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jeudi 8 novembre 2012

Textes et traductions

posté à 18h53, par Clark Kent & Loïs Lane
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« On a bien compris que l’aéroport signifiait notre mort »

Il y a un paysan retraité, un membre de collectif, une éleveuse de vaches laitières et des nouveaux habitants, installés sur la ZAD depuis quelques mois ou années ; tous ont de bonnes raisons de s’opposer au projet d’aéroport de NDDL. Il y a deux ans, les camarades de la revue Z avaient recueillis leurs témoignages - publiés dans le numéro d’automne 2010. Les voici en ligne.

Les témoignages ci-dessous, qui accompagnent le texte mis en ligne hier, ont été publiés dans la revue Z n°4 parue en automne 20101. Le numéro de 176 pages, consacré à Nantes, aux impostures du développement durable et à l’écologie politique est toujours disponible sur commande en envoyant un mail à : contact@zite.fr.

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«  On a bien compris que l’aéroport signifiait notre mort »
Michel Tarin, paysan retraité

« J’ai repris la ferme de mes parents en 1969. à ce moment-là, j’étais déjà à « Paysans en lutte ». Notre réflexion, c’était de se dire  : nous sommes des paysans travailleurs. Travailleurs de la terre et non pas exploitants ou chefs d’entreprise. On était un groupe de paysans, mais on avait beaucoup de liens avec le monde ouvrier. Beaucoup d’ouvriers à Nantes et ses alentours venaient du monde paysan. On avait donc tous un frangin, un cousin, un copain qui travaillait comme ouvrier dans telle ou telle usine. De plus, en Loire-Atlantique, il y a une forte histoire syndicale, ouvrière et paysanne. Ces liens-là ont toujours existé entre les deux mondes.

La toute première fois que j’ai entendu parler de l’aéroport, c’était en 1963, dans une plaquette produite par l’Oream (Organisme régional d’études et d’aménagement métropolitain). On y voyait le développement à venir pour les cinquante prochaines années, avec de grandes voies d’accès pour relier les métropoles de l’Ouest (Rennes, Nantes, Saint-Nazaire). Quatre ans plus tard, le préfet de Loire-Atlantique convoque les maires des quatre communes concernée  : Notre-Dame-des-Landes, Trellière, Grand-Champs et Vigneux. Il parlait d’un « Rotterdam aérien ». Les maires étaient très heureux. Nous, on avait bien compris que l’aéroport signifiait notre mort, mais les créateurs de ce projet n’avaient pas pensé que les paysans s’opposeraient.

En 1972, le projet commence à se préciser. En opposition, on crée l’Adeca (Association des exploitants concernés par l’aéroport). Dedans, il y a toujours eu un petit groupe d’aiguillons, plus radical, dont nous faisions partie avec Julien Durand et d’autres. On ne voyait pas pourquoi faire un aéroport  : on le refusait en tant que tel, mais aussi en tant que projet de développement plus global. Mais cette position n’était pas partagée par tout le monde.
Quand on a commencé à s’organiser contre l’aéroport, la première chose à faire pour nous, c’était d’informer au maximum les gens de ce qui était en train de se préparer et de ce qui allait nous arriver. Une délégation était partie enregistrer les bruits de l’aéroport d’Orly, et était revenue pour faire écouter aux gens des bourgs et aux paysans ce qui nous attendait. En écoutant le boucan, on se disait tous que nos vaches ne tiendraient jamais  !
On a aussi mené des actions un peu plus poussées. L’armée venait s’entraîner dans le secteur, sur les terres du Conseil général. Quand ils arrivaient avec leurs jeeps et leurs camions, on y allait avec nos tracteurs, et on leur disait de balayer le terrain. On avait une culture anti-militariste bien ancrée  : c’était en même temps que le Larzac, une lutte qui avait été grandement mise en place par des gens de Loire-Atlantique, dont Bernard Lambert2.

