mercredi 26 août 2015
Inactualités
posté à 10h50, par
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Qui a dit que les uniformes ne s’y entendaient pas en matière de littérature ? Que les képis n’entravaient rien aux belles lettres ? Certainement pas Serge Quadruppani. Lui n’a pas manqué de noter combien la prose gendarmesque faisait preuve d’évidentes qualités littéraires - imagination fertile, sens de l’hyperbole et audace du scénario. Il s’en explique ici.
Et une nouvelle casquette pour l’ami Serge ! Il était déjà - entre autres - romancier et traducteur, le voilà désormais idéologue du plateau de Millevaches, en compagnie de Julien Coupat. Une belle promotion, due à l’imagination débridée des pandores de Haute-Vienne.
Ces derniers s’en disent persuadés : Serge Quadruppani, qui habite le département depuis 2011 et qui s’est logiquement investi dans la vie locale, est « l’un des fondateurs » et animateurs de l’Assemblée populaire du plateau de Millevaches, structure informelle créée en 2010, ouverte à tous et qui se réunit quand ses membres éprouvent le besoin de se rencontrer et de discuter. Laquelle assemblée, soulignent les uniformes, a revendiqué1 le cadenassage du portail de la gendarmerie d’Eymoutiers, le 8 novembre 2014, lors d’une manifestation pacifique en mémoire de Rémi Fraisse. Une action plutôt bon enfant. Un cadenas, une chaîne : et hop, voilà les gendarmes symboliquement enfermés en leurs murs pour quelques heures. Sauf qu’ils n’ont pas vraiment goûté la plaisanterie.
Ils ne l’ont même tellement pas goûté que Grégory, jeune homme accusé d’avoir posé chaîne et cadenas, comparaîtra le 3 septembre devant le tribunal de grande instance de Guéret pour « entrave au mouvement de personnel ou de matériel militaire » (pis, à l’origine, l’enquête de flagrance avait été ouverte pour « terrorisme » par « dégradation de bien » et « participation à un mouvement insurrectionnel »...). Contre lui, et contre l’esprit résistant du plateau en général, ceux qui ont mené l’instruction gendarmesque ont déployé une véritable débauche de moyens (jusqu’à visiter une trentaine de commerces de la région pour retrouver les récents acheteurs de chaînes et de cadenas). Et ils ont élaboré une très fantasque littérature, listant les supposés « sympathisants de la communauté anarchiste », reprenant tous les poncifs du genre (à commencer par la désormais célèbre « mouvance anarcho-autonome ») avant de présenter l’Assemblée du plateau comme une « structure clandestine dont la finalité portait sur des opérations de déstabilisation de l’État par des actions violentes ». Mazette !
Une vaste rigolade2, qui se donne à lire dans le rapport de synthèse d’instruction, dont voici un large extrait : :
Depuis la mort du militant écologiste Fraisse Rémi intervenue lors d’affrontement avec les forces de l’ordre à SIVENS (81) le 26 octobre 2014, la mouvance anarcho-libertaire d’extrême gauche installée sur le Plateau des Millevaches (Limousin) était de plus en plus active dans sa lutte insurrectionnelle par l’organisation de réunions, rassemblements, distributions de tracts, collages d’affiches, blocages des brigades de gendarmerie et déplacements sur des lieux stratégiques (construction aéroport de Notre Dame des Landes, barrage de Sivens, ligne THT du Cotentin, train nucléaire Castor...).
Dans ce contexte, au cours de la nuit du 07 au 08 novembre 2014, cinq brigades de gendarmerie du Limousin faisaient l’objet d’un blocage par la pose de chaînes et de cadenas sur leurs portails d’accès (brigades de SORNAC et BUGEAT en Corrèze, d’Eymoutiers en Haute-Vienne, de Royères de Vassivières et Gentioux Pigerolles en Creuse). Cet épisode était suivi d’une manifestation non déclarée devant la brigade d’Eymoutiers le 08 novembre 2014 au cours de laquelle les portails de cette unité étaient une nouvelle fois entravés et de la peinture rouge déversée sur la voie publique. S’en suivait également la mise en ligne sur le net d’une vidéo appelant à l’insurrection dans laquelle entre autres, des scènes de « cadenassage » de brigades de gendarmerie étaient visibles sous fond de réponse aux prétendues violences policières commises à l’encontre de manifestants avec l’aval du pouvoir en place. Ces faits étaient à mettre sur le compte d’individus formant la frange radicale de la mouvance anarchiste précitée et regroupés autour d’une organisation auto-baptisée « Assemblée Populaire du Plateau de Millevaches ».. Historique de la mouvance anarchiste du Limousin. Dans les années 90 jusqu’au début des années 2000, des individus affiliés à des mouvements libertaires d’ultra-gauche s’installaient en Haute-Vienne, notamment dans les communes de Nouic, Blond, Cieux et surtout Bussière-Boffy. Ces installations accompagnées d’implantations de yourtes engendraient une profonde discorde avec les élus et la population.
