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jeudi 30 avril 2009

Le Cri du Gonze

posté à 00h10, par Lémi
9 commentaires

Jacques Grémoux : « La chaussure est le cocktail Molotov de notre temps »
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L’imaginaire mondial de la contestation avait besoin d’un coup de neuf, on se lassait de voir revenir toujours les même symboles - keffieh, pavé, Che, cagoule… Magie, le symbole contestataire du 21e siècle a débarqué : la chaussure. C’est un fait, l’Internationale de la godasse dans la gueule progresse à grands pas. Éclaircissement avec le spécialiste reconnu de la question : Jacques Grémoux.

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24/04/09 : assemblée générale de la banque Fortis, les dirigeants - hués par les actionnaires - essuient plusieurs jets de chaussures.
07/04/09 : un journaliste indien lance sa basket sur Palaniappan Chidambaram, le ministre de l’intérieur indien.
01/02/09 : Cambridge, un étudiant jette une chaussure en direction du Premier ministre chinois Wen Jiabao, alors qu’il prononce un discours devant des étudiants bien sages.
05/02/2009 : l’ambassadeur israélien à Stockholm manque se prendre une paire de pompes dans les dents.
14/12/08 : un journaliste irakien, Mountazer al-Zaïdi, devient le héros de la rue arabe en lançant ses deux chaussures sur Georges Bush lors d’une conférence de presse. Il le payera cher.

Une liste loin d’être exhaustive mais qui montre bien l’ampleur du phénomène : le lancer de chaussures est en passe de devenir une arme de contestation planétaire. Pourtant, jusqu’à maintenant, le « take my shoes in your face, you bloody bastard » – ainsi que le nomment ses pratiquants anglo-saxons (en France, on parle plutôt de «  fusils à pompes ») – n’a pas fait l’objet des études exhaustives qu’il méritait. Si la pratique prend de l’ampleur, sa réception médiatique est tiédasse : on rigole, on voit ça comme un truc innocent, on se refile le lien vidéo en gloussant et on change de sujet. Grave erreur.
Une étude approfondie des événements montre en effet que le phénomène est désormais consubstantiel des formes contemporaines de lutte sociale. Le jet de chaussures serait en passe de remplacer celui du pavé, voire du cocktail Molotov, dans l’imaginaire de la révolte. Retour sur le phénomène avec le professeur Jacques Grémoux, spécialiste de la rébellion post-moderne1 et membre d’honneur du collège d’anarcho-pataphysique.

Pourquoi utiliser la chaussure dans un cadre protestataire ? Cela semble un objet anodin et pas vraiment contondant, non ?

D’abord, pour des questions pratiques. Il est désormais de moins en moins évident d’acheminer des outils de protestation sur des lieux de contestation. Regardez le Contre-sommet de l’OTAN à Strasbourg : pour apporter ne serait-ce que des cagoules, c’était la croix et la bannière. Imaginez pour des coktails Molotov ou des barres de fer…
La chaussure est discrète, peu répréhensible (avant son entrée en action, en tout cas). Je pense que c’est le terroriste Richard Reid qui a le premier pris conscience du potentiel de la chose : en plaçant des explosifs dans ses chaussures, il soulignait le caractère discret de la godasse pensée comme arme de destruction. Depuis, les cas se sont multipliés.

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Qu’est ce qui détermine la réussite d’un bon jet de chaussures ?

Étonnamment, il semble que la balistique ne soit pas si importante que ça dans le processus. Le symbole en lui-même compte beaucoup, peut être plus que la précision du jet. Bush a évité le projectile, et ça a été le cas dans la plupart des événements de ce type. Ça n’a pas empêché leur forte médiatisation. Un tir raté peut être un tir réussi, c’est la grande force du « Godasse-trap ».
Je pense que cela tient au caractère dégradant du geste et de l’objet. La chaussure semble anodine, mais elle est pleine de symboles injurieux (et pas seulement dans la culture arabe). En lançant sa chaussure, on montre un mépris beaucoup plus fort qu’en lançant un pavé. C’est aussi dans la continuité de l’action de gens comme Noël Godin qui cherchent plutôt à moquer leur cible qu’à la blesser.

Pourquoi ne pas aller plus loin, dans ce cas ? Chaussettes, sous-vêtements, tampax usagés, voire excréments ?

C’est peut être amené à se développer, en effet. Je ne serais pas étonné d’apprendre que Sarkozy s’est pris une couche culotte souillée dans la face. Mais cela devient tout de suite beaucoup plus compliqué à échafauder. Le jet de chaussures est une chorégraphie, une gestuelle limpide : le lanceur peut agir très rapidement, sous le coup de l’impulsion.
Par contre, lancer des excréments implique d’avoir médité son geste avant, c’est beaucoup plus lourd. Le lanceur y perdrait en spontanéité, même si - je vous l’accorde - il y gagnerait peut-être en efficacité. Si les manifestants de Sydney avaient lancé des capotes usagées sur Benoit 16 plutôt que des simples préservatifs non-utilisés, leur action aurait eu une toute autre répercussion…

Est-ce si répandu que ça, le lancer de chaussures ? Après tout, on ne connaît que quelques cas emblématiques, non ?

En tant que chercheur, je peux vous garantir que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Récemment, un site livrait ainsi un secret de polichinelle, l’existence de groupes d’autonomes attaquant leurs cibles grâce à des « fusils à pompes ». Dans tous les cas, il y a une inflation impressionnante du nombre de cas. Il n’y a pas longtemps, par exemple, un groupe d’enseignants bretons mécontents bombardait littéralement [voir photo ci-dessous] le rectorat de Rennes de paires de pompes. Ils ont vite été imités par des profs de l’Université de Provence, puis par d’autres. Les premiers cas ont fait tâche d’huile. Désormais, au même titre que le keffieh, la chaussure de combat est tendance chez l’alter-mondialiste. Ça fait partie de la panoplie.
Autre fait impressionnant, la chaussure Molotov ne reste pas uniquement cantonnée aux mouvances rebelles traditionnelles. Le cas récent des actionnaires de Fortis balançant leurs chaussures sur leurs dirigeants montre le caractère véritablement universel (socialement) de cette forme d’action : les CSP + aussi aiment lancer leurs chaussures quand ça les démange.

