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jeudi 28 février 2013

Entretiens

posté à 23h18, par Serge Quadruppani
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Patricia Dao : « Nous avons lutté contre des mensonges »

C’est une lutte peu connue, en France en tout cas. Elle s’est déroulée pendant plus d’un siècle dans une petite vallée italienne, Bormida. L’ennemi ? Une usine de dynamite, qui vira plus tard au chimique, et a longtemps empoisonné la vie des habitants du coin. Entretien avec Patricia Dao, qui a publié un livre sur cette belle lutte.

Entre narration collective d’un combat décennal, poésie intimiste, tract appelant à l’insurrection du vivant, et récit autobiographique,le livre de Patricia Dao, Bormida (Oxybia éditions), attire l’attention sur une lutte qui a précédé toutes celles qui, du Larzac au Val de Suze et maintenant à Notre-Dame-des-Landes, s’opposent à la destruction de territoires, décidée en haut lieu au nom du progrès, du développement et de l’emploi. Ce combat de 117 années d’une vallée entre Piémont et Ligurie contre une usine de dynamite d’abord, puis de produits chimiques hautement polluants ensuite (l’Acna), mérite d’être connu. Interview de Patricia l’une de ses principales animatrices, rencontrée il y a un an, quel hasard, dans le Val de Suse.

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Peux-tu nous présenter la vallée de la Bormida ?

Le fleuve Bormida naît en Ligurie, sur les Apennins savonais. Il traverse les provinces de Savona, Cuneo, Asti et Alessandria. C’est un sous-affluent du Pô qui finit sa route dans l’Adriatique. La Vallée Bormida de la province de Cueno, l’Alta Langa, est une terre sauvage et belle, riche de collines uniques au monde dont Cesare Pavese et Beppe Fenoglio ont merveilleusement parlé.
L’Alta Langa laisse place ensuite à des collines plus douces jusqu’à la grande plaine du Pô. La Vallée est parsemée de villages et de hameaux. C’est une terre de vins, de truffes blanches, de noisettes, de fromages, où la culture et la gastronomie tiennent une place importante ; une terre de paysans où le travail de la terre avait une place centrale. Les paysans étaient aussi très souvent maçons, ébénistes, mécaniciens. Jusqu’à l’arrivée de l’usine à Cengio en 1882.

Dans ton livre, il est dit que la vallée s’est battue pendant 117 ans contre ce qui a été d’abord une fabrique de dynamite puis une usine de produits chimiques.

L’usine de dynamite a tout dynamité. Elle a non seulement occupé le terrain où elle a été construite à Cengio, mais aussi toute la vallée sur cent kilomètres. Dès le départ, rien n’a été laissé au hasard : la position de l’usine, sur la frontière entre deux régions, Ligurie et Piémont, assurait un bel imbroglio administratif et politique. Cela promettait une impunité qui allait s’avérer extraordinairement profitable aux différents propriétaires de l’établissement, quel que soit le régime en place. Royauté, fascisme, démocratie, Vatican, l’usine a ainsi reçu les faveurs de tous. Elle n’avait rien à craindre. Elle était là à Cengio, mais c’est comme si elle était nulle part et partout en même temps. Ils l’invoquaient en temps de guerre comme en temps de paix. En temps de guerre, le pays avait besoin de ses armes. En temps de paix, on évoquait le sacro-saint droit au travail qui excuse tout...
Si on devait un jour faire le compte des emplois perdus sur cent kilomètres de vallée à cause de la pollution du fleuve provoqué par une usine, une seule usine, on serait sans doute étonnés par l’ampleur des dégâts.

En luttant pendant 117 ans et sur quatre générations, la vallée Bormida n’a cessé de pointer la monstruosité de la révolution industrielle, qui a imposé son diktat en toute impunité. Cette impunité se traduisait de diverses manières : c’est s’entendre dire que tout va bien quand tout va mal ; c’est être débouté par les tribunaux parce que l’eau est soi disant propre, alors qu’elle est noire et que les relents pestilentiels de chimie sont partout, grimpent avec les brumes sur la Langa, sur les collines d’Asti, s’insinuent dans les thermes romaines d’Acqui Terme et rongent la plaine d’Alessandria.

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Le fleuve Bormida en 1989 à Acqui Terme, c’est-à-dire à 60 km de l’usine de Cengio (Archives Pietro Foglino).

Quels ont été les épisodes les plus marquants de la bataille ?

