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mercredi 14 avril 2010

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posté à 13h51, par Temps Critiques
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L’école entre État-Nation et État-réseau
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Il y a des thèmes que nous abordons rarement sur A.11, faute de les maîtriser suffisamment. L’école en fait partie. Du coup, on est très heureux de combler cette lacune en te proposant un texte inédit et costaud des animateurs de la revue Temps Critiques. Ils y répondent longuement à une contribution de Pierre Jourde, publiée sur BibliObs. Polémique ? Pas vraiment. Instructif, plutôt.

Incipit A.11. Tu l’as peut-être déjà constaté : nous ne parlons guère d’éducation sur ce site - non que ça ne nous intéresse pas, juste que nous n’en avons pas spécialement les compétences. Tu l’as sans doute remarqué aussi : nous ne te proposons à peu près jamais de textes très théoriques - guidés que nous sommes par cette idée (contestable) que le goût de la vie et de la spontanéité pourrait se noyer dans des considérations par trop philosophiques.

Deux habitudes aujourd’hui battues en brèche : ci-dessous t’attend un texte théorique (et inédit) sur l’éducation, œuvre des animateurs de la revueTemps Critiques. Pourquoi ? Simplement parce qu’on a trouvé ce texte plutôt passionnant. Et qu’on est très heureux de pouvoir contribuer, par l’entremise de gens connaissant fort bien la question, à un essentiel débat - toujours en cours - sur l’éducation, ce qu’elle est versus ce qu’elle devrait être, fictions mobilisatrices au service de la survie du système versus épanouissement individuel.

Les animateurs de la revue Temps Critiques ont souhaité répondre à un texte de Pierre Jourde, publié sur BibliObs (lequel Pierre Jourde rebondissait sur un extrait du chapitre « La crise de l’éducation », dans La Crise de la culture d’Hannah Arendt). Ce texte s’intitule « On attendra après Plus Belle La Vie », et le mieux est que tu ailles le lire avant de poursuivre plus avant. C’est ICI. Une fois chose faite, tu pourras prendre connaissance de la prose de Temps Critiques, ci-dessous, en toute connaissance de cause. Joyeuse et instructive lecture.

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L’école entre État-Nation et État-réseau

Pierre Jourde reprend effectivement les arguments d’Arendt, mais ce n’est pas étonnant puisque c’est une référence qu’adoptent nombre d’anciens socialistes ou d’anciens « progressistes ». Ces remarques d’Arendt s’inspirent des pédagogies antiautoritaires et libertaires de l’Allemagne des années 20 (École de Hambourg1, pédagogie du « maître-camarade », etc.), dont elle critique l’influence néfaste sur l’éducation dans les États-Unis d’après la Seconde Guerre mondiale. En effet, ces pédagogies ne prenaient sens que reliées aux courants communistes et anarchistes qui n’avaient pas été liquidés par la contre-révolution social-démocrate puis le régime national-socialiste. Ces pédagogues combattaient le capitalisme, la société bourgeoise et le populisme interclassiste du nazisme naissant ; ils cherchaient à former chez l’enfant des individualités en devenir qui ne séparent pas l’individu et la communauté humaine. Mais transposées dans les réalités de la société nord-américaine et de la Guerre froide ces méthodes pédagogiques ont principalement contribué à dissoudre chez leurs enfants les résistances politiques des classes dominées. Il y a eu inversion des objectifs et des finalités. Arendt ne peut pas faire cette mise en perspective historique, car elle reste « anticommuniste » et surtout dépendante de la métaphysique de son maître, le recteur pro-nazi Heidegger, pour qui la religion est la grande éducatrice de l’humanité puisqu’elle s’occupe de l’être.

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L’éducation n’est pas « par essence conservatrice » comme l’affirme Arendt. Depuis son origine dans les États despotiques, elle se veut institutrice ; elle place certains enfants2 dans une institution, l’école. Que cette institution de l’école soit une composante de l’État-nation (du moins, dans la modernité, pour ce qu’il en était de l’école de l’État-nation en France car cela est différent dans les pays anglo-saxons), n’implique pas qu’elle opère une éducation « conservatrice ». Les forces sociales et idéologiques de la société traversent l’école ; il en est des « progressistes », il en est des traditionalistes comme il en est des centristes…

Ce n’est pas l’éducation qui protège l’enfant des dangers de son environnement, mais les modes d’élevage, divers selon les sociétés. C’est le groupe d’adulte dans lequel naît et grandit l’enfant qui assure sa protection. La gestation du petit d’homme n’étant pas achevée à sa naissance, elle se poursuit dans le groupe familial proche ; ce que certains anthropologues nomment l’haptogestation. Arendt ne peut pas saisir cela puisqu’elle est hyper-culturaliste et ne peut donc percevoir que, pendant 100 000 ans, d’innombrables communautés humaines ont vécu sans éducation ; avec des pratiques initiatiques, certes, mais qui n’étaient pas de l’éducation.

