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samedi 18 juillet 2009

Le Cri du Gonze

posté à 12h22, par Lémi
19 commentaires

Klaus Nomi : comète baroque dans un ciel pop
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Dans la grande famille des dézingués magnifiques et des loosers superbes, Klaus Nomi occupe une place toute particulière. Enrubanné dans des costumes improbables mi-dadaïstes/mi-Ziggy-Glam-de-l’espace, le soprano teuton a fait danser le New York du début des eighties sur une alliance incongrue d’opéra baroque et de new wave. Un peu oublié, parti trop vite, le bougre mérite une réhabilitation en bonne et due forme. Dont acte.

« Nomi Song »

Étrange personnage que ce Klaus Nomi. Sans équivalent. Un genre de mutant grimé en extraterrestre anguleux. Un freak new-wave maquillé jusqu’à l’overdose, drogué jusqu’à la garde. Icône queer avant l’heure, roi de l’East Village, martyre du sida, l’un des tous premiers à en mourir (1983).

Pas étonnant qu’il ait été repéré, voire lancé, par David Bowie, on dirait son petit frère, maladif et vaincu par la vie. Un Bowie qui n’aurait pas su faire face en se renouvelant, en trichant, en se mettant en scène chaque jour sous une nouvelle peau.

Klaus Nomi, de peau, il n’en avait qu’une, celle d’un pierrot lunaire catapulté dans un monde de cuir. Chaque jour il l’endossait religieusement, ce n’était même plus un accessoire, c’était lui. En chair et en costume. Il suffit de voir comment le film « Nomi Song1 » retranscrit la logistique du maquillage : dans cette simple construction du double venu de l’espace, plus de poésie que dans toute l’œuvre discographique de Bénabar2. D’ailleurs, c’est Nomi lui-même qui le disait : « Un homme sans maquillage ressemble à un gâteau sans glaçage. »

Étrange musique que celle de Klaus Nomi. Naviguant entre new-wave et musique classique, pathos d’opéra et beats disco d’opérette. D’une formation classique recyclée et détournée vers une forme de cabaret de l’espace, le chanteur allemand, doté d’une tessiture impressionnante, mêlait gaillardement le kitsch et le sacré, la pop et le baroque, le Twist et l’aria. Accouplement que l’on aurait vite tendance à qualifier de loufoque, voire de stupide et kitschissime, si écouter Klaus Nomi n’était pas si réjouissant. Même les paroles, savant mélange entre millénarisme kitsch (« Plus personne pour ramper hors des décombres / si quelqu’un nous demande on est tous hors service / En train de se transformer en pommes de terres frites » in « Total Eclipse) et admonestations à l’être aimé (comme dans la très revendicatrice »You don’t own me"), s’harmonisent étonnamment avec la musique. D’un creuset kitscho/loufoque, Nomi tire des pépites. Un peu à la manière de Bronski Beat, ou surtout de son ami Joey Arias, le lyrisme poignant en plus.

« Total éclipse » : version live tirée du film « Urgh ! A music war »

Il y a des icônes gay qui lassent, parce qu’elles en font trop, qu’elles s’enracinent dans un rôle outrancier et sirupeux qui finit (et souvent même commence) par écœurer (de Judy Garland à Franky Goes to Hollywood3, de Bowie à Mylène Farmer, la liste est longue), mais Nomi, peut-être parce qu’il a disparu si vite, deux disques et puis s’en va, sûrement parce qu’il était un grand artiste, ne lasse pas.

Certes, il peut prêter à son sourire, ce costume de dadaïste from outer space, mais ceci seulement jusqu’à ce qu’il se mette à chanter. Ensuite, tout s’embringue, devient naturel. Naturelles, les envolées lyriques sur des chansons new wave. Naturelles, les mimiques et distorsion de l’empereur du kitsch lunaire, la posture outrancière et le costume triangulaire.

Nomi a commencé à chanter dans des cabarets de l’East Village, tout droit exilé de son Allemagne natale. Il y proposait déjà cette alliance contre-nature entre new wave et musique classique, opéra et musique expérimentale. Il végétait un peu, alors, même si son spectacle remportait un certain succès. Et puis, grâce à Bowie qui s’était entiché de lui, il a pu signer sur RCA. Et sortir un premier album (éponyme, 1981) absolument dément4 contenant des pépites comme « Total Eclipse », « Lightning Strikes » ou « The Cold Song », adaptation d’un air de l’opéra King Arthur d’Henry Purcell (ci-dessous, version scène, très proche de la version disque). Ce dernier morceau replongeait gaillardement dans une approche musicale dénuée de l’habillage new wave. Paradoxalement, cette adaptation fidèle d’un air d’opéra du 17e siècle est le morceau de Nomi qui rencontra le plus de succès commercial, au grand étonnement des pontes de RCA. Faut croire qu’ils étaient un peu stupides, ces lourdauds-là. À ce niveau d’émotion, la question du genre n’existe plus. Sûrement pour ça que son interprétation n’a pas fini de me hanter, voire de me glacer (« Let me freeze again to death », sopranise-t-il vers la fin. C’est tout à fait ça).



