ARTICLE11
 
 

dimanche 25 janvier 2009

Sur le terrain

posté à 18h46, par Lémi
8 commentaires

19 h à Paris, 14 h à La Paz : ce dimanche, la Bolivie vote. Enjeux.
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Le peuple bolivien se rend aujourd’hui massivement aux urnes pour un référendum capital. S’ils sont invités à se prononcer sur la nouvelle Constitution, les électeurs vont surtout approuver (ou pas…) la « Révolution démocratique et culturelle », initiée en 2005 par le président Morales. A eux de déterminer si la Bolivie doit poursuivre sa politique sociale et anti-libérale. Un enjeu essentiel, par notre envoyé (presque) spécial à La Paz.

« Ce référendum est le plus important de l’histoire bolivienne, parce que c’est la première fois que le peuple bolivien doit approuver une constitution et aussi parce que c’est une constitution qui a été élaborée, dans tous les aspects de son contenu, de manière collective. »

(Carlos Romero, ministre bolivien du développement rural, cité dans un article de La Razon du 25 janvier.)

« Le monde doit se rendre compte que le pire ennemi de l’humanité est le capitalisme. C’est lui qui provoque des soulèvements comme le nôtre, une rébellion contre le système, contre le modèle néo-libéral, qui est la représentation du capitalisme sauvage. Le monde ne se rend pas compte de cette réalité, que les états nationaux ne garantissent pas minimalement la santé, l’éducation et l’alimentation, parce que tous les jours on viole les droits humains les plus fondamentaux. »

(Evo Morales, à l’époque de la « guerre du gaz », dans les années 1990.)
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Sept heures du mat à La Paz, un gringo déambule nez au vent. Les rues sont étonnament vides, personne à l’horizon, si ce n’est quelques fourgonnettes de police et des militaires désœuvrés. Pour qui s’est déjà aventuré à parcourir les rues de La Paz, aka « la frénétique », le tableau a de quoi étonner. Surtout quand, à mesure que la matinée avance, celui-ci reste inchangé : les voitures tarées et minibus meurtriers ont abandonné les artères habituellement grouillantes, et les étals de ce grand marché permanent qu’est la capitale de Bolivie demeurent en grande majorité déserts.
Seuls coins un peu vivants, les abords des écoles et autres bâtiments administratifs, transformés en lieux de vote. Des files s’allongent dans la bonne humeur et les éclats de rire ; la tension attendue n’est pas vraiment au rendez-vous.

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Aujourd’hui donc, dimanche 25 janvier, 3.9 millions de Boliviens se rendent aux urnes. A charge pour eux de répondre à deux questions : approuvent-ils la nouvelle Constitution, lancée en mars 2006 par le gouvernement d’Evo Morales et approuvée par le parlement le 8 décembre 2007 ? Et si oui, estiment-ils que la taille maximum d’une propriété agricole doit être limitée à 10 000 ou à 5 000 hectares ?
Deux questions qui finalement pourraient être résumées ainsi : souhaitent-ils qu’Evo Morales, premier président indigène de Bolivie, continue sur la lancée de sa politique sociale et tournée vers les plus pauvres ? Ou veulent-ils le retour d’une politique libérale et favorable au marché ?
c’est qu’en lisant la presse bolivienne et en discutant avec les locaux, l’observateur étranger se rend compte que le scrutin prend de plus en plus des allures de plébiscite, de vote pour ou contre « Evo » (comme tout le monde le désigne en Bolivie, amis ou ennemis). Peu de débats sur la constitution en elle-même, dont l’élaboration fut pourtant si compliquée qu’il a fallu prolonger la période de sa conception, le nombre d’intervenants ne cessant de s’allonger et les retouches se multipliant (plus de 150 articles sur 400 furent ainsi modifiés par le parlement). Et, au final, l’enjeu s’est fait plébiscitaire, une nouvelle fois : en août 2008 déjà, Morales avait organisé un référendum révocatoire, remporté avec 67% des voix. Pourtant, les changements à l’œuvre dans la Constitution sont essentiels.

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Alvaro Garcia Lineira, le vice-président sociologue1, et Silvia Lazarte, indienne Quechua présidente de l’assemblée constituante, présentant ensemble la nouvelle Constitution.