Il y avait aussi un enjeu important  : installer des jeunes. Le décret avait instauré le gel des installations, donc les jeunes ne pouvaient pas avoir de prêt pour se lancer, ni rien. On a fait des manifestations, on a bloqué la DDA (Direction départementale de l’agriculture). Fin 1981, on a obtenu du ministre des Transports de l’époque, Charles Fittermann – un communiste –, une autorisation signée de sa main pour installer des jeunes, en attendant que l’aéroport se décide. Alors ça, c’était un bon coup  ! Lorsqu’on est revenus ici, on nous a traités de menteurs, on nous a dit que le document signé était un faux  ! C’est que le préfet, ici, n’était même pas informé. On s’est marré avec ça, c’était bien  !
À partir de ce moment-là, on a fait valoir nos droits pour les installations, et on a obtenu des prêts. Du coup, la moyenne d’âge des paysans sur la zone était la plus jeune de tout le département. C’est encore le cas aujourd’hui, parce qu’on continue à lutter pour de nouvelles installations.

Le monde paysan a bien changé. Depuis une quinzaine d’années, les jeunes sortent de formations sur lesquelles nous n’avons plus aucune influence. Pendant longtemps, on avait des contacts avec des enseignants dans les formations agricoles, avec le monde ouvrier ou intellectuel, que nous n’avons plus tellement aujourd’hui. Cette jeunesse agricole, comme la jeunesse ouvrière, est beaucoup moins politisée. En 1968, dans les facs de Nantes, il y avait du répondant. Cet esprit combatif s’est un peu perdu. Je ne retrouve plus du tout ce que j’ai connu à l’époque  : c’est tout juste si après un appel à la mobilisation contre l’aéroport à la fac, quinze étudiants se déplacent. Pour donner un autre exemple concret, la chambre d’agriculture était jusqu’à il y a peu présidée par la Confédération paysanne, qui s’opposait à l’aéroport. Aujourd’hui, elle est passée aux mains de la FNSEA, et elle est présidée par un gros éleveur porcin. Le monde paysan, il est à cette image-là. »

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«  L’aéroport accélère la gentrification en cours »
Rody et Allison, deux nouveaux habitants de la ZAD

Rody    : « Ce projet d’aéroport, c’est un déni de démocratie. Quand tu regardes la manière dont les décisions ont été prises, la manière dont les politiques se sont emparés de ce projet, tu vois que tout est décidé dans des bureaux par des techniciens et des experts en tout genre sans prendre en compte l’avis de la population locale. Ça me met en colère de voir que la voix des gens n’est pas entendue. Sur place, à Notre-Dame-des-Landes, ça va être un bouleversement du territoire. On va chambouler un cadre de vie, une agriculture, on va déplacer des gens... Tout ça pour installer un projet conforme à l’économie d’aujourd’hui  : une économie libérale à outrance qui permet des déplacements pour une catégorie de personnes seulement, ceux qui en ont les moyens.

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Affiche empruntée au site des Tritons crêtés, Zone à défendre (ICI), très bonne source d’information sur le mouvement de résistance en cours.

Les politiques locaux, menés par Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes, Patrick Maréchal président du Conseil général ou Jacques Auxiette du Conseil régional, je les considère comme des Attila  : après eux, l’herbe ne repoussera plus. Par contre, le béton sera à l’honneur  ! Derrière, ce sont des financiers, des sociétés de services, des industriels du bâtiment... Tout le cortège des capitalistes qui viendra prendre sa part du gâteau  ! Un aéroport, ce n’est pas seulement un aérogare et une piste d’atterrissage, c’est toute une infrastructure routière, des zones commerciales, des déplacements effrénés  : c’est une machine qu’on n’arrête plus.
Dans le cadre de ce développement-là, la visée c’est de faire de Nantes une mégapole, à l’instar de Paris, vers laquelle convergerait tout le Grand-Ouest. Aujourd’hui, on n’a réellement pas besoin de ce type de projet. On a déjà des aéroports qui existent et qui ne fonctionnement pas pleinement. Les gens doivent réagir, avant tout pour dire que nos vies nous appartiennent. On a besoin de mener nos propres réflexions et de nous battre pour qu’elles ne soient pas passées sous silence  ! »

