ARTICLE11
 
 

mardi 15 mai 2012

Sur le terrain

posté à 14h24, par Charles Reeve
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Le cauchemar éveillé du peuple portugais

« Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès ». Ainsi parla Vitor Gaspar, ministre des finances du Portugal, en avril dernier. Une sortie inique mais qui avait le mérite de la franchise : dans un pays socialement ravagé par les politiques de rigueur, les « sacrifices » se multiplient sans réelle contestation populaire. Jusqu’ici.

« Nous avons fait une révolution mais, au lieu d’exploser, nous avons implosé. Et nous sommes, toujours, demeurés clandestins.  »
Mário Cesariny (1923-2006)

*

Le 18 avril 2012, une troupe de mercenaires de l’État portugais armés jusqu’aux dents bouclait un vieux quartier populaire du centre de Porto. L’objectif était d’investir une école abandonnée, occupée depuis quelques mois par des jeunes et des habitants. Et de déloger ces derniers. Le lieu, laissé à l’abandon par les autorités, avait été transformé en centre social aux activités multiples, allant de l’enseignement à des activités culturelles et sportives. Une vie associative y avait remplacé le no future quotidien et chassé l’activité destructrice de l’économie de la drogue. Pour l’ordre capitaliste, c’en est était trop, d’autant que cet enthousiasme se réclamait des principes de l’autogestion, mélangeant de jeunes activistes avec des jeunes et des moins jeunes habitants du quartier.

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Le même jour, à quelques milliers de kilomètres de l’école do Alto da Fontinha, le très propre sur lui ministre des finances du gouvernement portugais, Monsieur Vitor Gaspar, se trouvait à Washington DC. Devant les chefs du FMI, cet individu jouait un numéro rampant de pénitence : « Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès, du moment que l’effort est réparti de façon juste  ».

Monsieur Gaspar est un technocrate ennuyeux, froid et gris issu du monde universitaire. Il a été choisi pour sa prétendue indépendance vis-à-vis des appareils politiques. Certains Portugais, qui compensent souvent leur résignation par un sens aigu de l’humour, l’ont nommé Gaspalazar, en souvenir d’un de ses sinistres prédécesseurs - un certain Salazar – qui après avoir mis les comptes de la boutique à jour s’est violemment accroché au pouvoir1. L’anecdote dit que ce Gaspalazar exige un reçu lorsqu’il donne une pièce à un mendiant !

Ces deux événements qui se sont télescopés par hasard dans le spectacle médiatique symbolisent parfaitement, chacun à leur manière, les deux tendances qui traversent la société portugaise en ces temps de crise. D’un côté, la radicalisation d’une minorité qui, pour la première fois depuis les années de la révolution portugaise de 1974-1975, prend en mains la nécessité de construire des alternatives à la morbidité du déterminisme économique. Dans ce camp, on trouve des jeunes précarisés, mais aussi des personnes des classes populaires, fatiguées des sacrifices mentionnés par Gaspalazar, chez qui l’épuisement de la patience lusitanienne fait place à une sourde haine envers les puissants. De l’autre côté, l’attitude servile de Gaspalazar traduit la bassesse de la bourgeoisie portugaise face aux seigneurs du monde financier. En toile de fond de ces deux histoires défile le paysage d’une société dévastée par les mesures de récession.

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Il paraît de plus en plus évident que le mouvement de la démocratie de notre époque se réduit à l’alternance entre deux courants politiques siamois au sommet de l’État, soumis à une même logique économique. Au Portugal aussi, le fait électoral n’est plus un choix mais un rejet. Aux affaires pendant de longues années, le parti socialiste fut ainsi chassé au profit de son clone de droite, le parti social démocrate. Après avoir appliqué les premières mesures d’austérité dictées par la Troïka en échange du premier prêt de sauvetage2, les socialistes furent confrontés à une contestation inattendue. Le 12 mars 2011, des centaines de milliers de personnes descendaient dans les rues des grandes villes à l’appel d’un collectif informel de jeunes précaires. Paradoxalement, et alors que la passivité sociale est l’un des traits marquants de la société portugaise, le mouvement dit du 12M sera le premier d’une longue liste de mouvements, allant du 15M en Espagne, aux Indignés grecs et israéliens, et aux Américains de Occupy Wall Street. Se démarquant des messes traditionnelles de l’archaïque parti communiste portugais et de sa centrale syndicale, la CGTP, ces manifestations exprimaient une contestation moderne du système, un rejet de la corruption du monde politique, un questionnement sur les conséquences sociales de l’économie de profit et de la nature autoritaire du système représentatif. Contrairement aux autres mouvements de ce type, le 12M fut sans lendemain. Il était marqué par la frustration et la désillusion d’une jeunesse étudiante qui s’accrochait encore à l’idée de la « réussite », caractérisée par le statut social et un niveau de consommation conséquent.

Les mobilisations du 12M annonçaient néanmoins la suite des évènements. Affaibli par des affaires de spéculation et de corruption, abandonné par des centaines de milliers d’électeurs qui avaient rejoint le grand parti des abstentionnistes, le PS ne put éviter la débâcle aux élections. Puis, suivant à la lettre un processus bien rodé en Europe, les nouveaux escrocs arrivés au pouvoir entreprirent de poursuivre dans la même voie. Comme ce fut le cas peu après chez les voisins espagnols, ils mirent les bouchées doubles : un remède de cheval fut imposé à l’ensemble de la société portugaise.