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Des changements essentiels ? Largement. A titre d’exemple, si le oui l’emporte, l’Etat se séparera de la religion catholique, tout en garantissant les libertés de culte. C’est en partie pour cela (ainsi que par peur des réformes annoncées en matière de droit à l’avortement et de reconnaissance de l’homosexualité) que le principal slogan anti-constitution visible dans les rues boliviennes est « Choisissez Dieu, votez non ! ».
De même, la question des ressources naturelles, majeure en Bolivie2, prend une place importante dans le texte, ouvrant encore davantage la voie à des nationalisations déjà légions depuis que Morales est au pouvoir.
Enfin, le thème des droits des indigènes (indiens Aymara comme l’est Morales ou indiens Quechua et Guaranis, les trois formant la majorité de la population) est aussi très présent dans le texte, celui-ci leur assurant une meilleure représentativité et des droits élargis. Pour qui connait l’histoire de la Bolivie, pays aux 36 ethnies indigènes composant les trois quarts de la population, le dernier quart, celui de l’élite blanche, ayant pris comme une claque l’élection d’un président indigène, cette reconnaissance de leurs droits et cultures (mesures pour sauvegarder les langues en danger, reconnaissance du système judiciaire indigène…) est un bouleversement d’importance.

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Mais plus que sur la Constitution elle-même (un texte fleuve, pourtant, composé de 411 articles), le pays est appelé à se prononcer sur un véritable choix de société. Et à approuver (ou pas…) la politique initiée par Morales depuis son arrivée au pouvoir, laquelle combine d’audacieuses mesures sociales (rente dite de dignité pour les plus pauvres, campagnes d’alphabétisation…) et une politique internationale couillue (expulsion de l’ambassadeur des Etats-Unis il y a quelques mois et surtout rupture des relations diplomatiques avec Israël suite aux massacres de Gaza). Ce qui se joue donc aujourd’hui, c’est la poursuite de cette « Révolution démocratique et sociale » que Morales tente de mettre en place, malgré une économie vacillante (la crise mondiale n’a pas épargné la Bolivie) et - surtout - une opposition vociférante.

Un contexte agité qui ne peut se comprendre que par quelques retours en arrière. En septembre 2008, par exemple, quand le pays, déchiré entre provinces autonomistes blanches (Santa Cruz, Pando, Tajira…) et partisans de Morales (majoritairement indigènes et pauvres), vacillait, au bord de la guerre civile3. La nouvelle Constitution était alors présentée, par les concertations qu’elle impliquait, comme un antidote à la violence.
Mais il convient aussi de remonter encore plus largement dans le passé, à l’époque des guerres du gaz, des marches indigènes et des luttes sociales des années 1990 menées autour de la culture de la coca (Morales était alors « Cocalero Numéro Uno », c’est à dire à la tête du syndicat des cultivateurs de coca), de la redistribution des profits des hydrocarbures ou même de l’accès à l’eau potable.
Si Morales se réclame encore aujourd’hui de cet héritage, de cette lutte prolongée contre des pouvoirs conservateurs et libéraux à la bottes de Américains, c’est qu’il a conscience de la force de ce bouleversement, du soutien populaire que continue à susciter sa politique. La victoire attendue (sauf grande surprise) de ce soir devrait confirmer que l’espoir déclenché par son élection reste aussi fort chez les Boliviens. Une révolution en marche, sanctionnée positivement par les urnes, voilà le pari que Morales et son gouvernement, dans un pays essoré par l’histoire, semblent bien près de remporter.

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Marche de représentants syndicaux et sympathisants en faveur de la nouvelle constitution.

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Ps. Le temps du référendum bolivien, Article11 consacrera plusieurs articles à cette question, fondamentale non seulement pour l’avenir de la Bolivie, mais aussi pour celui de toute l’Amérique du Sud.



1 Toujours qualifié de terroriste et totalitaire par ses ennemis. Ce matin encore, un journal de La Paz, l’affublait sans gêne d’une moustache hitlérienne du meilleur goût…

2 C’est à la suite des deux premières « guerre du gaz », mouvements sociaux visant à récupérer les profits spoliés par les multinationales que le processus menant à l’élection de Morales en décembre 2005 s’est mis en place.

