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jeudi 27 novembre 2008

Le Charançon Libéré

posté à 11h12, par JBB
21 commentaires

Cachez cette misère que je ne saurais voir. Hop : les vagabonds au trou !
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Qu’ils sont chiants, ces SDF ! Passe encore qu’ils n’aient « ni domicile certain, ni moyen de subsistance », ainsi que les définissait vagabond le Code pénal avant 1994. Mais qu’ils s’entêtent à mourir à la chaîne, bravant les promesses sarkozystes ? Ah ça, non ! Pour y mettre fin, Christine aka la dame-patronnesse gouvernementale a trouvé la solution : la contrainte. Tous en taule !

Je demandai de quel crime elle était coupable (...) « Ça n’a commis aucun crime, répondit le sergent de ville, mais ça vagabonde (...) »

Dumas Père dans Gabriel Lambert.

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Reconnaissons-le…

Christine Boutin n’est peut-être pas la meilleure des ministres du Logement et de la Ville.

Tant elle s’éparpille.

Baratine.

Et agite beaucoup de vent pour pas un souffle d’efficacité.

Mais la sainte nitouche ministérielle compte d’autres atouts dans sa manche, à même de justifier le rôle essentiel qu’elle assume aujourd’hui au sein d’un gouvernement sans cesse sur la brèche.

Soit une très fine sensibilité à la misère humaine.

Et aussi un réel talent de plume, don certain pour habiller de mots la souffrance et pour mettre en phrases l’indicible.

Vous doutez ?

C’est que vous ne visitez pas régulièrement le blog de Christine Boutin, précieux canal de communication ministériel dont la réalisation n’aura coûté aux contribuables associés que la modique somme de 228 917 €.

Soit l’équivalent, au prix du détail, de 2 100 sacs de couchage Husky, « sac très économique pour les froids extrêmes », efficace jusqu’à moins 28 degrés celsius. De quoi réchauffer un brin les petits petons des SDF…

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Un blog sur lequel Christine dégouline de bons sentiments et s’affiche en grande prêtresse de l’action sociale.

Mais sans jamais céder à l’ivresse du blogueur, cette tendance à remplir des pages et des pages pour ne pas dire grand chose.

Non : Christine Boutin fait dans la concision.

Car c’est ainsi que son message porte le mieux.

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Ainsi d’un billet posté hier et intitulé « Un hébergement à proposer ».

J’ai cru, un court instant, que Christine Boutin proposait d’accueillir chez elle quelques sans-logis et qu’elle escomptait dégotter ses hôtes d’un soir par une annonce postée sur le net.

En fait… non.

Message dans lequel la ministre fait longuement état de ses doutes, interrogations et résolutions quant à la politique à mener à l’égard de ces SDF qui ne font rien tant que mourir dans les rues et mettre le gouvernement dans l’embarras.

Soit deux phrases en tout et pour tout.

D’abord : « J’étais au Bois de Vincennes hier soir ... »

Notez l’usage des points de suspension. Nul besoin d’en mettre une tartine, ils sont censés tout dire et parfaitement résumer ces longues heures que la ministre en crocs roses a passées à arpenter sans relâche les allées du Bois de Vincennes pour dénicher des SDF.

Puis : « Plus que jamais déterminée à proposer sans relâche une solution d’hébergement à chaque personne sans-abri ! »

Notez (aussi) le recours au point d’exclamation, destiné à souligner la détermination de la ministre, remontée comme un coucou et résolue à ne pas remettre les pieds au Bois de Vincennes de sitôt.

Et ?

C’est tout.

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De ce billet si bref qu’il laisse surtout supposer que la ministre a confondu son blog avec Twitter, on évitera de tirer trop de conclusions.

Sauf à noter que Christine Boutin a bien raison d’abréger au maximum sa communication, tant elle ne peut s’empêcher d’enchaîner les bourdes et les idées débiles dès qu’elle se laisse la bride sur le cou.

Ainsi de sa dernière illumination, balancée tout de go à la sortie du conseil des ministres : « Je vais lancer une réflexion pour voir si on ne pourrait pas rendre obligatoire l’hébergement des personnes sans-abri quand la température devient trop froide en France. »

Brillante proposition faite dans l’urgence, après que Nicolas Sarkozy se soit soudain souvenu qu’il s’était engagé à ce que « plus personne ne (soit) obligé de dormir sur le trottoir » dans les deux ans suivant son élection.

