ARTICLE11
 
 

jeudi 21 août 2008

En Sueur

posté à 01h08, par PT
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JO : drapeau noir sur les tribunes de presse. A Pékin, le journalisme de sport est mort.
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L’overdose olympique à la télévision comme dans les gazettes trace des frontières nouvelles pour les journalistes de sport, ambassadeurs d’un événement dûment glorifié, heureux d’être là, heureux que ça se sache. Bateleurs, cocardiers, passe-plats, incestueux, narcissiques… On trouve de tout à Pékin. Surtout le pire. Pas de panique : « Article 11 » est là…

Ils sont comme nous, qui trépignons devant nos écrans, nous agaçons d’un geste manqué, tempêtons contre un avis arbitral défavorable ; nous qui mouillons nos rétines à force d’être chavirés, et compatissons, le palpitant proche du chaos, aux malheurs du glorieux vaincu - français. Ils sont comme nous, friands du spectacle sportif, imprégnés de ses couleurs, fureurs, douleurs. Ils sont comme nous : au bord de l’hystérie.

Et c’est là que ça cloche.

Au fil de nos flâneries télévisuelles, un constat s’impose : les Jeux de Pékin ont inauguré une espèce nouvelle de journalistes, plus proches de la groupie que du reporter inflexible, plus bateleurs que jamais, marchands d’émotions forcées, veillant à expédier le maximum de décibels au micro, quand ils ne versent pas avec application dans l’égotisme effréné.

Car il faut être juste : le délire qui sévit depuis douze jours autour des JO n’est pas la propriété exclusive des hommes de télévision1. Il prospère jusque dans les rangs de la presse écrite, où les pousse-plumes s’en donnent à cœur joie pour nous dire : j’y étais. A l’image de cet envoyé spécial de la presse régionale qui au lendemain du record du monde du 100 m accouche d’une chronique dont l’objet consiste à informer le lecteur de sa situation géographique dans le stade - « dix mètres avant la ligne d’arrivée, Bolt s’est relevé devant moi. » « Je » olympique, mode d’emploi…

Plus de décibels, moins d’info

Embedded, c’est ça. Jusqu’à la moelle. Aux Jeux, le journaliste de sport exerce bien au-delà de ses fonctions. Il est le témoin d’un barnum fascinant, et tient à le faire savoir - les candidats se bousculent dans les rédactions. Accessoirement, il détient par-dessus son accréditation une entrée permanente au club France. Il est des leurs, il est des nôtres. Bienvenue dans la famille.

L’emploi systématique et exponentiel des consultants en est un exemple frappant à la radio et à la télé. C’est à qui dégotera les plus bankables des stars retirées des terrains. Qu’importe les fautes de syntaxe ou les approximations à l’antenne. Pourvu que les bandeaux-titres puissent fièrement annoncer : champion olympique à Athènes, médaillé d’or à Sydney… Il faut du lourd, du trébuchant. De la vedette, coco.

Inaugurée avec le football, la mode des consultants gagne désormais tous les sports. Sur France 2, les épreuves de natation étaient commentées à trois : un journaliste de la chaîne, un ancien champion pré-âge d’or aquatique (Michel Rousseau) , une ancienne championne multi-cartes (Roxana Maracineanu, également embauchée par Europe 1 et L’Equipe). Trois experts, dont aucun ne mentionna en direct la raison pour laquelle l’équipe de France céda dans la dernière ligne droite le titre olympique au relais américain en finale du 4x100 m. Alain Bernard commettant une faute grossière en nageant trop près de la ligne voisine ? On n’en a rien su, rien entendu, tant le trio était occupé à solliciter des cordes vocales près de rompre.

Je braille, tu hurles, on gueule. Pour l’analyse…

Natation, toujours. Alain Bernard roi du sprint. L’auguste Nelson Montfort au bord du bassin : « Nous ne sommes plus journalistes, cher Alain. Nous sommes vos frères. » Guy Birenbaum le fit remarquer avant nous : pourrait-on pratiquer pareillement dans le journalisme politique ?

Petit speech entre amis

Russie – France, en quart de finale du tournoi féminin de handball. La France s’écroule après deux prolongations, fin d’époque pour de nombreuses joueuses emblématiques de l’équipe. L’intervieweur de Canal + harponne la gardienne Valérie Nicolas en zone mixte, expédie trois banalités d’usage, avant de tomber dans ses bras pour lui glisser à l’oreille, le micro gardé en évidence : « Merci pour tout ce que tu as fait. Tu m’as fait vivre de sacrés moments. »

Judo, sur Canal +. Le poids lourd Teddy Riner en bronze sous les commentaires de Thierry Rey et David Douillet. Rey, personnage-clé du judo français. Président du Team Lagardère, écurie dans laquelle s’ébroue Riner. Douillet, membre du comité directeur de la Fédération française, dont la femme gère la comm’ du prodige médaillé. Incestueux ? Un peu comme si Brice Hortefeux et Xavier Bertrand commentaient l’élection de leur pote Sarkozy un soir de présidentielle.

Le regard acéré du reporter intraitable ? Un poil de distance avec le tourbillon permanent des Jeux ? La bonne blague.

Dans un billet d’humeur qu’il livre à la fin du marathon journalier offert par le service public, Guy Carlier s’est risqué à mettre les pieds dans le plat. Une pincée critique après douze heures de direct sur l’air des lampions. Passing-shot croisé de Gérard Holtz à la fin de son papier. Tacle viril. Verbe péremptoire : « Je ne suis pas d’accord avec vous, Guy. »

Ben oui : qu’est-ce qu’il a à nous gâcher la fête, lui ?



1 Hommes de télévision, tant il est vrai que les femmes restent rares, pestiférées, au commentaire de sport. Non mais !


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