Exception faite de la Grèce, c’est sans doute au Portugal que l’austérité est la plus violente en Europe. Dès le premier train de mesures le gouvernement annonçait la couleur. Dans la fonction publique, on supprimait deux salaires sur l’année3 et deux versements mensuels dans les pensions de retraite. Dans le secteur privé, le temps légal de travail était augmenté d’une demi heure par jour. La TVA était généralisée au taux maximum de 23%. Les transports, le téléphone, les péages d’autoroute, l’eau et l’électricité, subissaient eux des augmentations successives allant jusqu’à 30%. Les impôts sur le logement étaient revus à la hausse, le ticket modérateur dans la santé multiplié par deux. Cerise sur la déconfiture sociale, les nouvelles conditions d’attribution des allocations d’aide aux plus pauvres (RMI local et autres aides sociales) devenaient sélectives et leurs montants étaient réduits.

À peine quelques mois plus tard, début 2012, un deuxième train de mesures s’abattait sur une population abasourdie. Cette fois-ci, c’était le Code du travail qui était « assoupli », comme ils disent… La liste des « joyeusetés » était sans fin : nombre de jours travaillés dans l’année augmenté d’une semaine4, taux de majoration des heures supplémentaires réduit de moitié, licenciement facilité pour les cas d’« inadaptation » au poste de travail5, pénalisation de toute absence collée à un jour férié par le non payement du jour férié, prime de licenciement réduite d’un tiers, droit aux allocations suite à licenciement fortement réduit, conventions collectives par branche ou secteur remplacées par des accords d’entreprise et, enfin, droit de regard de l’Inspection du travail sur les entreprise réduit à la portion congrue. Un train de mesures d’austérité infernal, qui semble s’allonger à chaque jour qui passe…

On imagine aisément les conséquences sociales d’une telle offensive capitaliste dans une des sociétés les plus pauvres d’Europe occidentale, où le niveau de vie était déjà bas et les salaires pas folichons (presque la moitié de ceux de l’Espagne). D’après les statistiques, la croissance actuelle de l’inégalité sociale est l’une des plus élevés d’Europe. Elle avait déjà doublé entre 1996 et 2006. Aujourd’hui, elle augmente cinq fois plus vite que dans le reste de la communauté européenne. Le Portugal est le pays où les mesures d’austérité pèsent le plus sur les plus pauvres. Plus qu’en Grèce et loin devant l’Estonie ou l’Irlande6. Dans le même temps, la concentration de la richesse s’accélère, un processus commencé dans les années 1980. Il s’agit là d’un double mouvement qui suit la tendance générale des sociétés capitalistes contemporaines. Dans le cas spécifique du Portugal, cela correspond à la période démocratique post Révolution des œillets (1974). Encore un argument à prendre en compte dans la réflexion sur le contenu inégalitaire de la démocratie parlementaire moderne7.

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Les premières victimes de la croissance rapide des inégalités et de l’appauvrissement sont les vieux retraités ou pensionnés, les femmes et les jeunes travailleurs, diplômés ou non8. Pour mieux comprendre ce que Gaspalazar appelle « les sacrifices acceptés », il convient de dresser une nouvelle liste : début 2012, le taux de chômage officiel est de 25%, et dépasse déjà les 35% chez les moins de 25 ans. L’effondrement total du secteur du bâtiment et le ralentissement de celui du tourisme, les deux secteurs qui tiraient un tant soit peu la faible économie du pays, jettent tous les mois sur le carreau des dizaines de milliers de nouveaux chômeurs. Les petites entreprises et commerces ferment à un rythme soutenu. À peine la moitié des chômeurs inscrits reçoivent une maigre indemnisation. 60% des jeunes qui travaillent sont en situation de précarité. Près de 400 000 travailleurs (surtout des jeunes et des femmes) reçoivent 400 euros par mois (le salaire minimum) et vivent dans la pauvreté. Dans les zones urbaines, la pauvreté s’accroît exponentiellement. En 2011, sept mille familles ont rendu leurs logements aux banques, incapables de payer leurs crédits. Les organisations caritatives et les soupes populaires sont débordées d’appels à l’aide qui doublent d’année en année.

Pendant ce temps, le secteur bancaire – qui constitue désormais le noyau de la classe capitaliste portugaise – impliqué, comme partout ailleurs, dans la spéculation financière et immobilière avec son cortège de corruptions, continue à être renfloué par l’Etat. « Assaini  », disent-ils…

