ARTICLE11
 
 

lundi 23 novembre 2009

La France-des-Cavernes

posté à 00h58, par Ubifaciunt
17 commentaires

Bienvenue chez le p’tit !
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Le 10 novembre dernier, le plus grand comique de France remettait la Légion d’Honneur au plus grand comique de France. Une parfaite occasion pour se rendre compte, à la lumière d’un peu de psychanalyse de comptoir, que quand on parle des autres, on ne parle jamais que de soi. Retour sur des paroles bien plus révélatrices qu’un discours de politique générale.

Comme disait l’excellent Sébastien Fontenelle : « T’as beau savoir que le pire, avec ces gens-là, est toujours à venir, t’as beau ne plus te faire la moindre illusion : il y a quand même des fois où tu ploies soudain sous le poids d’un lourd accablement. »

Exemple.

Au départ, donc, on ne sait pas trop s’il faut en rire ou en pleurer. Le chapitre sur les clichéiques valeurs du Nord et un honteux amalgame avec Sangatte et la violence, qui ne parle pas des couvertures, des cafés, de la bouffe quotidiennement offerts par le peuple aux migrants, des rondes matin et soir pour prévenir en cas d’arrivée de la police, qui parle de violence et tait la seule véritable qui eut lieu là-bas, celle, quotidienne elle aussi, de la police nationale de France. De ça, on a l’habitude…

Le chapitre hallucinant sur les origines du comique. On passera sur le racisme et le mépris puant envers la classe populaire pour se rendre compte que, de plus en plus fréquemment à mesure que le discours avance, Il lève les yeux du discours formaté pour faire part de la profondeur de Ses réflexions et de Sa pensée. A croire que Brice H. Lui parle dans l’oreillette.

La fondamentale inculture. « Heureusement la République vous a ouvert les portes ». Comme souvent, une phrase qui ne veut rien dire. Les portes de quoi ? Du pénitencier, du mérite, de la France ? Étrange pour quelqu’un né français… Si l’on considère qu’Il poursuit dans ses sous-entendus racistes, il aurait fallu dire « la République vous a ouvert ses portes ». Hasardons-nous au risque de l’interprétation. Il croit vraiment que l’État, c’est Lui. Son inculture fondamentale fait toujours la confusion entre État, Nation, Patrie et République. La Nation, c’est donc lui. La République, c’est donc lui aussi. Il récompense Dany et les portes deviennent celles, sous entendues, de l’Élysée.

La fascination pour les icônes qui réussissent l’exploit d’être has-been au faîte de leur carrière, Arthur et Will Smith power1. Manquait plus que Barbelivien. Chassez le bling², il revient au galop sur l’étalon du fric et des millions d’entrées.

Et le début de l’aveu, à partir du moment où Il commence à parler de la femme de l’autre. « Pas se comporter comme une représentation classique, l’homme plein de succès qui conduit, et la femme qui suit… » Splendide exemple de dénégation !2 Impossible de ne pas voir l’ombre d’une guitare italienne faire rire l’assistance. Il continue, et dès lors, c’est manifeste, Il ne parle plus du tout de l’autre, mais uniquement de Lui.

Deuxième interprétation, le passage sur l’humour juif, Woody Allen, et la psychanalyse, justement, puisqu’Il en parle. Admettons qu’Il ne parle toujours que de Lui. « Vous qui vous intéressez à la psychanalyse, je vous souhaite une psychanalyse plus courte que la sienne… » Il vient d’enchaîner après le passage précédent où rôdait l’ombre de Carla. Il parle encore de Lui. On sait le foin qu’a fait l’interview de Carla révélant ses huit années - en cours - de divan à Gérard Miller.3 Woody n’y est là pour rien, « la sienne », c’est bien celle de la guitare italienne.

