ARTICLE11
 
 

lundi 7 mai 2012

Textes et traductions

posté à 15h28, par Article11
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Débat sur la campagne de réquisitions à Toulouse : « Un mouvement qui grandit »

Toulouse, ville occupée ? Pas encore, mais ça progresse. Depuis plus d’un an, les réquisitions de logements vides se multiplient dans la ville rose, comme autant de portes ouvertes pour les familles à la rue et de bras d’honneur à l’état. Début mars 2011, un débat sur la question, mêlant des intervenants divers, se tenait au CREA, l’un des bâtiments réquisitionnés. Retranscription.

C’est un grand bâtiment, installé en proche périphérie du centre-ville de Toulouse, au 70 Allée des Demoiselles. Un bâtiment occupé. Depuis avril 2011, le Collectif pour la réquisition, l’entraide et l’autogestion (CREA) occupe les lieux, mêlant hébergement d’urgence pour de nombreuses familles et activités militantes diverses. Les diverses problématiques et initiatives qui traversent le lieu ont été abordées dans l’article de trois occupants, mis en ligne jeudi dernier, « Enfoncer les portes ouvertes ». Nous continuons à creuser la question en publiant la retranscription d’un débat qui s’est tenu sur place début mars 2011, autour de la question des occupations à Toulouse et ailleurs.

Au menu, pas d’intervenants spécialisés ou d’auto-proclamés orateurs privilégiés. Les personnes qui dialoguent ci-dessous sont aussi bien des habitants des lieux présentant le fonctionnement du CREA que des travailleurs sociaux, des Parisiens en goguette, des barbus vénère ou des ingénus motivés. Bref, un débat ouvert et passionnant, que nous avons cherché à conserver dans sa quasi intégralité, tout en le « restructurant » un chouïa pour des questions de lisibilité. Les noms et qualités des intervenants ne sont pas mentionnés (certains parlent donc « de l’intérieur », d’autres pas). Chaque astérisque signale un changement de locuteur.

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Peinture murale photographiée dans l’enceinte du CREA, by Manu X

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« Nous ne faisons pas que de l’hébergement, ici, de loin. Il y a des activités d’art plastique avec les gamins, des ateliers musique, des concerts, les Jeudis de la solidarité (avec un bar ouvert pour l’occasion), des cours de français, d’alphabétisation. »

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« Il y a eu un procès peu de temps après l’ouverture. La préfecture a assigné tout le bâtiment, dans l’urgence, sous prétexte que l’État avait un autre projet pour les lieux. Mais on a gagné : le juge nous a donné raison en statuant qu’il n’y avait pas d’urgence pour l’expulsion. Pour nous virer, la préfecture devait refaire une assignation. On l’a reçu il y a trois semaines et ce nouveau procès aura lieu dans environ deux mois. »

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« Tout a commencé avec l’ouverture du CREA. Un bon début, mais qui ne suffisait pas. Tous les jours, on voyait arriver des familles ou des personnes seules qui n’avaient pas d’hébergement et demandaient à pouvoir dormir sur les lieux. Le lancement de la campagne de réquisition a suivi. On a également créé un autre collectif, qui s’appelle « Zéro enfant à la rue » et est ouvert à tout le monde. L’objectif était d’ouvrir d’autres lieux, sur le même mode que le CREA, mais sans les activités – parce que ce sont surtout des petites maisons. Les débuts ont été difficiles. Quand nous avons réquisitionné une première maison, elle a été rapidement expulsée. C’était un sale coup : ils nous ont expulsé de manière illégale. On avait prouvé qu’on était là depuis plus de 48 heures, ce qui impliquait qu’ils devaient produire un avis d’expulsion et nous faire passer devant un tribunal. Mais la Préfecture a passé outre. Ils nous ont expulsé sous le motif de « flagrant délit de dégradation en réunion », quelque chose comme ça.

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Une partie du bâtiment du CREA, photo Manu X

Mais on a continué. On a ouvert le 16 allée des Demoiselles, une maison qui accueille cinq familles, ainsi que deux militants qui avaient besoin d’être hébergés et vivent avec les familles. Tout ça sur le principe de l’autogestion : tout le monde participe à la vie du lieu. Eux-aussi sont expulsables suite à un procès récent.

Entre-temps, nous avons a encore ouvert deux autres bâtiments, qui tiennent toujours. Et nous allons en ouvrir d’autres. C’est un mouvement qui grandit. Et on va tout faire pour que ça continue. Même si on se prend assez régulièrement des baffes. »

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« Depuis le début, il y a huit mois, on travaille beaucoup avec les travailleurs sociaux - notamment les gens du 115, de la veille sociale, qui mènent leur propre lutte.

