ARTICLE11
 
 

lundi 6 octobre 2008

En Sueur

posté à 13h54, par PT
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Sous les pavés, la rage : rions un peu avec la pseudo-grève des footballeurs
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Le grand soir en gestation sur les terrains de France ? La bonne blague ! Depuis dix jours, le syndicat des joueurs se répand autant que possible pour rallier dans son sillage les restes de conscience politique qui n’auraient pas fini aspirés par un système confisquant toute liberté de pensée. La grève n’aura pas lieu, et c’est tant mieux : elle n’aurait pas de sens, donc aucune légitimité.

Qu’on s’entende : l’idée n’est pas ici d’accorder un blanc-seing aux présidents des clubs les plus huppés qui s’apprêtent à faire main basse sur les derniers pouvoirs disponibles au sein de la Ligue professionnelle. La lente dérive du foot-business ne pouvait pas nous entraîner ailleurs que sur les rives moisies d’un sport voué au régime autocratique, où la seule voix audible sera bientôt (si ce n’est pas déjà le cas, ce qui reste à démontrer) celle d’Aulas et de ses collègues endimanchés. Le foot à papa est mort, enterré, les dirigeants-requins qui se rêvent en patrons de multinationales surcotées en Bourse dansant la carmagnole sur un tas de cendres froid, froid comme l’ambiance désincarnée qui plane au-dessus des enceintes de L1.

Voici pour la frange démago de notre propos.

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Là où on se bidonne bruyamment, c’est en découvrant chaque jour dans les colonnes de « L’Equipe » l’article consacré au prosélytisme entrepris par les représentants du syndicat des joueurs, Philippe Piat et Sylvain Kastendeuch, engagés dans un tour de France des vestiaires aux fins d’expliquer le pourquoi du comment à quinze types en slibards qui ne comprennent pas un traître mot de ce qui se raconte - mais se composent quand même un air pénétré.

Je vous arrête : on ne se moque pas.

Mais le constat est là : dans un milieu, le foot, où l’éducation des joueurs s’organise dès l’adolescence autour du seul objet important, le ballon, pas simple d’éveiller les consciences aux luttes syndicales et/ou corporatistes. Combien de fois avons-nous lu, ces derniers jours, des déclarations de joueurs, et pas les moins célèbres, reconnaissant qu’ils ne voyaient pas très bien de quoi il était question dans cette nébuleuse affaire, ni où tout cela pouvait les mener.

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Nous l’affirmons sans intention belliqueuse ni condescendance : mais le cerveau d’une vedette du football apparue à l’élite au lendemain de la victoire de la France en Coupe du monde (c’est-à-dire 90% des effectifs actuels de L1) n’est pas outillé pour s’imprégner des choses de son monde environnant. Vestiaire, terrain, douche, soins, repas, sieste, re-terrain, re-douche, re-soins, re-repas, téloche ou Playstation, gâterie à maman et rideau : le menu journalier de nos plus fines gâchettes à crampons est immuablement rythmé, qui ne tolère pas d’étendre l’horizon au-delà des préoccupations de la gonfle.

Des exemples ?

Ces propos tenus par le gardien niçois Lionel Letizi, un vétéran de la profession, inquiet de voir débouler dans les vestiaires des bataillons de jeunes gens « dont les seuls sujets de conversation s’orientent autour du football et qui, lorsqu’ils ont fini d’en causer, s’attellent à leurs consoles pour jouer... au football. »

Ou les résultats de l’enquête menée dans le dernier numéro de « So Foot », nous avisant des goûts littéraires des meilleurs dribbleurs de l’hexagone : tandis que l’ordinaire des troupes se goinfre de biographies à visées sportives, l’élite intellectuelle succombe aux textes exigeants d’un Dan Brown ou d’un Marc Levy. Vikash Dhorasoo, qui en son temps emportait quelques romans dans sa besace en déplacement, eut tôt fait de s’acheter une étiquette d’intello de service dans un milieu qui le regardait de biais. Un footballeur qui s’oblige à une certaine hygiène de l’esprit, par définition, c’est un footballeur qui réfléchit. Mauvais point.

Pauvres petits gosses riches ? Parfaitement. Le football et ses centres de formation ont fabriqué des couveuses d’où sortent des champions affûtés pour leur spécialité, mais tout autant aspirés par le bas à force de circuit fermé et de crétinerie proverbiale. Les neurones les plus résistants ? On en vient à bout à force de médias-trainings qui enseignent à ces jeunes mâles de brillante constitution les rudiments d’une interview efficace : « A partir de là on va prendre les matches les uns après les autres et continuer à travailler, l’essentiel c’est de prendre les trois points la prochaine fois. » Déclinable à l’envi...

Zidane m’a tuer

On évoquait plus haut la Coupe du monde 1998 et ses incidences désastreuses sur le football français. On aurait tort de penser que la victoire de Zidane et consorts1, ce séisme du 12 juillet, profita à titre exclusif aux joueurs, soudain sanctifiés et gratifiés d’émoluments en nette progression. 1998, c’est aussi l’abandon des vieux réflexes conservateurs du foot tricolore, la mise à bas de la politique des pardessus gris de la Fédé, et l’entrée de plain-pied dans l’ultra-libéralisme sauvage, qui tient le joueur pour ce qu’il n’a jamais cherché à éviter de devenir : une diva de pacotille à la valeur marchande clairement identifiée, portant sur son nom un indice de rentabilité donnant lieu à d’intenses transactions entre agents et dirigeants2.

Gamin, on remplissait de vignettes autocollantes payées trois francs six sous des albums Panini qui nous faisaient une saison de football ; aujourd’hui, on vend des logiciels de management pour suivre à la trace des joueurs portant dans la même année sportive trois maillots différents et se familiariser à grand-peine avec des effectifs de 35 gus.

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Tâche délicate : le syndicat de joueurs, qui se fait fort d’annoncer des taux d’adhésion proches de 80% (mais adhésion à quoi au juste ? à quelles valeurs communes ? quelle identité ? quel combat ? quel engagement ? quelles convictions ?), l’UNFP, donc, use ses semelles Bexley pour fédérer autour de son action la mobilisation de façade d’une corporation dépassée par les événements, « victime » du système autant que de ses propres (in)suffisances. On en vient à demander aux joueurs de réfléchir collectivement au futur d’un métier qui n’a jamais donné lieu à autant d’égoïsme - et d’égotisme - qu’au cours des dix dernières années.

Syndicat, grève, football.

Chassez l’intrus.

Ou ne vous fatiguez pas : le football s’en est chargé lui-même.



1 Dont on finira un jour par officialiser qu’elle n’est pas la conséquence immaculée de la noble épopée humaine et athlétique telle qu’on continue de la narrer.

2 Notons au passage - pour poursuivre dans la plus transparente démagogie - qu’en bout de chaîne, c’est le fan qui trinque : les abonnements au stade ont de partout grimpé en flèche, tandis que pour se taper du foot à la télé il n’y a plus d’autre moyen que de faire pleurer le portefeuille. A quand la grève des stades et des écrans par les supporters ?


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