Allison   : « L’idée, c’est de faire de la ville un pôle d’attractivité... Avant que Jean-Marc Ayrault n’arrive au pouvoir, Nantes était appelée « La belle endormie ». L’idée des politiques locaux a donc été d’en finir avec l’image de province tranquille, pour en faire un haut lieu du développement, des nouvelles technologies aux industries du loisir. Nantes est censée devenir « L’endroit où il faut être » quand tu es cadre supérieur. L’aéroport, c’est un élément d’un projet de développement qui vient accélérer la gentrification déjà en cours. Lutter contre ce projet, c’est lutter contre une idée de développement qui nous dépossède toujours un peu plus de la capacité de décider pour nos vies, de créer des liens de solidarité, de vivre en dehors des logiques du profit, etc.

Pour nous, c’était donc important de venir nous installer ici, à l’endroit même où devrait être construit cet aéroport qu’on refuse. Il nous a fallu du temps avant de pouvoir faire le pas  : rencontrer les gens et se sentir un peu soutenus.
Les premiers contacts n’ont pas forcément été faciles. On est peut-être arrivés avec nos gros sabots. En face, il y avait sans doute des gens qui étaient inquiets de voir se ramener de nouvelles personnes opposées à cet aéroport, avec une autre manière de vivre et de s’organiser... Il nous a fallu réfléchir sur nous et revoir un peu notre manière d’aborder les gens. »

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Rody   : « Nous sommes dans une démarche de collectivisation des activités. Chacun est responsable de tout, ce qui permet de partager les tâches et de créer de l’entraide, concrètement. Et d’éviter que quelqu’un soit indispensable... La plupart des anciens de cette lutte restent dans un esprit très légaliste. On n’a pas la même optique d’actions ni d’organisations  ; nous avons choisi une autre tactique. On occupe les lieux  : les terrains, les maisons, et on s’oppose aux forages, au maximum. Ce ne sont pas forcément des manières de faire très répandues, mais on n’est pas pour autant les moutons noirs de la ZAD, et on a certainement des choses à faire ensemble, au-delà des divergences politiques.
À la Vache-rit, le lieu de réunion de l’Acipa, il y a une grande banderole qui dit  : « Pas d’aéroport, ni ici, ni ailleurs  ! » Nous répondons  : « Ceux qui viennent lutter sont d’ici et d’ailleurs  ! » À Notre- Dame-des-Landes, on ne pourra pas faire sans les gens qui viennent d’ailleurs.
De nouvelles personnes vont arriver et s’installer pour défendre ce territoire. Il faut faire avec ces nouvelles composantes. »

Allison   : « On est dans un tournant de cette lutte  : beaucoup de gens extérieurs commencent à s’y intéresser. Au lieu d’être toujours dans l’opposition – une position qu’on traînait depuis deux ans –, j’ai l’impression qu’on commence à réfléchir à ce que nous pouvons partager d’autre qu’un aéroport... Et c’est intéressant de réfléchir à ce qu’on pourrait faire ici. D’ailleurs, quand on y pense, paradoxalement, le projet d’aéroport a permis de préserver cette terre. Il n’y a pas eu de remembrement, par exemple. Le paysage et l’organisation des terres ont été préservés par les rachats du Conseil général, ce qui permet à des gens nés ici de dire qu’ils retrouvent les chemins de leur enfance, et qu’ils reconnaissent les paysages qu’ils ont connus mômes. Habiter ici, ça ouvre plein de possibilités. »