Eux ont ouvert la maison Goudouli. Et ils ont crée le Groupement pour la Défense du Travail Social (GPS), un collectif de lutte. Il y a deux semaines, ils ont décidé d’occuper une gymnase pour marquer la fin du Plan grand froid. Parce que dès que ce plan n’est plus en place et que les températures remontent un peu, les autorités ferment les lieux d’accueil, comme les gymnases, et les gens retournent à la rue. D’après les chiffres du 115, cela représente environ 150 personnes condamnées à la rue sur Toulouse. Nous avons occupé le gymnase pendant deux jours.

Depuis, il y a eu d’autres réquisitions. Dont une qui a fait pas mal parler d’elle au Parc des expositions, la semaine dernière : elle a été expulsée de manière assez violente par les forces de l’ordre. Et il y a une nouvelle réquisition, réalisée cette semaine. Les flics ont déjà tenté d’entrer hier, et il y a de fortes chances qu’ils expulsent demain pour cause d’insalubrité.

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La maison Goudouli

Dans chaque maison réquisitionnée, ce sont les gens y vivant qui décident de comment ça se passe. Il n’y a pas de collectif unique pour chapeauter le tout, même si le CREA est parfois cité dans les communiqués. Ce sont juste des individus qui se regroupent et qui décident, dès la première AG, comment ça va se passer. Par exemple, au 16 allée des Demoiselles, lieu expulsable, ce sont les habitants qui gèrent les actions juridiques et décident de ce qui se passera pendant et après l’expulsion. Nous nous contentons juste d’accompagner, parce que nous avons une petite expérience, surtout au niveau légal. Il y a des gens qui viennent d’un peu partout, pas vraiment de structures, tout le monde peut participer. Quelques réunions se déroulent ici, au CREA, mais simplement parce qu’il y a de la place. Et comme il y a de plus en plus de lieux qui ouvrent, on a besoin de plus en plus de monde. Ici, on fait une AG un vendredi sur deux, à 18 h. Et on fait des permanences tous les jeudis, de 16 à 19 h, pour discuter de manière informelle, autour d’un café, de tout ce qu’il y a à faire et à régler. »

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« De nombreuses villes sont intéressées par ce qui se passe à Toulouse. À Bordeaux, un bâtiment a été ouvert avec des familles. À Tours, ils en sont à leur troisième ou quatrième expulsion ; ils persistent mais les flics ne lâchent rien. À Grenoble, un collectif vient de reprendre un bâtiment, avec des Rroms je crois. À Saint Denis, des gens qui avaient été expulsés ont repris un bâtiment, mais ils viennent de se faire expulser de la même manière que nous : ce n’est pas juridiquement parlant une expulsion, parce que la raison donnée s’appuie sur de soi-disant dégradations.

À ce sujet, il y a un autre truc que les flics ont utilisé récemment contre nous : « Installation en réunion dans le domicile d’autrui dans le but de s’y établir  ». On n’avait jamais entendu parler de ce procédé. Ils l’utilisent comme une voie de fait : ils te sortent, t’emmènent en audition et ferment les lieux pendant ce temps. »

*

« C’est vraiment un enlèvement de la part des flics. Ils nous tiennent éloignés le temps de fermer la maison, changer les serrures, murer. C’est chez nous, on a les papiers pour le prouver, et pourtant on ne peut plus y accéder. C’est une pratique policière très récente.

On a porté plainte au commissariat pour violation de domicile. Ça n’a pas empêché que deux jours après ils fassent exactement la même chose sur un autre lieu, alors même que la plainte était en cours et l’enquête ouverte par le procureur. »

*

« Financièrement, les bâtiments sont autonomes. Au CREA, on a juste une caisse de solidarité, qui tourne pendant les jeudis de la solidarité et pendant les soirées de soutien. C’est tout. On refuse les subventions par principe. On est une trentaine à vivre ici depuis neuf mois et on dû dépenser 300 ou 400 euros, essentiellement dans des couches, des ampoules, des sacs plastiques. Toute la bouffe arrive gratuitement. Très souvent, ça passe par des petites résistances invisibles : des gens des Resto du cœur nous ramènent des restes, par exemple. Il y a aussi eu des pompiers qui détournaient les restes de leur cantine.

On fait beaucoup de récup, aussi. Ou alors on va travailler dans une ferme en échange de légumes. Bref, on fonctionne sans thunes. C’est pareil pour l’eau et l’électricité, on ne paye rien. Là aussi, ça repose sur des bases d’entraide : on est en connexion permanente avec des gaziers, des chauffagistes, des électriciens, qui nous soutiennent et résistent silencieusement. Soit qu’ils discutent entre eux pour faire en sorte qu’on ne soit pas coupé, soit qu’ils viennent remettre l’eau ou le gaz quand on nous coupe.

