ARTICLE11
 
 

jeudi 4 septembre 2008

Le Charançon Libéré

posté à 10h46, par JBB
14 commentaires

Quand les exclus tombent (vraiment) comme des mouches…
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Il y a eu Ivan Dembski, Chulan Zhang ou Reda Samoudi, sans papiers pionniers du saut sans parachute. Morgane, mère de famille sur le point d’être expulsée de son logement, vient de rejoindre cette cohorte d’exclus défenestrés. Sans qu’aucun d’entre eux n’ait la consolation d’avoir provoqué, avec son geste désespéré, une quelconque prise de conscience : après la chute, les affaires continuent…

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C’est étonnant, hein.

Cette obstination que mettent les pauvres et les exclus à sauter dans le vide à la première occasion.

Qu’ils entendent la voix de la maréchaussée sur le palier…

(Hop : par la fenêtre.)

Aperçoivent un uniforme dans l’escalier…

(Hop : par-dessus la balustrade.)

Ou ouvrent leur porte sur la pâle figure d’un huissier…

(Hop : au-dessus de la rambarde.)

Comme s’ils se sentaient pousser des ailes.

Et pensaient s’envoler au vent.

Avant de s’écraser sur le béton quelques mètres en-dessous.

Ce fut le cas du petit Ivan Dembski, sans papier de 12 ans tombé du quatrième étage, le 9 août 2007, en voulant suivre son père qui fuyait un contrôle de police.

De Chulan Zhang, chinoise de 51 ans, clandestine qui s’est défenestrée, le 20 septembre 2007, quand la police s’est avisée de perquisitionner son appartement.

De Reda Samoudi, Algérien sans papier de 31 ans qui s’est jeté du neuvième étage, le 8 janvier dernier, lors d’une perquisition à son domicile.

Ou de Morgane, mère de trois enfants qui s’est précipitée du balcon avant-hier alors que l’huissier allait procéder à son expulsion pour 22 mois de loyers impayés.

Surprenant, vraiment.

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On pourra gloser à l’envi sur les ressorts sociologiques d’un tel mode d’échappatoire.

Baratiner un max et se livrer à toutes les études du monde.

Moi j’y vois juste la confirmation de ce que tout le monde sait déjà : même dans la fuite et dans la mort, les exclus manquent d’originalité.

D’inventivité.

Et d’esprit de création.

Et ils préféreront toujours enjamber la balustrade sans se poser de question.

Plutôt que se creuser les méninges pour dénicher un mode de suicide qui ait un peu plus de classe.

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Remarquons aussi que cette façon d’en finir est simple et gratuite, ne nécessitant ni ordonnance de barbiturique, ni permis de port d’arme, ni four en état de marche.

Et qu’à l’évidence, les exclus sont plus nombreux dans les HLM et les barres d’immeubles que dans les pavillons de banlieues et les résidences de plain-pied : détresse et habitat d’altitude vont de pair.

Mais…

Au fond, ce sont là discussions oiseuses et arguments fallacieux.

Tant la vraie raison est ailleurs.

Dans un désir désespéré de se placer hors de la marche du monde.

D’échapper à des rouages qui ne veulent s’arrêter.

Et de fuir une société si implacable qu’elle écrase sans prendre de pause ni laisser espérer de fin.

J’en veux pour preuve les contrôles de police menés contre les clandestins, lesquels n’ont jamais ralenti au prétexte que les sans-papiers se mettaient à tomber dru comme l’orage.

Ou cette réaction incroyable de l’infâme huissier chargé d’expulser Morgane et sa famille, éructant juste après la chute : « On continue, débarrassez-moi la cuisine. »

On ne va quand même pas s’arrêter pour si peu.

Hein…


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 4 septembre 2008 à 12h30, par Dominique

    Empédocle, Primo Levi, Gilles Deleuze. Que des gens qui ne savaient pas penser.

    • jeudi 4 septembre 2008 à 14h29, par JBB

      Bien vu. :-)

      C’est vrai que ces gens-là étaient les pires… Incapables d’aligner deux pensées bout à bout…



  • jeudi 4 septembre 2008 à 12h52, par Dan

    Ou cette réaction incroyable de l’infâme huissier chargé d’expulser Morgane et sa famille, éructant juste après la chute : « On continue, débarrassez-moi la cuisine. »

    Bonjour, je suis au- delà du dégout. Mais je vous en prie confirmez moi que je n’ai pas compris le 2éme degré , que cet homme n’a pas pu dire la phrase précedente.
    Savez - vous ce que sont devenus le petit Ivan et sa famille ?