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L’enfant n’est pas «  un révolutionnaire » ; il est un être vivant qui d’abord manifeste sa naturalité. C’est la socialisation parentale et sociale qui le font entrer dans la société. Arendt justifie l’autorité du savoir disciplinaire et du maître en procédant à une fausse dialectique du jeune et du vieux, du passé et du présent ; dialectique qui relève soit de la tautologie, soit verse dans une perspective vitaliste : le capital a besoin de «  sang neuf » pour englober ses contradictions. Faire de l’enfant un «  révolutionnaire » permet à Arendt, comme à beaucoup d’autres, de justifier toutes les libertés pour… conditionner un « homme nouveau  »…3

Pierre Jourde va chercher chez Arendt une autorité philosophique et politique pour légitimer sa nostalgie d’une école qui favorisait la « promotion sociale ». Or, cette école est une fiction. Certes, l’école de classe, l’école de la bourgeoisie (entre 1880 et 1958), a permis à quelques individus de changer de classe sociale (cf. le CNAM4), mais ces hommes (jamais de femmes) réalisaient cette « promotion » seuls, séparés définitivement de leurs familles et de leurs milieux d’origine.

Historiquement et théoriquement, la promotion sociale doit être définie comme un changement de classe sociale. Or, dans la société de classe, il était plus difficile de changer de classe que de sexe ! Aujourd’hui, parler de « promotion sociale » ou de « d’ascenseur social » n’a plus le même sens, car il ne s’agit que d’un changement de place dans une distribution d’individus indifférenciés de plus en plus coupés de leur origine sociale. Ceux pour qui cette origine reste encore prégnante sont justement ceux qui ne participent plus à la distribution : les discriminés, et les désaffiliés ; tous ceux pour qui la tendance au repli communautariste leur paraît être une récupération de leur existence. Mais de même que pour les luttes de classe dans la société bourgeoise, il n’existait pas d’îlot socialiste sur lequel bâtir des communautés utopistes, il n’y a pas aujourd’hui de communauté de repli dans la société capitalisée. Se payer (ou voler) une Rolex est un simple acte particulariste, un gage donné aux imageries. Il n’y a pas de différence de fond entre les deux types d’action.

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La comparaison entre les États-Unis et la France parait impropre car les deux systèmes sont profondément différents. L’un fait exister l’école en dehors de toute véritable institution, l’autre ne la fait se développer qu’à travers l’institution. Le premier n’a donc aucun projet au sens fort et participe d’une démarche empirique et pragmatique typique du monde anglo-saxon. Le « système » (mais ce n’en est pas vraiment un) ne peut donc que s’adapter aux usagers comme l’entreprise s’adapte aux clients, et inversement si on admet qu’il y a interaction. Il n’y a donc pas non plus de véritable « Réforme ». C’est une adaptation permanente et au coup par coup, en fonction d’objectifs à court terme et de l’utilisation des dernières découvertes en psychologie de l’enfant.

L’école républicaine française repose historiquement sur un projet fort, qui ne se résume pas à un enseignement restreint, à la transmission des connaissances, mais conçoit l’instruction dans un sens général qui recouvre la question politique. D’où l’importance de l’institution « Éducation nationale », arme de guerre contre la royauté et l’église. L’enseignement sera donc public, républicain, citoyen, laïc. Les « hussards de la République » en sont les soldats.

