnée à revoir, à chaque manifestation, à chaque inutile cortège rigoureusement encadré et chaque fois un peu plus mince, «  l’instant de sa propre mort », c’est-à-dire celui où elle a commencé à marchander13.

Avec l’assentiment des contestataires identifiés, on peut en conclure que cette horde immorale de lumpenprolétaires analphabètes n’a pas la classe des bandits de grand chemin d’autrefois. Il est plus simple de mettre tout cela sur le compte d’un coup de chaud passager, d’un climat économique temporairement dégradé, d’un égarement momentané de la conscience. On trouvera des excuses à quelques-uns de ceux qui s’excuseront bien bas et on condamnera lourdement le reste14. Il faudra s’employer à ce que rien de fondamental ne soit changé, mais il y a heureusement beaucoup de gens formés à cela.
On pourrait aussi s’étonner de ce que ces jeunes enragés détruisent et brûlent ce qui pourrait leur permettre de « s’en sortir ». À Arndale cette fois, l’immense centre commercial du centre-ville de Manchester, on pouvait contempler à la veille des émeutes, derrière la vitrine d’un magasin Shakeway, un individu dont l’emploi consistait à se dandiner joyeusement d’un pied sur l’autre, intégralement recouvert d’un costume de milkshake à taille humaine. C’est l’emploi qu’on avait trouvé aux qualités de cet homme (cette femme ?). Il est douteux que le salaire dont on le récompensait lui permît d’habiter le cœur vibrant de la ville ; seulement d’y venir aux heures ouvrables se transformer, au sens propre comme au sens figuré, en marchandise. Deux jours plus tard, quelques mètres plus loin, quelqu’un incendiait un magasin de vêtements.

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Fondée au XVe siècle, la cathédrale de Manchester fut rattrapée au milieu du XIXe siècle par la croissance exubérante de l’agglomération et se trouve aujourd’hui dans le centre-ville. Dans une de ses ailes, pour instruire le visiteur, quelques panneaux évoquent le long processus qui aboutit à la traduction en anglais des Écritures, la King James Bible ; les luttes qui amenèrent les autorités religieuses à se saisir de ce projet a priori hérétique plutôt que de courir le risque d’en laisser d’autres, plus audacieux, commettre un péché d’interprétation. Le texte note que si le Roi se contenta en 1610 d’agréer le résultat sans le commenter, l’influence de l’ouvrage se diffusa largement dans la littérature et la culture anglo-saxonnes. Et rappelle, en conclusion, les mots de l’Ecclésiaste : To every thing there is a season :

« Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel.
Un temps pour enfanter, et un temps pour mourir ;
un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant ;
un temps pour tuer, et un temps pour guérir ;
un temps pour détruire, et un temps pour bâtir... 
 »15

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Un peu plus loin, sur Exchange Street, le magasin French Connection placarde sur sa façade de grandes photos de ses produits : une jupe, un manteau, un costume. En légende, ce sont les vêtements qui parlent, et pas ceux qui les portent, dont on distingue assez mal le visage : «  I am the skirt », minaude la jupe. « I am the suit  », assène le costume ; « I am the coat  » ; « I am the blouse »... Est-ce l’homme ou la marchandise qui parle ? S’est-elle incarnée en lui ou bien s’est-il confondu avec elle ? Et comment nommer ce phénomène consistant à faire entendre la voix d’une autre entité, a fortiori inhumaine ? On pourrait parler sans doute de réification, mais dans le cas présent, c’est le langage religieux qui semble le plus approprié : on dirait que l’individu est possédé.
La marchandise et le capital écrivent chaque jour leur évangile sur les murs des centre-villes, de New York à Sao Paulo, de Paris à Manchester, et il n’a qu’une seule ligne :
Il y a un temps pour acheter et il y a un temps pour vendre.



1 Cf. Elise Vincent, « Profils d’émeutiers », Le Monde, 13 août 2011). Voir aussi : Paul Lewis and James Harkin, “Who are the rioters ?”, The Guardian, 10 août 2011.