Rody   : « Si l’aéroport ne se fait pas, on aimerait travailler sur une nouvelle économie qui ne repose pas sur le profit ni la spéculation, mais qui soit plutôt fondée sur l’échange. C’est possible de construire ça, si d’autres personnes continuent à venir s’installer.
On avait émis l’idée de créer un collectif de vie paysanne. C’est encore en gestation, mais l’idée est de se dire qu’on prend un lieu et, à partir de là, on crée des activités agricoles ou artisanales (atelier bois, jardins partagés, couture, etc.). On aimerait recréer l’esprit d’un village  ; ce qui se perd parce qu’il y a la télé, internet et tout un tas de béquilles technologiques qui nous éloignent les uns des autres. Sans parler du fait que la plupart des gens doivent faire plein de kilomètres pour aller travailler... »

Allison   : « Aujourd’hui, par exemple, c’est la fête de l’écomusée rural. Pour nous, ça veut bien dire que la volonté politique est de figer la ruralité dans un musée  ! »

Rody   : « Pourtant, elle existe toujours la ruralité. Il y a quand même des relations qui existent et d’autres qui sont en train de se créer avec ce projet d’aéroport. Il nous faut les amplifier et les faire fleurir un peu partout sur la ZAD et au-delà. Ça va se faire au fur et à mesure. C’est là-dessus qu’on sera forts, en ancrant dans le temps notre lutte face aux pouvoirs publics. On pourra dire  : « Voilà ce que vous allez détruire, un tissu de relations sociales, des activités, un monde paysan, des rapprochements urbains-ruraux, etc. » »

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« Faut voir ce qu’il faudrait détruire pour cet aéroport »
Claude, membre du collectif Les habitants qui résistent

« Je suis arrivé il y a une douzaine d’années pour un boulot de cuistot dans un institut de rééducation, pas loin d’ici. La première fois que j’ai entendu parler de cet aéroport, c’était par mon voisin. Il m’a dit que ça faisait quarante ans qu’on en entendait parler, mais que rien ne se passait vraiment. Naturellement, je trouvais ça complètement idiot de faire un aéroport ici, mais comme je ne suis pas militant du tout, je ne faisais partie d’aucune association. Je regardais ça de loin... Enfin, jusqu’au jour où j’ai vu les cars de CRS se poster pendant plusieurs jours dans le bourg de Notre-Dame-des-Landes, pour une réunion autour de la Déclaration d’utilité publique (DUP). On était plusieurs à voir la scène, et on a commencé à gueuler, à s’agiter. Finalement, on faisait tellement de boucan qu’ils ont dû annuler. C’est comme ça que j’ai rencontré les gens qui étaient dans la lutte.

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L’année dernière, notre propriétaire a vendu la maison dans laquelle on vit à France Domaine, une société de l’Aviation civile. Il nous a dit de ne plus lui payer de loyer et d’attendre un signe des nouveaux propriétaires. Il a vendu pour l’argent, comme il l’a fait pour une ferme un peu plus bas. De mars à décembre 2009, on n’a eu aucune nouvelle. Puis, fin décembre, on a reçu un bail précaire dans lequel était stipulé qu’on pourrait être viré du jour au lendemain, sous un délai de deux mois, et que les charges de la maison allaient être à nos frais. J’ai refusé de signer ce bail et leur ai écrit pour leur demander de rester sous mon bail précédent. Depuis, silence radio. Donc, de fait, cette maison est « occupée ». On a décidé de rester avec ma compagne et mes deux enfants. Certains me conseillent de préparer mes arrières, de trouver une maison avant qu’on en arrive au clash. Mais je me dis que si je commence à chercher une maison, ça veut dire que je suis sur le départ, ce qui n’est pas le cas.