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C’est cette ambition politique qui est complètement négligée dans l’exemple donné du professeur de collège et de la classe de 3e. Pourtant à l’ambition politique de la Troisième République - celle d’une école certes pour tous, mais dans laquelle chacun reste à sa place en fonction de son origine sociale - a succédé, à partir de la seconde moitié des années 60, une politique d’allongement de la durée des études, de massification de l’enseignement secondaire. Cette perspective de démocratisation de l’enseignement correspondait certes en partie aux nécessités de pourvoir le marché du travail en une main d’œuvre mieux formée pour une économie réclamant plus de cadres, plus de techniciens et de « professions intermédiaires », mais pas seulement. Ces efforts constituaient aussi une façon de débloquer l’immobilité sociale propre à la France par ce qui fut appelé plus tard « l’ascenseur social » par l’école. La réforme E. Faure de 68 légitima ce mouvement au niveau général, la réforme Haby l’appliqua au niveau du collège.

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1968, voilà une date qui n’est pas citée par notre pourfendeur des réformes, et pourtant derrière tout son lamento apparaît en filigrane cette haine de 68 et de tout ce qui fit qu’après, de toute façon, ce ne fut plus pareil (ce ne pouvait plus être pareil). Bien sûr, si on lui dit cela tel quel, il va sûrement se récrier et dire que lui aussi était sur les barricades, mais cela ne changera rien au fait qu’il reprend la critique de Finkielkraut… et de Sarkozy (énoncée en 2008) sur «  la faute à 68 » dans le délabrement de l’enseignement. Mais comme il a été prof et que ce sont des choses concrètes qui se sont présentées à lui dans sa pratique, il laisse de côté les questions théoriques et les implications mécaniques de la massification/démocratisation de l’enseignement pour n’en pointer qu’une conséquence technique : le développement des sciences de l’éducation et l’idéologie pédagogique. Pour Jourde, non décidément, la didactique ne peut pas casser des briques, si l’on peut se permettre ce détournement d’un détournement ! Certes, mais est-ce une raison pour se retrouver avec ceux qui aujourd’hui veulent casser les IUFM ?

Autre exemple que les enseignants n’agissant pas sur des critères du « bon » et du « mauvais » connaissent bien : la littérature de jeunesse. Est-ce des immondices ? Ne peut-elle être étudiée, et le polar également ? Les profs traditionnels, les profs attachés bec et ongle à la culture de classe, répondent non et assimilent cela à laisser faire des exposés sur la moto, à laisser exprimer des opinions qui ne seraient que celles des médias ou des parents. Bien sûr qu’il y a adaptation aux élèves, mais il y a toujours eu adaptation aux élèves. Pour illustration : quand on enseignait à une petite élite le latin et surtout le grec, il n’y avait pas adaptation à un certain public peut être ?

Troisième et dernier exemple, la « pédagogie de l’autonomie » issue directement de 68 se réduit-elle à vouloir casser l’enseignement disciplinaire et la parole du maître sous prétexte que le dernier assaut révolutionnaire contre le capitalisme a été vaincu ? Le travail en groupe et la prise d’initiative ne sont pas a priori contradictoires avec la définition d’une démarche construite autour d’un thème pluridisciplinaire, comme ont pu l’expérimenter les profs de lycées avec les travaux personnels encadrés (TPE) ou les parcours de découverte en collège. Mais faut-il encore que les profs soient aussi rigoureux sur ce type de travail qu’ils disent l’être durant leurs cours magistraux ! C’est cela qui ne va pas de soi car pour beaucoup d’enseignants qui étaient à l’origine opposés aux TPE, « parce que ça prend sur des heures de discipline », les TPE sont devenus la bonne aubaine d’avoir deux heures dédoublées tranquilles.

Même chose pour l’éducation civique juridique et sociale (ECJS), censée être du bourrage de crâne en direction des « sauvageons » avérés ou potentiels. Rien n’empêchait les profs de les transformer en cours d’initiation aux sciences politiques. Mais la plupart des profs d’histoire et géographie, à qui étaient majoritairement dévolues ces heures, en profitaient pour « avancer le programme », comme on dit « avancer sur l’arrière » dans un autobus ! Ce qui ne va pas dans ce texte, c’est que tout le monde est fautif… sauf les profs.

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La fin du texte essaie de mettre en avant ce qui est nouveau depuis les années 80. En effet, tous les sociologues de l’éducation, dans ces mêmes années, avaient alors démontré le contraire ; « le niveau monte », « nos enfants lisent », « les filles progressent », « les enfants d’immigrés ont de bien meilleurs résultats que leurs parents ». Mais ces constats sociologiques sont à relativiser aujourd’hui. Il y a des écarts individuels importants dans les ZEP et « les établissements sensibles ». C’est le « groupe-classe » qui n’est plus la référence alors qu’il le reste pour Jourde. Les phénomènes de bande opèrent aussi dans les collèges au niveau du rapport au savoir.

