ARTICLE11
 
 

mardi 16 juin 2009

Entretiens

posté à 15h25, par Lémi & JBB
6 commentaires

Kiki Picasso : « Il y a toujours une effervescence créatrice, quelque part »
JPEG - 27.5 ko

C’est une dépêche AFP tombée hier qui nous a mis la puce à l’oreille. « La Fraternité des Précaires frappe encore ». Bizarre. La Fraternité des Précaires ? Késaco ? Après enquête, on a trouvé qui était derrière tout ça (enfin, pas tout seul) : un certain Christian Chapiron, Alias Kiki Picasso. Un des fondateurs du groupe Bazooka qui révolutionna le graphisme à la fin des années 70. On l’a fait parler.

« BAZOOKA ». Rien qu’au nom, tout était dit. Frais émoulus des Beaux-arts (Paris & Rouen), les agités de Bazooka n’avaient qu’une ambition en créant leur collectif en 1974 : tout dézinguer sur leur passage, balancer les torpilles picturales sans laisser le temps au public de souffler. Rapidement, ils se sont fait un nom. Individuellement (Kiki Picasso, Loulou Picasso, Electric Clito, Lulu Larsen...) comme collectivement. Ils ont monté des zines désormais cultes (« Bien dégagé autour des oreilles », « Activité sexuelle normale »...) , se sont gavés de punk, et puis, un beau jour de 1977, ils ont débarqué à Libération, invités par un July inconscient. Réalisant ainsi leur désir d’investir un grand média pour y « foutre la merde » (selon Olivia Clavel, alias Electric Clito). Le temps de se faire cordialement détester par une partie de la rédaction, ils ont semé leurs graines graphiques dans un journal qui les a vite trouvé dérangeant. On leur a alors donné la charge d’un supplément, pour qu’ils arrêtent de saccager le quotidien. Pendant 6 numéros, ils ont donc publié « Un Regard moderne », zone d’exploration artistique et de détournement créatif qui reste encore aujourd’hui une référence dans le monde du graphisme.

JPEG - 199.4 ko

Après ça, l’aventure Bazooka s’est rapidement éteinte. La fulgurance était de mise et l’abus de drogues en tous genres n’aidait pas sur la longueur à maintenir une cohésion. Sans nouvelles d’eux, on les croyait morts et enterrés. Et puis, paf, voilà que l’on entend parler d’une mystérieuse Fraternité des précaires sur laquelle ils mèneraient une enquête (voire plus), une organisation terroriste informelle distillant le doute généralisé et l’attentat médiatique.
Autre indice prouvant que les Bazooka sévissaient encore, cet étonnant (et génial) ouvrage publié par l’éditeur de Bande dessinée, l’Association, « Engin explosif improvisé », sur lequel on est tombé à l’impromptu. Après renseignement, il s’est avéré que c’était les deux frères d’armes de Bazooka, Kiki Picasso et Loulou Picasso qui étaient derrière tout ça. Qu’ils avaient eu envie de se retrousser les manches pour finir une série d’œuvres commencées à la fin des années 1970, « Les Animaux malades ». Et qu’ils exposaient actuellement dans une galerie parisienne (coordonnées en fin d’entretien). Du coup, on a eu envie d’en savoir plus et on a pris rendez-vous pour un entretien. Loulou étant excusé, c’est Kiki qui s’y est collé.

JPEG - 83.9 ko

Vous n’êtes pas habitué à exposer, n’est-ce pas ?

C’est ma première exposition, en fait. Les tableaux aux murs, les gens qui rentrent, les marchands… ça n’a jamais été mon truc. J’y participe finalement aujourd’hui, mais le le lieu est particulier, n’est pas une galerie - je ne rentre jamais dans les galeries, je n’aime pas ça. Et puis, je n’expose pas seul, mais avec Loulou Picasso : on n’a qu’à dire que c’est de sa faute. À lui et à la Fraternité.

JPEG - 117.5 ko
1

Vous parlez de la Fraternité des Précaires ? De quoi s’agit-il ?

(D’abord sérieux.)

Vous voulez que je vous dise la vérité ? Elle est destinée à mentir. À instiller le doute dans l’esprit des gens. À leur faire croire que c’est peut-être vrai. Qui sait ?

(Et puis, brodant sur le thème…)

C’est l’Office central des Inégalités qui nous a commandé un rapport sur la Fraternité des Précaires, un groupe de pression avec lequel nous avons déjà collaboré et avec qui nous avons des rapports privilégiés. Peut-être parce que la Fraternité, ces derniers temps, semble céder à son penchant pour la violence.