Certains esprits affligés n’hésitent pas à envisager la disparition à court terme du vieux pays. Logique, en un sens : le nombre de personnes âgées ne cesse de croître alors même que la natalité continue à baisser. Sur dix millions de personnes, deux millions ont plus de 65 ans. Ce qui est visible dans les quartiers populaires des villes l’est encore plus dans l’arrière-pays, peuplé de vieilles personnes. Alors que dans la communauté européenne, 35% des agriculteurs ont en moyenne plus de 65 ans, au Portugal le pourcentage monte à 50%. La moyenne des pensions de retraite étant de 373 euros, beaucoup de retraités continuent de travailler pour survivre. Ceux qui décrochent sont victimes d’une sorte d’euthanasie sociale qui ne dit pas son nom. Abandonnés, isolés, sans moyen pour se déplacer, vivant dans des conditions souvent insalubres, nombreux sont ceux qui disparaissent. Plusieurs faits divers récents, à Lisbonne et à Porto, montrent que les effets de la crise sont pour beaucoup dans la hausse soudaine du taux de mortalité des personnes âgées. Dans le pays profond, la situation est encore plus dramatique. À quelques dizaines de kilomètres de Lisbonne, les centres de santé ferment ou manquent de tout et c’est avec difficulté que quelques médecins, souvent immigrés, soignent une population âgée et démunie. Le docteur Denis Pizhin, Ukrainien, travaille dans le centre de santé de Odemira, petite bourgade située entre l’Alentejo et l’Algarve, dans une des régions répertoriées parmi les plus pauvres de l’Union européenne : un tiers de la population a un revenu de 10 euros par jour9. Denis gagne 15 euros de l’heure, voit 60 à 70 personnes par jour, et c’est souvent qu’il manque de sérum… « Ici c’est l’Afrique ! », déclarait-il récemment au journal Publico 10

Si les vieilles personnes galèrent, les jeunes ne sont pas en reste. Depuis quelques années, plus de 60% des jeunes restent à demeure chez leurs parents. Ou y reviennent. Le mouvement touche même des « jeunes » de trente ou quarante ans condamnés au chômage, qui rappliquent chez les anciens, avec toute la famille. Un étrange pays où les vieux deviennent le soutien d’une jeunesse à la dérive, précarisée, où les vieux sont l’avenir des jeunes !

Quand les jeunes Portugais ne peuvent pas compter sur leurs parents, ils choisissent souvent de fuir le pays. Fin 2011, le gouvernement lui-même admettait que plus de 100 000 personnes avaient émigré dans l’année. Un mouvement déclenché depuis une bonne dizaine d’années et qui ne cesse de s’intensifier — vers l’Europe mais aussi vers les anciennes colonies, l’Angola en particulier. La composition de l’émigration est différente de celle des années 1960. Notamment parce qu’elle touche désormais les jeunes scolarisés, avec une qualification.

Une revue à grand tirage a récemment posé une question à ses lecteurs : « Quelle est la meilleure solution pour faire face à la crise ? ». 56% ont répondu « Moins dépenser  » et 26% « Émigrer  »11. Or, si les grèves générales bureaucratiques lancées par les vieux syndicats se révèlent impuissantes face à la machine implacable des mesures capitalistes, l’émigration, réaction ancestrale à la pauvreté, n’est pas non plus la solution aujourd’hui. Elle pose même un nouveau problème. Car les migrants débarquent dans des sociétés où le marché du travail s’est effondré. Les situations de détresse se généralisent, alors que des familles avec des enfants se retrouvent à vivre dans la rue et finissent par échouer dans les services consulaires débordés. À la violence de la situation vient s’ajouter la dissolution des solidarités de l’ancienne émigration. Des comportements de rejet des nouveaux arrivants se généralisent, et l’on signale des situations de quasi esclavage au profit de « compatriotes » intéressés. Ces horreurs sont quotidiennement décrites dans la presse sans que pour autant le mouvement s’arrête. Car la soif de survie est telle que chacun pense pouvoir se débrouiller tout seul alors que la seule chance serait l’entraide et la lutte collective.

Comme l’Irlande, la Grèce, l’Espagne et bientôt d’autres sociétés européennes, le Portugal paye les pots cassés de la politique économique dominante, dont l’idéologie sous-jacente est celle du capitalisme du « laisser-faire ». Il s’agit, du moins en paroles, de revenir à une intervention minimale de l’Etat dans l’économie. Ces politiques agissent avant tout sur le marché du travail : elles limitent la part du salaire social, réduisent les salaires, augmentent l’intensité du travail, le tout dans le but d’accroître la productivité et d’augmenter la masse du profit. Pour que l’investissement capitaliste retrouve ses marques, il faut restaurer la rentabilité de la production dans son ensemble, modifier le rapport entre la masse de profit et la masse de capital. C’est pourquoi nous assistons à un double processus de dévaluation, celui de la force de travail et celui du capital lui-même. Dans le petit laboratoire portugais, c’est également cet objectif qui guide les actions de Gaspalazar & C°, sous le regard attentif de la Troïka. D’où les faillites, la concentration et la destruction des secteurs les plus faibles du capitalisme local. D’où – également – l’austérité des salaires, l’appauvrissement de la grande majorité de la population. Pourtant, avant que cette politique ne soit mise en œuvre, le coût moyen horaire de la main-d’œuvre était déjà inférieur à la moitié de la moyenne européenne, soit un des plus bas d’Europe12. Faut-il instaurer des formes d’esclavage ou de travail obligatoire pour que les capitalistes trouvent leur compte13 ? L’abattoir de l’austérité tourne à plein régime mais ne change rien à la situation économique : dans ce petit pays constituant une portion réduite du capitalisme européen, de telles mesures de récession ne relancent pas grand chose, il y a peu à relancer. Elles ont pour seul effet de détruire les liens sociaux et d’accentuer les antagonismes de classe. Ainsi que de saper l’ancien modèle démocratique fondé sur le consensus de la croissance qui s’effrite. D’où le continuel rafistolage à l’aide de mesures autoritaires. Le désastre est plus visible dans les sociétés pauvres et fragiles de la périphérie, comme le Portugal. Si bien que des voix critiques commencent à exprimer des doutes sur l’efficacité des « politiques de lutte contre les déficits ». « On est en droit de s’interroger sur le bon sens de cette logique [la rigueur pour sortir du cycle infernal de l’endettement]  » et de « l’overdose de rigueur  » qui ouvre portes et fenêtres à la crise sociale dans les sociétés14.