Cette mise en évidence d’un chaos des rapports maître-élève dans l’école se fait surtout à partir d’un ressenti. Or, si tous les ressentis ont bien un fond de vérité (ainsi d’un sentiment réel d’insécurité), ils ne fournissent aucune explication de la situation car ils ne s’occupent pas du processus. Ils vont au plus facile, c’est-à-dire à la dénonciation du fautif ou parfois du bouc-émissaire : c’est la faute des jeunes, la faute des immigrés, la faute du gouvernement, la faute des médias, la faute de la société de consommation, la faute du pédagogisme et des réformes, la faute à la démocratisation (absence de sélection qui fait que presque tout le monde a un diplôme mais que ce dernier a aujourd’hui moins de valeur), etc… Ainsi, tout apparaît unilatéral. Il n’y a plus de contradiction mais un simple constat. La dynamique du capital pour parler comme Temps critiques, est réduite à une sorte de rouleau compresseur capitaliste. Il n’y a plus qu’à pleurer les temps anciens.

Dans le tableau dressé par Jourde, l’élève n’est plus rien, il n’est qu’une sorte de zombi lobotomisé ; mais le prof, lui, est resté le même. Il est toujours le savoir incarné car - par on ne sait quel miracle - il aurait été le seul à échapper au rouleau compresseur, et c’est d’ailleurs pour cela que le pouvoir voudrait lui réduire son temps et la qualité se sa formation devenue par trop supérieure à celle des élèves. C’est d’ailleurs ça le sens réel du fameux «  il faut adapter l’école aux élèves » ou du « remettre l’élève au centre de l’école ».

De par l’isolement qu’il subit à l’intérieur d’une école coupée du monde du salariat5, l’enseignant n’est pas le mieux placé pour saisir le double mouvement (dialectique et non unilatéral par définition) de déqualification/surqualification à l’œuvre. Il n’est pas le mieux placé pour au moins deux raisons.
Tout d’abord, parce qu’il lui est plus difficile qu’au salarié, en prise directe avec le développement du General intellect sous forme de capital fixe ou de logiciels, de saisir et d’admettre que le savoir est aujourd’hui présent partout, la transmission aussi, et que le maître n’est plus l’unique dépositaire de ce savoir ni le contrôleur de sa transmission. Tout juste peut-il attirer l’attention des élèves sur les dangers d’une transmission sans contrôle (je pense concrètement aux dangers des recherches de sources sur l’internet).
Ensuite, parce que dans la polarisation déqualification/surqualification, il se retrouve du côté de la déqualification sociale (le déclassement statutaire des enseignants), tout en étant la plupart du temps surqualifié individuellement (chez notre pourfendeur cela donnera l’image du prof agrégé face à l’élève illettré, chez un ministre l’image des enseignants de maternelle à bac + 3 cantonnés à torcher des morveux).

Tout cela se traduit par une attaque contre ce que l’enseignant conçoit encore comme un métier, et non comme une activité salariée interchangeable. Pourquoi cela ? Parce qu’il exerce dans un secteur particulier, qui reste très en retard par rapport au processus d’ensemble de capitalisation des activités humaines6. Un secteur à la limite, inintégrable au processus d’ensemble, tant que l’histoire des luttes sociales propres à la France (révolutions violentes et sanglantes de 1789/93, 1848, la Commune et même mai 68) imprègne encore suffisamment la mémoire collective, affectant ainsi une priorité de l’approche politique et une résistance du modèle universaliste de l’État-nation par rapport à sa transformation en État-réseau mondialisé7.

C’est cette résistance qui explique que chaque nouveau gouvernement cherche à faire sa réforme, dans la mesure où il cherche à combler une partie du retard tout en maintenant l’enjeu politique de la reproduction des rapports sociaux dans le cadre de l’exception française. La quadrature du cercle en quelque sorte !