Comme un nouvelle illustration de cette politique gouvernementale de l’illusion, priorité donnée aux effets de manche et aux annonces médiatiques pour camoufler l’absence de moyens et de travail de fond.

Et un joyeux retour aux siècles passés, quand le délit de vagabondage permettait encore de nettoyer les rues autant que de soulager les consciences de bourgeois préférant ne pas avoir à connaître la détresse de leurs frères humains.

Un délit incriminé avant 1994 par le Code pénal, lequel définissait « les vagabonds ou gens sans-aveu » comme « ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance et qui n’exercent habituellement ni métier ni profession. »

Et que le peintre Alfred Stevens dénonçait déjà en 1854 avec la toile ci-dessous, intitulée « Ce qu’on appelle le vagabondage ».

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Un tableau que le Musée d’Orsay commente ainsi :

"La rue parisienne est ici le décor d’un drame urbain. Des soldats conduisent en prison pour délit de vagabondage une mère et ses enfants revêtus de haillons. Une dame élégante veut intercéder auprès des soldats alors qu’un vieil ouvrier, invalide, y a déjà renoncé. Tentative vouée à l’échec comme le montre le geste de refus d’un soldat. On retrouve une scène analogue dans Choses vues de Victor Hugo.
Sur le long mur gris, des affiches évoquant les spéculations immobilières (« vente sur adjudication ») et les plaisirs de la bonne société (« bal »), contrastent avec la pauvreté décrite. Les divers groupes sociaux qui cohabitent dans l’espace urbain se trouvent ici juxtaposés dans une composition émouvante et le rôle de l’Etat, purement répressif, n’en sort pas grandi.
"

Intéressant ?

Oui.

Mais la suite est encore meilleure :

« L’objectif de Stevens est bien de dénoncer la misère des villes et le traitement cruel réservé aux indigents. Le message trouve un écho chez Napoléon III qui aurait déclaré à la vue de ce tableau lors de l’Exposition universelle de 1855 : ’Cela n’aura plus lieu’. En conséquence, l’Empereur ordonne que les vagabonds soient désormais emmenés à la Conciergerie dissimulés dans une voiture fermée, et non plus à pied. »

Cela ne vous rappelle rien ?


COMMENTAIRES

 


  • C’est clair !
    Organisons des rafles, oups pardon, des opérations de rapatriement accompagnée des forces de l’ordre afin d’inciter calmement et fermement les récalcitrants au couvre-froid !

    Imposons des centres de rétention hivernale !

    Et à la première fleur du printemps, dehors !!!!
    et s’ils veulent camper, cela sera à la campagne !

    Non, mais, oh !

    Voir en ligne : kprodukt, blog actif et militant (?)

    • jeudi 27 novembre 2008 à 17h56, par JBB

      Diantre… je te sens remonté comme un coucou !

       :-)

      (Et aussi, j’aime bien le « afin d’inciter calmement et fermement les récalcitrants au couvre-froid ! » c’est exactement ça…)



  • plus le temps passe, plus les analogies transparentes s’imposent à l’observateur attentif.
    C’est pratique, il suffit d’ouvrir un bouquin d’histoire pour savoir ce qui va se passer (je sais, je suis simpliste).

    Voir en ligne : http://jide.romandie.com

    • jeudi 27 novembre 2008 à 17h57, par JBB

      Un peu de « simplisme » ne nuit pas. Au contraire, même.

      Il est des moments où il ne faut plus s’embarrasser de circonvolutions ou de grands raisonnements : les faits bruts et cliniques suffisent à dire tout ce qu’il y a dire.



  • Bon la Boutin, tout le monde sait qu’il n’y a rien à en attendre de toute façon.
    Mais remarquons également que malheureusement, nos médias et donc les humains qui sont dedans, ne s’indignent plus beaucoup. Elles sont où ces entrées dans l’hiver avec les premières pages criantes de dégoût et d’humanité pour le premier mort de froid ?
    Il y aurait eu plus de 100 morts depuis le début de l’année, qui en parle ? Qui s’indigne chez les porteurs de cartes professionnelles de cette presse française qui se veut à l’écoute de notre société ? Ce gouvernement de lâches, d’incompétents et de Rastignac n’a pas beaucoup de résistance en face lui... Oui Vichy revient, lentement, avec l’assentiment du plus grand nombre semble t-il. Et plus que la mère Boutin, c’est ça qui me fait peur et me révolte.