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Quoi qu’il en soit, Gaspalazar et consorts restent imperméables au doute. Formés dans la Confrérie Druidique du libéralisme, ces personnages suivent béatement l’orthodoxie monétariste du moment. Leur froideur va souvent de pair avec un cynisme de classe. À ce propos, il est instructif de s’attarder brièvement sur une récente interview de deux hauts fonctionnaires du FMI, placés à Lisbonne pour « accompagner » les mesures d’appauvrissement de la population15. Le Brésilien Marques Souto et l’Autrichien Albert Jaeger ont finalement un quotidien banal proche de celui d’un commissaire de police. Sans état d’âme, ils doivent lire les journaux, surveiller ce qui se passe, contrôler Gaspalazar & C°, faire des rapports, informer les chefs du FMI à Washington. Grassement rémunérés, Monsieur Souto et Monsieur Jaeger, sont de bons pères de famille, aiment leurs enfants qui vont dans des écoles privées, vivent dans des beaux quartiers avec vue sur la mer et aiment la bonne chère. Sans craindre l’indécence, ils se sont même laissé aller à des compliments sur la douceur de la vie locale : « à Washington, même si on est proche de l’océan, les fruits de mer et le poisson ne sont pas aussi frais qu’ici  ».

Fin mars 2012, on apprenait qu’allait se tenir à Porto une rencontre sur « Le sommeil, le rêve et la société ». La tentation était grande d’y voir une action d’éclat, fort opportune, des surréalistes portugais16. Las, il ne s’agissait que d’un banal colloque de neurologistes et affinitaires, pas du tout intéressés par le pouvoir subversif et utopique du rêve. Dans une des communications données à cette occasion, une neurologiste « admettait »17 que les difficultés du quotidien, aggravé par les effets de la crise, troublaient le sommeil des Portugais. Selon elle, la moitié de la population dort mal et 20% souffre même d’insomnies à répétition. Les enfants et les jeunes seraient particulièrement touchés par ces troubles du sommeil. Fallait-il un colloque pour en arriver là ? La lecture de ce qui précède suffit amplement pour conclure que la majorité du peuple portugais vit un cauchemar éveillé.

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Ici se pose une question qui en taraude plus d’un : comment et pourquoi une société ainsi attaquée, avec une violence si mortifère, se résigne-t-elle à ce point ? Comment se laisse-t-elle mourir sans résistance, sans réaction ? Miguel de Unamuno écrivait, «  Le Portugal est un peuple de suicides, peut-être un peuple suicidaire. Pour lui la vie n’a pas de sens transcendantal. Certes, il désire vivre, mais pour quoi faire ? Plutôt ne pas vivre.  »18. Un siècle plus tard, malgré les transformations de la société, sa réflexion est toujours d’actualité.

La société portugaise fonctionne en apparence selon les normes du monde moderne. Comme dans toute démocratie représentative, les syndicats existent, opinent, prennent position, sont reconnus et manifestent leurs accords et désaccords. Depuis que le pays est renvoyé vers les abîmes de la récession, les grèves générales se succèdent. Mais ce qui paraissait au début un signe de réveil s’est vite révélé une manifestation supplémentaire d’immobilisme, renforçant même le fatalisme, tant ces cérémonies ternes sont en deçà de la violence de l’attaque capitaliste. En Espagne, lorsque les appareils syndicaux furent forcés d’aller à la grève générale d’un jour le 11 mars 2012, des secteurs enragées de la base syndicale ne se sont pas limités à ne pas travailler mais ont tenté de bloquer l’économie, formant des piquets de grève, bloquant ici et là les centres commerciaux. Dix jours plus tard, au Portugal, la centrale syndicale liée au PCP, la CGTP, programmait elle aussi « sa » grève générale pour protester contre le démantèlement du Code du travail. Pourtant, on ne signala aucun cas de grève active. La manifestation se limita à l’habituel exercice de mobilisation bureaucratique, suivi passivement, bien contrôlé par un appareil qui veut avant tout mesurer sa force pour garder sa capacité d’interlocuteur avec le pouvoir politique. On accepte la grève plus qu’on ne la fait, on reste chez soi et on regarde le match à la télé... L’état amorphe du syndicalisme portugais est à la fois un des facteurs de la passivité sociale et son expression19. Déjà le 24 novembre 2011, lors de la précédente « grève générale », le chef d’alors de la CGTP20 avait exposé à un journaliste son étrange conception de la résistance à l’attaque capitaliste : « Il faut que le peuple se mobilise. Une alternative est possible (…) Le pays est en train de tomber dans le précipice, le gouvernement va nous faire chuter de 50 mètres. Nous voulons limiter l’impact à 20 mètres. »21.