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Même s’il évoque le capitalisme, et donc un système dont l’école ne serait qu’un rouage, le texte maintient paradoxalement une perspective pédagogiste, ou au moins institutionnelle, en faisant du retour aux vraies valeurs (le respect des niveaux hiérarchiques du savoir entre apprenant et enseignant, entre culture savante et culture populaire, entre culture scolaire et culture extra-scolaire), l’impossible solution à la crise de l’école. Ainsi, la question de l’institution n’est pas posée, puisque la perspective reste celle qui demandait à l’école de transformer la société. Ce qui tenait déjà de la gageure pour tout lecteur de Marx, à l’époque des institutions fortes de l’État-nation gaulliste, ressort aujourd’hui de l’incompréhension de ce qui est à l’œuvre quand la tendance est à une résorption des institutions soit à l’intérieur même du pouvoir exécutif, comme on peut le voir avec la réforme de la justice en France, soit dans la transformation du rapport citoyen à l’institution en un rapport clientéliste (la transformation actuelle des missions de service public).

Dans ce processus de désinstitutionnalisation de l’école dans un système plus large de « formation tout au long de la vie », le pôle républicain et étatique de l’école perdure, mais il a tendance à être englobé dans le monde cognitif global. La réformite (ou l’art de faire se succéder ministres et réformes) peut d’ailleurs être analysée comme la résultante d’une crise de l’institution sans remise en cause de l’institution. C’est exactement le mouvement inverse de mai 68, qui est pourtant aussi le produit de la crise des institutions (du gaullisme comme régime politique, mais aussi de la famille patriarcale et de l’école de classe), mais qui avait placé la critique au centre de la révolte. Ce qui se jouait alors était le refus de toutes les hiérarchies et des institutions qui semblaient en être les garantes.

Même si le contexte historique n’est plus le même, le combat actuel des enseignants désobéisseurs est exemplaire, non seulement par son autonomie vis-à-vis de l’institution syndicale, mais surtout parce qu’il ranime la lutte anti-hiérarchique à un moment où, justement, les hiérarchies pèsent à nouveau de tout leur poids sur les relations de travail. Il ne faudrait pas que les enseignants en lutte contre leur propre hiérarchie (la tendance à la transformation des chefs d’établissement en petits patrons de PME) ne la réintroduisent dans leurs rapports aux élèves en demandant plus d’autorité, la fin de l’agitation lycéenne8 ou des blocages étudiants.



1 Célestin Freinet les a visitées en 1923 et il s’en inspirera très largement dans sa pratique pédagogique coopératiste.

2 L’éducation est une institution récente dans le devenu d’Homo sapiens. C’est d’abord, et pendant des milliers d’années, l’initiation qui a opéré le passage des enfants dans la société-communauté des adultes. L’institution de l’éducation est récente. Elle est contemporaine de la formation des Empire-États et des Cités-États, des classes sociales, et de l’esclavagisme comme système (10000 - 6000 BP). Seuls quelques enfants (les garçons de l’aristocratie) étaient éduqués, tous les autres étaient élevés, vivant avec les adultes et participants à leurs activités. L’école (le gymnase grec) est l’institution de la séparation. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un espace-temps séparé est consacré à la préparation des successeurs, ceux qui vont perpétuer l’ordre dominant. Un corps de professionnels, les précepteurs, assurent cette mission-dressage. Pour de plus amples développements sur ces questions, voir : J.Guigou « Ni éducation, ni formation. Quelques remarques socio-historiques sur l’institution de l’éducation », Temps critiques n° 9, automne 1996, p.63-74. Disponible sur le site de l’auteur, ICI.

3 Sur ce point précis d’ailleurs, les partisans du rétablissement de l’autorité à l’école, dans une période historique complètement désenchantée, ne peuvent plus être en accord avec leur modèle.

4 Le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) a été fondé par la Constituante en 1794 sur proposition de l’illuministe abbé Grégoire pour former l’encadrement technique de l’industrie. Dans la première moitié du XXe siècle, en suivant les cours du soir du CNAM pendant près de la moitié de leur vie, quelques individus sont parvenus, en fin de carrière, à changer de classe sociale. C’est l’exemple emblématique que la bourgeoisie donnait à la classe ouvrière… pour justifier sa domination.

5 Ce qui n’est pas exactement la même chose que de dire qu’elle est coupée du monde du travail, car cela est de moins en moins vrai (les stages en entreprises deviennent obligatoires dès le collège et bien évidemment au niveau des BTS… mais ils ne sont pas rémunérés).

6 On peut se reporter à notre texte « Quelques précisions sur capitalisme, capital et société capitalisée », Temps critiques n°15, hiver 2010.

7 On peut se reporter à notre texte « L’institution résorbée », de J. Guigou, Temps critiques n°12, et à notre supplément de mars 2000, intitulé, « L’État-nation n’est plus éducateur. L’Etat-réseau particularise l’école. un traitement au cas par cas », disponible sur le site de Temps critiques.

