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samedi 2 juillet 2011

Le Cri du Gonze

posté à 16h24, par Lémi
13 commentaires

« Radioactivity » : requiem pour âge atomique
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Quand le feu nucléaire nous léchera les pieds, que les survivants s’entretueront dans leur bunker pour le dernier cracker radioactif, ce sera à Kraftwerk que je penserai. Impossible de faire autrement. Je soupçonne d’ailleurs les quatre génies de Düsseldorf d’avoir eu cette vision en tête quand ils composèrent « Radioactivity » en 1975 : leur musique, la fin du monde. Baoum.

Kraftwerk, « Radioactivity », 1975

Chape de plomb. Et d’atomes viciés. Des grésillements épars, des jets de vapeur, un compteur Geiger névrotique, un message en morse qui s’emballe, et cette voix robotique qui égrène l’évidence, candide et glaciale : « Radioactivity / Discovered by Madame Curie / Radioactivity / Is in the air for you and me  ». Pas d’explosion, pas de feu nucléaire fulgurant, mais l’irradiation traduite en musique, poisseuse, insidieuse, volatile. Une forme de Requiem pour âge atomique, d’épitaphe gravée au plutonium. À la fois magnifique et terrifiant ; mélodie désolante pour catastrophe en attente. L’album Radio-activity – dont est issu le morceau du même nom, tiret en moins – date de 1975 : plus de dix ans avant Tchernobyl. Seul un groupe du nom de Kraftwerk (« centrale électrique » en allemand) pouvait faire preuve d’une telle prescience, Nostradamus version synthés...

Plus tard, en 1991, quand Tchernobyl aura frappé, quand le groupe de quatre génies teutons aura mis de l’eau pop-dance-floor dans son vin musical jusqu’ici immaculé, Kraftwerk proposera une nouvelle version du chef-d’œuvre (ci-dessous), avec quelques modifications pour la rendre plus évidente : ajout des mentions de 4 catastrophes nucléaires – «  Tchernobyl, Harrisburg, Sellafield, Hiroshima  » – et d’un « stop  » devant les occurrences du termes « radioactivity  », évocation des « contamined population », conclusion du morceau sur « Sos » en morse... Pour la seule fois de son existence, Kraftwerk, groupe apolitique (plutôt : non-militant), prit publiquement position sur un sujet d’actualité.

Kraftwerk, « Radioactivity », 1991

Une deuxième version beaucoup moins puissante que l’originale, comme si elle était platement sous-titrée. Vidée de son mystère. Exit l’ambiance crépusculaire, place au binaire, au linéaire. Comme si un tel morceau nécessitait des explications, des pancartes, pour distiller son message. Avec ses ambiguïtés, le premier enregistrement de la chanson construisait une atmosphère atomique, un sarcophage sonique qui évoquait le péril atomique mieux que n’importe quel message frontal. Pas besoin d’en rajouter, bordel : est-ce que Picasso a retouché son Guernica pour le rendre plus évident - « non à la guerre » tagué sous le cheval hurlant ?

Kraftwerk, groupe plus novateur qu’une centaine de MGMT réunis, a sûrement davantage interrogé le Système technicien (Heil to the Ellul) que n’importe quel groupe au XXe siècle. En tout cas dans ses trois chefs d’œuvre : Radio-Activity (1975), Trans-Europe Express (1977) et The Man-Machine (1978). Entre fascination pour la technique (le groupe allait jusqu’à se faire remplacer par des robots pour certaines prestations scéniques) et regard effrayé sur l’emballement d’une civilisation déviant vers le robot, le mutant industriel. Kraftwerk, c’est la biche prise dans les phares du semi-remorque - fascinée, hypnotisée, incapable de se détourner de ce qui va la détruire. Le loup technologique est dans la « Métropolis », il faut faire avec, voire s’en faire un ami1, jusqu’à ce qu’il nous dévore. Politiquement naze, artistiquement lumineux.

Ré-écouter les premiers enregistrements de Kraftwerk aujourd’hui, quasiment quarante ans après leur enregistrement, c’est sentir les catastrophes clapoter à l’horizon, humer la tempête à l’approche. L’œil du cyclone, en quelque sorte : tout est calme, vide, lisse et mécanique, mais ça ne saurait rester en l’état, le dérèglement s’annonce. «  Anne, ma soeur Anne (Lauvergeon), ne vois-tu rien venir ? – Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’atome qui verdoie. » Fukushima style.

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1 «  La culture de la Rhénanie est notre identité culturelle. Notre musique, une représentation acoustique du bassin de la Ruhr, nous sommes, très urbains, très européens, très industriels », expliqua Ralf Hütter, pilier du groupe.