Les grèves à répétition, de moins en moins suivies, traduisent l’incapacité des syndicats à proposer des formes d’action et une dynamique adaptée à la situation nouvelle. Car la crise a redéfini « l’attitude réaliste » et les contours du « possible » qui constituent les paramètres du syndicalisme intégrateur. L’impuissance remplace la pratique des concessions négociées lors des périodes de croissance. Face à la violence de la classe dirigeante, il ne reste alors que la rhétorique incantatoire et vide de sens des slogans de la CGTP : «  Lutter contre l’exploitation !  », «  En finir avec la crise ! », agrémentés de vieux slogans sortis des archives staliniennes : « Le travail, c’est le progrès ! »

Si un nombre important de travailleurs portugais continue de suivre les tristes cortèges syndicaux qui les mènent à l’abattoir, certains ont pris conscience de la nécessité de mener des combats plus offensifs. Le jour qui a précédé la grève générale du 21 mars 2012, le lecteur attentif découvrait dans la presse portugaise qu’une action directe avait été menée en terre de fado. Trois ouvriers (dont un Ukrainien) occupèrent pendant toute une journée les grues d’un chantier routier, afin d’exiger le payement de salaires en retard, cela jusqu’à obtention de satisfaction22. La courte dépêche ajoutait que c’était la deuxième fois qu’une action de ce type se produisait sur le même chantier. Malgré son caractère isolé et ponctuel, le micro événement – victorieux – a le mérite d’offrir une autre direction et de se démarquer des molles protestations bureaucratiques.

L’appareil syndical est conscient de l’impasse dans laquelle il se trouve et craint les débordements. Cela explique son attitude prudente vis-à-vis de la jeunesse précarisée qui donne de la voix. Cet éveil, qui s’est confirmé depuis la grande mobilisation du M12 de mars 2011, constitue sans doute l’élément le plus prometteur des dernières années au Portugal. À Porto, Lisbonne ou Setubal, des centres sociaux, lieux de débats et d’activités se sont ouverts. Les anciennes traditions d’association, d’entraide et de vie communautaire ont refait surface. Et les activités collectives autogérées, les lieux de vie et d’échange ainsi que les jardins partagés se multiplient.

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Au sein de cette jeunesse précaire, le fort courant d’émigration crée des contacts et des liens. Avec Barcelone, Amsterdam, Zurich, Londres. Un milieu éclaté cherche à l’unisson une façon de vivre hors de l’atmosphère mortifère de la société, et devient un pôle d’attraction pour la jeunesse révoltée. L’école occupée d’Alto da Fontinha à Porto en est devenu le symbole.

Ces dernières années, un bloc anti-capitaliste a fait son apparition dans la rue lors des manifestations, regroupant de petits groupes libertaires et radicaux, des groupes de précaires et des isolés se réclamant du mouvement des Indignés. Cernée par une police aux aguets, cette jeunesse radicalisée doit aussi faire face au service d’ordre syndical qui cherche continuellement à protéger « ses manifestants » de la contagion des jeunes radicaux. Chaque fois qu’une vitrine d’agence bancaire vole en éclats, la classe dirigeante ne manque pas de faire l’éloge des manifestations de la CGTP qui «  se déroulent tranquillement et avec sens civique. »23. Un mur a ainsi été bâti à la hâte entre un vieux monde syndical impuissant devant les défis du moment et cette jeunesse enragée contre un présent sans avenir. Au Portugal, peut-être encore plus qu’ailleurs, la fracture entre deux conceptions de lutte apparaît avant tout comme une barrière générationnelle. Il faudra probablement un mouvement plus large pour briser cette séparation, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour. Mais les surprises viennent souvent de là où on ne les attendait plus. Pour preuve, une déclaration du jeune centenaire et réalisateur Manuel de Oliveira, annonçant sa décision de rejoindre - après un long intermezzo plutôt conservateur - le camp de la subversion, « L’argent a remplacé toutes les valeurs. Je pense qu’on devrait le supprimer, ainsi que les banques. Avez-vous remarqué que lorsque les choses sont gratuites, les gens ne prennent que ce dont ils ont besoin ? »24.

L’anesthésie de l’aliénation marchande du système démocratique née de la révolution de 197425 et le rôle joué par le syndicalisme bureaucratique ainsi que par les partis dans la domestication des esprits peut expliquer, en partie, l’énigme de la résignation et de la passivité du peuple portugais face à l’attaque capitaliste qui menace l’existence même de pans entiers de la société. D’autres hypothèses sont avancées. On a beau les suivre, les unes et les autres se révèlent à chaque fois incomplètes, insatisfaisantes. Le recours à l’Histoire, enfin, est une aide précieuse mais qui ne permet pas de tout saisir. Peurs, craintes, attitudes de soumission et de fatalité, respect sacré de l’autorité et de la hiérarchie traversent ainsi le temps, imprègnent les comportements. Et l’idée conformiste selon laquelle, il vaut mieux courber l’échine et baisser la tête pour survivre, est devenue une deuxième nature du peuple portugais26 étouffant les aspirations libertaires qui avaient été partagées, un court laps de temps27, avec les autres frères ibériques.