2 David Harvey, « Feral capitalisme hits the street », Counterpunch, 12-14 août 2011.

3 Luc Mathieu, Libération, 16 août 2011.

4 Elise Vincent, « Autodéfense, pluie et délation : recette d’une nuit calme à Manchester », Le Monde, 12 août 2011.

5 Jean-Michel Thénard, « David Cameron. Les coupes sont pleines », le Canard enchaîné, 17 août 2011. (Et c’est une bonne occasion pour David Cameron de faire oublier un peu les ennuis nés de ses relations étroites avec les Murdoch, propriétaires du journal News of the World, obligé de mettre la clé sous la porte après un scandale portant sur un large système d’écoutes illicites. Cameron avait engagé Andy Coulson, un ancien responsable éditorial du journal en question ; il s’en séparé depuis).

6 Charly Wilder, « In Manchester, the old sounds linger amid a vibrant music scene », International Herald Tribune, jeudi 28 avril 2011.

7 Gilles Ivain, Formulaire pour un urbanisme nouveau, 1953.

8 Le légendaire entraîneur rescapé du crash qui décima sa si prometteuse équipe

9 Richard Brenneman, « Echoes of the Watts riot emerge in England », eats shoots ‘n leaves, 11 août 2011.

10 Noël Godin par exemple, écrivait dans un article pour Bakchich au sujet du dernier film de Banksy, Faites le mur, que Guy Debord se serait « gondolé ». Je pense pour ma part qu’il n’y a pas besoin d’être Guy Debord pour trouver que c’est une sombre merde. Des tentatives un peu plus élaborées ont lieu régulièrement. Parfois on y assigne de plus fortes têtes. Parmi d’autres : Taguieff, confiant que Debord, sur la fin, ressemblait physiquement à Coluche. Qui se ressemble s’assemble : Debord est un rigolo ! CQFD. Et de conclure, magistralement : « Le classement de ses archives personnelles comme « trésor national » par un arrêté du 29 janvier 2009 doit s’interpréter, selon Bruno Racine, président de la BNF, comme « une reconnaissance par l’État de ce que représente Debord dans la vie intellectuelle et artistique du siècle écoulé ». Admirable esprit de sérieux de la bureaucratie administrative. Benoît Forgeot, le libraire parisien qui a contribué à l’inventaire des archives du « maître », a salué l’initiative : « L’État accueille désormais l’enfant terrible et lui fait une place dans le saint des saints. » Debord, l’ennemi déclaré de tout État, reconnu, voire couronné par l’État français pour sa contribution à la grandeur de la France ? Comment imaginer spectacle plus comique ? » La récupération d’un auteur par ses adversaires n’est pas un moment joyeux. Lorsqu’elle est posthume, ce qui est rare, c’est encore plus triste. En talentueux bateleur du monde réellement inversé, Taguieff confond sans effort le mot comique avec le mot triste. Il faut lire : «  Comment imaginer spectacle plus triste ? » ; joué par d’aussi sinistres clowns.

« Guy Debord se donne en spectacle », Pierre-André Taguieff, Le Figaro, 11 juin 2009.

11 William Lee Adams, « The London riots : how the community od Croydon consumed itself », Time World, 11 août 2011.

12 Marc Roche, Le Monde, 12 août 2011.

13 La « base » commence à comprendre. En Grèce, où le rythme et l’intensité des émeutes se sont accrus et où les syndicats préféraient lancer trois grèves générales de courte durée plutôt qu’une seule illimitée, ces derniers n’arrivaient pas à mettre plus de 1 500 personnes dans un cortège ; et l’on assistait au spectacle des syndicalistes, des communistes et des socialistes engagés dans une lutte des « sociaux » contre les « anti-sociaux ». Un peu plus d’État ou un peu moins d’État ; plus ou moins de régulation face à un système déréglé ; pour ou contre une nouvelle mise à jour d’un système d’exploitation défectueux en son noyau, programmé pour s’auto-détruire, mais qu’on économiserait un peu afin de le prolonger d’autant, pour être sûr de l’avoir rentabilisé comme il se doit.

Angélique Kourounis, « A Athènes, syndicats et partis politiques sont lâchés par le peuple », Le Parisien, dimanche 5 juin 2011.

14 Pour l’instant, la police britannique n’a déféré que les fauteurs de trouble devant ses tribunaux, à la chaîne, et ces derniers les renvoient presque systématiquement devant la juridiction supérieure (Élise Vincent, « Profils d’émeutiers », Le Monde, 13 août 2011).