8 Comme le montrent les tristes exemples du lycée Brossolette de Villeurbanne et d’un collège de Villefranche-sur- saône.


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 15 avril 2010 à 15h28, par Kaos

    Très bonne réponse à un article franchement réac qui s’habille tout de justice sociale et de progressisme. Ca me fait toujours drôle de lire et d’entendre des gens qui s’inquiètent visiblement d’égalité et d’émancipation arriver sans trembler aux conclusions les plus réactionnaires (renforcer l’autorité, en l’occurrence, y’a même un commentaire sur la méthode syllabique-qui-est-mieux-que-tout). Comment on en arrive là ? Est-ce qu’on peut les croire sincères dans leur erreur, pourtant grave, ou est-ce que c’est juste des métastases du stalinisme ?

    Depuis le temps que j’essaye de me motiver à lire Harendt, ça va pas m’aider tout ça...

    • jeudi 15 avril 2010 à 17h16, par Moh

      Ce que j’ai lu d’Hannah Arendt : les trois tomes de l’Origine du Totalitarisme et l’essai sur Eichman, est agréable mais ça reste de la construction mentale théorique.
      Les recherches historiques sur l’impérialisme, le nazisme, le bolchévisme... démentent la plupart de ses thèses.

      Très instructif cet article.

      • jeudi 15 avril 2010 à 17h47, par pièce détachée

        @ Moh :

        La « construction mentale théorique », les thèses, il me semble que c’est fait pour être discuté, et démenti si nécessaire (cela vaut aussi pour les thèses exposées dans le présent billet).

        L’immense mérite de Hannah Arendt est d’avoir formulé les siennes pour les ouvrir à la discussion. Dans des circonstances et sur des problématiques moins « agréables » — pour elle-même et pour nous tous — que ce qui reste, le cas échéant, de la lecture de ses ouvrages (certains livres ne sont pas, à proprement parler, « agréables », mais ce n’est pas non plus leur but, non ?).

      • lundi 19 avril 2010 à 16h56, par Delita

        Bonjour,

        @moh

        Je n’ai pas fini de lire ceux sur le totalitarisme donc je n’en parlerai pas, mais l’essai sur Eichmann, est très instructif et a d’ailleurs été consolidé par le travail de christophe dejours (psychodynamique du travail).

        Il permet de detailler la machine, et voir comment on peut inciter les gens a commettre des actes qu’ils réprouvent.

        C’est une bonne vision de la « machine » bureaucratique qui ne fonctionnait que grâce au zele des fonctionnaires mais qui « distribuait » (si j’ose dire) la responsabilité entre tous.

        C’est similaire (et pas semblable), avec ce qui se passe aujourd’hui, ou le fait d’acheter un T shirt implique que tu encourages des industriels a faire bosser des petits thailandais (entre autres).

        Tout le but est de diluer et la perception que les agents (nous) ont de la vérité, et la part de responsabilité qu’ils vont prendre sur eux.



  • jeudi 15 avril 2010 à 17h31, par pièce détachée

    Je ne suis pas assez compétente pour avoir fait de ce billet une lecture critique. Simplement, j’ai l’impression, après m’être demandé longtemps, et confusément, ce qui cloche dans tous ces débats autour de l’école, d’avoir acquis quelques outils pour y voir un peu plus clair.

    Et puis, une brève plongée dans les textes en ligne de J. Guigou et de Temps critiques donne très envie d’y retourner.

    Merci pour ces découvertes.