Rêves de succès et projection.4

« Vous savez gérer des revers à la fois personnels et professionnels, vous avez gardé votre ligne, vous avez travaillé encore plus… Vous savez gérer la réussite, quand vous avez eu des succès, ça vous a pas fait bouger d’un centimètre. »

En creux, un autoportrait aussi hilarant qu’effrayant d’absence de lucidité.5

Car au fond, c’est peut-être ça le plus terrifiant dans ce discours, face à l’autre, même ami, le Moi partout, l’intérêt commun piétiné, le nous aux orties, tout ce qui fait soupirer en songeant aux vieux mots de Robespierre : « Apprenez que je ne suis point le défenseur du peuple, jamais je n’ai prétendu à ce titre fastueux : je suis du peuple, je n’ai jamais été que cela, je ne veux être que cela ; je méprise quiconque a la prétention d’être quelque chose de plus. (…) Ce n’est point que le résultat naturel de tout homme qui n’est point dégradé. L’amour de la justice, de l’humanité, de la liberté est une passion comme une autre ; quand elle est dominante, on lui sacrifie tout ; quand on a ouvert son âme à des passions d’une autre espèce, comme à la soif de l’or ou des honneurs, on leur immole tout, et la gloire, et la justice, et l’humanité, et le peuple, et la patrie. »



1 Franchement, réussir à placer dans le même discours Arthur, Will Smith et René Char comme références, je dis bravo l’artiste, et kamoulox !

2 Prenons les références, à savoir le Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis (éd. PUF Quadrige). « (Dé)négation : Procédé par lequel le sujet, tout en formulant un de ses désirs, pensées, sentiments jusqu’ici refoulé, continue à s’en défendre en niant qu’il lui appartienne. »

C’est qu’Il en est un des plus éminents spécialistes. Pour mémoire, et en cadeau, le chef d’œuvre du discours d’Antony, en date du 2 décembre 2008, devant un parterre de psychiatres qui ont dû bien se marrer sur ce coup-là (même si les conséquences donnent lieu à songer à un triste avenir) :

« Entendons-nous bien. La place des malades n’est pas en prison. Si on est malade, on va à l’hôpital. Et je trouve injuste la façon dont on parle, ou plutôt dont on ne parle pas, des hôpitaux psychiatriques.

Mon propos n’est pas de dire que la seule solution est l’enfermement. Surtout l’enfermement à vie.

Mon propos n’est pas de dire que seuls comptent les risques pour la société et jamais le cas particulier du malade. »

3 On peut avec à propos établir la même différence entre Gérard et Jacques-Alain Miller que celle, faite par un de mes bons maîtres, entre Lacan et Dolto : « C’est à peu près le même rapport qu’il y a entre un phare atlantique et une allumette suédoise. »

4 Reprenons le Vocabulaire : « Projection : Opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l’autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, voire des ‘objets’ qu’il méconnaît ou refuse en lui. »

5 Lucidité qui est la blessure la plus rapprochée du soleil. C’est pas de moi, hélas, mais de René Char…


COMMENTAIRES

 


  • lundi 23 novembre 2009 à 09h14, par Une Mésange

    Ce qui est « formidable », ce sont toutes les postures et mimiques de Dany Boon, tout mielleux et soumis devant le Guide. Quel art ! Aucune faille ! L’acteur a su, avec brio, placer un faux rire (silencieux, il ne s’agit pas de s’esclaffer comme une brute, seul le Guide peut se le permettre), regarder par terre, ébaucher un sourire, faire semblant d’écouter attentivement quand le Guide expose son nombril... C’est admirable, car un faux rire mal placé peut vite faire chuter le médaillé dans les bas-fonds du sarkozystan.

    Ça doit être bon d’être médaillé pour accepter une séance de torture de cette ampleur, et surtout, d’avoir passé mille heures à apprendre les mimiques et postures de l’humain domestiqué qui, à genoux et tête baissée, attend le susucre.

    • lundi 23 novembre 2009 à 10h18, par ZeroSpleen

      Après avoir visionné cette vidéo de infâme, j’ai pensé à l’ouvrage Rêves de droite. Défaire l’imaginaire sarkozyste de Mona Chollet. Un magnifique apport de matière.

      • lundi 23 novembre 2009 à 16h17, par Lémi

        @ Zero Spleen

        Et comme les choses sont bien faites, je te signale en passant que ladite Mona Chollet était interviewée article11esquement, ici. Cela peut aider - tout comme la prose Ubienne - à contrer le poids déprimant de ces terribles images...