1 Documentaire d’Andrew Horn, 2004. Visible en entier, fractionné, sur You tube.

2 Pas difficile, en même temps...

3 Quoique, j’avoue un penchant certain pour « Relax », sans ironie.

4 Son deuxième album, « Simple Man », sorti en 1982, rivalise difficilement...


COMMENTAIRES

 


  • samedi 18 juillet 2009 à 12h43, par bikepunk

    awesome !!

    je ne connaissais pas et j’ai decouvert un truc genial aujourd’hui.

    Merci Lemi

    Voir en ligne : http://bikepunktour.blogspot.com

    • dimanche 19 juillet 2009 à 12h40, par Lémi

      Disons que ce sera ma Bonne Action de la semaine. Du coup, je peux rester assis dans le métro quand des mamies à varices restent debout faute de place, ceci sans la moindre culpabilité. Et même laisser les aveugles se démerder tout seul pour traverser au feu. Merci bikepunk !



  • samedi 18 juillet 2009 à 13h31, par pièce détachée

    Bingo !

    Il y a dix jours encore, perchée à minuit sur un tabouret branlant dans un jardin en friche au milieu de mes intimes, je déclamais les phrases inspirées du maréchal Pétain (brochure vintage, 1942) à propos de la douceur et compassion consubstantielles à la nature féminine. Avec — what else ? — Klaus Nomi, Cold Song (33 tours vintage aussi), à donf (autant vintagiser tout le village).

    Klaus Nomi me déchire le cœur.

    Merci pour A hard day’s night par Joey Arias. Je ne connaissais pas, c’est somptueux.

    N.B. You don’t own me, s’il te plaît (avec l’alternance exquise you don’t know me [Nomi] / own me).

    • dimanche 19 juillet 2009 à 12h46, par Lémi

      L’alliance Pétain / Nomi me semble un tantinet aventureuse, mais pourquoi pas ? En tout cas, tes soirées ont l’air d’être de première bourre, c’est pas à Paris qu’on se concocte des programmes aussi croustillants. La dernière fois que j’ai beuglé du Goebbels en écoutant Killing Joke à fond les ballons, mon voisin polack a déversé deux tonnes de bile injurieuse sur mon balcon, j’ai dû lâchement baisser le volume...

      Merci pour la correction, la coquille a ceci de commun avec la coquillette qu’elle se dissimule facilement au regard (et par là même bouche mon évier plus souvent qu’à son tour).

      • lundi 20 juillet 2009 à 12h07, par pièce détachée

        « Alliance Pétain /Nomi » ? Que non. Plutôt une façon de neutraliser l’éternel féminin pét-haineux avec des armes éprouvées (Nomi, tabouret, gin-tonic pour le énième heu...degré). Et encore, je n’avais pas ma tronçonneuse.

        Ah, la coquille, la coquillette... Le plus traître à tous égards, c’est le tapioca (aucune trace dans ton billet, mais je garde l’œil...).



  • samedi 18 juillet 2009 à 13h58, par Isatis

    Oh fan ! Quelle andouille je fais, jamais eu l’idée d’aller farfouiller chez youtube pour retrouver sa trace à celui-là. Je n’ai plus d’outil pour écouter mes 33, de toute façon, ils sont lisses d’avoir trop servi.........

    Merci pour la réhabilitation !

    • dimanche 19 juillet 2009 à 12h48, par Lémi

      « Quelle andouille je fais, jamais eu l’idée d’aller farfouiller chez youtube pour retrouver sa trace à celui-là. » : ne change rien. Si jamais tu t’avisais d’effectuer toi même tes recherches, je ne servirais plus à rien...



  • samedi 18 juillet 2009 à 21h25, par précision

    Pour cette vidéo de the cold song, il est expliqué qu’il l’a enregistrée à Munich, 6 mois avant sa mort, et qu’il était à ce moment là très affaibli par sa maladie mais ne voulait pas que son public le sache. Un exemple de mise en scène de sa propre mort assez glaçant-et assez grand- c’est vrai.

    • dimanche 19 juillet 2009 à 12h50, par Lémi

      Merci. C’est effectivement aussi terrible que poignant, cette précision. Et, finalement, c’est plutôt d’un refus de la « mise en scène de sa propre mort » qu’il s’agit, il me semble.

      • lundi 20 juillet 2009 à 11h48, par pièce détachée

        Il me semble aussi. Et je vais me faire battre, mais je trouve ça d’une élégance infiniment plus poignante que les grâces interminables à la Hervé Guibert / Cyrille Collard.



  • samedi 18 juillet 2009 à 22h11, par krop

    Elle avais des fleures dans les bras, c’en était une !

    Je buvais se mauvais vin qui saoul et qui rend...!

    C’en était touchant des doigts, froids aux creux des vagues comme dans un train !