Tous les bâtiments réquisitionnés ici fonctionnent comme ça. Il y a une forme de coordination entre les quatre lieux. Avec notamment une sorte de plate-forme de redistribution pour la bouffe, pour qu’il y ait moins de pertes. Mais l’idée de base reste que ce soit les habitants qui les fassent tourner, à leur manière. Dans chaque bâtiment, il y a des réunions où sont décidées les règles de vie en commun et de gestion des lieux de vie collectifs.

On a conscience d’être logé dans un lieu toléré par le pouvoir. C’est un moyen, pas une fin en soi. Et c’est sûr qu’on est dépendants de Babylone, notamment niveau bouffe, étant donné qu’on fonctionne grâce à la sur-production. C’est pour ça qu’on aimerait bien se lier avec des lieux à la campagne. Pour l’autonomie alimentaire, mais aussi pour abolir la distinction ville-campagne. C’est en train de se tester. Nous avons aussi le projet de partir avec les gamins dans des fermes auto-gérées. »

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Comment se déroule cette cohabitation entre des lieux et gens qui acceptent l’institution et d’autres qui ne l’acceptent pas. Il y a des conflits ?

« C’était très clair dès le départ. D’un côté il y avait le GPS : eux sont vraiment des travailleurs sociaux ; ils attendent quelque chose de l’État, veulent l’interpeller, pour créer des foyers par exemple. Et de l’autre côté, il y avait nous, qui n’étions pas du tout dans cette démarche.
Mais ça ne signifie pas qu’il y a forcément conflit. Dans les premières AG, nous avons expliqué notre position, eux ont expliqué la leur, et ça a été une découverte mutuelle.
Le fait qu’ils aient un projet différent du nôtre n’empêche pas qu’il y ait un travail en commun sur certains points : on cohabite, sans se marcher sur les pieds, sans se mépriser. Mais eux sont institutionnalisé et n’ont donc pas les mêmes emmerdes : nous craignons une expulsion, pas eux. Mais c’était posé dès le départ. »

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Peinture murale photographiée dans l’enceinte du CREA, by Manu X

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« Le débat légaliste est intéressant. Schématiquement, certains pensent que l’état peut régler le problème, alors que nous nous pensons au contraire que c’est l’État le problème. C’est plus complexe que ça dans la réalité. Le débat est récurrent chez nous. Mais quand les copains du GPS ont occupé le gymnase, on y est allé en soutien. Et pourtant, ils demandaient juste que l’État remplisse ses responsabilités. Et les gens du GPS nous soutiennent de la même manière que nous les soutenons. Ils sont là dans les actions. »

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« Au début, notre collectif s’appuyait sur des bases communes un peu anar, libertaires. Et nous adoptions souvent des postures qui ne veulent rien dire dans la réalité. Par exemple : ne jamais parler aux médias bourgeois ! Ou bien : les travailleurs sociaux sont forcément des socio-flics ! Mais ça ne tient pas dans la réalité. Notamment parce que nous passons notre temps à être confrontés à des gens différents : des travailleurs sociaux, des militants de l’autogestion, etc.

Ici, au CREA, il y a une forme d’autogestion qui s’est mise en place avec les grands précaires. Ce n’est pas un modèle d’organisation libertaire, mais c’est un début... En gros ils se mandatent, se donnent des taches particulières. Par exemple, si Bernard est nommé chef de la cuisine, plus personne ne peut rentrer dans la cuisine... Mais tout le monde est d’accord parce que Bernard fait bien à bouffer. Ils le gèrent, ce bâtiment.

Il faut assumer des contradictions pour faire des trucs ensemble. Forcément, on sort un peu de nos préjugés quand on a le nez dans le concret. Par exemple, nous nous sommes rendus compte que la lutte des travailleurs sociaux ne demande pas plus d’État, mais cherche plutôt à braquer le pognon que l’État veut mettre ailleurs. Eux veulent récupérer ce pognon pour faire leur travail d’assistance sociale. Et en les soutenant, on soutient aussi ceux qui à l’intérieur du travail social résistent au fichage, à la délation, à la marchandisation de tout... »

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Vous avez déclaré que vous allez porter plainte. Mais quelle est la stratégie ? Et comment êtes-vous tombés d’accord là-dessus ?

« Il y simplement un mec qui était juriste et qui a proposé son aide, et ça ne nous a pas posé problème. L’idée c’est qu’il le tente, qu’on voit ce que ça donne.