Près de 2 000 personnes sont déjà passées devant la justice anglaise, qui a notamment condamné deux hommes, de 20 et 22 ans, à quatre ans de prison pour « incitation aux troubles via les réseaux sociaux ». (« Deux jeunes condamnés à 4 ans de prison pour incitation à émeute sur Facebok », Le Monde, 18 août 2011).

15 Ecclésiaste, 3 : «  To every thing there is a season, and a time to every purpose under the heaven :

a time to be born, and a time to die ; a time to plant, and a time to pluck up that which is planted ;

a time to kill, and a time to heal ; a time to break down, and a time to build up »


COMMENTAIRES

 


  • mardi 30 août 2011 à 00h57, par Plop

    J’aime bien cet article de Kennan Malik : http://kenanmalik.wordpress.com/201...

    “The polarisation between the claim that ‘the riots are a response to unemployment and wasted lives’ and the insistence ‘the violence constitutes mere criminality’ makes little sense. There is clearly more to the riots than simple random hooliganism. But that does not mean that the riots, as many have claimed, are protests against disenfranchisement, social exclusion and wasted lives. In fact, it’s precisely because of disenfranchisement, social exclusion and wasted lives that these are not ‘protests’ in any way, but a mixture of incoherent rage, gang thuggery and teenage mayhem. Disengaged not just from the political process (largely because politicians, especially those on the left, have disengaged from them), but also from a sense of the community or the collective, there is a generation (in fact more than a generation) with no focus for their anger and resentment and no reason to fear or feel responsible for the consequences of their actions. That is very different from suggesting that the riots were caused by, a response to, a protest against, unemployment, austerity or the cuts.<”/quote>

    • mardi 30 août 2011 à 10h32, par kaos

      Mouais, à la lecture de son blog, il semblerait qu’une révolte doive exprimer des revendications au pouvoir, comme dans les gentilles émeutes des années 80 - qui n’ont rien changé de notable - qu’il veut bien appeler ’protest’. Alors que les méchantes émeutes des années 2010 ne discutent pas et cassent tout sans distinction particulière - et ne changent rien de notable non plus, d’ailleurs - qu’il veut appeler ’incoherent rage, gang thuggery and teenage mayhem’ (on cherchera en vain la différence avec la version de Cameron).
      Et tout ça pour appeler à restaurer la morale... Mais de gôche, hein. Je préfère nettement la version d’articleXI, y’a pas à dire...

      Déplorer le manque d’organisation et d’efficacité des révoltes anglaises est une chose (qui signifie qu’ils ne vont pas assez loin, pas assez bien et pas assez systématiquement), leur reprocher leur manque de ’morale’ en est une autre (qui signifie qu’ils vont trop loin).
      On laissera au soin de la police de leur rappeler les règles élémentaires de la vie ’ en communauté’ (mais on fera un peu les gros yeux, on est de gôche, après tout).

    • mardi 30 août 2011 à 10h41, par kaos


  • mardi 30 août 2011 à 10h34, par Auto-dérision

    Je ne savais pas que l’Ecclésiaste avait été écrit en anglais, j’imaginais (peut-être un peu sottement) qu’à l’origine, il s’agissait d’un texte hébreu...

    Sinon, l’éloge du pillage me laisse toujours un peu songeur, tant il me semble évident qu’il s’agit de la plainte des classes pauvres désirant - jusque par le feu - accéder à la réification et à une marchandise à laquelle ils désirent avoir accès. la réponse de ceux qui sont déjà réifiés a été brutale, à la hauteur de leur volonté de ne pas partager fusse une miette de ce qu’ils possèdent : comment s’en étonner ?

    Je ne vois aucune subversion dans ce ballet brutal des amants de la consommation, mais leur adhésion à un système qui n’a pour seul tort que de les écarter de son banquet mortifère. Et mortifères, à l’égal de leur modèle, ces émeutes londoniennes le furent, jusque dans des pogroms et des lynchages dont le souvenir fait littéralement gerber et qui était un signe marquant d’allégeance à la violence abjecte du système et des choses - de ces lynchages, l’article ne dit pas un mot : ça manque à l’analyse, et ce n’est pas un hasard.

    (Désolé de vous laisser vous gargariser en rond, hein ?)