Si les travaux venaient à commencer, pas mal de personnes, qui sont pour le moment en retrait, prendraient clairement position. La majorité des habitants reste passive et certains pensent même que ça leur profitera en apportant des commerces, ou je ne sais quoi d’autre. Mais ils ne s’imaginent pas à quoi ressemble un aéroport international  ! Des hôtels, des feux rouges, des ronds-points, des grandes surfaces, l’arrivée de la ville ici  !
C’est pas que je sois contre les déplacements en avion, mais faut arrêter, on a assez d’aéroports dans la région  ! Et puis, cet aéroport ne profitera réellement qu’à une poignée de gens, il servira essentiellement à enrichir quelques individus déjà plutôt bien lotis. Certains diront que, maintenant, tout le monde peut profiter de l’avion, avec les semaines au soleil à 199 euros... Mais franchement, je ne vois pas l’intérêt de ce genre de vacances. C’est de la pure consommation. Et même en admettant que pas mal de gens ont cette envie, ils ont déjà un aéroport à Nantes  ! Faut voir ce qu’il faudrait détruire ici pour que cet aéroport se fasse... »

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« Ce qui me révolte, c’est l’avancement de l’urbanisation »
Sylvie Thébault, éleveuse de vaches laitières sur la ZAD

« On est arrivés par hasard dans la région, en 1999. On cherchait une exploitation laitière à reprendre, et c’est ainsi qu’on s’est retrouvés à Notre-Dame-des-Landes. Après avoir visité une vingtaine de fermes, on a trouvé celle-ci. Quand on a repris l’exploitation, il y avait 43 hectares, dont une douzaine qui appartenaient au Conseil général, en bail précaire. L’intitulé exact du bail était « Concession d’usage temporaire ». Ils pouvaient nous reprendre les terres quand ils le voulaient. Je n’ignorais donc pas qu’il y avait un projet, mais il était en sommeil depuis une vingtaine d’années. Et puis on se disait que, si l’aéroport se faisait, seulement une partie de nos terres seraient concernées. On prenait donc un risque en s’installant ici, mais on n’imaginait pas que le projet allait se réveiller si tôt  !

Un an plus tard, en octobre 2000, Lionel Jospin relançait le projet d’aéroport – alors que Dominique Voynet était ministre de l’Environnement. Quand on a entendu ça, on n’y a pas cru. On était sidéré par les arguments, notamment celui de la saturation de Nantes-Atlantique. On se disait que c’était vraiment de l’intox et que s’ils voulaient faire un aéroport, ce n’était certainement pas pour les raisons avancées. L’aéroport Nantes-Atlantique est loin d’être dépassé et, à moins d’imaginer une explosion du trafic, il ne le sera jamais. Toutes les prévisions en terme d’affluence ont été contredites par le temps. Les infrastructures actuelles suffisent amplement  ! S’il y a un nouvel aéroport à Notre-Dame, que vont devenir ceux de Saint-Brieuc ou de Brest  ? Et prenons l’exemple de l’aéroport d’Angers  : il est neuf, il a coûté beaucoup d’argent... et il est fermé la moitié de l’année  !
On nous raconte aussi que le nouvel aéroport créera de l’emploi... Mais où iront les gens qui travaillent à Bouguenais lorsque l’aéroport de Nantes-Atlantique sera fermé  ? On a aussi besoin de logement social en France, ça ferait tout aussi bien des emplois et ce serait d’intérêt public. On peut faire des choses autrement utiles qu’un nouvel aéroport dont on n’a pas besoin.

Très concrètement, ce projet d’aéroport est un projet pharaonique pour un trafic qui ne justifie pas cet espace. Ça se veut un aéroport à Haute Qualité environnementale (HQE), mais c’est incroyable de qualifier d’écologique un projet qui consomme autant d’espace agricole  ! Sans compter qu’avec l’épuisement des énergies fossiles, l’aviation va devoir se tourner vers les agrocarburants. Et, pour fournir la France ou l’Europe, il nous faudrait consacrer un espace démesuré à ces cultures, ce qui signifie qu’on n’aurait pas assez d’hectares pour nourrir les gens  ! On peut déplacer ces monocultures dans d’autres régions du monde, comme cela se fait déjà aujourd’hui. Mais comment vont se nourrir les gens dans ces pays-là  ? Alors allons-y, continuons à spolier des régions entières du monde pour satisfaire nos envies de développement  ! Je pense plutôt qu’il est temps de remettre en cause notre modèle de développement.