On a en un peu parlé dans une AG il y a deux jours. Et l’idée c’est pas de dire « c’est illégal, c’est mal  », mais plutôt : « putain, si ça arrive à des copains bientôt, il faudrait connaître le meilleur moyen de résister ». Quand tu te fais virer d’un boulot, tu vas aux prud’hommes pour faire cracher ton employeur. Là c’est pareil. Ils n’avaient pas le droit de nous virer, on veut les faire cracher. C’est une arme pour garder nos bâtiments. On ne va pas accepter qu’ils nous expulsent après deux jours alors qu’on avait bien préparé la chose. Il ne faut simplement pas laisser passer ça. D’autant qu’ils sont de pire en pire, font tout pour casser la campagne de réquisition. C’est dans cet esprit qu’on porte plainte, pas pour dire : « Il faut respecter la loi  ». »

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Concrètement, les gens du GPS, c’est quel type de travailleurs sociaux ? Vous avez évoqué les gens du 115, mais pour moi ce sont des gens qui répondent au téléphone, pas qui suivent des familles ou des personnes sans abri au quotidien...

« Je fais partie du GPS. Et parmi nous, il y a des gens du 115 et de la veille sociale. Les gens qui travaillent au 115 ne font pas que répondre au téléphone, même si c’est une partie du boulot. Ils sont aussi éducateurs, conseillers en économie sociale, assistants sociaux. Ils suivent également les familles sur leur situation administrative et sociale à la rue. D’autres personnes travaillent avec l’EMS, l’Équipe mobile et sociale ; ils font des maraudes.
Les gens qui sont logés dans le bâtiment à côté ont été orientés par l’EMS : ce sont des gens qui sont connus depuis des années pour leur situation à la rue, des grands précaires, depuis parfois vingt ou trente ans. Mais ce bâtiment situé pas loin est désormais rempli. Et ça a l’air de fonctionner, ils y restent.

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Il y a aussi une commission famille qui a été créée. Elle réunit les militants de la campagne « Zéro enfant à la rue ». Et parmi eux, il peut aussi bien y avoir des gens du 115 ou de l’EMS - qui connaissent ces familles-là - que d’autres militants ou des familles qui se présentent.
Dans cette commission, on discute des cas les plus urgents,. C’est une liste infinie : il y a toujours des gens qui arrivent en plus. Dès qu’il y a une place dans un bâtiment, une autre famille s’installe. Il n’y a jamais de bâtiments vides. »

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« Bien sûr, le premier pas est de rencontrer les familles, de discuter. On leur explique ce qu’est un squat, que c’est illégal, qu’il peut y avoir les flics... Il faut déjà qu’elles soient d’accord avec la démarche. On explique aussi que nous ne sommes pas des travailleurs sociaux, que nous ne sommes pas payés, que c’est à elles de s’organiser à l’intérieur du lieu. À partir du moment où elles sont d’accord, elles s’installent.

Il y a aussi des interprètes qui viennent apporter leur aide : un certain nombre de familles ne parlent pas très bien le français. Et il faut faire en sorte que les conditions d’accueil soient bien comprises, que les personnes acceptent en toute connaissance de cause. »

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« Parmi les travailleurs sociaux impliqués, certains sont de toutes les actions et AG. Il y a environ cinq personnes qui sont très investies.
À la base, eux orientaient les familles de manière officieuse dans les lieux que l’on ouvrait. Désormais, ils assument devant les médias, le font de manière presque officielle. Comme ils n’ont pas de solutions et que 80 % des réponses sont négatives, ils en sont venus à le revendiquer tout en se radicalisant. Ils abattent un boulot formidable.

À mon avis, un des aspects positifs de cette campagne de réquisition a été la rencontre entre des squatteurs militants et les travailleurs sociaux. Ils faut regarder les choses en face : les travailleurs sociaux ne sont pas tous des socio-traîtres, de même que les squatteurs militants sont pas tous des terroristes... Ce travail en commun a permis de casser beaucoup de préjugés développés lorsqu’on est repliés sur l’entre-soi.
Ce mouvement se base sur une grande mixité. Dans la campagne « Zéro enfant à la rue », il y a des gens qui viennent d’horizons totalement différents, et qui apprennent à travailler ensemble et à lutter ensemble. »

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« Il ne faut pas non plus oublier que nous ne sommes pas tout à fait dans les mêmes logiques. De ce que j’ai constaté, il y a quand même des éléments qui divergent. Quand on a discuté avec les gens du GPS de l’éventuelle application de l’autogestion dans leur bâtiment, ils ont répondu qu’il n’en était pas question. C’est quelque chose qu’il faut rappeler. »

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« Il y a un collectif qui regroupe pas mal de gens à Toulouse et qui s’appelle « Urgence d’un toit » : s’y retrouvent des syndicats comme Sud, des gens du Front de gauche, de Droit au Logement, des Don Quichotte, du NPA... Ça a été lancé l’été dernier. Nous sommes allés aux premières réunions et c’est vrai que ce qui ressortissait du débat, au début, c’était l’attente de mesures politiques, notamment avec l’arrivée de la présidentielle. Nous n’étions évidemment pas d’accord.