Ils sont terroristes ? Membres de l’ultra-gauche ? Tarnaciens ?

Non, non… Il s’agit d’un peu tout le monde. La Fraternité des Précaires est constituée d’individus extrêmement isolés, ne sachant parfois pas - même ! - qu’ils en font partie. On les appelle les Volontaires. Ils sont extrêmement motivés.

Nous-mêmes… nous pourrions y appartenir ?

Qui sait ?

Et quel en est le but ?

Il n’est pas vraiment défini. Il s’agit de commettre des actions violentes, mais pas seulement. Disons : du sabotage et des incivilités, de façon générale. Par exemple, nos volontaires rayent les vitres du métro ou jettent des pierres sur les autoroutes…

JPEG - 90.6 ko

Quelque chose de très punk ?

Pas tellement.

Au fond - pour parler sérieusement - la logique no-future n’a jamais été un concept Bazooka, même si on s’y est retrouvé associés. Nous, on a toujours essayé de construire quelque chose, d’embellir. On ne voulait pas tout foutre en l’air, mais s’impliquer, avec un principe constant d’embellissement. Il y avait une vraie recherche d’harmonie, et pas seulement artistique.

Pourtant, l’harmonie n’a eu qu’un temps entre vous : Bazooka a fini par craquer…

Oui, notamment à cause de la drogue.

Elle a joué un grand rôle ?

La drogue nous a séparé, mais elle a aussi fait la grande force de Bazooka. Nous l’utilisions pour nous concentrer et travailler des nuits entières. Ainsi que pour nous désinhiber tout en nous isolant de la société. L’héroïne était vraiment parfaite pour ça, même si dangereuse pour la longueur. Oui, l’opium et ses dérivés sont fantastiques, de même que le LSD.

(Lulu Larsen, ancien dessinateur à Libération dans les années 1970 et membre de Bazooka se joint à l’entretien - Ses interventions seront précédées d’un « Lulu : », celles de Kiki Picasso d’un « K : ». )
JPEG - 90.4 ko

C’est la drogue qui explique en partie vos rapports difficiles avec la rédaction de Libération, en 1977 ?

K : Pas seulement. A Libération, Bazooka avait mis en place une Fondation réactiviste, une pseudo-organisation à la mode Fraternité des Précaires. Elle se présentait comme une émanation menaçante de quelque chose ressemblant à la CIA. En fait, il s’agissait surtout de titiller la parano des milieux d’extrême-gauche, qui avaient tous la certitude d’être surveillés.
La Fondation réactiviste a donc fait un certain nombre de déclarations… disons… un peu perturbantes dans le support lui-même, soit Libération, sous forme de brèves bidons que nous intégrions au journal juste avant son impression. Le truc, c’est que les gens y croyaient parfois, et que l’AFP en a repris certaines. Comme il s’agissait de déclarations particulièrement odieuses (autour de l’antisémitisme, du meurtre d’enfants ou de vieux), tout le monde n’a pas trouvé ça génial…

JPEG - 90.7 ko

Lulu : Et les journalistes de Libération n’ont pas tous apprécié, ils ne comprenaient pas trop pourquoi on faisait ça. Certains ont pu s’énerver.

K : Il faut les comprendre. Les mecs débarquaient au matin, après une soirée bien arrosée, ils découvraient le journal à froid et ils piquaient une crise…

Comment ça se passait, en pratique ?

Lulu : C’est tout simple, nous avions accès au marbre.

K : Et Libération était alors un vrai journal autogéré.

Lulu : Ce qui nous a permis à nous, dessinateurs et graphistes, de sortir du rôle qu’on nous avait donné, celui de boucher les trous dans les pages, et de prendre davantage de place.

K : C’était d’autant plus facile que nous avions des complices parmi les clavistes et à la fabrication. Il y avait alors un fort antagonisme à Libé entre la fabrication et la rédaction, nous étions dans le premier camp : on a joué de ça pour faire passer ce qu’on voulait.

Vous vous êtes infiltrés, en fait ?

K : C’était ça, l’idée de Bazooka. S’infiltrer dans les titres de presse, surtout ceux dits sérieux.

Lulu : On appelait ça des implantations pionnières.