3 Un précédent article abordait plus largement cette question, ICI.


COMMENTAIRES

 


  • dimanche 25 janvier 2009 à 21h43, par Matthieu

    merci pour cet article et le suivi de la bolivie
    je viens de lire la haine de l’occident de ziegler avec le dernier chapitre sur morales et la bolivie, plein d’espoirs, souhaitons que morales puisse continuer son action

    • « Souhaitons que morales puisse continuer son action » : cela semble bien parti au vu des résultats du référendum.
      C’est vrai que comme Ziegler (que je n’ai encore pas lu, cela viendra), j’ai tendance à trouver ce qui passe en Bolivie porteur de beaucoup d’espoir. J’espère ne pas déchanter...



  • lundi 26 janvier 2009 à 09h04, par Françoise

    Ils dérangent beaucoup ces dirigeants indiens des pays d’Amérique du Sud. Ils dérangent alors qu’ils ne font que vouloir rendre à leurs peuples ce qui leur a été bolé : la dignité, les richesses de leurs pays, le droit de choisir librement leur politique.

    Ils ont beaucoup de courage ces dirigeants indiens des pays d’Amérique du Sud. Il n’est pas facile de s’opposer au Marché-Tout-Puissant.

    Je souhaite bonne chance à Mr Morales.

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/

    • Oui, ils dérangent, on leur met des batons dans les roues, on tait voire on déforme leurs réussites, et pourtant ils se multiplient. L’Amérique Latine est finalement un des seuls endroits de la planète porteur d’espoir, même si, évidemment, du Vénézuela de Chavez à l’équateur de Correa (dont on ne parle strictement jamais alors qu’il s’y passe des choses vraiment intéressantes. Malheureusement, je n’aurais pas le temps d’y aller pour essayer d’en rendre compte), tout n’y est pas parfait. En tout cas ils essayent.
      Et, oui, ils ont beaucoup de courage. d’ailleurs, il faut noter que les 2 seuls pays a avoir réellement réagi aux massacres de Gaza sont le Venezuela et la Bolivie (tous 2 ont rompu les relations diplomatiques). A tel point que je me rappelle avoir lu un article décrivant Chavez comme le héros d’une rue arabe en manque de dirigeants capables d’hausser la voix.



  • lundi 26 janvier 2009 à 09h59, par dogbreath

    Très chouette article ! Merci.

    Je m’amuse (?!) à imaginer un micro-trottoir parmi notre élite journaleuse : « qui incarne outre-manche un nouvel espoir de changement ? » ... héhé, je mise sur un « Obama » général.

    • Merci du compliment.
      Et, oui, pour le micro-trottoir, peu de chances que quelqu’un réponde autre chose qu’Obama. Le lavage de cerveau porte ses fruits, et la déformation médiatique concernant les expériences « socialistes » d’Amérique du Sud est totalement généralisée. C’est bien pour ça que j’insiste sur la Bolivie de Morales, elle me semble réellement plus « révolutionnaire » et porteuse d’espoirs que l’Amérique d’Obama...



  • lundi 26 janvier 2009 à 11h37, par Balou

    C’est fait, c’est gagné !!
    Bizarrement, je trouve ça bien plus enivrant que la victoire d’Obama.
    Le Vénézuela et la Bolivie sont les laboratoires de la gauches de demain, avec toutes les erreurs (et les tendences autocratiques ) que ça implique... Mais au moins, ils essayent.

    Libé, de son côté, traite ça comme une brève... Preuve, s’il en fallait, qu’ils sont définitivement passés à droite... ;o)

    Voir en ligne : http://blog.bouddhas-egoistes.net/

    • Ouaip, in the pocket, mais avec une marge finalement moins large que prévue (cf. article d’aujourd’hui sur le site). Tout a fait d’accord sur le fait que Morales, beaucoup plus qu’Obama, incarne un espoir de changement. Pour Chavez, je me tâte encore (les tendances autocratiques dont tu parles restent pour l’instant lettre morte en Bolivie, pas au Vénézuela), mais il est clair que son action est scandaleusement déformée.

      Pour Libé, ca ne m’étonne pas. Sur la Plaza Murillo, hier, pour écouter le discours de Morales, à part Reuters et l’AFP, je crois qu’il n’y avait que des journalistes sud américains. Les médias occidentaux n’en ont clairement rien à foutre.
      (Libé a éte un journal de gauche ?)

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