Depuis, il y a eu des moments où nos luttes se sont rejointes, où nous les avons soutenus sur certaines action. L’idée, c’est de ne pas mettre à tout prix des labels aux actions ou aux initiatives... »

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« Quand les médias parlent des actions, ils cherchent à tout prix à mettre un label : quelle organisation fait quoi ? Qui vous chapeaute ? C’est leur obsession. »

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« Au début, on faisait attention avec les médias, on essayait de ne pas renvoyer une image de « terroristes ». On y allait mollo. Mais nous nous sommes rendus compte que le danger était plutôt dans l’autre sens : passer pour des gentils bénévoles au grand cœur. Maintenant, on a un discours plus offensif, on martèle qu’on se bat pour une transformation globale de la société.

Le label - qui fait quoi ? - on s’en fout un peu. D’ailleurs, les étiquettes des différents collectifs s’entremêlent, on a du mal à les définir. Ce sont juste des masques utilisés pour pouvoir intervenir avec un discours précis. Et ce discours, c’est : on réquisitionne, on s’organise par nous-mêmes, on ne demande rien à personne et surtout pas à l’État.

C’est un mouvement social sans étiquette ni structuration réelle, avec des outils qui s’échangent. Ceux du Ramier - un bâtiment qui loge des sans-papiers - sont par exemple venus nous demander des outils, des techniques. Mais sur le reste, ils se débrouillent seuls.
Nous avons aussi mis en place des formations collectives autour des techniques de squat, des techniques d’ouverture et des techniques juridiques. De nombreuses personnes sont venues, susceptibles de s’activer pour ouvrir d’autres lieux. Le CREA n’a plus grand chose à voir avec ça : c’est juste un bâtiment comme les autres. »

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« Dans ce débat, je remarque que les familles ne sont pas présentes. Et qu’il reste des barrières à briser pour donner la parole aux sans-voix. Comment faire entendre la parole de ceux qui n’ont jamais la parole ? C’est une démarche qui prend beaucoup de temps, qui est compliquée. Et ici on commence à le faire, mais nous n’en sommes qu’au début. »

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« 

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J’aimerais mentionner une enquête documentaire, au long cours, qui a été menée à Paris, dans trois lieux d’hébergement gérés par l’association Emmaüs : : Manuel pour les habitants des villes.

Le premier travail, plus ancien, a été réalisé dans un contexte où l’accueil des sans-papiers et des demandeurs d’asile était de plus en plus massif dans les lieux d’hébergement d’urgence.
Il y a eu ensuite une continuité de cette enquête autour des suites de l’occupation du Canal St-Martin de l’hiver 2007. En fait, ce qui a été dit tout à l’heure sur l’éventuelle opposition entre des lieux autogestionnaires comme le CREA et des lieux gérés par des travailleurs sociaux pose des questions qui se sont également posées après l’occupation du canal St-Martin à Paris. En gros, le DAL et les Enfants de Don Quichotte ont traduit les besoins qui s’exprimaient sur le Canal sous la forme d’une demande massive de logement et d’hébergement adressée à l’État, une demande purement quantitative. Mais dans le même temps, il y avait pas mal de gens à la rue qui tenaient un autre discours, du type « On ne retournera pas dans vos lieux de merde. Ce qu’on veut, c’est rester ensemble. Ça fait des mois qu’on est là, on sait s’organiser, on a appris à prendre la parole, on est les seuls capables de raconter notre réalité.  » Pour la première fois, les bases d’une remise en cause du secteur de l’urgence sociale dans son ensemble étaient directement posées par les personnes obligées de recourir à ces structures d’hébergement. Au final, ça n’a pas débouché sur grand chose, hormis des expériences un peu isolées comme celle des Enfants du canal, un lieu autogéré, où ils avaient en partie – en tout cas au départ – explosé les règles habituellement en vigueur dans les centres d’hébergement.

Il faut savoir qu’il y avait traditionnellement deux grandes règles dans les centres d’hébergement d’urgence parisiens. D’abord, la durée du séjour : 15 jours renouvelables une fois. Et puis les horaires : on sort à 8 h le matin, on peut y revenir à 18 h. Un système de torture légale qui faisait incessamment tourner les gens de centres en centres, avec des retours réguliers à la rue.

