vendredi 28 mai 2010
La France-des-Cavernes
posté à 12h28, par
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Godard ? Oui, Godard ! Pas trop l’habitude de chroniques ciné sur Article XI, mais là, il faut bien avouer que le dernier opus de JLG claque comme un drapeau rouge et noir au vent mauvais. On ne saurait écrire de critique sur le camarade Jean-Luc, alors on va en rester au tableau brossé, à l’esquisse sensible, yeux brillants. Parce qu’à 80 ans, le jeune homme sait encore nous éblouir.
Sortie du ciné, vers 23 heures. La pluie mouille le trottoir de la banlieue parisienne et on regarde ce coin familier avec un œil tout neuf. La Mitteleuropa n’est plus qu’un souvenir et on se demande si la vieille Europe ne va pas non plus y passer… Le dernier Godard, donc. Un paquebot, un garage, la Méditerranée, Eisenstein et Godard. Un chef d’œuvre.
Ça parle bien peu de socialisme, en fait, et c’est bien plus qu’un film. Quoi que. Godard montre plus qu’il ne filme. La destruction de la vieille Europe. Images saturées sur un paquebot effectuant une croisière en Méditerranée, des Allemands à bord, des téléphones portables, l’Egypte, une piste de danse, des juifs qui dissertent, Naples, Barcelone, Odessa, un rêve de Palestine, l’écume de la mer et le fantôme de Braudel.
Comme d’hab, avec le plus con des Suisses pro-chinois, on ne comprend pas tout et on rit beaucoup. Et certaines scènes touchent au sublime. La beauté du cadrage du pont supérieur du bateau, une discussion reflétée par le miroir d’une cabine ; et l’intelligence surtout, écrasante et modeste. JLG ne sait que trop bien que lorsqu’on va voir un de ses films, on va voir du Godard. Et le dernier, voilà six ans.
Le destin de la vieille Europe est joué, dirait-on. L’avoir a remplacé l’être. Nous sommes dans un quelconque garage station-service et la famille se fait filmer par France 3. Le numérique a remplacé les bandes, le verbiage la parole, le tout s’accapare le vide. Un enfant joue en silence à être chef d’orchestre, il monte à l’échelle de bois ; du sable et de la poussière tombent dans le contre-jour. La journaliste de France 3 parle devant l’ombre d’un moulin à vent. On ne devrait jamais répondre aux questions qui comprennent le verbe « être ».
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » disait René Char. Ici, chaque plan se brûle et se consume. Les images d’archives deviennent plus fréquentes, on ne sait plus quand Godard tourne, quelle voix parle sinon la nôtre. Retour à Odessa et aux escaliers de Potemkine. A leur tour, les gens descendent du paquebot sur un drôle d’escalier. Plan suivant, des gens, une route. Une ligne de fuite.
Ça finit on ne sait trop comment. Des bouts de Naples, Barcelone encore, et la Grèce. Une chouette surplombe un théâtre antique. Des bombes pleuvent sur ce qui pourrait être Dresde. Sarkozy et ses sbires en sourdine.
Les lumières du cinéma se rallument. Les quelques vingt personnes ne bougent pas, continuent à se taire. Dehors, la nuit est tombée ; il pleut. Il est presque 23 heures. Ne pas savoir si l’on rentre dans le réel ou si l’on vient de le quitter. Attendre un peu avant d’allumer la clope.
On se souvient sous la pluie que Barbara fredonne Göttingen à un moment du film.
Cette Europe qui n’est plus.