ARTICLE11
 
 

mardi 17 janvier 2012

Sur le terrain

posté à 18h16, par Lémi
3 commentaires

Montreuil : Roms sweet home ?

A Montreuil, une petite association se démène contre l’air du temps. L’heure a beau être aux politiques d’expulsion et à la xénophobie d’être, Ecodrom n’entend pas baisser les bras. L’objectif : casser l’isolement et la misère en fournissant à certains Roms de la ville une activité professionnelle via des terres agricoles et des ateliers d’artisanat. Enquête sur place.

Cet article a été publié dans le numéro 5 de la version papier d’Article11, imprimé en juillet dernier. Il était accompagné d’un entretien avec Alexandre Le Clève, juriste pour la Cimade, mis en ligne hier : « Les Roms sont un laboratoire juridique »

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Un petit bidonville aux portes de Montreuil, pas loin du périphérique parisien, en bordure du quartier des « Murs à pêches »1. Derrière des parois branlantes et une grande porte fatiguée, une dizaine de cabanes faites de bric et de broc – carton, plastique et bois de récupération essentiellement2. L’endroit a beau être délabré, il est chaleureux, accueillant. Quelques chiens gambadent, des gamines babillent en faisant du hula hoop, trois mômes se marrent en pointant du doigt le gadjo en visite, et les plus âgés jouent paisiblement aux cartes autour d’une table. Home sweet home ?

Ici, au bout de la rue de Rosny, vivent une vingtaine de personnes, dont huit enfants. Des Roms. Tous sont originaires de la région d’Arad, grande ville de l’ouest de la Roumanie, aux confins de la Yougoslavie et de la Hongrie, où ils vivaient du travail de la terre. Ils ont atterri sur ce terrain appartenant à la mairie après de nombreuses péripéties, abonnés aux expulsions et aux déménagements en catastrophe. Regroupés sous l’autorité d’Alex – le « chef » des lieux –, trentenaire débonnaire et débrouillard, le seul à parler français couramment, ils tentent de se construire une vie moins précaire, à l’abri des expulsions et des coups du sort. Voilà trois ans qu’ils sont ici.

Ils s’y plaisent, explique Alex, retraçant les contours de leur exil autour d’un coca chaud3 : « On a connu tellement de problèmes et d’expulsions en France – à Sevran, Saint-Denis ou Argenteuil – que cet endroit paraît, en comparaison, vraiment bien. On construit quelque chose, c’est encourageant.  »

Jouxtant les cabanes, le long des murs à pêches, trois parcelles de terrain symbolisent les espoirs de la petite communauté. Les deux premières sont dédiées à l’agriculture – l’une est occupée par un grand jardin abritant des rangées de légumes bichonnés, pommes de terre, tomates, choux ; l’autre par des arbres fruitiers, pruniers, pommiers, poiriers. La troisième devrait bientôt accueillir les nouvelles cabanes – plus spacieuses, moins délabrées – censées succéder aux habitats existants. Enracinement durable ? C’est en tout cas ce qu’espèrent les habitants du lieu et ceux qui les aident. Un pari compliqué. À quelques dizaines de mètres du camp, dans les broussailles, les nombreux déchets qui jonchent le sol, reliquats d’un autre camp expulsé manu militari fin 2010, rappellent que rien n’est gagné.

« Davantage d’autonomie »

Aux côtés des Roms de la rue de Rosny, on trouve une association, Ecodrom, fondée en 2010 par Colette Lepage. Un documentaire de Laurence Doumic, De L’Autre côté de la route, retrace la naissance de la structure, initiative individuelle devenue combat collectif : habitante de Montreuil, Colette voit plusieurs familles roms s’installer en face de chez elle, sur un talus surplombant l’A86. Un beau jour, elle traverse la route et sympathise avec ces nouveaux voisins. Puis rameute d’autres habitants du quartier, désireux de donner un coup de main. Lorsque le camp – environ 150 personnes – est expulsé, Colette et ses amis se démènent pour aider une famille avec qui ils ont noué de forts liens d’amitié. De fil en aiguille naît Ecodrom, pied de nez à l’air du temps. Colette : « Dans ce contexte déplorable qu’on connaît tous – les déclarations de Sarkozy et les politiques d’expulsion –, on a cherché un moyen de pérenniser leur présence ici, de les défendre autrement.  »

