ARTICLE11
 
 

mardi 3 mai 2011

Sur le terrain

posté à 21h44, par Julia Z.
4 commentaires

Gare du Nord : Police du recoin
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Gare du Nord, froid polaire. Le lieu vaut parfaite illustration d’une déshumanisation clinique, mêlant modernité urbaine, contrôle social et transit de masse. En ce qu’elle montre et exhibe, en ce qu’elle tait et induit aussi, la Gare du Nord dit beaucoup sur notre monde. Julia Z s’est penchée sur le sujet, sillonnant les lieux pour mieux les décrypter. Deuxième volet d’une chronique en 3 actes.

Cet article, le second d’une série de trois consacrée à la gare du nord (le premier, « Gare du Nord, la fabrique du non-lieu », est à lire ici) a été publié dans le deuxième numéro de la version papier d’Article11
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Il y a ceux qui fréquentent la gare du Nord sans vouloir voyager ; qui y amarrent un petit bout de leur vie. Ceux qui ne savent pas où aller dans la ville immense, ou ne peuvent venir qu’ici – pour trouver un dealer dans la cour des taxis et des seringues stériles auprès de Médecins du monde. D’autres qui sont en quête du non-lieu pour oublier, cherchent l’échappée dans la gare sans histoire pour fuir la leur. Comme cette petite femme recroquevillée, assise au milieu du reste ; elle qui ne dérange pas, se fait toujours plus petite, dit avoir oublié son nom. Comme ces jeunes filles cherchant un peu de compagnie dans la gare froide. Ou ces hommes qui pleurent dans les bulles-attentes.

Certains – encore – interagissent avec le lieu, en détournent la fonctionnalité et profitent du tourbillon pour braconner, opposant de petits mouvements de résistance en surfant sur la marge – tactiques de l’instant. Non pas une reconquête des non-usagers sur la gare – leur présence est trop fragile et menacée – mais une pratique du lieu par contournement, nécessité ou insoumission. Trouver une cachette dans le lacis souterrain de la gare, s’y fabriquer un lit. Tapiner pour survivre, en mode mineur – les garçons du parvis ayant rarement plus de 18 ans. Draguer en face du Foot Locker quand on ne peut plus rester en bas de son immeuble.

En ce lieu de transit, la débrouille, le statisme ou l’indolence sont vite qualifiés de transgressions par les employés de la SNCF. L’endroit doit être uniforme et géométrique, fluide. Pour garantir la sécurité et le bien-être des utilisateurs légitimes, disent-ils. Mais aussi parce que la gare est une administration fonctionnaliste qui, par essence, rejette ce qui n’est pas traitable2. C’est pourquoi les gestionnaires grimacent quand la gare, dans ses plis, s’imprègne des identités et pratiques de ceux qui transgressent les lois du non-lieu : ils tiquent quand les toxicomanes racolent pour le compte des taxis sous les fenêtres du salon d’embarquement Eurostar et évoquent avec fièvre l’invasion des « caddie boys  », de vieux chibanis portant les valises des voyageurs contre quelques pièces.

Pour éviter que le lieu ne se transforme en milieu, une recette simple : observer, verbaliser, harceler. En d’autres termes, policer le détail, déployer une membrane normative préalable à l’action sécuritaire. Cinq cent caméras balayent la gare jusqu’à la porte des toilettes du bout du quai du RER E où se rencontrent les amoureux – les Sécuritas n’en ratent pas une miette. Les fenêtres de la Suge3 donnent à dessein sur l’abri-vélo, autre haut-lieu de rencard. « Les jeunes qui squattent, je les tiens à l’œil, il faut leur montrer à qui appartient la gare du Nord  », explique un agent. « On les aura à l’usure », ajoute un autre.

Autre méthode d’endiguement : encadrer ce qui est jugé acceptable. Pour faire pousser son lierre contre la paroi, le fleuriste de la gare a dû obtenir « une autorisation écrite » de la SNCF. Ses bacs à fleurs n’ont pas eu cette chance : ils ont été décrochés, possibles projectiles en cas d’émeute. Le commerçant a beau se lamenter que « le béton est à la mode  », un ensemble de lois (appelé Police des chemins de fer) donne le ton en gare du Nord. La mémoire du lieu vaut jurisprudence : l’émotion est encore palpable quand on évoque les événements de 20074.

Mais il est des contournements qui donnent plus de fil à retordre à la SNCF. Parce qu’ils se situent dans les brèches d’un savoir sur la gare, et qu’une simple sanction ne les annihilerait pas : certaines personnes, indésirables, « ont la gare du Nord dans la peau  », résume un travailleur social. Il s’agit alors d’inventer une réponse disciplinaire permettant de les « éjecter  », selon les mots du personnel de la gare, mais surtout de bien les éjecter. Sur la longueur. Pour cela la SNCF recoure à une méthode compréhensive, indirectement coercitive. Elle s’improvise bureau de charité et se dote de relais effectuant un travail de repérage. La consigne : empathie, fermeté, efficacité avec les plus démunis5.