    • jeudi 4 septembre 2008 à 14h36, par JBB

      Pour la réaction de l’huissier, c’est ce que raconte le papier de Libération, qui cite deux témoignages différents et concordants. Je vous en livre un extrait :

      « « Sa tension baissait, raconte Freddy. J’entendais »9… 10… 7… 5…« Au bout de vingt-six minutes, le médecin s’est arrêté. Tout en transpiration, les yeux embués. Il a dit : »On a tout essayé.
      Depuis, dans le quartier de Rassuen II, c’est la tristesse et la colère. Freddy assure : « Au balcon, après sa chute, l’huissier a dit : « On continue, débarrassez-moi la cuisine. » » Le voisin de palier de Morgane, Marc Sayouz, 58 ans, employé chez ArcelorMittal, a entendu la même chose. « Mais un des déménageurs, en bas, a gueulé : « Pas question ! Vous voyez pas qu’elle est foutue ? » » poursuit Freddy.
      Selon lui, « un des déménageurs pleurait. Puis, à 11 heures moins le quart, le père est allé voir le petit qui jouait dans la cour de récré ».
      "

      Voilà. Je suis comme vous, j’ai du mal à imaginer que ce soit possible. Si c’est confirmé, il me semble qu’il n’y aurait pas de punition assez dure pour un homme capable de cela.

      Quant à Ivan et à sa famille, Rue89 a récemment publié un article le concernant. A lire ici : http://www.rue89.com/2007/11/02/des...



  • jeudi 4 septembre 2008 à 15h24, par NOVALIS

    Ce qui est proprement écoeurant, c’est que l’huissier de « justice » (sic) agit dans de telles circonstances « au nom du peuple français » pour mettre à « exécution » (resic) un jugement.

    Il était là pour débarrasser l’appartement, « corps et biens » ...

    Gageons qu’il a d’ores et déjà perçu ses honoraires .

    Notre société est profondément malade : comment peut-on afficher un tel mépris à l’encontre d’un être humain ?

    • jeudi 4 septembre 2008 à 16h45, par JBB

      Oui, notre société est malade. Mais lui, il dépasse tout. Allègrement. Le champion, toutes catégories confondues, de la déguellasserie.



  • jeudi 4 septembre 2008 à 18h13, par Guy M.

    Merci pour ce billet de salubrité publique : ce monsieur huissier mérite bien un coup de projecteur sur (et pourquoi pas dans) sa sale tronche !

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • vendredi 5 septembre 2008 à 09h33, par JBB

      « Dans », surtout, « dans » et accompagné de grands coups de tatane pour bien lui faire comprendre le sens de la vie…



  • jeudi 4 septembre 2008 à 22h16, par Dan

    Oui notre société est malade : encore un exemple dans un article de france info qui concerne d’autres exclus qui vivent aussi dans la peur de la police :

    Dans quatre jours, Paris accueillera une conférence européenne sur l’asile. Pendant ce temps, sur les côtes du nord de la France, les exilés dont il sera question attendent une occasion de passer en Angleterre, vivant parfois plusieurs mois dans le dénuement total, dehors, presque sans nourriture et loin de tout accès aux soins.

    C’est cette situation que dénonce aujourd’hui une ONG, la coordination française pour le droit d’asile, qui s’alarme dans un rapport de voir “bafoués" les droits élémentaires de ces migrants, au motif qu’ils n’ont pas de papier.



  • jeudi 4 septembre 2008 à 22h24, par Flo Py

    J’aurais bien laissé un commentaire, mais en fait, j’ai juste envie de pleurer, là...
    Bises

    Voir en ligne : http://flopy.canalblog.com

    • vendredi 5 septembre 2008 à 09h44, par JBB

      Là, je ne sais pas trop quoi répondre. Haut les coeurs ? (Je sais, c’est un peu trop optimiste…)



  • vendredi 5 septembre 2008 à 09h58, par Jean-Pierre Martin

    C’est vrai que c’est dégueulasse, elle aurait quand même pu débarrasser la cuisine avant que l’huissier arrive. Ces gens-là ne savent pas recevoir...

    Bel article, belle photo.

    Voir en ligne : Le blog à Jean-Pierre Martin

    • vendredi 5 septembre 2008 à 17h13, par JBB

      D’autant qu’il n’y nul part mention d’une quelconque invitation à prendre le verre ou le café de l’amitié. Est-ce ainsi qu’on traite des invités ?

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