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lundi 21 mai 2012

Chroniques portuaires

posté à 20h27, par Julia Zortea
9 commentaires

Sun Sète au Lido

Sur les quais de Sète, petite ville du département de l’Hérault, située sur un cordon littoral séparant la mer de l’étang de Thau, s’observent les traces des violents ressacs de l’économie maritimo-portuaire. Promenade au fil de l’eau salée, entre nostalgie d’un passé prospère enfui, navires fantômes et chimiquiers en déroute.

Cette chronique portuaire a été publiée dans le numéro 7 de la version papier d’Article11.

*

Le long de la route de Cayenne, côté quai, s’élève la coque vermillon d’un fringuant vraquier battant pavillon Antigua-et-Barbuda1. Feux allumés, moteur ronronnant, le Lena renâcle à devenir épave ; un machiniste ukrainien fait le guet depuis la cabine de pilotage. Un peu plus loin dans le bassin, l’archipel de Saint-Vincent-et-les-Grenadines s’invite dans la carcasse bleue pétrole du Rio Tagus, vieux chimiquier qui prend l’eau. Visité par le Centre de sécurité2 à son entrée dans le port de Sète en octobre 2010, le navire détérioré fait alors l’objet d’une mesure de rétention. Peu versé dans la réparation, son armateur, sis à Miami, disparaît sans laisser d’adresse et condamne ainsi ses marins à entonner la Supplique pour - ne pas - être enterrés à la plage de Sète. Le cargo, possession de l’armateur, est le seul gage de paiement des salaires. C’est pourquoi, des mois durant, les matelots du Rio Tagus restent à quai, le temps d’organiser la saisie du bateau par le tribunal de Commerce de la ville, puis sa revente aux enchères. Peine perdue, le coucou est trop rouillé et l’équipage rentre au pays bredouille, rapatrié par l’Immigration. À l’inverse, les hommes du Lena ont le vent - ultra-libéral - en poupe Un affréteur immobilise leur bateau à Sète en mars 2011 en demandant une saisie conservatoire3 sur le navire afin de s’assurer du paiement de ses créances par l’armateur, estonien. En faillite, ce dernier ne paie rien et laisse ses marins en carafe dans le golfe du Lion, nourris par charité pendant sept mois. Coup de mer, enfin. Au nom du Saint-Esprit qui plane au dessus des océans4 – la Mar mar5 et ses gros sous –, une banque se décide à acheter le Lena, puis paie et rapatrie les matafs. À l’exception du machiniste : le moteur ne doit jamais s’arrêter de tourner.

Quai d’Alger. Le marin, vent du sud, souffle ; tiède est la saucée. Dans l’ancien bar montant6, les corps sont aussi calmes que la mer agitée. La télé ouvre l’horizon. Ici, le large ne prend plus. « Dans l’histoire du port, on est dans la période la plus basse, explique un pêcheur à la retraite, la panade a remplacé le pinard ». Dernier né des grands port français, en 1666, Sète a notamment lié son essor au commerce de la barrique, après des débuts difficiles. Quand se forme sur le lido ce « bourg de mer » où s’acoquinent «  travailleurs à la jetée » descendus des Cévennes, pêcheurs de sardines italiens et négociants suisses, l’évêque d’Agde, envieux, prédit que «  l’illusion de Cette sera dissipée par des sables irrémédiables  », tandis que les notables de Montpellier cherchent à exercer leur tutelle sur la ville-port. Lésée par son voisin marseillais qui jouit alors - exclusivement – du régime de port franc et capte ainsi la quasi totalité des échanges commerciaux avec le Levant, Sète cherche la voie de l’autonomie. En 1684, le Saint-Jean-Baptiste « charge du vin pour porter en Ollande »7 Cap Nord. Le port, qui se spécialise peu à peu dans l’exportation du vin et des spiritueux, rayonne jusque sur la Baltique et devient au XIXe siècle le plus grand centre mondial de tonnellerie. Puis, poursuit le pécheur, « l’activité s’est inversée à partir des années 1900 avec la crise viticole du phylloxéra : d’exportateur, Sète est devenu un port importateur de vin, d’Algérie surtout, qui servait au coupage des productions médiocres de métropole  ». L’industrie viticole dérivée des activités portuaires8 perdure jusque dans les années 1980, principal foyer de main d’œuvre ouvrière du pays sétois avec quelques grandes entreprises industrielles (la « Mobil », les fabriques de ciment Lafarge, les Raffineries Soufrières Réunies de Frontignan et les mines de bauxite de Villeveyrac).

Après l’indépendance de l’Algérie et suite au développement de places portuaires de transbordement, l’arrivée des pinardiers dans le port de Sète s’espace. Les usines ferment une à une ; les puits de bauxite sont noyés9. «  Dans la période faste, jusque dans les années 1960, le port et le complexe indutrialo-portuaire représentaient 20 000 emplois. Aucune reconversion n’a accompagné la désindustrialisation : le département de l’Hérault détient le plus fort taux de chômage de France et Sète n’est pas loin de 16 % », conclut l’ancien maire (PC) de la ville, marin-pêcheur de profession.