    • mardi 30 août 2011 à 11h40, par un-e anonyme

      Je parlais de la traduction en anglais de l’Ecclésiaste. Je croyais que c’était clair.
      Je ne crois pas faire l’éloge du pillage. Je pense juste que les choses n’arrivent pas par hasard. Cette analyse n’est certainement pas la dernière vérité. Je n’ai pas ce genre d’ambition.
      Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de savoir si les émeutiers sont de gentils garçons ou s’ils sont subversifs, mais de savoir pourquoi un tel phénomène prend place dans un lieu qu’on annonce comme un paradis sur Terre. S’il y a un paradis, c’est celui de la consommation.
      Quand aux pogroms et aux lynchages (ce ne sont pas des mots appropriés, et ce genre d’hyperbole ne sert personne)... J’ai parlé des morts. Encore une fois, il y en a 5 (un type assassiné par des tarés, trois types fauchés par un voiture, et un dernier tué par les policiers). Et, encore une fois, la police britannique aura à coeur de faire son travail. Néanmoins, il y a plus de 2000 types qui ont été déférés, et pas un de ceux-là. On voit les priorités : 4 ans de prison pour un message sur Facebook. Je n’ai pas tenu le registre des agressions et des délits commis pendant ces émeutes ; je n’en ai pas les moyens. Plutôt que la condamnation morale à laquelle se sont livrés les médias et les politiques, je trouvais plus intéressant de se demander pourquoi une tel déchainement a lieu. Dire que les gens sont prêts à mettre une ville à feu et à sang pour piquer un écran plat et des fringues, ça ne rime pas à grand chose. (comme je le disais, il y a beaucoup de moyens plus efficaces. Or, ce à quoi on a assisté, c’est une explosion de violence, pas une conspiration).
      Je ne sais pas gargariser en rond, ce qui semble un geste assez délicat à accomplir.

      • mardi 30 août 2011 à 16h14, par Auto-dérision

        « Je parlais de la traduction en anglais de l’Ecclésiaste. Je croyais que c’était clair. »
        Pas tellement : vous donnez une traduction française du texte original et vous mettez en note une traduction en anglais, sans expliquer pourquoi ni citer les sources de l’une ni de l’autre. Bizarre confusion, qui ouvre et clôt un article lui-même très confus.

        Pour le reste, navré d’avoir cru que vous faisiez l’apologie de l’émeute vaine et du pillage et que vous vous y aviez vu un ferment de révolte et de critique de la marchandise, à l’instar d’un Debord qu’on a connu mieux inspiré et meilleur analyste de son temps : je n’ai pas lu dans votre article que vous pensiez que ces émeutes sont d’abord d’un signe d’adhésion profonde à un système d’oppression, de répression et d’exploitation. Si je me suis trompé, je vous présente mes plus profondes excuses.

        Quant aux lynchages, je maintiens le mot, et ça ne m’étonne en rien que la police britannique n’ait pas cherché très activement leurs auteurs. Elle avait plus urgent à faire : ramener à la raison ceux qui croyaient sincèrement que la violence visible des pauvres pouvait remplacer la violence invisible des riches dans l’accumulation primitive du capital. Question de préséance en somme.

        Mais ça ne fait pas de ces émeutes un ferment de révolte, ça en fait un ferment d’oppression comme un autre, au détail près que les oppresseurs actuels n’en veulent pas.

        • mardi 30 août 2011 à 19h12, par J.St-Croix

          « le long processus qui aboutit à la traduction en anglais des Écritures » : je ne vois pas bien ce qu’il y a de confus là-dedans...
          La source du texte en anglais est dans l’article lui-même : La King James Bible, dont c’est le nom très officiel.
          Sinon, en français, la source, c’est : la Bible, dans la traduction que vous voulez.
          J’aimerais que vous disiez en quoi l’article est confus. C’est plutôt la situation qui l’est.

          Quant à Debord, je pense que c’est au contraire l’un des textes les plus intéressants qu’il ait livrés (avec les Commentaires sur la Société du Spectacle). J’aurais toutefois dû, à cette occasion, donner les références de son texte - cela m’a échappé : « Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande », Internationale Situationniste n°10, mars 1966.