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Historiquement, il y des précédents ?

Sénèque raconte que Jules César avait reçu une sandalette en plein visage lors de son défilé victorieux après la guerre des Gaules. Le coupable aurait été un gaulois dégoûté de voir Vercingétorix traîné en cage par l’impérialisme romain. César n’a pas tardé à se venger en faisant égorger le chef gaulois : il gardait l’événement en travers de la gorge. Déjà à l’époque, le geste était tout sauf anodin.

Vos conseils pour un bon lancer de chaussures ?

Ne jamais porter de chaussures trop coûteuses : vous ne savez jamais quand la rage peut vous mener à des extrémités que vous pourriez regretter. Car ensuite, le remords ne tarde pas : « Bordel, c’est mes escarpins Chanel que je viens de balancer ? », il y a des réveils difficiles.
Pour plus d’efficacité, ne jamais hésiter à marcher volontairement dans les déjections canines ou à batifoler dans le fumier avant de partir protester à un meeting UMP ou à une réunion d’actionnaires Eurotunnel.
Enfin, le port de Rangers, de chaussures de chantiers ou de bottes de scaphandriers est un plus non négligeable pour qui voudrait maximiser son efficacité.



1 Lire de lui « Pratiques domestiques de la guérilla mid-classe » chez Fructos et « Lancés en tous genres sur personnalités malfaisantes », éditions du Flaping.


COMMENTAIRES

 


  • En 1977, à la suite d’une bagarre (lors d’un concert des Heartbreakers, si je ne m’abuse), Siouxsie a reçu une amende pour port d’arme. L’arme en question : ses chaussures à talons aiguille...

    • Ah, Siouxie, toujours dans les bons coups...
      Je comprends qu’on lui ait infligé cette amende : des talons aiguilles dans les mains de Siouxie sont plus dangereux qu’une tronçonneuse dans les mains de Charlie Manson. Quelle femme !
      En tout cas, c’est vrai que Jacques Grémoux a fait l’impasse sur la question du talon aiguille dans ce nouvel âge contestataire : je ne manquerais pas de lui faire part de mon mécontentement.



  • Question : je ne porte que des « tongs », son lancé étant plus aléatoire que celui d’une « rangers » est ce que je peux quand même faire parti de l’Internationale chaussurière ?



  • jeudi 30 avril 2009 à 17h57, par pièce détachée

    Se retrouver pieds nus en Irak ou en Inde, soit : sauf sur le glacier du Siatchen, il y fait chaud.

    C’est inconcevable dans les pays froids ou à peine tempérés, où par contre l’assiette de Chantilly conserve une bonne tenue, tandis qu’elle fond piteusement dans les poches d’Orient.

    Je déteste pareillement avoir les pieds froids et les mains dans des poches gluantes.

    Quant à jeter mes bien-aimées chaussures, et quand bien même elles ne m’auraient rien coûté, vous n’y pensez pas.

    La couche de bébé souillée ne semble pas mal. Pour passer les fouilles à l’entrée des réunions d’actionnaires de Fortis, il suffit de se procurer un authentique nourrisson qu’on déculottera prestement à l’instant opportun. Mieux : si l’enfançon est mort, on en peut jeter l’horrible cadavre froid tout emmailloté de langes pourris. Madonna en a vu plein en allant faire son marché au Malawi. Il suffit d’aller les ramasser.

    • jeudi 30 avril 2009 à 18h14, par lémi

      Il suffit, mon cher, pour se prémunir des désagréments d’ordre frileux (pieds bleus, grippe non porcine), d’avoir toujours une paire de pompes de rechange sur soi. Le problème étant évidemment que, dans le feu de l’action, il faut réprimer sa légitime colère et ne pas lancer les deux paires d’un coup. Le self-contrôle, voici la clé. Et aussi, fais comme moi : achète tes chaussures chez Décathlon à très bas prix : outre qu’elles sont beaucoup plus odorifères (non négligeable comme arme), elles sont tellement moches que tu n’auras aucun mal à t’en séparer.
      quant au projet de catapultage offensif de bébés du Malawi, je ne peux que me réjouir de voir que ce forum devient un vrai lieu de brainstorming et débouche sur du concret : c’est effectivement une très bonne idée. Et puis, la connexion avec Madonna me semble pleine de bon sens. Puisqu’elle jette sa culotte sur nous, jetons ses bébés sur nos cibles. Juste retour de bâton.



  • jeudi 30 avril 2009 à 18h14, par pièce détachée

    P.S. Sur les marchés folkloriques et colorés du Malawi, voir ici.

    • Merci pour le lien, sujet qu’on ne voit pas souvent développé.
      En même temps, je comprends Madonna et ses confrères : adopter un petit ricain de base, crasseux et tout, ça donne pas très envie, d’autant qu’avec un peu de malchance, tu tombes sur un petit obèse, la tuile. Alors qu’avec le Malawi, ça donne tout de suite un côté classieux, exotique. Noir c’est chic.



  • A Huelva en 1937, après que les fascistes aient pris la ville, ils ont assassiné un confiseur et exposé son cadavre : il avait lancé 5 ans auparavant son espadrille contre le général Sanjurjo, un autre facho qui avait tenté un putsh en 1932...

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