Lorsque, le 25 avril 2012, une manifestation de deux mille jeunes et moins jeunes, a de nouveau investi et occupé les lieux de l’école Alto da Fontinha, à Porto, quelque chose de nouveau et d’important s’est produit dans la société portugaise. Pour la première fois depuis des années, une manifestation d’individus consciemment concernés a rompu avec la passivité et la résignation, a rejeté les limites du légalisme, du possible et du raisonnable, pour affirmer un désir et revendiquer une nécessité : celle d’agir directement et de façon autonome pour construire un projet, pour rompre avec le pessimisme et la morbidité, pour affirmer un autre possible. « Le projet de Fontinha a crée une opportunité pour une pratique intégrale de la démocratie, refusant que notre sort soit laissé dans les mains du patron et de l’Etat, ou soit livré aux appétits des plus riches. »28. En agissant au cours de ce jour particulier, les manifestants ont renoué le lien avec l’esprit révolutionnaire du passé, ses valeurs égalitaires et anti-autoritaires. Tout aussi important, avec le sens pratique de l’idée d’occupation, cette action est en résonance avec les mouvements du présent, partout où se radicalise l’opposition aux effets de la crise. « Il y a autour de nous beaucoup de maisons vides. Et il y a aussi beaucoup de monde dans la précarité, dans la misère. On ne peut pas l’accepter. Cette passivité ne peut pas continuer. Il faut que les gens occupent les maisons  »29. Ce propos d’une jeune manifestante à Porto, fait écho à ceux des Occupy de New York et d’Oakland, à ceux des comités contre les expulsions à Madrid ou à Athènes.

Seuls des actes et des événements tournés vers une cause en devenir peuvent faire bouger les contours du possible. C’est par leur pouvoir de persuasion que la résignation portugaise sera niée, fissurée.



1 En 1928, Salazar (Antonio de Oliveira), est nommé ministre des Finances dans le gouvernement issu du coup d’Etat militaire de 1926, qui remplace la 1re République parlementaire par une dictature fasciste. De 1932 à 1968, Salazar restera à la tête de l’État.

2 La « troïka » - les représentants de la Commission européenne, du FMI et de la Banque centrale européenne- contrôle l’utilisation des fonds et le versement des tranches de prêts, en fonction des mesures prises par les gouvernements locaux.

3 Les fonctionnaires portugais étaient payés sur 14 mois (mois double en Juin et Décembre). Ces deux salaires supplémentaires étaient censés compenser la faiblesse des rémunérations et permettaient aux travailleurs de financer leurs vacances d’été et les fêtes de la fin de l’année. Les pensions de retraite suivaient le même principe.

4 Le temps légal de vacances était réduit à 22 jours et 4 jours fériés nationaux furent supprimés.

5 Selon jugement subjectif de l’entité patronale.

6 Publico, 9 janvier 2012.

7 « Desigualdade dos rendimentos em Portugal agravou-se desde os anos 80 », Publico 16 juin 2008. Une remarquable enquête journalistique sur l’enrichissement rapide de la classe politique portugaise, ses liens avec le capitalisme privé spéculatif, confirme cette tendance : Antonio Sergio Azenha, Como os politicos enriquecem em Portugal, Lua de papel, 2011.

8 Rappelons que le taux d’échec scolaire est au Portugal un des plus élevés en Europe.

9 « Declinio da population trava desenvolvimento no Alentejo », Publico, 16 juin, 2008.

10 Publico, 20 mars 2012.

11 Visao, 15 mars 2012.

12 Publico, 25 avril 2012. En 2008, le coût horaire de la main-d’œuvre au Portugal était de 9,9 euros. Il était de 15,8 en Grèce, de 20,2 en Espagne et 33,2 en France.

13 La suppression, en 2007, des aides sociales en Campanie (Région de Naples) a plongé dans la misère des centaines de milliers de personnes et jeté des enfants de 12/13 ans dans l’esclavage du travail au noir. « Naples, une enfance au travail », Cecile Allegra, Le Monde, 28 mars 2012.

14 « Austérité et croissance : le coût de la douleur », éditorial, Le Monde, 22/23 avril 2012.

15 « FMI a vigiar Portugal », Publico, 9 janvier 2012.

16 Pour une approche du mouvement surréaliste portugais, Alfredo Fernandes, « Antonio José Forte ou la passion de la totalité », Un couteau entre les dents, Ab irato, 2007.

17 Publico, 30 mars 2012.

18 Miguel de Unamuno, Portugal Povo de suicidas, (1907), Letra Livre (2e édition portugaise), 2008.

19 On se réfère ici à la CGTP, la centrale liée au PCP, le deuxième syndicat national, l’UGT, étant une organisation pratiquement sans base. La dernière ministre du travail du précédent gouvernement socialiste de sinistre mémoire, était une bureaucrate de ce syndicat.

20 Depuis, la CGTP s’est donné un nouveau chef, un homme formé dans le sérail du PCP, et dont le discours agressif cherche à compenser l’immobilisme de l’appareil.

21 « Les Portugais ne veulent pas être comparés aux Grecs « tricheurs », Le Monde, 21 octobre, 2011.

22 « Operarios ocupam gruas », Correio da Manha, 21 mars, 2012.

23 « Ministro iliba CGTP dos incidentes no Chiado », Publico, 25 mars 2012.