          Pour en revenir au lynchage, il s’agit de l’exécution sommaire d’un individu, sans jugement régulier, par une foule. Comme je le disais, il y en a eu un. En parler au pluriel, c’est déjà un abus de langage. Parler de pogrom, c’est également exagéré : il s’agit à l’origine des soulèvements contre les Juifs sous le régime du tsar en Russie. Par extension, une attaque meurtrière contre une communauté religieuse ou ethnique. Comme j’essayais de le souligner, la seule cible commune aux émeutiers, ce furent les magasins, à qui l’on ne prête pas encore les qualités d’un ethnie ou d’une communauté religieuse. (Ca viendra). C’est le genre d’hyperbole qui conduit à appeler en retour une justice expéditive pour les « rats à capuche ». Je n’ai pas particulièrement d’affection pour les émeutiers. Vous êtes navré d’avoir cru que je faisais l’apologie du pillage. Ces excuses vous honorent, mais elles tombent enndehors du sujet. Je n’ai pas besoin d’éclaircir mes intentions dans un commentaire : il n’y a rien dans mon texte qui constitue un éloge ; à aucun moment je ne vante les mérites de ces actions.

          Enfin, vous parlez de préséance en ce qui concerne l’action de la police. Nous sommes d’accord : les flics anglais étaient plus pressés d’arrêter des voleurs à l’étalage que des meurtriers (dont l’un se trouve dans leurs rangs).

          C’est à mon tour d’être navré, mais je ne comprends pas la dernière phrase de votre commentaire : « Mais ça ne fait pas de ces émeutes un ferment de révolte, ça en fait un ferment d’oppression comme un autre, au détail près que les oppresseurs actuels n’en veulent pas ».

          Je vous remercie cependant d’avoir lu tout cela jusqu’au bout.

    • mardi 30 août 2011 à 12h14, par kaos

      « Je ne vois aucune subversion dans ce ballet brutal des amants de la consommation, mais leur adhésion à un système qui n’a pour seul tort que de les écarter de son banquet mortifère. »

      C’est vrai que ces connards de pauvres pourraient remercier le système de les exclure pour les mettre à l’avant garde de la décroissance heureuse et de la simplicité volontaire... Faut se relire desfois...

      Pour le reste l’auteur semble avoir fait le tour...

      • mardi 30 août 2011 à 16h00, par Auto-dérision

        Kaos,

        Vous semblez penser qu’il n’y a pas d’alternative entre adhérer à un système mortifère et (selon vos termes) le remercier de vous exclure : c’est manquer d’imagination, vous ne croyez pas ? Ou bien vous pensez que, nécessairement, les ennemis de nos ennemis sont nos amis ?

        « l’avant garde de la décroissance heureuse et de la simplicité volontaire »
        C’est sûr que si on se met à critiquer la réification et la quotidienneté, on est perdu ! Vive la régression et la marchandise, en somme. (Où est passé le regard critique, durant toutes ces années ?)

        • mardi 30 août 2011 à 20h26, par kaos

          Bon visiblement, c’est pas la bonne foi qui t’étouffe (ni la logique d’ailleurs), alors on va y aller à la hache : Quand on est pauvre, la décroissance et l’austérité, on se la mange tous les jours. Et c’est exactement le problème. Le jour où y’en a marre, ça donne ça. Je ne vais certainement pas leur jeter la pierre, surtout du haut d’une chaire de curé « révolutionnaire ».

          Et non, le confort matériel n’a rien de bourgeois, et l’ascétisme, rien de révolutionnaire.

           × 

          D’ailleurs, à propos de critique de la réification et de la quotidienneté (sic), tu devrais arrêter internet, ne pas avoir d’ordinateur - ni même le voler, c’est consumériste !!!!!!!

          Mets-toi donc en cohérence avec tes propos, veux-tu ?

          • vendredi 2 septembre 2011 à 20h09, par un-e anonyme

            J’approuve, Kaos.

            Auto-dérision : t’imagines même pas le plaisir qu’il y a, quand on se prive de tout, à faire ripaille. Et merde aux petits-bourgeois qui n’aiment les prolos que miséreux, crasseux et incultes !



  • mardi 30 août 2011 à 12h13, par qualificatifs

    "« mindless », sans cerveau,

    sauvages et nihilistes

    assouvissement d’une forme « d’avidité »"
    auxquels on peut ajouter
    « la culture de la paresse, de l’irresponsabilité et de l’égoïsme », (Cameron)
    « Si vous êtes assez vieux pour commettre de tels crimes, vous êtes également assez vieux pour être punis »« Vous sentirez la force de la loi » (Cameron toujours, très en verve, et lui-même poursuivi dans l’affaire Murdoch)

    Tous ces qualificatifs s’appliquent très bien aux néo libéraux, comme quoi on parle très bien de soi-même quand on parle des autres. Sauf que les néo libéraux font beaucoup plus de dégâts et tuent bien plus que ces émeutiers.