J’ai lutté aux côtés de la Vallée Bormida pendant dix ans. Dans Bormida, je dis que ces dix ans m’ont semblé trente ans. Les jours s’étiraient. Ce fut si long, et si juste. J’en garde une profonde nostalgie. Et j’en suis encore émerveillée : comment tout cela a-t-il été possible ? Durer toutes ces années sans rien lâcher, en travaillant, en parcourant le monde avec le journal Valle Bormida Pulita, en étant journaliste, en étant amoureuse, en élevant mes enfants, en poussant presque tous les matins la voiture qui ne démarrait plus ? C’est merveilleux. Notre amour pour la vie a permis de donner du sens à tout cela. J’ai vécu une histoire extraordinaire et j’ai rencontré des gens fabuleux. Tout fut marquant, les grandes et les petites choses.
C’est dans la somme de tous les détails, même les plus insignifiants, qu’une lutte se construit. Et c’est dans son humanité, quand elle arrive à la préserver, qu’elle puise la force et la patience nécessaires pour ne jamais s’avouer vaincue.

Quelle proportion des habitants partageait ce combat ?

Difficile de dire combien étaient avec nous. Dans la Vallée, beaucoup. Puis quand le gouvernement a décidé de « régler » le problème de la pollution du fleuve en installant un bel incinérateur soutenu par le ministre socialiste Ruffolo, un groupe d’Alba (la patrie du Nutella et des grands vins Barolo et Barbaresco) nous a rejoint.
Il était très difficile de lutter contre l’Acna lorsqu’on vivait dans les villages piémontais près de Cengio : certaines familles ont été menacées, intimidées et boycottées. Quelques personnes de Cengio nous ont quand même soutenus, mais le risque de rétorsions était tellement élevé que nous ne les évoquions jamais. Eux nous signalaient quand l’usine déchargeait impunément des tonnes de produits toxiques dans le fleuve, quand le rythme de chargement des trains entrant directement dans l’usine se faisait frénétique. Nous avions besoin d’infos pour enquêter. Il y avait la lutte et il y avait le Valle Bormida Pulita. Ce journal a été très important, plus encore qu’on ne le croyait à l’époque. Il était primordial au niveau local, bien sûr, mais aussi au niveau national. Internet n’existait pas et il est devenu le journal des luttes de plusieurs mouvements ouvriers et populaires en Italie.

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Comment expliques-tu l’acharnement des juges à défendre l’entreprise (je parle, entre autre, des paysans déboutés de leur plainte remontant à 1938) ?

Je ne sais pas si on peut parler d’acharnements de la part des juges même si c’est l’impression qu’on en garde. Je parlerais plutôt d’ignorance, de je m’en-foutisme, voire de lâcheté dans les cas où les gens étaient « honnêtes ». Sinon, c’était du copinage tissé dans les hautes sphères politico-sectaires. Tout n’a pas été dit sur ce que fut réellement l’Acna de Cengio : le vide législatif, la position géographique de l’usine, les intérêts occultes, la production d’abord de dynamite puis de substances chimiques aux utilisations aussi larges qu’imprévisibles (de l’agriculture, aux colorants, jusqu’aux armes chimiques), son statut d’usine appartenant à l’État, la mort étrange de Raoul Gardini, le dernier patron privé qui voulait fermer l’usine, etc. Il y a beaucoup de pans obscurs dans cette histoire et c’est probablement le cas d’autres usines de ce genre. Pas seulement en Italie mais en Europe et dans le monde.

Tout ça, et tout ce que encore nous ne savons pas mais devinons seulement, transforme les juges en hommes « fragiles ». Certains ont eu du courage, comme ce jeune juge qui au début des années 1990 a condamné l’Acna, au grand étonnement des dirigeants de l’usine.
Il y a aussi eu l’opération « Mani Pulite » (Mains propres) au début des années 1990, qui a été une chance extraordinaire pour nous. On a amené aux juges milanais, en délégation élargie (comme on disait), tous les dossiers, toutes les plaintes, toutes les analyses, etc, que nous avions patiemment préparés pendant toutes ces années. Quelques dirigeants ont fini en prison ; c’était bien.
La Vallée, malgré les coups infligés par la magistrature, a toujours fait appel à elle. La bataille devait être gagnée sur les plans législatif et politique. Toutes les manifestations avaient ce but : que l’État de droit reprenne la main.

Peux-tu m’en dire plus au sujet des décharges d’Afrique sur lesquelles vous vous êtes rendus avec Channel Four ?