C’est très situ…

K : On est des héritiers du situationnisme : on arrive dix ans après mai 68 et c’est évident qu’on a été nourris de ça. Mais le truc rigolo, c’est que les situs nous détestaient, ils ne comprenaient pas du tout notre humour.
De notre côté, nous n’avions pas que les situs pour influence. Les références aux comics américains, aux gens comme Crumbs, à la série B et à la culture populaire nous semblaient plus importantes. Et puis, les situs avaient un problème : au fond, ils n’aimaient pas l’image. Ils parlaient tout le temps d’images et de société du spectacle, mais ils avaient en fait très peu recours au spectaculaire. Ils étaient un peu chiants…
Mais ils n’étaient pas les seuls à déconsidérer l’image. Bazooka était né de ça, d’ailleurs : il s’agissait que les dessinateurs prennent le pouvoir à Libération.

Lulu : A Libé, ils nous dont donné de la place.

K : Tu rigoles ? Ils nous donnaient les pages « taulards » à illustrer, parce qu’ils s’en foutaient…
La place, il a fallu qu’on la prenne de force. Qu’on refuse de se laisser cantonner à la petite case « attention : humour » qu’ils voulaient bien nous laisser.

JPEG - 98.5 ko

Il y a ça, mais pas seulement non ? En plus de l’image, vous vous intéressiez réellement à l’information…

K : Oui. Mais cet intérêt pour l’information s’est accentué à partir de l’arrivée de Bazooka à Libération. On s’est vraiment rendu compte que le quotidien - le quotidien des agences de presse - était super excitant. Et puis, c’est quelque chose qui parle aux gens : ils connaissent déjà l’histoire, ils ont les références, ce n’est pas comme si on se lançait dans un délire très arty, qui les laisserait largués.
Mais encore une fois : tout partait des images. Le premier truc qui nous a plu, c’est qu’à Libération ils avaient une documentation du tonnerre de Dieu et une fantastique banque d’images - alimentée en permanence par les agences de presse. Pour nous, c’était une mine de matériaux, d’émotions. J’ai toujours préféré regarder les images que les dessiner : là, je pouvais y passer un temps fou.

Lulu : C’est comme ça qu’on est devenu des acteurs du truc, en réécrivant les images.

K : Au sens littéral, d’ailleurs. De mon côté, je ne savais pas dessiner, alors je décalquais. A l’époque, c’était très mal vu… Je revendiquais le fait de décalquer, de réutiliser des photocopies mal faites, notamment parce qu’on se retrouvait dans la logique de production rapide d’un journal. Mais… c’était quand même très mal vu.

Après sa participation à Libération, Bazooka s’est arrêté, non ?

K : Disons qu’on s’est tous fait volontairement oublier… Chacun a poursuivi son travail dans son coin, même si on s’est rendu compte que c’était beaucoup plus difficile d’être un artiste isolé qu’une force collective.

Il y a un autre truc, aussi : on n’a jamais joué le jeu. Nous n’étions pas malléables ou disposés à travailler avec les marchands de tableaux. Et les gens qui sont censés compter avaient bien conscience que s’ils bossaient avec nous, il y avait de fortes chances pour que le bazooka leur pète à la gueule…
Aujourd’hui, c’est différent. Les jeunes artistes qui se lancent en collectif ont intégré le principe marchand, ils se voient comme des micro-entreprises. Pour eux, la production artistique est devenue un faire-valoir de la réussite financière. Ce qui n’a jamais été le cas pour Bazooka, nous n’avons jamais eu d’ambition de ce genre.

Vous êtes nostalgique de cette période ?

K : De la nostalgie, on en a forcément.

D’autant que cette époque a dû être salement jouissive pour vous…

K : On rigolait bien, oui. L’idée était de combattre l’esprit de sérieux, toujours. On se rendait aux réunions trotskistes sous LSD, on s’organisait des excursions dans les grands magasins dans le même état… on se faisait plein de sortie de groupe sous acide. Le psychédélisme a été une source d’inspiration très forte, pour Bazooka comme pour moi. J’ai même publié un ouvrage sur le LSD, Pyschoactif (un livre hallucinant)2, un ouvrage de vulgarisation autant qu’une sorte de best-of des meilleures expériences sous acide.

Tu n’as jamais eu des moments difficiles, avec le LSD ?

K : Si, bien sûr, j’ai même arrêté d’en prendre pendant 20 ans. Mais je pense finalement que le plus rigolo avec les acides, c’est justement le bad trip. C’est ça qui te donne une occasion d’en parler, qui représente un réel intérêt fictionnel : tu as cru être en danger, même si tu ne l’as pas été réellement.