Naïvement, je me dis qu’on est peut-être arrivés à la fin des beaux jours du transport aérien. Pour ceux qui voyagent beaucoup, comme les hommes d’affaires, une piste suffit. Pour les autres, comme les retraités qui ont du temps et un peu d’argent à mettre dans des voyages, le vent tourne... Ils vont être de moins en moins privilégiés. Il suffit de regarder les réformes en cours  : c’est assez évident que les retraités auront sans doute d’autres choix à faire que de voyager. Ils devront peut-être aider leurs enfants et leurs petits-enfants à vivre  ! J’ai l’impression que le faste des Trente Glorieuses est derrière nous. Les disparités sociales qui s’accroissent à ce point dans un pays dit développé comme la France, c’est assez effarant. Dans ce paysage, un aéroport, ce n’est pas un projet d’intérêt public. Ça ne va concerner qu’une poignée de favorisés.

Ce qui me révolte aussi dans ce projet, c’est l’avancement de l’urbanisation. La ceinture verte de Nantes dont on entend parler sera remplacée par des But, des Conforama, des McDonald’s, etc. On a un développement concentrationnaire  ! Les gens habitent de plus en plus loin, et il y a de plus en plus de problèmes de circulation parce que l’emploi reste concentré au même endroit. Les communes rurales, elles, se transforment en cités-dortoirs, sans vie. J’ai peur qu’on ne garde que quelques paysans pour préserver ce qui reste du bocage nantais... On veut faire une zone agricole protégée autour de la ville, mais ce n’est pas satisfaisant  ! On ne veut pas devenir une réserve d’Indiens  !
La terre, en tant que telle, n’est pas encore considérée comme un bien rare. On a besoin d’aménager une nouvelle grande surface ou de faire une nouvelle autoroute  ? Eh bien  ! ce n’est pas un problème, on prend ce bout de pré  ! Voilà la logique...

Cet aéroport est inutile, sous tous ses aspects. Moi, je me dis que j’essaierai de rester au maximum, jusqu’au bout. J’ai fait le choix d’être agricultrice il y a dix ans. Je veux continuer ce métier. Je suis bien ici, et je ne vois pas pourquoi on devrait partir. »

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« Quand tu plonges tes mains dans une terre, tu ne les retires pas comme ça ! »
Claire, nouvelle habitante de la ZAD

« À partir des premiers forages, des appels ont été lancés pour empêcher les machines de passer. À ce moment-là, j’ai commencé à rencontrer des gens impliqués dans cette lutte. Une partie, plutôt passive, était là pour montrer son désaccord face aux forages, et une autre, plus dans l’action, a tenté de les empêcher. Ceux-ci sont sortis dégoûtés de cette situation  : ils étaient très peu et, en face, il y avait des centaines de flics. Toute la zone était militarisée, il y avait peu de moyens d’agir.

En parallèle, le Camp Action Climat s’organisait avec l’idée de dépasser les enjeux locaux. Ça a permis à pas mal de gens de venir sur place et de se mettre au courant. Jusque-là, la lutte restait cantonnée à un niveau très local, dans les bourgs du coin surtout. Les informations ne circulaient même pas dans les milieux militants des villes alentour. Pendant le Camp, un nouvel appel a été lancé par des habitants de la ZAD, cette fois-ci pour venir occuper les terres et les maisons rachetées par le Conseil général. Plusieurs personnes ont répondu à cet appel, et sont encore ici.
Cette période, avec les actions contre les forages et le Camp Action Climat, m’a permis de rencontrer des gens, mais aussi de venir sur place, pour des réunions, des chantiers. On a construit cette grande cabane sur le terrain des Planchettes, pour avoir un espace de discussion à nous. Et puis j’ai ramassé des champignons, et quand tu commences à avoir tes bons coins à champignons, t’es chez toi  ! J’ai défriché un bout de terrain pour y faire un potager. À force d’y travailler, je me suis dit  : «  Pourquoi pas y vivre  ?  » J’ai fait des plans, récupéré du matériel, et on a construit la cabane avec des amiEs. C’est une structure simple  : un rectangle avec un toit monopente. On a mis deux semaines à la monter. Des copains paysans ont donné du bois, d’autres des bouts de plancher, le reste c’est de la récup’ de déchetterie. Les gens du coin n’ont pas mal accueilli mon installation. Il y avait une maison avant, qui a été rasée à cause du projet d’aéroport. Ça semblait normal de reconstruire sur ce terrain. Autour, il n’y a personne que je puisse croiser sans faire un brin de causette  : entre celles et ceux qui retournent la terre pour nos jardins, d’autres qui luttent de longue date, les nouveaux squatters, les anciens qui sont contents de voir du monde, ceux à qui on a filé la main pour des embrouilles de logement... C’est un bon quartier  !