    Voir en ligne : Quel silence

    • jeudi 27 novembre 2008 à 18h01, par JBB

      « Et plus que la mère Boutin, c’est ça qui me fait peur et m’indigne. »

      On est d’accord. Pour paraphraser Badiou, c’est ce dont elle est le nom -elle et tous ceux qui participent à la politique gouvernementale - qui est inquiétant et désolant. Par petits accrocs toujours répétés, par morceaux digérés de-ci de-là, c’est tout un modèle de société qui est mis en place. Et il refoule salement…



  • Putain de pauvres s’ils pouvaient crever sans que cela se voit. Font vraiment rien pour aider la si chrétienne Christine ! Elle devrait demander de l’aide à sa copine MAM experte en l’art de dénicher de l’ultra-gaucho-anarcho-autonome un peu partout, vu qu’un SDF c’est aussi un peu un terroriste passif qui démontre à quel point notre « conducator » est plus prompt à réagir pour aider les puissants que venir en aide au plus faibles.

    • jeudi 27 novembre 2008 à 18h03, par JBB

      « un SDF c’est aussi un peu un terroriste passif »

       :-)

      C’est vrai, en plus. Quand ils existaient encore, les délits de vagabondage et de mendicité servaient à protéger la société contre ce qu’elle estimait être des inadaptés pouvant se révéler dangereux. Une vieille politique d’hygiène sociale qui visait à mettre tous ceux qui se montraient différents au trou.



  • jeudi 27 novembre 2008 à 16h08, par CONTRIBUABLE

    Ce qu’il y a d’ennuyeux avec les morts de froids,c’est qu’ils ne jouent pas correctement le jeu du spectacle humanitaire présentable sur petit écran et qu’ils génent le nettoyage des crottes sur les trottoirs.

    Les déjections canines urbaines étant infiniment plus nombreuses que les laissés pour compte grelottants,nos élus,font vigoureusement nettoyer nos trottoirs des crottes et des SDF,afin que nous puissions marcher la tête haute , regarder les vitrines de Noel et ne pas salir nos Berluttis.

    Il serait désolant,reconnaissons-le,que cette saine activitée soit enrayée ou ralentie durant la saison froide par les corps sans vie de quelques paumés ayant refusé la main tendue d’une société généreuse.
    Aussi convient-il d’agir.Et vite,car le froid s’intensifie.
    Notre sage Madame BOUTIN,a compris que l’important n’est pas de régler les problèmes mais d’en cacher les effets les plus visiblement navrants.

    Pourquoi ne pas ramasser les sans-logis et leurs abris de carton,au crépuscule,en les priant fermement d’aller crever ailleurs ?(peut être pour les aider,un coup de pied aux fesses)

    En attendant de trouver semblable solution,nous pourrons dans la froidure aller faire pisser le chien l’esprit en paix,dans un décor aseptisé,le coeur au chaud à la vue de Médor enveloppé dans sa petite laine DIOR.

    • jeudi 27 novembre 2008 à 18h17, par JBB

      Quel sombre tableau vous dressez. J’en ai les poils qui se hérissent… Heureusement que ce n’est pas la réalité.

      Mais…

      Mais…

      C’est exactement la réalité, en fait. Chiotte…



  • Je n’ai jamais eu la curiosité de visiter le blogue de madame Boutin. C’est très sympa de nous en donner un aperçu objectif qui donne envie de saturer sa boite, s’il y en a une.

    (Sur le fond : je crois que nous nous croisons souvent sur le chemin des écœurements salutaires, ces temps-ci...)

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • jeudi 27 novembre 2008 à 18h10, par JBB

      « C’est très sympa de nous en donner un aperçu objectif »

      Tout le (dé)plaisir était pour moi… :-)

      « qui donne envie de saturer sa boite, s’il y en a une »

      J’ai eu la même pulsion que toi. Finalement, d’autres s’en sont chargés : la dame se fait tailler dans les commentaires laissés sous son pseudo-billet.