Le documentaire qu’a produit Channel Four en 1989 sur le trafic des déchets toxiques part de Cengio. Des bidons estampillés Acna ont été trouvés un peu partout. En Afrique et ailleurs. Ce genre de trafic implique des connections nationales et internationales. Cela implique aussi la participation de différentes mafias qui gagnent beaucoup d’argent dans un trafic qui revendique - si on peut le dire de cette façon - une certaine légitimité.
Quels intérêts ont les mafias de baigner dans le casse-tête des déchets toxiques, sinon celui du un service rendu en échange de beaucoup d’autres ? Le documentaire approche toutes ces zones d’ombres et pose de nombreuses questions. Il a été très important pour la lutte de la Vallée Bormida parce qu’il était évident que l’Acna n’était pas seulement un problème local, mais un problème international. _ Une autre vérité émergeait grâce au documentaire : l’Acna n’agissait pas seule, faisait partie d’un panel d’industries qui avaient les mêmes fonctionnements, les mêmes vides juridiques ; qui bénéficiaient des mêmes soutiens, de la même impunité ; qui exerçaient la même violence, silencieuse, organisée, arrogante. Nous avons développé durant toutes ces années un échange avec plusieurs mouvements en lutte en Italie et dans le monde. Au début, c’était surtout pour nous sentir moins seuls. Mais nous avons rapidement compris que nous menions exactement la même lutte. Nous avons reçu beaucoup de monde dans la Vallée : un Brésilien venu nous parler de la Théologie de la Libération, de nombreux journalistes, des associations qui soutenaient les mouvements contre la déforestation en Amazonie, d’autres qui se battaient pour la sauvegarde des territoires des populations autochtones...

Il y a eu un impressionnant mouvement de solidarité dans toute l’Italie après l’électrocution de Luca, dans le Val de Suse2. Votre lutte n’a jamais connu ça, non ?

La lutte de la Vallée Bormida n’était pas prise au sérieux au début. Notamment parce que le territoire concerné s’étalait sur cent kilomètres. Tout le monde pensait que la population allait vite se fatiguer. Et tout le monde s’en moquait. Les ouvriers étaient soutenus par les puissants syndicats CGIL-CISL-UIL (d’abord on sauve l’emploi et ensuite on discute des conditions de travail moyenâgeuses des ouvriers de l’Acna) tandis que le reste de la vallée n’existait pas. La pollution n’est pas un problème si elle légitime des salaires.
D’autant que la lutte durait depuis très longtemps, s’était développée à une époque où le mot « environnement » ne voulait rien dire. Dans les années 1980, ce terme était plutôt vague, et l’utiliser revenait à se faire taxer d’hommes des cavernes par ceux qui nous dénigraient.

Nous n’avons pas toujours été alliés avec Legambiente. À un certain moment, cette association avait tenté de nous convaincre que la construction de l’incinérateur était la solution rêvée à tous nos problèmes.
Le slogan de la Vallée était simple : « Siamo la gente della Valle Bormida » et le mouvement s’appelait « Associazione per la Rinascita della Valle Bormida ». Bref, notre but était la renaissance de la Vallée, et cette renaissance passait forcément par la fermeture de l’Acna et le retour scrupuleux au respect de l’environnement. Nous n’étions ni vert, ni rouge, ni rien du tout ; nous étions seulement « La Gente della Valle Bormida ».
Finalement, la lutte de la Valle Bormida a grandi, et cela a surpris beaucoup de monde. Nous étions vus comme une curiosité. Certains nous respectaient, d’autres nous haïssaient. Nous avons reçu des coups, des menaces. Ce fut très dur. Par moments, il a vraiment fallu aller chercher l’espoir au plus profond de nous-mêmes. La presse nous a souvent traités comme des moins que rien, nous qualifiant de terroristes verts alors que nous manifestions pacifiquement et affirmions fermement ce que nous attendions de nos représentants.
La répression en Val de Suse est encore plus violente que celle que nous avons vécu. Probablement parce qu’ils nous ont longtemps sous-estimés.

Pour tenir, le journal a été très important. Internet est un moyen extraordinaire, mais je pense, peut-être par déformation professionnelle, qu’un journal papier va là où Internet ne va pas. Il devient aussi témoin d’une lutte, constitue des archives là où Internet vire parfois au fouillis. Le travail que Valle Bormida Pulita a réalisé est un exemple à suivre. Je pense que toute lutte devrait avoir son journal.