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Parfois, je me dis que je suis là pour vingt ans. Je me sens chez moi  : j’ai fait la cabane, le jardin... Et quand tu plonges tes mains dans une terre, tu ne les retires pas comme ça  ! Je ne peux pas imaginer un aéroport ici  : c’est impensable que tout soit rasé, aplani, bétonné. Supprimer une région, sa gueule, ses gens, son histoire... Hop  ! Rayée de la carte, annexée au grand capital  ! Et puis dans dix ans, se balader dans un aéroport et se dire «  C’est où déjà qu’on vivait  ? Au fond du hall 3  ? Heu... J’dirais plutôt à l’entrée du parking B2  !   » Ça, c’est pas possible. Voir ce projet à l’œuvre permet de bien comprendre comment ce monde avance avec son contrôle, en arrachant des vies, des histoires.

Les occupations permettent d’entrevoir beaucoup de choses. Occuper la zone, c’est ne pas leur laisser le champ libre pour débuter les travaux. C’est dire  : «  On est ici chez nous. On ne bougera pas, et on vous mettra des bâtons dans les roues dès qu’on pourra  !   » Si la zone se vide, on ne pourra plus dire ça. Mais les occupations, c’est aussi plein de gens qui s’installent de différentes manières, avec des micro-collectifs qui se constituent et se lient. Ça fait comme un village étendu, dispersé. C’est un sacré enjeu de penser et de travailler à l’organisation, la coordination de tout ce monde-là. Je trouve ça passionnant. Pour l’instant, le quotidien nous prend beaucoup d’énergie  : on se lance sur un champ de patates pour avoir une base vivrière l’hiver prochain, il y a les jardins partagés, les chantiers collectifs pour construire, retaper les maisons ou les ouvrir, et puis se croiser, discuter...

Pour moi, venir ici, c’est s’opposer à un projet précis  : on sait contre quoi on se bat, pourquoi on se retrouve, même si ça se décline de plein de manières. Ce qui est important aussi, c’est de relier cette histoire à tout ce qui l’entoure  : urbanisation, contrôle, agriculture, technologies, frontières, travail, etc. C’est pas tant ce projet que ce monde qui est invivable. Mais c’est important de partager cette base du refus de l’aéroport, que ce soit avec les squatters ou avec celles et ceux qui se battent ici depuis des années. Les liens qui se font n’existeraient sûrement pas sans ce contexte. Une lutte, ça ouvre des portes entre des mondes parfois. S’il y a parfois de la méfiance, j’espère qu’elle va se défaire. Tisser des liens au-delà des personnes avec qui on partage un quotidien sur la ZAD, ça peut prendre du temps. Il faut de la patience et de l’acharnement  ! »

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Z au charbon

Un nouveau numéro de Z, revue itinérante d’enquête et de critique sociale, vient de sortir en librairie. Marqué par l’accident de Fukushima, le Z n°6 cherche à dévoiler l’envers de l’industrie nucléaire : de l’exploitation des mines d’uranium en Australie aux projets d’EPR français en Inde en passant par le recours à la sous-traitance pour l’entretien quotidien des centrales hexagonales.

