ARTICLE11
 
 

samedi 1er novembre 2008

Sur le terrain

posté à 13h16, par PT
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« Il le voit d’abord à travers l’œilleton. Le corps d’un adolescent. Son visage livide, son cou étranglé par une corde faite de draps… »
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Du quotidien des surveillants de prison. Du quotidien d’un quartier des mineurs cité en exemple par la ministre de la Justice, Rachida Dati. Du quotidien des détenus. « Le Nouvel Observateur » a enquêté cette semaine entre les murs de la prison de Metz, où le 5 octobre dernier le jeune Nabil a ajouté son nom à la longue liste des suicidés encristés. Sidérant, dérangeant. Et pourtant…

Texte extrait de l’enquête publiée cette semaine dans les pages du « Nouvel Observateur » après le suicide du jeune Nabil à la prison de Metz.


Il le voit d’abord à travers l’œilleton. Un corps inerte. Le corps d’un adolescent. Son visage livide, son cou étranglé par une corde faite de draps… « Encore un », se dit le gardien. A moins qu’il n’ait pas le temps de penser. Il court dans le couloir. Vite, prévenir le chef de la détention. Vite desserrer le nœud, appeler les secours, faire le bouche-à-bouche en attendant le Samu… Mais Nabil est déjà mort. Il avait à peine 16 ans.


Le mercredi 1er octobre, un mineur donne un coup de pied à un surveillant qui vient ouvrir sa cellule. Il est aussitôt envoyé au quartier disciplinaire, le QD. Le lendemain, à 21 h 15, il essaie de se pendre.

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Un autre mineur tente d’étrangler un codétenu en salle d’activités. Direction le QD. Il y fait une tentative de suicide à 21 h 20. Psy. Retour en cellule. Les surveillants exigent tout de même une sanction : ils enlèvent le poste de télé installé dans sa cellule.


Une bagarre éclate entre deux mineurs. Mitard pour l’un d’entre eux. Cette fois, c’est un gradé qui intervient : « Sortez-le tout de suite. L’ambiance est trop tendue, ce n’est pas le moment… » Colère des gardiens. « Ça suffit de les traiter avec des pincettes. De se laisser terroriser. Il ne faut plus céder, même au risque du suicide. Qu’ils assument leurs actes », clament les plus remontés. Deux d’entre eux pondent un tract qu’ils affichent dans la prison : « Quoi faire quand on ne peut pas faire ce pour quoi on est fait ? Parapluie, parasol, comme tu les tiens, le psy. Comme tu donnes du pouvoir aux mineurs et comme tu ridiculises les surveillants… Qu’attend la direction pour faire partir les perturbateurs ? Quel dimanche de merde ! »


Deux surveillants seulement pour l’ensemble de la prison (plus de 400 cellules, près de 500 détenus !), qui passent environ toutes les deux heures. Pour des raisons de sécurité, ils n’ont pas les clés sur eux. En cas d’urgence, c’est un gradé qui vient ouvrir la porte.

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Samedi 9 août, cour du quartier des mineurs. Gilles Meniucci est à bout. Dans sa longue carrière, ce surveillant qui fait office de moniteur de sport n’a jamais vu ça. Ce samedi encore, les gamins se tabassent au lieu de taper dans le ballon. Il a même fallu en envoyer un à l’hôpital. « Bientôt il y aura un mort », répète le moniteur. Les surveillants sont « dépassés » par 14 mineurs. Pas de sureffectif (le quartier compte 26 cellules), mais un nombre de « pensionnaires » plus élevé que d’habitude, transférés des établissements voisins.

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A chaque incident, les gardiens doivent remplir un formulaire (la « traçabilité », la direction « veut se couvrir »). Il leur faut composer avec les psys. Se plier aux « lubies » en vogue : « On leur fait faire de l’équithérapie. Une riche idée, l’évasion par le cheval ! »Les gardiens ont le sentiment que tout est fait pour saper leur autorité.


Le 14 août, le moniteur de sport craque. Il prend sa plus belle plume et écrit à Rachida Dati : « Si rien n’est fait, prévient-il, il est à craindre qu’un drame puisse se dérouler d’un côté comme de l’autre. » Les services du garde des Sceaux disent aujourd’hui ne pas avoir souvenir de ce courrier.

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Le surveillant qui a décroché l’adolescent est en arrêt maladie. Au quartier des mineurs de Metz, les effectifs n’ont pas été renforcés, mais lorsqu’un nouveau détenu a menacé de se suicider la direction a ordonné qu’un surveillant reste posté toute la nuit devant le mitard, l’œil rivé à l’œilleton. Certains gardiens prétendent que le calme est revenu, que les mineurs cette fois « ont compris ». D’autres pensent que tout peut recommencer demain.


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