Or, dans l’expérience des Enfants du canal, ils ont d’emblée obtenu, grâce au rapport de force établi suite à l’occupation du canal, de dynamiter ces horaires. Comme c’était un collectif relativement constitué, ils avaient posé un droit de cooptation sur qui avait le droit de rentrer. Et même sur la question de l’usage de l’alcool, voire des drogues, ils n’avaient pas la démarche habituelle mais offraient plus de souplesse. Bref, le fonctionnement du lieu se re-définissait collectivement à partir des réalités et des besoins des personnes qui y vivaient.

Au sortir de l’occupation du Canal, c’était cette critique en acte des règles de fonctionnement des centres d’hébergement qui était intéressante. Ces points étaient discutés par certains travailleurs sociaux depuis longtemps, mais les choses se sont accélérées après l’occupation du canal. L’association Emmaüs a par exemple mis en œuvre ce qu’elle appelle un mouvement d’humanisation des centres d’hébergement, qui a débouché sur le phénomène dit de « stabilisation » : les horaires et la durée de présence légale sautaient, et plus personne ne pouvait plus être foutue dehors ou renvoyée dans un autre centre sans proposition de relogement. C’était déjà une avancée, même si ça n’a pas eu l’ampleur annoncée.

Car au final, qu’est-ce qu’on observe depuis l’occupation du canal dans les centres d’hébergement ? D’abord, que les les lieux les plus violents en termes d’habitat mais aussi de discipline (pas de draps, pas de serrures aux portes...) ont tendance à disparaître, même s’il reste des disparités. Par contre, parallèlement à cette amélioration des conditions d’accueil, se mettent déjà en place de nouvelles normes de fonctionnement qui ont pour conséquence principale un nouveau tri des gens qui arrivent. Grosso modo, ils sont en train d’épurer une partie de la population qui a accès à ces lieux dit stabilisés. On le voit notamment à travers la tentative de rationaliser le fonctionnement du 115, via un système d’informatisation. Les premières cibles de ce nouveau tri sont évidemment les sans-papiers, mais aussi, plus largement, toutes les populations qui ne vont pas rentrer dans les clous des nouveaux critères d’insertion, c’est-à-dire avant tout la possibilité ou non de trouver un emploi. La sortie relative du modèle disciplinaire qui restait très fort dans le domaine de l’urgence sociale, laisse place au management, à toute une idéologie de l’autonomie et du projet individuels, qui reste obsessionnellement centrée sur l’emploi, quand bien même c’est une pure fiction.

En tout cas, pour en revenir à ce qui était dit, cette question de la liaison politique entre travailleurs sociaux et « squatteurs militants » est très intéressante. Ce sont des choses qui ont souvent été discutés dans des collectifs de chômeurs et précaires sur Paris, mais sans jamais vraiment déboucher sur quoi que ce soit, sachant que la question des lieux sur Paris est vraiment compliquée. Mais du coup, je m’interroge : puisqu’il y a des travailleurs sociaux présents, est-ce qu’ils pourraient nous dire si il y a une forme de contamination des pratiques autogestionnaires qui se répercuterait sur leur travail institutionnel ? Est ce que les principes actifs ici grignotent un peu sur des espaces plus institutionnels ?

D’une certaine façon, des questions similaires se sont à nouveau posées récemment, notamment lors de la lutte des sans papiers tunisiens sur Paris. La première réaction des autorités a été d’envoyer des associations de type humanitaire. Il ne s’agissait pas d’Emmaüs, mais d’une horrible association qui s’appelle Aurore... En gros, ils proposaient des places d’hébergement, mais évidemment pas pour tout le monde et pour un temps très limité. La question s’est alors posée de savoir s’il fallait refuser tout net et en bloc pour éviter toute division et tout effacement du conflit dans la ville, ou bien s’il y avait moyen de propager également la lutte sur ce terrain. C’est la première alternative qui s’est imposée de fait. Au fil des semaines, le mouvement s’est épuisé, des gens qui s’étaient connus dans la lutte ont commencé à rejoindre des squats déjà existants, il y a eu quelques lieux ouverts, mais c’est assez vite retombé. Et notamment la revendication collective d’un lieu d’hébergement et d’organisation sur Paris. Est-ce qu’une lutte sur des lieux d’hébergement déjà existant aurait pu ouvrir quelque chose d’intéressant, notamment en termes d’autonomie collective des gens en lutte, en termes de capacité à maintenir une dimension publique forte à la lutte ? On en sait rien, mais dans la mesure où l’État brandit systématiquement l’outil humanitaire face aux luttes, cette question reviendra sans doute et devrait aussi interroger ceux qui bossent dans ce genre de structures. »

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« Pour la répondre à cette question de la « contamination », je peux te dire que sur ce qui se passe à la maison Goudouli. Oui, il y a des pratiques qui changent complétement des techniques traditionnelles d’hébergement. Mais pour l’instant, ça n’a pas d’impact sur les autres institutions.
Les directeurs d’associations ou les collectifs d’associations plutôt institutionnalisées nous soutiennent très peu, ou de manière légère, dans leur discours médiatique. Et ils ne sont pas présents sur les actions.