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Par ailleurs, l’équipe de Z part mi-novembre s’installer pour un mois à Thessalonique, dans le Nord-Est de la Grèce. Dans un pays ouvertement piloté par les institutions financières depuis plus d’un an, quelles résistances, quelles formes de solidarité collectives face au pillage en règle des ressources du pays ? On nous parle d’hôpitaux autogérés, de luttes contre l’accaparement des terres agricoles, de tentatives multiples pour survivre et s’organiser solidairement alors que le modèle industriel apparaît désormais sous un jour purement prédateur. Face à ces alternatives, un « antimondialisme » d’une toute autre veine, le parti néo-nazi, s’implante à une vitesse fulgurante dans la société et multiplie les violences contre les boucs-émissaires de la crise...

À tous ceux et toutes celles qui se sentent lié.e.s à cette revue, celles et ceux qui y trouvent de la force, un écho, de la pertinence, ceux et celles pensant qu’il faut encore l’améliorer, nous lançons un appel aux abonnements et au soutien financier. Plus d’infos ICI.

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Manifs à ne rater sous aucun prétexte

Samedi 10 novembre à Paris : rassemblement à 14 h place de Belleville pour une marche en direction de l’hôtel de ville.
Samedi 17 novembre sur la ZAD : grande manif de réoccupation. Plus d’info ICI.

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2 Bernard Lambert, paysan de Loire-Atlantique, syndicaliste et ancien député de centre-gauche, fait partie de cette génération de militants qui se radicalisent politiquement à partir des années 1960. Son livre, Les Paysans dans la lutte des classes (Seuil, 1970, préface de Michel Rocard), est un plaidoyer pour l’unité d’action entre ouvriers et paysans.


COMMENTAIRES

 


  • vendredi 9 novembre 2012 à 09h15, par Michel GAUTHIER

    Bonjour
    Je participe à la rédaction du magazine Actualutte
    http://actualutte.com/

    Vu la qualité de cet article, nous permettez vous de le reproduire dans notre prochain magazine ?
    Bien sur nous y noterons vos coordonnés

    Merci de me donner une réponse par mail à cette adresse :
    michelgauthier78@gmail.com

    Michel GAUTHIER



  • dimanche 11 novembre 2012 à 18h21, par Jean-Pierre Garnier

    Il y a un autre enjeu, soigneusement dissimulé, à l’aménagement de ce nouvel aéroport : désaffecter l’ancien et « libérer » ainsi le terrain pour de juteuses opérations immobilières. « Éco-métropolisation ” aidant, l’étalement urbain a pour effet de placer l’aire actuellement occupée par l’aéroport dans la partie centrale de l’agglomération nantaise. Ce territoire va donc être « recyclé » : devenu comme tant d’autres « friche urbaine », il ne le restera pas longtemps. Les vautours de la promotion et de la construction ne tarderont pas s’abattre sur lui pour y faire du blé.

    • lundi 12 novembre 2012 à 18h13, par el mexicano

      Bien vu, JP. Je n’y avais pas pensé, mais c’est vrai qu’on imagine le scenario : à la place de l’ancien aéroport, un quartier éco-renouvelable, peuplé d’« acteurs culturels » et relié au nouvel aéroport par un tramway mu par l’énergie éolienne ! Putain, il y a des gens qui ont besoin d’aller voir des films d’horreur, quand elle se trouve là sous nos yeux ?! Bon courage à tous et à toutes pour le 17 novembre, ici au Mexique plein de collectifs sont en train de signer un document en soutien à ceux qui luttent contre Notre-Dame-des-Landes.



  • vendredi 16 novembre 2012 à 16h44, par B

    en résumé,
    ce projet d’aéroport, c’est le projet des stressés de la vie, des stressés au quotidien qui considèrent qu’ils sont les seuls à avoir des difficultés. Ils n’arrivent pas à relativiser, mais pour autant, on ne peut pas se forcer à aimer ce projet.

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