A partir de 2008 et suite à la médiatisation de l’affaire « des inculpés de Tarnac », de nombreux membres se revendiquant des milieux anarcho-autonomes rejoignaient le. « Plateau des Millevaches » situé aux confins des trois départements de la région du Limousin pour se rassembler autour de leur leader charismatique et idéologue, le nommé Julien COUPAT (mis en examen et incarcéré dans l’affaire citée supra relative à des actes de terrorisme sur les lignes du TGV français). Ces nouveaux arrivants bénéficiaient alors d’appuis de certains élus locaux et de personnes déjà installées et ralliées à leur cause. Au fil du temps, émergeait alors une structure clandestine dont la finalité portait sur des opérations de déstabilisation de l’État par des actions violentes menées au cours des manifestations d’importance.
Cette communauté anarchiste se regroupait finalement dans un mouvement baptisé « L’assemblée populaire du Plateau de Millevaches ». Son observation permettait de mettre en évidence que celle-ci était régulièrement fréquentée par de nombreux sympathisants Belges, Suisses, Italiens et Allemands ainsi que par de jeunes activistes originaires de différentes régions de France. Très méfiants, les membres de cette mouvance adoptaient une attitude de délinquants d’habitude. Au delà de ce mode de vie qui s’apparentait à la théorie prônée par COUPAT Julien et QUADRUPPANI Serge (considéré comme l’un des fondateurs), ces individus affichaient une volonté d’agir de manière concertée avec comme seul but de porter atteinte à l’État, à l’autorité de celui-ci et à ses infrastructures. Ils obéissaient ainsi à une doctrine « philosophico-in surrection na liste », tel qu’il était mentionné dans un pamphlet intitulé « l’insurrection qui vient ».
De ce fait, ils s’agrégeaient systématiquement à des mouvements de mécontentement écologistes, altermondialistes, anti-nucléaires etc... prenant systématiquement pour prétexte certaines initiatives gouvernementales qu’ils baptisaient de « grands projets inutiles et imposés par le gouvernement ou les collectivités territoriales ». La violence à l’égard des forces de l’ordre avec la volonté de poer atteinte à leur intégrité physique apparaissait toujours dans les slogans de ces individus.
La mort de FRAISSE Rémi donnait alors une nouvelle tribune à ces activistes et servait d’argument aux fins de mener des actions violentes contre les intérêts de l’État et ses représentants. Ils espéraient ainsi entraîner dans leur sillage les lycéens, écologistes, anticapitalistes etc.. souhaitant défendre cette cause et dénoncer la position du gouvernement.
À ce grand délire gendarmesque, l’ami Serge, ci-devant désigné par les uniformes comme « théoricien » du plateau, a choisi de répondre sur le même ton. Celui de la littérature. Il a donc pris sa meilleure plume pour écrire au major Didier Dupre, qui a signé ce très fantaisiste procès-verbal de synthèse :
Fiche de lecture à destination du Major Didier Dupre, officier de police judiciaire en résidence à la SR de Limoges, région de Gendarmerie du Limousin, Section de recherches
J’ai eu entre les mains votre synopsis de roman policier intitulé Procès-Verbal de Synthèse et, comme vieux professionnel (une trentaine de polars, tout de même), je me permets de vous adresser ces quelques observations qui pourraient vous être utiles dans cette carrière de romancier que, visiblement, vous souhaitez entamer. J’ai bien saisi l’intention derrière votre écrit : il s’agit, en vous glissant dans la peau d’un narrateur qui exercerait le même métier que vous mais qui aurait plus de préjugés idéologiques que vous, de vous placer dans la grande tradition du roman noir véhiculant une critique sociale qui, de Jean Amila à Jean-Patrick Manchette, n’a cessé de dénoncer les dérives autoritaires et liberticides de la société moderne. Et je dois dire que sur ce sujet là, vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère !
Mais c’est justement là où le bât blesse : votre projet souffre d’un manque total de crédibilité. Comment, en effet, imaginer qu’aujourd’hui, un officier de gendarmerie, c’est-à-dire quelqu’un qui a fait tout de même quelques études au-delà du brevet des écoles, puisse qualifier de « lutte insurrectionnelle », je vous cite, « l’organisation de réunions, rassemblements, distributions de tracts, collages d’affiches », c’est-à-dire très exactement l’exercice de libertés garanties par la constitution ? À cette liste, vous ajoutez le « déplacement sur des lieux » que vous qualifiez de « stratégiques ». Ainsi, dans votre roman, la liberté de se déplacer pourrait donc être remise en cause : une telle dérive totalitaire aurait besoin d’être mieux expliquée, et vous ne fournissez aucune piste à ce sujet. De même, quand vous décrivez l’action symbolique consistant à poser des cadenas sur le portail de quelques gendarmeries comme s’il s’agissait d’une activité insurrectionnelle de grande ampleur. Ou quand vous insistez sur le fait que telle manifestation était « non déclarée ». On ne peut croire qu’un de ces gouvernements français, si indulgent depuis des décennies envers les bandes de casseurs de la FNSEA qui provoquent des dégâts autrement plus importants que la pose d’un cadenas forcé en cinq minutes, qu’un gouvernement français, dis-je, puisse s’entêter sur l’idée de « manifestation non déclarée ». Là où cela devient franchement comique, mais je crains que le comique soit involontaire, c’est quand vous vous lancez dans un historique de la « mouvance anarcho-libertaire d’extrême-gauche » (késaco ?) en la faisant démarrer avec l’édification de yourtes !
J’ai bien ri aussi en voyant que, sans doute pour adresser un clin d’œil à un ancien sur la voie littéraire, vous me faites entrer dans votre récit en m’attribuant rien moins que le mérite de « prôner une théorie » au même titre que Julien Coupat, qui est déjà l’un des personnages d’un (très mauvais) roman collectif rédigé par le parquet et la police antiterroriste. Non content de cela vous faites du personnage censé me représenter, l’un des « fondateurs » de l’Assemblée populaire du plateau de Millevaches, que vous transformez au passage en « mouvement » anarchiste. Vous savez très bien, et il sera difficile de faire croire autre chose, que l’Assemblée est un regroupement public au sein duquel voisinent des sensibilités diverses. Cette assemblée a une existence totalement publique et y participe qui veut (comme vos informateurs ont dû vous l’expliquer) ; elle a notamment publié, à la veille des municipales un document repris dans la presse régionale, « Propositions pour une plate-forme commune de la montagne limousine » : si vous voulez que votre fiction soit un peu crédible, vous ne pouvez pas transformer cela en un pamphlet incendiaire. Quant au rôle que vous faites jouer à mon avatar, nul n’ignore que cette assemblée existait dès 2009, au moment du mouvement de la réforme des retraites et quand je n’étais pas encore installé dans la région, et que l’immense majorité des participants sont bien capables de s’élaborer tous seuls leurs propres « théories » sans avoir besoin de la mienne !
Pour résumer : votre effort est méritoire et vous ne manquez pas d’imagination, mais le défaut total de vraisemblance m’interdit de vous encourager dans votre projet. Peut-être êtes-vous victime de votre trop grande proximité professionnelle avec le sujet. Pourquoi ne pas inventer un personnage d’enquêteur dans le Limousin du haut moyen-âge ? Je suis sûr que votre récit emporterait davantage la conviction.
Pour ne pas terminer sur une note négative, je trouve par contre très réussie votre imitation du style gendarmesque. En particulier, la manie administrative de faire précéder le prénom du nom de famille en majuscule, qui réussit si bien à rendre sur le papier n’importe quel individu suspect (« QUADRUPPANI Serge »), cette façon de faire a quelque chose de glaçant quand il s’agit de parler d’un jeune homme tué par un de vos collègues. Fraisse Rémy aura décidément tout subi.
En espérant que vous ne prendrez pas en mauvaise part ces quelques observations mais que vous saurez en tirer profit, je vous souhaite bonne chance dans la carrière des lettres.
Serge Quadruppani
Romancier, traducteur, directeur de collection
Prix des Quais du Polars 2011
Prix Interlycées professionnels de Nantes 2004
Prix du Roman du Var 2003
1 En un texte qui débute ainsi : « Nous, assemblée populaire du plateau de Millevaches, appelons tous et chacun dans les jours qui viennent, à se rendre en masse devant les commissariats, gendarmeries et casernes, afin d’y bloquer par tous les moyens nécessaires, piquets, soudures, cadenas, murets, etc., la sortie des uniformes globalement inutiles, malfaisants et régulièrement assassins qui les peuplent. »
2 Pour plus de précisions, se reporter à ces articles du Monde, de Rue89 et de Médiapart (réservé aux abonnés).