Face à la jetée 4, un vieux silo à grain se détache du ciel gris. « Dix ans qu’ils disent qu’ils vont l’enlever », on entend. Hormis quelques menus travaux, les infrastructures du port n’ont subi aucune transformation depuis les années 1980. En 2007, le port de Sète passe sous l’autorité de la Région10 qui en assure les investissements et conduit, avec d’autres, la politique commerciale portuaire. Ses ambitions ? «  Redynamiser, créer de l’emploi en privatisant les emplacements. Par exemple, Lafarge a récupéré un quai complet. Les autorités portuaires perdent la maîtrise de leur outil  », répond l’élu déchu. Et puis, « la Région nous a aussi bourré le mou avec la saga Agrexco ». En 2008, un terminal fruitier est octroyé à l’opérateur italien GF group. Son unique client, la compagnie Agrexco, dont les produits proviennent pour partie des territoires palestiniens occupés par Israël, rencontre alors de grandes difficultés budgétaires. Dare-dare, malgré les salves de protestation, fonds publics et privés s’allient pour financer un hangar réfrigéré ainsi qu’un portique de déchargement adapté aux bateaux siglés Camel d’Agrexco. Inauguration, sourires, ressac : peu après, le marchand de fruits et de légumes fait aveu de faillite. Sur le quai, encore, le grand portique.

Il parle du temps des docks, cet autre vieux pécheur. De la tyrannie des contremaitres, des luttes syndicales puis de l’arrivée sur les quais des « dockers » recrutés par agence d’intérim. Il fait aussi part de ses inquiétudes concernant la pêche artisanale, soumise à des réglementations internationales allant dans le sens de la «  plus grande fauche ». Il sourit, se reprend, « de la plus grande flotte de pêche française : Intermarché. », car « on les emmerde avec nos petits chalutiers, encore conquérants sur les marchés ». À quelques kilomètres, la Pointe Courte et le Barrou, quartiers des petits métiers de la lagune, l’autre visage de Sète comme on l’entend souvent. Ce jour-là, pêcheurs et conchyliculteurs11 restent sur la berge : l’étang est interdit à la navigation, l’Hérault ruisselle. Les autres jours, la supplique pour ne pas rester sur le carreau se fait entendre : alors que l’urbanisation et les activités de plaisance se développent autour de l’étang et troublent la qualité de l’eau, un rapport singulier au territoire s’éteint doucement12.

Assis à l’un des tables du Diego café, L., membre de la confrérie fictive de la Macaronade. Farouchement opposé à la mairie UMP de la ville, il relève sur son blog, avec d’autres compères retraités et sans trop de sérieux, petites histoires et grandes affaires sétoises où il est beaucoup question de promoteurs immobiliers. En guise de présentation de sa « confrérie  », une phrase : Dignus est intrare. « Ah non, mais moi je ne comprends rien au latin  », il rit, dents du bonheur en avant : « C’est juste qu’il est digne d’entrer  ».

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Photographie de Julia Z
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Les précédentes chroniques portuaires

Épisode 1 : Galice
Épisode 2 : Tanger
Épisode 3 : Gênes



1 Le Lena et le Rio Tagus sont des navires placés par leurs armateurs sous les nationalités fictives d’États complaisants, pour échapper aux lois sociales et fiscales de leurs pays.

2 Dans le cadre du Mémorandum de Paris : accord visant à vérifier que les navires sont conformes aux conventions internationales.

3 Cette manœuvre vise à apporter une garantie au créancier avant que ne soit prononcé le jugement condamnant son débiteur à payer sa créance.

4 Tirée de la Prière des Marins.

5 Diminutif jargonneux de « Marine marchande ».

6 Équivalent d’un bordel.

7 In Esquisse de l’histoire d’un port, Louis Dermigny, Ville de Sète, 1967

8 Comprenant des usines d’engrais viticoles, de fûts en bois, de bouchons en liège et de transformation du vin.

9 La production de bauxite française s’achève dans les années 1990. Ce minerai est aujourd’hui importé d’Afrique ou d’Australie, où les coûts d’extraction sont moins élevés.

10 Selon la loi de programmation 2004-09 prévoyant le transfert des ports d’État aux collectivités.

11 Éleveurs de coquillages

12 Voir à ce sujet Les hommes et l’étang, beau documentaire d’Hélène Morsly, Maremar, 2011.


COMMENTAIRES

 


  • mardi 22 mai 2012 à 09h36, par Reveric

    Plus d’emploi et plus de poisson.
    ( pour es allergiques : c’est sur le site du Figaro )
    http://www.lefigaro.fr/flash-eco/20...

    • mardi 22 mai 2012 à 10h50, par B

      bien entendu
      ( c’est parce que y’a plus de poissons que les gens se jettent sous les trains )

      • mardi 22 mai 2012 à 14h12, par Reveric

        Sète etait aussi un port de pêche industriel.

        • mardi 22 mai 2012 à 14h36, par Reveric

          de la misère du « capitalisme » du pêcheur de nos côte (d’après la marine à voile) expliqué à ma fille .Pas de poisson pas d’emploi.



  • mardi 22 mai 2012 à 14h28, par tonio

    « Redynamiser », « créer de l’emploi », « privatiser » en attirant les « promoteurs » : du nord au sud, portuaire ou dans les terres, ces lieux d’activités sont tous bouffé à la même sauce.

    Et sinon, Sète, c’est pas la ville du poulpe ? Si, en fait.

    Aaaaah, le poulpe ! Un petit reportage sur la pèche au poulpe en méditéranée ? Ca donne des idées pour l’été.

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