Si d’autres associations de Montreuil mènent un travail de suivi (sanitaire, scolaire, etc.) auprès des nombreux Roms de la ville4, aucune n’a poussé aussi loin la démarche privilégiée par Ecodrom : encourager les familles concernées à développer leurs savoir-faire, tabler sur l’auto-subsistance plutôt que sur la dépendance. Christian Grisinger, sculpteur montreuillois, ancien militant reconverti dans l’associatif par volonté de privilégier le « concret », explique : « On souhaite leur donner davantage d’autonomie, en se basant sur des compétences qu’ils possèdent déjà, notamment en agriculture, en maçonnerie et dans le travail du fer. Il ne s’agit pas seulement de les aider de manière primaire, mais aussi de transmettre des savoirs, des moyens de subsistance sur le long terme. » Avant d’ajouter, résumant la démarche d’Ecodrom : «  La notion d’insertion communément admise implique que tout le monde devienne de bons petits gaulois ; c’est stupide. Les Roms ont une culture, des manières de fonctionner et des spécificités : on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. Il ne s’agit pas de les transformer, simplement de leur donner les moyens de se débrouiller par eux-mêmes. »

Les cultures vivrières développées rue de Rosny et – depuis peu – sur un terrain situé rue Emile Beaufils5, s’inscrivent dans cette idée. Tout comme l’atelier Eco-Fer, lancé en février 2011, dans lequel travaillent à temps plein cinq Roms. Ces derniers (et leurs familles) sont installés à La Boissière, dans le Haut-Montreuil, où ils bénéficient d’un habitat en dur et d’une salle de soutien scolaire6. Dans l’atelier en lui-même, plutôt spacieux, des machines pour travailler le métal et une trentaine de meubles et objets en matériaux de récupération : chaises et lampes en acier, tables basses en verres, etc. Une récente exposition parisienne, couronnée de nombreuses ventes, a prouvé la viabilité financière du projet. Reste à atteindre un autre objectif, clairement affiché : que les apprentis ouvriers puissent gérer le lieu seuls, sans l’aide d’un professionnel comme Christian.

« Pour vivre autrement que de la manche »

Le raisonnement à l’origine de la naissance d’Ecodrom est basique ; et imparable. Quand ils arrivent en France, chassés de leur pays par la nécessité économique, la plupart des Roms ne parlent pas français et peinent à trouver du travail, sinon sous-payé et au noir. Hors la mendicité ou la magouille, peu de solutions. Lors d’une récente manifestation contre les politiques d’expulsion, une pancarte proclamait ainsi : « Pour vivre autrement que de la manche  ». Alex a connu ça, dès son premier séjour en France, il y a treize ans : « C’était l’horreur. J’étais avec un ami, et on ne trouvait presque jamais de travail, d’autant qu’on ne parlait pas un mot de français. Alors, je faisais la manche. Je suis rentré en Roumanie au bout de trois semaines, je n’en pouvais plus. » Il a ensuite alterné petits boulots et mendicité, en France mais aussi en Espagne et au Portugal. Aujourd’hui, lui et sa femme parviennent à joindre les deux bouts en donnant des coups de main à des amis tsiganes embauchés sur des chantiers de nettoyage. Précaire, mais suffisant pour envoyer un peu d’argent à ceux qui sont restés au pays. Et rêver d’un avenir où Alex construirait une petite maison de vacances à côté de celle de sa mère, en Roumanie.