        • lundi 23 novembre 2009 à 22h27, par pièce détachée

          @ Zero Spleen

          Moi aussi, après ce que tu qualifies très bien de « magnifique apport de matière » (fécale), j’ai pensé à Mona Chollet.

          Et puis, par d’étranges circuits, à celui dont les romans et le théâtre furent accueillis un jour par des tombereaux — des vrais — de lisier de porc : Thomas Bernhard.

          • mardi 24 novembre 2009 à 11h00, par ubifaciunt

            @ mésange : Bienvenue au club de l’Amicale de la servitude volontaire !

            @ zéro spleen & lémi : Toutafé, merci pour la piqûre vaccinative de rappel...

            @ pièce détachée : Pourquoi ces étranges circuits qui sifflent sur ta tête ?



  • lundi 23 novembre 2009 à 10h33, par damien

    Quand un trouduc rencontre un autre trouduc... qu’est-ce qu’y s’racontent ? ... des histoires de trouducs !

    je leur crache à la tronche ! ces larves, ces abrutis !
    Ce papier leur fait encore trop d’honneur !

    • mardi 24 novembre 2009 à 11h02, par ubifaciunt

      En fait, je crois que ta simplicité et ta concision touchent au plus juste !



  • lundi 23 novembre 2009 à 17h51, par un-e anonyme

    Bonjour

    Puisque tu parles de Gérard Miller, pour celles et ceux qui ne l’aurait pas vu il y a cette vidéo :
    http://www.dailymotion.com/video/x1...
    Il faut aussi voir les images de Walter retour en résistance et particulièrement celles du cimetière.
    Les« dérapages » seraient il systématiques,habituels,fréquents,coutumiers,etc....Ils n’en demeurent pas moins des symptômes,et c’est bien cela qui est effrayant .
    Aprés ce n’est pas un cas isolé et c’est ce qui encore plus effrayant . L’histoire est pleine de telles engeances servies activement ou passivement par des foules de valets tous plus domestiqués les uns que les autres .
    Je ne sais pas si le pire est à venir ce que je sens c’est qu’il y a comme une accélération ce qui amène de plus en plus de dérapages tant chez les maitres que chez les valets



  • lundi 23 novembre 2009 à 17h54, par un-e anonyme

    IL y a une vidéo qui tourne sur le net (mais je ne sais pas retrouver l’url) où quelqu’un fait « penser » Dany Boon avec des bulles de BD en réflexion aux paroles de sarko. C’est super. Si quelqu’un peut retrouver ?



  • lundi 23 novembre 2009 à 20h49, par wuwei

    Belle mise en parallèle d’un bouffon et d’un pitre...ou d’un pitre et d’un bouffon. En tout cas on ne peut douter du plus dangereux des deux.



  • mardi 24 novembre 2009 à 11h08, par elise

    je ne suis pas allée jusqu’au bout de ce truc c’est affligeant de médiocrité,cette vulgarité ces postures ridicules ce ton condescendant,ce racisme larvé
    non vraiment c’est un affront inssuportable.comment dany bonn fait pour se preter à cette pantalonnade

    • mardi 24 novembre 2009 à 11h22, par ubifaciunt

      Bah tout simplement je crois qu’il accepte parce que c’est son copain et qu’il va avoir une zolie breloque...



  • mardi 24 novembre 2009 à 11h29, par mh,

    C’est étonnant.
    On a l’impression que c’est une distribution de baffes... virtuelles, enfin pas tant que ça.

    Le type qui cause là ; on a l’impression qu’il est content d’être ce qu’il est ce qu’il dit.
    Fier de son caca quoi....

    mh,

    Voir en ligne : Lalettredemh



  • dimanche 29 novembre 2009 à 15h59, par #

    Y a deux extraits de plus que j’aurais mis en valeur dans l’article : « on peut avoir du succès sans insulter les gens » (j’ai cru qu’il allait s’excuser) et « moi j’ai le droit de décorer... » (ce n’est donc en effet ni la république ni la nation qui décore dany boon mais sarkozy tout seul « comme un grand »).

    Merci pour la vidéo

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