    Je n’ai jamais voulu te blesser et je t’ai aimer à perdre mon nom !

    L’amour est un acte bestiale !. Si spéciale...!

    Cette drogue qui seriale à la douceur du monde, et qui surveille, la manne !

    Remplir tes rêves là ou il n’y à plus rien ! Tu fais quoi demains ? !

    Je participe aux festin, des rois de la faim ! Invité je suis..., par la fange ! .

    Perdu dans la lande, ? Les chemins de ton parfum, mon conduit bien loin de moi !.

    Et comme les médias crées leur propre critique !.Sont ils si critiques ! ?.

    EST ENCORE disais-je, un monde sans « maladies » est un monde malade !

    Le wifi peut t’il se sourire invisible !? ..

    J’aime cette notion du courant fantômes , celui qui relis l’éclaire à la terre !

    Sans notion élec...tri...ques ! ? J’ai la trique de t’as « chate »et mon oreille !

    QUE PERSONNE viendra me soupirer dans mon oreilles.................?

    Que le temps, c’est de l’argent...?????????

    Surtout pour les « maigres con du capitalisme » !

    klaus-nomi-the-cold-song-live. je rempli le vide qui se remplie d’eaux !
    KROP



  • dimanche 19 juillet 2009 à 10h54, par ubifaciunt

    « Son deuxième album, « Simple Man », sorti en 1982, rivalise difficilement... »

    Rohhhh, bougre de toi... La chanson éponyme est une bombasse new wave absolue à faire frétiller tous les dancefloor du monde (mode critique musicale aux Inrocks off).

    Non, sérieux, Simple Man est une chanson sublime.

    Merde.

    • dimanche 19 juillet 2009 à 12h55, par Lémi

      Je reconnais bien là ton approche de DJ de la mort qui tue. Un tube qui fait frétiller et on en perd son esprit critique...

      Perso, après avoir découvert le premier album, j’ai jailli comme un tatou de sa carapace pour me procurer le deuxième. Et, malgré tout - le temps abrasera peut être ceci - ça m’a plutôt déçu. Je Partais conquis d’avance mais le trouve beaucoup moins émouvant et brise-coeur. Bien sûr, comme on part de très très haut, cela reste un bon album. Mais, je persiste et signe, il « rivalise difficilement ».

      Crotte.



  • lundi 20 juillet 2009 à 00h29, par namless

    Merci de déterrer cette apparition. C’est vrai qu’il a détonné avec son allure de spectre dans ce début d’années 80, pas si libérées que ça finalement !

    Un grand artiste un poil dérangeant, une sorte de punk baroque...



  • mercredi 22 juillet 2009 à 08h17, par joshuadu34

    reportage passé (re ?) cette nuit sur arte... Un long et excellent moment aux côtés de cet extra-terrestre, de ce Pierrot La Lune, même si le sujet, comme souvent sur arte, manquait de moment ou le commentateur se tait et laisse la place à la voix du chanteur ...

    En tous cas, ça m’a fait penser à ton article... deux fois la même semaine, pour moi qui, comme beaucoup, avait un peu laissé dans l’oubli les vinyls de Nomi, sans doute à cause de leur usure extrème... Tiens, me redonne envie de me faire une série 80’S, mais le bon côté...

    Voir en ligne : http://taz-network.ning.com/

    • vendredi 24 juillet 2009 à 10h39, par ZeroSpleen

      Il n’y a rien de dadaïste chez ce gars-là. C’est une insulte faite aux Dadaïstes que de le qualifier ainsi.

      Sinon, il est amusant. Un sympathique produit des industries culturelles. Merci Bowie.



  • lundi 31 août 2009 à 15h44, par Martin

    Klaus Nomi a vécu sa vie comme un opéra baroque et sa mort tragique, effroyablement injuste, paradoxalement scelle sa légende. A l’épreuve du temps sa vie est une oeuvre réussie et inaltérable. Mais quel regret éternel de ne pas savoir ce que sa créativité, sa démesure, sa culture nous auraient concocté et quels rubis resteront à jamais enfouis dans les ténèbres de sa belle âme. Quel effroi que le témoignage de ses proches d’une époque qui ne sont pas allés le voir et n’osaient même pas lui serrer la main. On aimerait savoir que Klaus le petit garçon qui est allé visiter le jardin de sa tatie quand le glas sonnait ses premiers coups, encore lointains et sourds, a eu près de lui dans les dernières heures quelqu’un qui lui a dit qu’il l’aimait vraiment et qu’il était un grand,bel,unique artiste. Oiseau de feu, de paradis sur fond d’une intense nuit shakespearienne.

    • lundi 14 septembre 2009 à 23h16, par Tiphaine

      Joey Arias, lui, est resté auprès de Klaus Nomi jusqu’au bout.
      Les médecins voulaient même l’en empêcher à tout prix devant l’inconnu que représentait alors cette maladie nouvelle.
      J.Arias est passé outre pour son ami ; il est toujours bien vivant d’ailleurs.

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