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L’association Legambiente a mené diverses actions pour faire pression dans les assemblées d’actionnaire. Tu crois que ça a pesé ?

L’initiative de Legambiente a été un succès, bien au-delà sans doute de ce qu’ils espéraient, notamment dans le cas de l’assemblée des actionnaires de Enimont, un moment formidable. La Vallée s’est invitée et a argumenté pendant des heures, expliquant pourquoi il fallait fermer l’Acna, chiffres à l’appui, soulignant tout ce qui pouvait être réalisé pour la dépollution du site et pour créer de nouveaux emplois.

Les journalistes présents, et ils étaient nombreux, ont découverts que cette lutte n’était pas un phénomène de folklore local. C’était essentiel. Nous avons toujours cherché à faire parler de nous. À nos yeux, il était important que les journaux, les télévisions, les radios, les régions, les provinces, les mairies, les communautés d’agglomérations, les policiers, les carabinieri, le parlement, les ministres... bref, que l’Italie entière parle de nous. Tous les jours de préférence. Nous avons maintenu une pression incroyable, avec nos manifestations, avec nos enquêtes, avec nos pétitions, avec nos plaintes auprès des tribunaux, avec les dessins des enfants, avec des écrivains, avec nos lotos pour financer les bus, avec nos fêtes. Même les messes étaient devenues importantes. Certains curés ont été durement réprimandés par leurs supérieurs pour le soutien qu’ils nous apportaient, mais la pression des fidèles était telle qu’ils ne pouvaient pas faire semblant de rien. Même le Pape Jean-Paul II avait fini par accepter de recevoir une délégation de la Vallée Bormida.

Avez-vous obtenu des informations sur la participation de l’usine de Cengio à la fabrication d’armes chimiques utilisées dans des guerres comme celles du Golfe ?

Après le gazage des populations Kurdes par Sadam Hussein, le centre Wiesenthal de Genève, inquiet pour les autres populations de la région (et en particulier pour Israël), a établi une liste de substances dont sont composées les armes chimiques. L’Acna en produisait une bonne partie.
Ce n’était pas la première fois qu’on avait l’impression que l’Acna n’était pas tout à fait ce qu’elle disait être. À l’époque, l’idée d’un cartel européen d’usines chimiques peu regardantes sur la destination de leurs produits avait déjà fait son chemin dans différents articles et enquêtes. L’Acna avait la possibilité de mener ce genre d’opérations discrètement, notamment via un train qui entrait et ressortait incognito, destination inconnue. Nous avons mis la main sur des bons de livraison qui montraient clairement que certaines cargaisons partaient en direction de la Roumanie de Ceausescu ; là, ils attendaient sur les quais d’un port, avant d’être embarqués pour le Moyen Orient.
Nous avons transmis ces informations à différents parlementaires, mais seuls les députés de Démocratie Prolétaire ont pris la chose au sérieux et mené leur enquête. Ils ont présenté plusieurs motions mais n’ont jamais obtenu de réponse. Parce que l’essentiel était que les Américains disposent de l’armement voulu. L’Acna a été déclarée « Objectif militaire d’importance stratégique » !
Notre journal risquait à tout moment de finir devant les tribunaux pour diffamation. Si bien que ce qui était publié était vérifié et re-vérifié. Les informations sur lesquelles il y avait un doute sont restés dans les tiroirs.

S’est-il formé, dans la vallée un esprit du commun, une communauté de luttes rassemblant diverses catégories de population ?

Jusqu’aux années 1950 et 1960 ce sont surtout les paysans qui tentaient de se faire entendre, par tous les moyens. A cause de la pollution, leur production était invendable. Beaucoup ont abandonné la vallée. Certains hommes politiques ont utilisé ces mouvements pour se faire élire en promettant ne ne jamais les oublier ; une promesse jamais tenue.

Dans les années 1980, la lutte est entrée dans une nouvelle phase. La Vallée n’attendait plus un ou des sauveurs, elle a décidé de s’occuper du problème elle-même et de mettre la pression sur tous les élus, de droite comme de gauche, sur toutes les associations, et même sur toute la famille catholique, du pape à l’évêque en passant par tous les curés.

Après la fermeture de l’usine en 1999, une autre grande bataille se préparait : celle de la Rinascita, la Renaissance de la Vallée. Le plus dur était devant nous : il fallait faire tabula rasa du passé et inventer une nouvelle donne qui respecte le territoire, la terre, les autres et le droit à un travail pour tous. C’est l’enjeu d’aujourd’hui.