Au cœur de la démarche d’Ecodrom, la conviction que les principaux concernés doivent être partie prenante de toutes les décisions. Pas question de les exclure des démarches en cours, notamment des sempiternelles négociations avec la mairie (à qui appartiennent les terrains occupés). « Ils viennent par exemple quand il y a une réunion à la mairie : ils tiennent à donner leur avis  », insiste Christian.

Revers de la médaille, l’association ne travaille qu’avec un nombre limité de familles, doit « cibler » sa démarche. Tisser un lien de confiance demande du temps, de l’énergie ; quelques bénévoles impliqués quotidiennement7, les deux pieds dans le concret, ne peuvent renverser la vapeur à eux seuls. D’où la volonté d’essaimer, de défricher une route que d’autres suivront : « Notre démarche est pensée pour être reproductible », conclut Colette. À bon entendeur...



1 Les murs à pêches de Montreuil sont les reliquats de la culture de pêchers en espaliers, développée dès le XVIIe siècle et florissante jusqu’à la fin du XIXe.

2 Sur une façade confectionnée à l’aide de matériel publicitaire, on peut lire, clin d’oeil involontaire : « BNP Paribas, à vendre ».

3 Lors de mes passages, fin juin, l’électricité connaissait quelques ratés...

4 Montreuil est un lieu de chute privilégié des populations roms, surtout depuis la destruction de trois grands bidonvilles de Seine-Saint-Denis en 2007. Ils sont environ 850 sur le territoire de la commune, Roumains et Bulgares principalement.

5 Pour l’instant, les terres cultivées ne sont destinés qu’à l’auto-consommation. Mais la situation est appelée à évoluer, d’autant que le mode d’agriculture choisi est compatible avec une certification bio, élément essentiel pour une éventuelle commercialisation.

6 La salle dispose d’une petite bibliothèque et d’ordinateurs, et servira aussi pour des cours de rattrapage. Quant aux huit enfants de la route de Rosny, trois vont à l’école depuis peu ; les autres, plus jeunes, ne tarderont pas à faire de même.

7 Outre Colette et Christian, citons Thérèse, avocate qui se démène pour opérer un suivi judiciaire des Roms de Montreuil.


COMMENTAIRES

 


  • mardi 17 janvier 2012 à 20h57, par Un partageux

    Il est bon d’écrire que les Rroms arrivant de l’Est ne sont pas des gens sans savoir ni savoir-faire. Et de montrer ce savoir-faire. C’est avec de telles expériences que l’on casse l’argumentation facile sur le « parasitisme » et « l’assistanat ».

    Autour de Montreuil on connaît des entreprises qui savent très bien utiliser les compétences professionnelles de migrants avec ou sans papiers. De petits entrepreneurs peu scrupuleux se contentent de compétences linguistiques pour exploiter la misère...

    http://partageux.blogspot.com

    • mercredi 18 janvier 2012 à 19h21, par Votre nom (ou pseudonyme)

      Je suis d’accord avec toi, mais pourquoi petits entrepreneurs ? J’ai croisé y a peu, par hasard, un mec que je connaissais, sur le chantier du tram parisien, un peu au dessus de la porte de Montreuil. Les grosses boites aussi exploitent la misère, et pas qu’un peu.



  • jeudi 19 janvier 2012 à 11h46, par Décroissant

    Bravo.
    Un bien bel exemple.
    Malgré le fait qu’il ne soit pas multipliable a grande échelle. (a causes des lois !)
    La relégation des ces gens a des basses besognes voir a la mendicité leur est imposé par le systeme.
    Ils ont pourtant la plupart des compétences très intéressantes dans notre société actuelle.Ils savent réparer, bricoler, re utiliser, travailler avec ses mains, travailler la terre.. ce qui a été perdu il y a bien longtemps en France.
    C’est assez ironique de voir que ce sont eux qui peuvent nous aider a penser un autre modèle de société. Une société liée à la terre, au travail manuel.
    Leur stigmatisation est bien pratique pour tous le monde, on leur fait porter des responsabilités qu’ils n’ont pas, cela évite toutes réflexions sur soi et sur son rapport aux autres

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