On verra plus tard si ça bouscule les habitudes. Mais c’est compliqué de bousculer ce qui existe depuis des années... Autant créer des choses nouvelles maintenant tant qu’on en a l’énergie, plutôt que de tenter de changer les structures existantes. C’est plutôt aux structures traditionnelles de s’inspirer de ce qui se fait... »

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« Soit il y a un mouvement d’autonomie réelle par rapport au pouvoir, soit il y a un essai de refaire ce qui existe déjà. C’est une question essentielle : renforcer l’État en l’aidant à pallier ses carences ou se placer dans une dynamique de remise en cause absolue ? Je constate en tout cas que dans pas mal de villes de l’hexagone, des expériences se nouent autour de la deuxième alternative, avec des mouvements vraiment radicaux.
Je trouve formidable ce qui se passe ici, au CREA. On oublie les étiquettes, on ne se cache pas derrière une orga ; on fait simplement les choses. »

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« Ce qui me semble aussi important, c’est ce qui passe dans l’autre sens, le dialogue entre les deux dimensions : ça bouscule les pratiques militantes dans le milieu squat ou le milieu libertaire. Il y avait des habitudes installées sur une forme de précarité politique ; avec l’impression d’un truc fragile à reconstruire, sur un héritage de déception. Et ce que je trouve chouette ici, c’est que ça peut non seulement bousculer les pratiques sur le travail social et l’hébergement, mais aussi dans des milieux plus radicaux.

Je ne suis pas d’accord quand certains disent que ça ne bouge pas à Paris à cause de la difficulté de prendre des lieux. Bien sûr, ça joue, mais il y a d’autres éléments : c’est très dur de partir dans cette énergie-là et d’être capable de faire ce pas de côté vers les institutionnels, de tenter de faire des trucs avec les travailleurs sociaux. »

*

« Il n’est pas seulement question de faire un pas de côté vis-à-vis des institutions. Il s’agit aussi de rencontre et de découverte pour les milieux militants, de prise en compte d’une réalité sociale massive où pleins de gens sont obligés de recourir aux structures dites d’assistance. Et puis il y a le fait, que quelque soit les structures et ce qui s’y passe – avec des gens qui parfois à l’intérieur se démènent aussi, répondent à des besoins, bricolent comme ils peuvent contre les principes gestionnaires et disciplinaires – des gens vivent là, s’y rassemblent. On peut imaginer tout ce qu’on veut sur les squats, ce n’est jamais une solution. Si on veut être offensifs sur les questions de réaménagement urbain ou de pauvreté, il y a toujours un moment où la question du rapport et de la confrontation avec les institutions qui gèrent la pauvreté se pose.

Quand, dans un centre, des personnes hébergées se révoltent contre des décisions arbitraires, remettent en cause les principes de gestion, cherchent à se réapproprier un tant soit peu le lieu où elles sont obligées de vivre, c’est un moment très politique. Ça arrive parfois. Et pour que ce genre de choses se multiplient, il faut des relais, des liens avec l’extérieur, avec des collectifs en lutte, des lieux tels qu’ici. Mais ce n’est pas une question de rapport aux institutions, c’est plutôt une question de rapport avec les gens qui vivent dans ces centres, et y compris parfois aussi, quand c’est possible, avec les salariés. »

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« Ici, on sort d’un entre-soi. Ce n’est pas que de l’hébergement, c’est aussi des pratiques de vie, de la construction collective, des manières de se réapproprier le monde différemment. C’est très riche. Ce n’est pas un pas vers les institutions, c’est un pas vers une réappropriation collective de moyens, avec des entrées très différentes. Chapeau pour ce que vous faites. »

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« Je voulais rajouter un mot sur les familles, notamment pour démythifier le truc. Elles ne sont pas là aujourd’hui, comme quelqu’un le signalait. Et si on met beaucoup d’énergie à mettre en place le système le plus égalitaire possible, ça reste des mots. On sait bien que nous ne sommes pas égaux au départ. Les familles qui arrivent ici ne viennent pas en tant qu’autogestionnaires ou militantes, mais parce qu’elles sont dans la rue, dans la merde. Au contraire de nous, qui avons des papiers, des réseaux, une maitrise du français, etc.