    Finalement les néo libéraux font des exemples car ce qu’ils ne supportent pas ce n’est pas le pillage, c’est que les pauvres ne jouent pas le jeu. Où va-t-on si les pauvres se servent alors que tout est fait pour qu’ils aient envie de consommer sans en avoir les moyens. C’est tout le système libéral qui s’écroulerait et il faut sévir.

    Il aurait l’air de quoi, Séguéla (ou Julien Dray c’est pareil), qui mesure la réussite d’une vie au fait de posséder une Rolex si les pauvres se mettent à voler des Rolex ?
    Cela ne changerait pas grand chose pour Séguéla ou Dray direz-vous, bon.



  • mardi 30 août 2011 à 13h16, par Leo T. B. McQueens

    Petite suggestion ?

    Du côté de la morale :
     × rappel à l’ordre et à l’éducation (obsession de droite) contre les relativismes
     × rappel aux impératifs de la vraie révolution (obsession de gauche) contre les aliénations de toutes sortes

    Dans les deux cas, on est dans un registre judicatif, qui croit détenir la vérité.
    Or ce genre d’évènement échappe justement à ce registre unique, qui hésite entre affolement (droite) et commisération (gauche : les pauvres, ils ne savent pas qu’ils adhèrent aux valeurs du système...).

    Assez de ces poncifs bien-pensants.

    Ces émeutes sont les symptomes de plus de ce qui ressurgit de manière ludique, excitée et oui, aussi violente, à force justement de ressasser (resucer) ces cadres de pensée dépassés : économie, démocratie, individu, politique.



  • mardi 30 août 2011 à 15h24, par Anna Tochenaya

    Je pense que toute la cruauté est une relique de aprshlogo. La haine, la brutalité et la colère que conduire à une auto-destruction progressive.
    Sincèrement- essay writer.

    Voir en ligne : essay writer



  • mardi 30 août 2011 à 17h02, par HN

    En survolant l’article du monde, j’ai été choqué par les réprimandes du juge « Vous êtes une honte pour notre pays ».

    Une accusation qui peut faire mal pour beaucoup d’anglais qui ont un sentiment d’appartenance à leur pays plutôt fort, sans tomber dans le nationalisme bas du front.

    Par ex., en discutant avec un anglais habitant en France un soir de grosse biture (n’enlevant néanmoins rien à l’intérêt de la discussion), il m’a décrit son pays comme une grande famille sur un petit caillou. Je trouvais que ça résumait assez bien l’état d’esprit, voire même le sentiment des insulaires en général. Après, je ne connais pas en profondeur le sujet, je peux me tromper.

    En revanche, pour toutes les saloperies causées par les gouvernements anglais et les financiers de la city depuis des décennies, on ne trouve pas de juge pour sermonner les coupables et encore moins de journaliste pour rapporter de tels propos ou les méfaits des vrais crapules.

    Sans parler des situations très hétérogènes des accusés qui me semble-t-il mettent bien en avant la précarité généralisée en Angleterre ainsi qu’un gouvernement totalement inutile (mais ça c’est pas nouveau).

    Toujours la même merde donc, un grand chapeau à nos journalistes pour leur intégrité et leur professionnalisme...

    Merci pour cet article.

    Cdlmt



  • vendredi 2 septembre 2011 à 13h35, par Gérard Leblond

    Article appréciable, qui a au moins déjà le mérite de donner un autre regard sur la situation en Grande Bretagne. L’immersion dans le Manchester avec la vision subjective de l’auteur (qui me fait penser à celle des situs) est très agréable.

    Le problème se glisse quand celui-ci sort de sa description et du commentaire pour asséner des leçons à ceux-là mêmes qui professent habituellement leurs leçons (qu’ils soient curés rouges ou capitalistes d’ailleurs). Et le problème se pose encore de qui donne des leçons à qui, c’est très prégnant tout au long de l’article. A mon sens il manque une parole évidente, celle d’un/de plusieurs émeutiers eux-mêmes (anonymement évidemment) qui puisse parler de ce qu’ils vivent, non pas pour en tirer quelconque ligne de condamnation morale de leurs actes, mais juste pour comprendre.