Le travail « social » de l’entreprise a débuté en 2006, avec la mise en place d’un dispositif dissuasif d’occupation du lieu par les sans-abris : « Portiques anti-intrusion, bacs à fleur, embellissement des lieux », énumère le responsable du Pôle sociétal de la SNCF. Des conventions ont ensuite été signées avec des associations travaillant auprès des publics concernés – en toile de fond, l’idée que le travail du champ associatif peut servir les intérêts de l’entreprise. Il faut « apporter une réponse sociale en accord avec le positionnement solidaire de l’entreprise avant une réponse sûreté, poursuit le même. Non pas les éjecter sans suivi, mais laisser au moins six mois pour orienter les publics. »

« Ce n’est pas toujours évident, il est difficile de satisfaire tout le monde, il y a ceux qui ne pensent qu’à court terme », admet le responsable solidarité de la SNCF. Suite aux plaintes des riverains et encouragée par la mairie, l’entreprise déclenche parfois des « opérations gare propre » afin de « nettoyer  » la gare, manu militari et à l’aube, des indésirables. Et pour gagner en efficacité, les grandes gares européennes s’échangent quelques bons tuyaux6. L’Italie expérimente ainsi un suivi des déplacements des « marginaux  » d’une gare à l’autre. Au Pôle sociétal de la SNCF, on appelle ça : « Avoir une longueur d’avance. »



1 Cette illustration ainsi que celle utilisée en vignette sont des collages de Julie Jacob et Fred Chance, réalisés pour un ouvrage de Jacques Fabien intitulé Paris en songe, éditions Burozoique. D’autres à contempler ici.

2 De Certeau Michel, L’invention du quotidien, 1. Art de faire, Gallimard, Paris, 1990.

3 La Surveillance Générale (Suge) est le service de sécurité de la SNCF. Ses agents sont habilités à verbaliser (et non à interpeller).

4 Des affrontements entre jeunes et policiers ont eu lieu en gare du Nord le 27 mars 2007, après qu’un contrôle de titre de transport ait mal tourné. Le mythe de l’émeute continue à fasciner policiers et commerçants de la gare.

5 In brochure de l’université de service SNCF.

6 Hope in Station concerne cinq gares européennes. Financé par la Commission européenne, c’est un projet de coopération entre entreprises ferroviaires, pouvoirs publics et associations de prise en charge des sans-abris.


COMMENTAIRES

 


  • mercredi 4 mai 2011 à 10h40, par tOrdReLoRdrE

    Quand j’étais encore jeune con, les gares parisiennes étaient nos mamans symboliques pour nous les grands banlieusards, elles nous protégeaient sévères et bienveillantes, elles nous ramenaient à coup sûr dans leurs girons périphériques (à conditions de ne pas oublier qu’elle fermait les yeux à 1h05 pour SaintLaz en tous cas) maintenant que je suis devenu un nouveau vieux con force est de constater qu’elles sont devenues de vieilles salopes bourgeoises en quête de respectabilité, parées de carrés hermes, maquillées pour que l’on ne voit plus leurs origines 1900 (ou alors que comme des clichés de pubards améliepoulinesques) elles ne reconnaissent plus que leurs enfants gâtés, les autres elles les mettraient bien en pension chez les Thénardier de Fresnes ou de Fleury. Elles ont investi la tune du populo dans du portique, de la caméra à profusion (mais de moins en moins de chiottes [et dans quel état...]dans les trains, c’est sûr le bourge prend ses précautions, lui, il ne fait pas dans le publique peuh) et dans la racaille sécuritaire des socio-traîtres en bleu. Suivant le courant insidieux mais résolu qui veut que le sociale mute en répression, services/sévices la béquille devient matraque.
    Pépy si ça éclate, on plantera ta tête sur la grande aiguille de l’horloge de SaintLaz pour que tu fasses honnêtement ton temps à la sneuf.

    • mercredi 4 mai 2011 à 16h31, par un-e anonyme

      Très bien vu ce commentaire. L’article lui, promet une vraie analyse et laisse sur sa faim.
      De vieilles bourgeoises emperlousées, de la racaille nouveau-riche près de ses sous, la gare parisiennes et ses jeunes CRS blondinets n’a plus rien de la gloire de la SNCF.

      • mercredi 4 mai 2011 à 18h14, par tOrdReLoRdrE

        elle sillonne (tel le serpent, normal c’est une fille ;D), je survole tel un nèg loyal c’est pas incompatible.



  • mercredi 4 mai 2011 à 11h17, par N°D-503

    Horreur !!J’ai mutilé Article 11,j’ai découpé les 3 articles sur la gare du Nord pour les conserver précieusement.(Je viens de m’apercevoir qu’ils sont en ligne)

    Vivement des articles sur les ports,stades,aeroports(gares la nuit c’est une autre ambiance.)

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