JPEG - 105.3 ko
Oeuvre de Kiki Picasso

Et aujourd’hui, il reste quoi de stimulant ?

K : Il y a toujours une effervescence créatrice, quelque part. J’ai vu arriver la tekno avec un immense plaisir, avec beaucoup de fascination. Les premières rave-patries… wouah… c’est sûr que les mecs qui avaient aimé le punk étaient là. J’y étais, en tout cas.

C’est du passé…

K : Il va y avoir autre chose. Il faut rester en veille, regarder les images et écouter de la musique. Tout d’un coup, quelque chose va venir, même si on ne sait pas quoi. Je n’ai qu’une certitude : tout n’a pas été fait.


JPEG - 40.4 ko
L’ouvrage publié par l’Association

Ce jeudi 18 juin, Kiki et Loulou Picasso organisent une grande kermesse des Volontaires, de 16 à 21 h à l’espace Eof (15, rue Saint-Fiacre, dans le 2e arrondissement ; métro Grands Boulevards), lieu où se tient leur exposition. L’entrée est libre, c’est une très bonne occasion d’aller visiter l’expo avant qu’elle ne se clôture (le 20 juin) et de discuter avec les artistes :

JPEG - 92.4 ko


1 Les planches visibles au long de l’interview sont extraites de l’exposition Engin Explosif Improvisé, sauf indication contraire.

2 Publié aux éditions du Lézard :

JPEG - 121.2 ko

COMMENTAIRES

 


  • Bon, d’accord, je ne peux pas prétendre que cela me rajeunisse.

    Mais disons que ça me rafraîchit la mémoire.

    Merci à tous les deux.

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • N’oublie pas que nous t’avons vu, Lémi et moi, gambader joyeusement samedi soir : nul besoin de rajeunir, tu es vif comme un cabri !

      Sautillements mis à part, j’imagine que le membre des Amis de Libé que tu as été un temps n’a rien manqué de l’entrisme de Bazooka dans le quotidien. Tu aimais ?



  • mardi 16 juin 2009 à 21h16, par proutiprouta

    ça pour une arnaque ! Je faisais la meme chose j’avais à peine dix ans. Je prenais une photo (genre un chat mignon) je la décalquais, normal. Et puis comme j’avais que des crayons orange et bleu beh je colorais avec ça, je respectais les ombres et tout mais... en orange et bleu...

    En fait je crois que je prenais ces crayons là parce que je savais pas comment respecter les ombres : javais pas bcp de crayons et fallait trouver lequilibre des couleurs pour que ce soit réaliste. Alors quitte à ce que ça ne le soit pas, je crois que javais choisi de faire nimporte quoi...

    Rhalala... un lien avec Kim Chapiron ou pas du tout ?

    PS : et bravo guy marchand pour ton concert samedi à saint ouen, c’était le meilleur de tous !

    • mercredi 17 juin 2009 à 11h15, par un-e anonyme

      kiki et effectivement le père de kim chapiron et co-scénariste de sheitan, sinon la kermesse des volontaires c’est jeudi 18 juin et pas samedi ;-) + d’infos http://www.artsfactory.net

      Voir en ligne : http://www.artsfactory.net

      • jeudi 18 juin 2009 à 13h55, par lémi

        @ Prouti Prouta
        Bordel, c’est toi qui étais révolutionnaire, et c’est Kiki Picasso qui est reconnu. Rageant. A ta place aussi j’aurais les glandes... (t’es dispo pour un entretien ?)

        @ Anonyme : merci des précisions. Et c’est corrigé pour l’erreur (cette andouille de JBB, on peut vraiment pas lui faire confiance)



  • http://jeromepierre.com/art/koons-pinault/

    Société Vinci mécène de Versailles.
    Jeff Koons artiste le plus cher du monde.
    François Pinault mécène de Jeff Koons,
    homme le plus riche de France,
    2e actionnaire de la société Vinci.

    Versailles symbole de la royauté dans le monde.
    Versailles mère de la révolution de 1789.
    Révolution 1789 mère de la démocratie et des droits de l’homme.

    François Pinault nouveau roi de France.
    Jeff Koons sceptre des nouveaux rois internationaux.
    La réinstauration de la royauté en France sous une autre forme
    revient à mépriser les droits de l’homme et la démocratie.

    François Pinault et Jeff Koons ont transformé le mépris de l’homme
    en œuvre d’art.

    www.jeromepierre.com

  • Répondre à cet article