24 Libération, 12 octobre 2011.

25 La normalisation de la révolution des Œillets et la conséquente intégration dans l’espace européen ont produit des ravages dans une société traditionnelle et isolée. Certains de ces aspects sont abordés dans La Mémoire et le feu, Jorge Valadas, L’Insomniaque, Paris, 2006.

26 Le Fado, qui avait exprimé, au début du XXe siècle, des sentiments de contestation populaire, s’est réduit, sous le salazarisme, à faire écho à cet état d’esprit apathique et larmoyant.

27 Entre le début et les années trente du XXe siècle.

28 José Neves, « O Poder da Fontinha », Journal i, 26 avril 2012. L’enjeu de ce petit événement étant en effet trop important pour la classe dirigeante portugaise, deux jours plus tard la police occupera à nouveau l’école. L’ensemble des infrastructures sera alors détruite.

29 Journal de Noticias, 25 avril, 2012.


COMMENTAIRES

 


  • mercredi 16 mai 2012 à 02h17, par H2

    « Le 18 avril 2012, une troupe de mercenaires de l’État portugais armés jusqu’aux dents bouclait un vieux quartier populaire du centre de Porto. L’objectif était d’investir une école abandonnée, occupée depuis quelques mois par des jeunes et des habitants. Et de déloger ces derniers »...

    Que s’est-il passé ensuite ? Cela n’est pas mentionné dans l’article. Merci de nous tenir au courant...

    • vendredi 18 mai 2012 à 21h58, par Note28

      28 José Neves, « O Poder da Fontinha », Journal i, 26 avril 2012. L’enjeu de ce petit événement étant en effet trop important pour la classe dirigeante portugaise, deux jours plus tard la police occupera à nouveau l’école. L’ensemble des infrastructures sera alors détruite.



  • mercredi 16 mai 2012 à 07h29, par Loli

    Article magnifique et passionnant : merci infiniment à Article 11 pour cet éclairage. On aimerait en savoir autant, et même plus, sur ce qui se passe dans les pays de l’es-bloc de l’Est (Pays baltes, Balkans en particulier) où l’austérité fait elle aussi d’immenses ravages sans que les peuples s’y soulèvent.

    @H2 : le suite de l’histoire est mentionnée rapidement en note 28 : « L’enjeu de ce petit événement étant en effet trop important pour la classe dirigeante portugaise, deux jours plus tard la police occupera à nouveau l’école. L’ensemble des infrastructures sera alors détruite. »



  • jeudi 17 mai 2012 à 07h25, par ZeroS

    Article passionnant ! Merci.

    « Comme l’Irlande, la Grèce, l’Espagne et bientôt d’autres sociétés européennes, le Portugal paye les pots cassés de la politique économique dominante, dont l’idéologie sous-jacente est celle du capitalisme du « laisser-faire ». Il s’agit, du moins en paroles, de revenir à une intervention minimale de l’État dans l’économie. »

    Je pense qu’il faut bien préciser que le rôle de l’État est central dans le fonctionnement du capitalisme néolibéral, et qu’il coûte très chers à la majeure partie des populations (avant même les conséquences des politiques menées). Le soi-disant « laisser faire » ressemble davantage à une sucette idéologique qu’à un état de fait(s).



  • jeudi 17 mai 2012 à 12h56, par un-e anonyme

    J’en rajoute une couche sur le commentaire de ZéroS : contrairement à une vulgate nourrie d’arrière-pensées étatistes, l’Etat n’a pas disparu du paysage dans la phase dite « néolibérale » que nous vivons actuellement. La théorie du « laisser-faire », celle des économistes libéraux de l’âge classique, n’est aucunement mise en application. C’est bien l’Etat qui organise la mise en concurrence généralisée à l’espace mondial. Car cette concurrence se doit d’être « libre et non faussée » (comme ils disent sans rire) et pour cela, il faut un gendarme qui veille sur les marchés et leur assure qu’ils pourront se déployer au maximum. La crise de la valorisation du capital est loin, très loin de signifier la disparition de l’Etat. A rappeler aux naïfs « de gauche » qui réclament « plus d’Etat » en feignant de croire que celui-ci s’est absenté. Rappelons quand même que l’Etat est un Etat de classe et que sa fonction ne se limite pas aux tâches régaliennes qu’on lui reconnaît habituellement, à savoir le maintien de l’ordre à l’intérieur et la guerre à l’extérieur, car en régime capitaliste, la guerre est partout, jusque et y compris au sein de l’individu, sommé de se conduire en entrepreneur de lui-même et de savoir être concurrentiel.

    • jeudi 17 mai 2012 à 15h59, par Charles Reeve

      On ne peut pas vouloir tout dire et être à tout prix exhaustif dans un texte de ce type où il y a déjà beaucoup d’informations. Afin de le rendre plus lisible j’ai simplifié le passage dont il est question dans certains des commentaires. On pouvait lire : « Il s’agit, du moins en paroles, de revenir à une situation d’intervention minimale de l’Etat dans l’économie, alors même que l’interventionnisme de l’Etat dans l’économie n’a cessé de croître depuis la Deuxième guerre mondiale. »
      Et plus loin, « L’examen de la situation actuelle à travers le prisme des limites de l’économie mixte moderne prouve que toute baisse de l’intervention d’Etat a inévitablement pour conséquence de contracter l’activité économique. On a là la preuve que c’est bien la faiblesse de l’économie fondée sur la propriété privée, sa faible rentabilité, qui caractérise le capitalisme mûr dont parlait Keynes. Que l’action de l’Etat en tant qu’acteur économique n’est pas la cause des problèmes du capitalisme privé mais sa conséquence. Que la faiblesse de la production privée de profit est à la fois l’origine et l’obstacle à la réduction de la dette accumulée. Que faute d’une intervention d’Etat sur la demande globale, on revient à une situation de crise permanente dont le capitalisme privé n’a pas les moyens de sortir, sauf par des moyens barbares comme ce fut le cas lors de la Deuxième guerre mondiale. »



  • jeudi 17 mai 2012 à 12h58, par Karib

    Commentaire ci-dessus signé Karib (mystère de l’informatique, la signature n’apparaît pas toujours.)