La premières fois qu’on les rencontre, quand on leur explique le côté collectif, et qu’on leur demande « est-ce que vous avez envie de vous engager là-dedans ? », ça leur apparaît souvent un peu absurde. Évidemment, quand tu es à la rue, tu ne comprends pas trop... Ces familles veulent un toit avant tout. Donc, bien sûr qu’elles veulent venir. Et ça a parfois donné lieu à des scènes un peu bizarres, où on avait l’impression d’imposer l’autogestion alors que les familles s’en foutaient.

Mais ça a pris petit à petit. Les gens se sont plus impliqués. Reste qu’il y aura toujours un truc où nous ne sommes pas à égalité. C’est une question de rencontre, aussi, qui se fait sur la longueur. Nous discutons avec elles, nous comprenons mieux leurs parcours, leurs désirs, leur plus ou moins grande implication dans la vie du collectif. »

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Dans l’enceinte du CREA, photographie de Manu X

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Est-ce que vous vous êtes posés la question de résister ou non à l’expulsion après le procès ?

« Oui, il y a eu une réunion avec les habitants. Et tous ont décidé de résister à l’évacuation. Les jeudi, il y a une permanence au sujet des expulsions, et nous discutons de tout ça, collectivement. Pour l’instant, nous ne connaissons pas la date du procès, donc nous essayons surtout de faire connaître notre action et notre message. Il y a très peu de chances que nous gagnions le procès. Et quand nous serons expulsables, nous aurons de toute manière un bâtiment de rechange, et nous ferons en sorte que les familles qui craignent l’intervention ne soient pas concernées. Mais nous lancerons aussi un appel plus large à venir défendre le lieu. »

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Est ce qu’il y a un projet de la ville sur ce lieu ?

« Ils disent maintenant qu’ils voulaient en faire un lieu d’accueil pour SDF. Mais, bizarrement, ils viennent seulement de s’en rappeler (rires). Lors du premier procès, ils nous avaient aussi affirmé que pour l’hygiène et la santé des familles, il valait mieux qu’elles retournent à la rue - il était question de canalisation dans lesquelles il y avait de l’amiante...
Désormais qu’ils ont refait le dossier à fond, ils ont sorti ce projet de centre social pour les sans logis. Ce qui est intéressant, c’est que pour présenter ce truc, la représentante de la Préfecture à dû préciser qu’ils voulaient un projet qui ne soit pas lié à l’autogestion. Ils ont dû le rappeler, dire que l’État gardait la main. C’est très parlant. »

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« Il faut aussi rappeler qu’à Toulouse il n’y a quasiment plus que deux lieux d’accueil en centre-ville. Les autres ont été déplacés en périphérie, ce qui est souvent rédhibitoire pour les personnes concernées. Pire : ils refusent énormément de gens. Il y a 86 % de refus au niveau du 115 - sachant en plus que tout le monde n’a pas le réflexe ou l’envie d’appeler le 115. Il doit y avoir en tout 150 personnes qui n’ont pas de solution, familles ou personnes isolées, malgré les centres d’accueil existants.
Le manque de places est criant. C’est pour ça que différents organismes institutionnels s’adressent à nous. Ils nous appellent même sur nos portables pour nous demander si nous avons des solutions – nous ne savons pas comment ils ont eu nos numéros... Ça arrive de plus en plus souvent, ça s’élargit. »

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« Il y a même des travailleurs sociaux de Auch qui ont appelé cette semaine. C’est paradoxal. On est obligés de leur demander : «  vous savez qu’on est un squat ? » »


COMMENTAIRES

 


  • je trouve formidable ce débat entre vous , qui soulève des questions essentielles pour tous ceux qui veulent envisager la politique autrement ;sans rien demander à l’état, en faisant progresser l’égalité entre les participants, en pratiquant des relations entre groupes différents, à objectifs différents, avec respect et sans
    s’inféoder ;on évoque les grands sujets, la campagne, la ville autrement ;je trouve que ce que vous nouez avec le
    GPS est très nouveau parce qu’il concentre dans la pratique le problème des relations ou non avec l’état
    ce texte devrait figurer dans le projet de journal que je vous proposais ;on voit bien comment vos actions et la pensée qui va avec, se combinent, avec des rythmes différents ;c’est à ce « service » que je comptais me mettre, même si ma vie n’est pas réellement engagée avec vous dans l’action ;réfléchir ensemble est,je trouve,une excellente proposition
    je vous l’ai déjà dit, on ne peut que dire merci à ce que vous faites
    je passe demain Jeudi.peut-être pourra-t-on en parler
    bises à tous
    Geneviève

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