      A tel point qu’elle a pondu un nouveau billet, que je livre tel quel :

      "Vous êtes très nombreux à réagir à ma proposition faite hier de rendre obligatoire l’hébergement des sans-abris. Votre émotion est grande, et je le comprends. Je tiens à vous partager ma réflexion à ce sujet : chaque hiver se repose la question des sans-abris et des risques à vivre par temps de froid. Cette situation ne doit plus durer et c’est pourquoi l’Etat se mobilise comme il ne l’a jamais fait pour que chacun puisse être hébergé. Ainsi, le budget pour l’hébergement en 2009 atteint la somme de 1 milliard 117 millions (contre 690 millions en 2001). Par ailleurs, l’humanisation des centres d’hébergement s’appuie sur un nouveau financement de 140 millions d’euros. Pour cette raison, le refus qui motive les SDF à être hébergés correspond de moins en moins à la réalité : de très grands progrès ont déjà réalisés, même s’il reste encore quelques points noirs.
      D’autre part, je ne veux écarter aucune piste qui pourrait améliorer la situation et celle d’un hébergement obligatoire en fait partie. Cette proposition nous met face à nos responsabilités : que faire devant une personne qui se met en danger de mort ? Personnellement, je ne peux rester sans rien faire, et la loi nous rappelle ce devoir d’assistance à personne en danger. Cette mesure, si elle est appliquée, concernera donc en priorité les plus blessés des sans-abris, qui réclament toute notre attention et notre protection : nous nous devons de répondre présents.
      "

      Elle n’a pas l’air de vouloir changer d’avis, hein…



  • jeudi 27 novembre 2008 à 18h06, par un-e anonyme


  • Boutin a trouvé des communicants un peu foutraques qui ont fort curieusement mélangé ses différentes propositions au sujet du logement :
    Bonne idée (en plus avec la musique qui va bien), mais un peu court et un peu amateur.

    Cela dit, l’enfermement des vagabonds et indigents, cela ne date pas du XIXe s. Cela s’est pratiqué systématiquement à partir de Colbert qui a institué les hôpitaux généraux. C’était même étendu aux malades mentaux, handicapés physiques, prostituées, vieillards.

    Rappelons le grand classique de Foucault, La Folie à l’âge classique, qui analyse cette première manifestation d’une forme d’hygiénisme urbain de genre moderne. Avant même l’apparition des égouts souterrains ou de l’éclairage public ou de la numérotation des rues au XVIIIe s. (ce qui permet le contrôle du domicile), on a voulu rationaliser l’espace de la ville en le débarrassant de ce qui était perçu comme un facteur d’insécurité. Certes, auparavant, les pauvres et malades pouvaient être enfermés dans des lieux différents comme les maladreries, les hospices, les lazarets, mais il n’y avait pas eu de plan à l’échelle d’un pays. Au XIXe s., en revanche, on s’appuie plus sur le code Napoléon qui institue de fait le délit de vagabondage et qui exige par exemple le passeport ouvrier pour sortir de son département, mais cela passait par la justice alors que les hôpitaux généraux relevaient du seul pouvoir de police, totalement arbitraire et sans recours possible, sans aucune durée de peine (puisqu’il n’y a pas de peine) ! Ce que Boutin propose, c’est un retour 350 ans en arrière ! C’est encore plus réac qu’on n’imagine.

    Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

    • jeudi 27 novembre 2008 à 18h50, par JBB

      « Bonne idée (en plus avec la musique qui va bien), mais un peu court et un peu amateur. »

      Je trouve aussi que la réalisation laisse un peu à désirer et que la voix off est un rien horripilante. En même temps, c’est le PCF : n’ont plus tellement les moyens d’investir dans la cinéma…

      Pour le reste, comme d’habitude : je ne peux que te remercier pour des précisions très bienvenues.

       :-)



  • Je ne vais pas sur les blogs des trous du cul (pas envie d’augmenter leurs quotas de fréquentation)
    Ceci dit je me dois de vous signaler, cher JBB, que Sarko risque de vous rétorquer qu’il n’a pas menti : les SDF ne dorment plus sur les trottoirs au risque d’y mourir mais dans les bois !
    Au moment où j’écris mes conneries, j’apprends que 266 SDF sont décédés en 2008.



  • vendredi 28 novembre 2008 à 08h59, par Françoise

    Demain... Demain on trouvera LA solution. Parce que depuis que le monde est monde, les pauvres gens peuvent bien attendre. Et ma foi, s’ils meurent (bien cachés) de trop attendre c’est autant de moins et toujours ça de gagné...

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/2008...



  • vendredi 28 novembre 2008 à 11h15, par herr Grimaud

    Il me semble que le travail forcé des « indigents » est apparu à la fin du XVIII ème siècle en Angleterre, tous ceux qu’ils chopaient étaient collés au boulot pour un salaire de merde dans les workhouses. Le résultat de tout ce qui se fait de mieux en matière de morale bien-pensante humaniste ou chrétienne.
    Et effectivement il y a fort à parier qu’une solution de ce type réapparaisse.

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