COMMENTAIRES

 


  • samedi 2 juillet 2011 à 17h53, par Enucléé

    Je te trouve un peu dur sur le « politiquement naze », je m’explique :
    Si de la part du groupe l’adhésion à la prétendue modernité n’est pas apparemment « totale » (prononcer à l’allemande « DoDAAÂÂl ») du coup la démarche artistique est beaucoup moins glaçante (et moins percutante, cette phrase est pourrie mais en la relisant ça devrait passer).
    On t’offre le spectacle de l’individu qui se noie et se dilue dans une espèce de totalité technologique (putain, c’est bon ça coco... si vous cherchez des pigistes...).
    Voir l’hymne béât sur l’autobahn (pour moi tout l’esprit du groupe est là).
    Toutes proportions gardées, ça me rappelle un groupe slovène (vénéré par les connards mais qui vaut probablement mieux que ça, mais bon, je voudrais pas troller).

    Et la version à la con de Treponem pal, alors ? (même si je préfère celle de funky town)

    Bon. Hein ?

    • samedi 2 juillet 2011 à 17h57, par Enucléé

      J’oubliais...
      et puis vive le sprat !

    • dimanche 3 juillet 2011 à 21h52, par GF

      « ’Toutes proportions gardées, ça me rappelle un groupe slovène (vénéré par les connards mais qui vaut probablement mieux que ça, mais bon, je voudrais pas troller). »

      Voyons, soyons joueur : Laibach ? :)
      Effectivement, connaissant de loin, ça vaut mieux que ce les types avec des crampes au bras droit en font... J’ai été tenté un temps de les voir de manière politiquement bienveillante (sur le mode « on laisse croire aux connards qu’on est d’accord avec eux, mais en fait on se fout de leur gueule »), mais imaginer l’ambiance dans un de leur concert m’a pas mal refroidi. Etre sur scène et avoir devant soi des rasés qui beuglent, beurck... Du coup, je en suis plus aussi sûr que leur netteté politique...

      • dimanche 3 juillet 2011 à 23h05, par Enucléé

        Précisément.
        Je n’ai pas pratiqué leurs concerts depuis près de... 20 ans (mon dieu comme le temps passe !) et je me pose sensiblement les mêmes questions que toi actuellement.
        Mais le projet initial du nsk était effectivement de faire feu de tout bois totalitaire pour nourrir un projet artistique, dans le contexte d’une Yougoslavie encore Titiste. J’évoquais le groupe comme étant un rejeton de Kraftwerk (dont ils ont d’ailleurs repris un (des ?) morceaux) où sous une apparente adhésion sans restriction à une idéologie totalitaire (avec tout le decorum) les mecs tournaient tout ça en dérision avec des reprises de Queen façon 3e Reich.
        Le côté grotesque et glaçant faisait partie du truc, quoi (d’où mon premier post sur la portée politique de Kraftwerk).
        Maintenant, dans l’hypothèse où ces messieurs seraient toujours dans cette disposition d’esprit, il faut avoir pas mal de cynisme ou un sens de l’humour très particulier pour jouer devant des crétins qui vénèrent ce qu’ils sont censé dénoncer.

        Je crois qu’à leur place, ça me déprimerait sévère...

        • dimanche 3 juillet 2011 à 23h57, par GF

          Ravi (?) de voir que je ne suis pas à côté de la plaque... et merci de faire partager ton expérience ;)

          Pour les non-connaisseurs, une bonne porte d’entrée, avant de suivre les liens youtube, c’est ce clip. La page wiki résume bien le topo et ils ont causé (un peu) chez Tracks il y a quelques années, sans que ça dissipe notre doute...



  • samedi 2 juillet 2011 à 20h00, par Omsk

    Ca donne légèrement envie de se tirer une balle ce titre, nan ? Sinon, quand j’entends Kraftwerk, je pense automatiquement aux nihilistes de « the Big Lebowski » dont l’un se produira éhontément plus tard dans l’porno réparateur de câble.



  • lundi 4 juillet 2011 à 11h50, par tiétienne 3000

    une autre douce musique radioactive et inquiétante, duval mc

    Voir en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=kRCo...



  • lundi 4 juillet 2011 à 11h57, par tiétienne 3000

    et plus connu, moins évident, sur l’ère nucléaire, mais tout aussi flippant, réaliste ... alligator 427, thiéfaine

    Voir en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=7LIH...



  • mardi 5 juillet 2011 à 03h41, par AtoMike

    Kat Onoma en avait délivré une relecture incandescente, particulièrement en concert ...

     × version live : « Happy Birthday Public »

     × version studio + clip



  • mardi 5 juillet 2011 à 11h44, par alexandre

    Un certain 23rd Peter a fait ça aussi quand Fukushima a pété : http://www.youtube.com/watch?v=j4aCqbFNm2w
    On va peut-être réussir a mettre tous les morceaux électro touchant au nucléaire sur cette page !

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