    Enfin (mais là le sujet va au delà de l’article), il me semble symptomatique de voir face à l’émeute « désorganisée », la très très rapide et structurée organisation des milices de défense des quartiers en question. Il y a aussi auto-organisation spontanée semble-t-il .. mais pas dans le sens spontanéiste qu’on entend d’habitude à ces mots. Il faudra y réfléchir.

    • vendredi 2 septembre 2011 à 16h41, par Karib

      A propos du livre L’Insurrection qui vient et des thèses de la revue Tiqqun, G. Zavier et Jacqques Wajnsztejn publient sur le site de la revue Temps Critiques des analyses qui permettent par transposition d’approfondir la réflexion sur les récentes émeutes en Angleterre.
      Loin de la condamnation morale à la Cameron mâtinée de chevènementisme (« les sauvageons et cie ») aussi bien que de la fascination primate pour la violence, ces deux camarades aident les miroirs à réfléchir, ce qui n’est pas toujours inutile.
      Voir ici : http://tempscritiques.free.fr/spip....

    • vendredi 2 septembre 2011 à 17h18, par un-e anonyme

      extrait de l’article

      « La seule chose que quelques-uns avouent désirer encore, c’est un retour au bon vieux temps de l’État-providence, du keynesianisme glorieux, au cours duquel les aspirations du peuple profitèrent de leur brève coïncidence avec les intérêts de l’État. »

      non, moi je veux juste que DARTY me gonfle pas avec ses contrats EDF quand j’achète ou pas un appareil électrique.

      parce que clairement, je fais pas partie de l’honorable société.

      verstanden ?

      et puis autre chose, si vous pouviez grossir les caractères du site pour le rendre plus lisible, ça m’arrangerait.
      Merci.

      • vendredi 2 septembre 2011 à 23h46, par un-e anonyme

        ctrl+ et ctrl- pour le zoom, ou pomme+ pomme- chez mac.

        Pour le reste, pas compris...

        • samedi 3 septembre 2011 à 07h41, par un-e anonyme

           × question lecture :
          c’est bizarre, sur tous les autres sites, je n’ai pas besoin de grossir les caractères.

          — De L’honorable société
          livre de Manotti et DOA

          c’est l’histoire de jeunes intellectuels arrogants qui se font buter.

          • dimanche 4 septembre 2011 à 15h11, par un-e anonyme

            sclérose du cristalin

            • lundi 5 septembre 2011 à 11h58, par un-e anonyme

              Bien qu’écrite en termes de « reconnaissance », cette « Petite histoire des émeutes en France » pourra intéresser.

              À contrario (et sans recours à l’IS...) :
              "Dans Capitalisme énergumène, Lyotard décrivait la méthode de L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari disant que dans leur livre : « la négation de l’adversaire ne se fait pas par Aufhebung mais par oubli » [8] ce qui nous parait décrire assez fidèlement l’attitude qui a animé les faits de novembre 2005. Ces émeutes, ce qui est peut-être regrettable, sont restées au stade du soulèvement, elles ne sont pas devenues des « mouvements », elles ne se sont pas encastées en machine revendicative car elles n’avaient tout simplement aucune vocation à établir ce dialogue avec l’Etat dont rêvait la gauche réformiste, mais sans doute aussi quelque frange de la gauche extra-parlementaire. Cet oubli de l’adversaire dont parle Lyotard - et que nous attribuons aussi à cette insurrection -n’est aucunement à lire comme une faille, une erreur, un acte manqué, mais c’est bien au contraire le geste profondément politique de qui oppose, depuis une position d’infériorité frappante, un scepticisme brutal à ce que le pouvoir dit de lui. Un refus en somme de se laisser définir par le pouvoir et surtout de laisser définir la place qu’on doit occuper au sein d’une éventuelle dynamique de conflit ou d’émancipation.

              Le besoin ou le désir de « reconnaissance » sous lequel beaucoup semblent vouloir inscrire les soulèvements des mois passés, sont en ce sens des pures projections : ces violences ont prouvé qu’une partie de la population n’avait plus le désir d’être reconnue par l’Etat et ses agents, qu’elle voulait plutôt rester anonyme, vu que la seule reconnaissance qu’elle reçoit de leur part se produit habituellement pendant les contrôles d’identité."

              Extrait de Entre expérience et expérimentation, une politique qui ne porte toujours pas le nom de politique

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