    • vendredi 16 avril 2010 à 10h06, par Karib

      Je partage l’analyse de Jacques Guigou (forcément, aurais-je envie d’ajouter) sans pour autant penser, comme lui, que Jourde est un affreux réac. Rappelons ces quelques mots de Michel Bakounine : « Suis-je contre l’autorité ? Nullement : en matière de bottes, je me réfère à l’autorité du bottier. » Sous la boutade, que nous dit le superbe Michel, sinon qu’il existe bien une autorité du savoir ? Guigou ne dit d’ailleurs pas le contraire, mais souligne, à juste titre, que la transmission du savoir ne s’opère plus à partir du lieu unique, consacré, de la figure hiérarchique du professeur, mais par une infinité de canaux, dont l’Internet dont il rappelle d’ailleurs que c’est un outil délicat à manier. Pour autant, la description que donne Jourde du rapport enseignant/enseigné n’est pas fausse. La « liberté » en régime capitaliste est forcément la liberté du plus fort, et du libertaire au libéral il n’y a parfois pas pas loin si l’on extrait cette « liberté » du combat de classe. Mais cela aussi, Guigou l’a rappelé au début de son texte en soulignant la catastrophe que constituait le passage des théories pédagogiques de l’Europe centrale prise dans la tourmente révolutionnaire (mais n’oublions pas Francisco Ferrer y Guardia, Freinet, etc.) aux Etats-Unis en pleine période de triomphe capitaliste.
      Tout cela pour dire qu’à mon sens, il conviendrait d’éviter les caricatures en dressant face à face deux camps irréconciliables : les « réactionnaires » à la Sarkozy-Chevènement, républicains nostalgiques de la IIIe République et agents du dressage étatique, et de l’autre les « pédagogos » (comme ils disent), partisans du laissez-faire, du respect débile de la parole aliénée des chers petits.
      Quadrature du cercle, assurément, que d’assurer tout à la fois éducation, instruction, nécessaire formation aux futurs métiers sans pour autant servir de la main d’oeuvre formatée pour les besoins du capital.

      • vendredi 16 avril 2010 à 15h52, par pièce détachée

        Tout d’accord. En fait, il ne faut peut-être pas voir dans le billet de J. Guigou une condamnation de P. Jourde comme « affreux réac » (j’en doute moi aussi), mais plutôt le reproche de se réclamer des propos de H. Arendt comme si le contexte historique dans lequel elle les a tenus n’avait pas changé d’un iota.



  • vendredi 16 avril 2010 à 20h14, par A.S.Kerbadou

    Ce qui s’entend à travers ces analyses « pointues », ce sont les coups d’un marteau sur une enclume.

    Le fer rouge à dilater, former, formater en fonction de « dogmes », l’enfant, l’élève !

    Clou à redresser, bille à former, écrou de serrage ou de mouvement à percer, enchâssure...

    Dans tous les concept « Ecole », l’enfant sert de matériau conducteur pour valider l’idée politique, le dogme, qui donne naissance au concept.

    Je pense que, comme le bottier maîtrise, est maître, a l’autorité, en matière de bottes (merci pour la pioche, Karib), l’enseignant doit maîtriser son savoir et le rôle qu’il a choisi de jouer... dans le système.

    Exit, donc, l’horripilante problématique autorité-hiérarchie puisque, s’il y a maîtrise, il y a autorité, ascendance, respect, écoute, échange, facilité, crédit et appréciation.

    Vient la question fondamentale :
    Quel est le rôle de l’enseignant, maître en sa matière ?

    N’exposant que mon point de vue ;

    le savoir évoluant selon la dynamique propre à son histoire et se définissant par sa pratique, le rôle de l’enseignant n’est pas de transmettre du savoir, encore moins de « former » des générations dans la dominante ou en contrepoint.

    Son rôle est de transmettre, en toute neutralité, les outils qui permettent, à l’élève, d’appréhender les bases d’une construction intellectuelle (et il va de soi que toute formation manuelle requiert un fonctionnement intellectuel), d’ordonner et formuler sa pensée et sa créativité pour construire son savoir.

    Le rôle de l’enseignant n’est, ni d’apprendre quoi ou comment penser, ni d’éduquer.

    Son rôle, l’acte d’enseigner, est de donner et expliquer pourquoi et comment utiliser ces outils, en se souvenant de laisser son idéologie « éducative » au vestiaire et, en oubliant, le temps de sa mission (le cours), la forme de l’institution-administration qui fournit son salaire et qu’il se sent en droit, ou devoir, de subvertir de l’intérieur.

    L’enfant, l’élève ne doit pas servir de cobaye à des expériences en grandeur nature et en temps réel sur la base de théories, de thèses, d’anti-thèses.



  • samedi 17 avril 2010 à 12h17, par Quadru

    Petite précision pour l’histoire : cet article a été écrit par Jacques Wajzstein, un des « piliers » de Temps Critiques, et amendé de quelques remarques de Jacques Guigou. Jacques avait été sollicité par moi pour répondre à ce texte, écrit aussi à destination du réseau « Ecole en danger ».

    Voir en ligne : http://quadruppani.blogspot.com/ ht...

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