  • jeudi 17 mai 2012 à 13h08, par Quadru

    Reeve pose une question centrale : pourquoi la résignation ? Mais la limiter au peuple portugais et à ses possibles tendances suicidaires me paraît limiter passablement sa portée. La résignation est visible partout, malgré les beaux mouvements qui ont parcouru le monde, de la Tunisie au Chili, de Londres à Montréal. Face à la misère et à l’aggravation de la crise, pourquoi la réaction est-elle surtout de courber l’échine ? Peut-être faut-il lutter contre le sentiment d’impuissance en développant le plus possible des bases de vie et de rencontre, en développant un imaginaire des révolutions et de la création d’une société débarrassée de la dictature de la finance et de l’argent, en travaillant à une réelle internationalisation des luttes… etc. Je n’ai pas de réponse à la question « comment sortir de la résignation de masse », mais je pense qu’elle est essentielle.

    • jeudi 17 mai 2012 à 13h43, par Karib

      « Sortir de la résignation de masse » ? Bien entendu, c’est la question essentielle. Comme si, finalement, par la mise en concurrence généralisée (des quanta de capitaux, des pays, des régions, des peuples, des couches sociales, des cultures, des individus, etc.), le capital donnait plus à rêver que la perspective révolutionnaire.
      Un rêve réduit à l’accumulation (le plus souvent imaginaire), un rêve minable, étriqué, ignoble, mais un rêve tout de même. A la mesure du capital : quantifiable.
      Or pour sortir de la résignation, les incantations (sur la « communisation », par exemple) ne suffisent pas. Bien malin ceux qui ont la recette, en tout cas moi je ne l’ai pas, mais je sais qu’il s’agit d’une question de pratiques sociales. Et là, contrairement aux dogmatiques de toutes les obédiences, je pense qu’il faut laisser le champ libre aux expérimentations, aussi loin peuvent-elles sembler à priori de la perspective communiste et révolutionnaire.
      Et laisser le champ libre, cela veut dire y participer et non ricaner d’un air supérieur au prétexte qu’il s’agit là d’un mouvement « réformiste » ou « parcellaire. »
      C’est être partie prenante de certains combats quotidiens du salariat : non pas pour son maintien, mais parce que la bagarre commence aussi par des revendications qui peuvent paraître minimes aux Suffisamment Nantis Par Ailleurs : augmentations de salaire, amélioration des conditions de travail, etc.
      C’est participer aux alternatives qui jaillissent un peu partout, brouillonnes, idéalistes, fumeuses parfois, et toujours menacées d’une réincorporation dans le jeu de go du capitalisme, mais qui témoignent d’un désir d’autre chose, d’une volonté, parfois confuse, de transformer la vie.

      • lundi 21 mai 2012 à 17h18, par Ceruru

        «  »Sortir de la résignation de masse«  ? Bien entendu, c’est la question essentielle. »
        En effet, tout à fait d’accord avec le commentaire de Karib à propos de celui de S.Q. sur cet article très enrichissant de Charles Reeve. Et j’en rajoute donc une couche... En effet ce n’est que dans les bagarres au jour le jour, dans la diversités des stratégies, souvent simplement pour se maintenir en vie, aussi dans la défense de ses droits et l’améliorations de ses conditions de vie que les exploités et les exclus tracent les voies de ce qui pourra être l’organisation de leurs vies pour eux-mêmes... Ce ne peut être que sur la base des liens qui se créent dans ces actions que l’affirmation d’autres possibles dans l’organisation humaine devient vivante et susceptible de naître....



  • jeudi 17 mai 2012 à 18h39, par B

    Vous l’avez trouvé la citation du ministre portugais !

    Sur le coup, j’ai cru que c’était un Polonais sous le troisième Reich.

    Faut bien expliquer aux Portugais que maintenant tout le monde est libre
    et que c’est leur ministre qui a un petit problème avec la discipline.



  • jeudi 17 mai 2012 à 19h02, par Isatis

    Merci pour cet éclairage, du pas lu ailleurs comme d’hab :-)



  • dimanche 20 mai 2012 à 18h43, par juju

    Article très bien documenté sur l’état où on vit aujoud’hui au Portugal,que demoralise tout le monde dans le présent et surtout le futur. L’article fait une analyse assez complète, e avec connaissance de cause. L’analyse sur les syndicats est particulierment pertinente et c’est vrai qu’ils sont très engagés à ne pas affronter le gouvernement. La curruption e le rôle du jornalisme mériterait d’être abordés aussi.

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