Sur la longueur, il n’y a pas eu d’épuisement chez ceux qui luttaient ?

Une lutte est un grand moment de solidarité mais c’est aussi quelque chose d’épuisant. Ne penser qu’à ça pendant des années, subir humiliations, vexations, mensonges, arrogances et coups, c’est dur, très dur. Bien sûr, il y a quelque chose d’euphorisant, une beauté presque tragique de la solidarité, mais personne ne sort indemne de ce qui finalement est terriblement frustrant. Nous avons lutté CONTRE des mensonges, des mensonges et encore des mensonges. Et pendant que nous luttions, sans nous en rendre compte, quelque chose se brisait. La victoire est belle, certes, mais triste aussi

Le monde ne nous apparaît pas soudain juste mais peut-être encore plus injuste qu’avant. Dur, oui c’est peut-être le mot, incroyablement dur. Et le mot démocratie se teinte de souffrances et d’injustices qui sont d’autant plus terribles qu’elles se vantent d’être démocratiques. La lutte nous oblige à regarder toute la corruption qui obscurcit même le ciel des enfants. Peut-être que la fin d’une lutte c’est aussi ça : regarder enfin CONTRE quoi nous avons été obligés de lutter et pas POUR QUOI nous avons lutté.

Ce POUR QUOI nous avons lutté c’est ce qui vient après, c’est la rinascita, la renaissance. Mais la lutte nous laisse diminués, fatigués, elle s’est nourrie de toute notre énergie. C’est peut-être à ce moment là que la lune et le fleuve deviennent importants : ils sont les témoins de cette lutte, ils sont la preuve que nous n’avons pas lutté pour rien.

Que reste-t-il de ce passé de lutte dans la vallée ?

Il reste des milliers de documents, journaux, photos, dessins, enregistrements, et aussi des livres, qui racontent cette histoire. Plusieurs associations continuent à pister les décisions, à maintenir la pression sur les politiques qui ont toujours quelque idée farfelue pour s’assurer des votes ou une postérité. L’idée d’un « Contratto di fiume » (Accord sur le fleuve) est en train de faire son chemin. Un fleuve n’est pas découpable en quartiers, il est entier, la pollution subie pendant 117 ans par la Bormida le prouve.



1 « Ce jour-là, sur la route départementale qui mène à Cengio, après avoir été délogés violemment en pleine nuit par une police armée jusqu’aux dents des rives du fleuve (sous l’usine) que nous n’avions pas quittées pendant un mois (avril/mai 1989). Cette nuit-là ils nous ont tabassés. Là, ils vont bientôt nous tabasser encore. Les policiers sont devant mais ils sont en train de fermer la route derrière, et quand devant ils vont charger, les gens n’auront aucune possibilité d’échapper aux coups : la cohue sera incroyable et c’est un miracle s’il n’y a pas eu de morts. Au centre de la photo en blanc (l’homme avec la barbe) : Renzo Fontana, directeur du journal Valle Bormida Pulita. »

2 Le 27 février 2012, Luca, qui participait à une action de résistance aux expropriations du chantier du TAV, a été électrocuté en tentant d’échapper aux policiers.

3 « Une manifestation (18/11/1990) sur la route qui mène à Cengio. En tête du cortège : tous les officiels : maires, députés, sénateurs, conseillers régionaux, provinciaux, associations diverses et variées, avec tous les symboles des institutions et « la gente della Valle Bormida » au milieu de tout ça. L’« Associazione per la Rinascita della Valle Bormida » avait aussi un service d’ordre : nous nous étions rendus compte que certains individus essayaient d’infiltrer le cortège pour s’en prendre aux flics qui naturellement devaient obligatoirement répondre à « notre » évidente agressivité. Qui étaient ces individus, nous nous en sommes faits rapidement une idée. Alors nous avons organisé notre propre service d’ordre : beaucoup de personnes âgées venaient manifester et nous « les plus jeunes » étions « responsables » d’eux. Quand quelqu’un du service d’ordre remarquait une personne louche, il ne la perdait plus de vue et en informait les autres par talkie-walkie. On s’en foutait royalement des flics, on voulait que l’État ferme l’Acna et que la Vallée renaisse, notre révolution était claire, nette et précise et nous n’avons jamais perdu notre but de vue. Sur la route ce jour-là, plus de 10 000 personnes, au milieu de nulle part. C’était magnifique. »


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