ARTICLE11
 
 

mercredi 24 octobre 2012

Sur le terrain

posté à 17h26, par Florence Rigollet
3 commentaires

La trancheuse de Parme, ou comment mettre en pièces autre chose que du jambon

C’est un bâtiment qui a valeur de triste symbole : au cœur de l’Oltretorrente, le quartier populaire de Parme, le Vieil Hôpital - majestueux édifice datant de la fin du XVe siècle. Un lieu longtemps protégé qui excite les appétits de tous ceux qui attendent d’abord d’une ville qu’elle leur rapporte de l’argent. Heureusement, certains Parmesans sont bien décidés à ne pas les laisser faire.

Sempiternelle histoire : un bâtiment public, patrimoine historique protégé par la loi, une ville aux mains des libéraux et un décret qui permet de livrer la bête aux amis du privé, architectes et entrepreneurs bétons.

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La bête en question c’est l’Ospedale Vecchio – le Vieil Hôpital. Avant 1926, on l’appelait Il Grande, mais voilà, à cette date, on en construit un nouveau pour les Parmesans, plus grand encore, plus neuf, plus moderne, ce sera l’Ospedale Maggiore. Le Vieux est désormais propriété communale et sert d’entrepôt militaire. Après la Seconde Guerre mondiale, on y loge des personnes sans-toit (certaines y resteront jusque dans les années 1990) et en 1948, on y transfère les Archives d’État qui, elles aussi, ont subi les bombardements.

Ce grand édifice de 21 000 mètres carrés date de la fin du XVe siècle. C’est un modèle du genre, dont la réalisation a été influencée par celle de l’Ospedale Maggiore de Milan, conçu vers 1450 par le grand architecte de la Renaissance Filarete, et qui deviendra le prototype de toutes les nouvelles constructions hospitalières de l’époque : bâti en forme de croix, le centre de la croisée surmonté d’une haute coupole, des arcades en façade. Tous ces hôpitaux, peu nombreux en réalité, sont typiques de la région centre-nord de l’Italie.

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L’Ospedale Vecchio

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En 1975, Parme vit un énorme scandale immobilier qui implique la municipalité socialiste de l’époque. En réaction, et pour éviter la spéculation sur tout et n’importe quoi, il est décidé cette même année d’ajouter l’Ospedale Vecchio sur la liste nationale des monuments « à haute valeur historique et artistique », au même titre – par exemple – que le Colisée de Rome. C’est une liste protégée par la loi (datant de 1939) : pas de restructuration possible, la propriété devra rester publique ainsi que son usage. La commune met ainsi en place un programme trentenaire : faire de l’Ospedale Vecchio un pôle culturel et le restaurer en fonction des besoins et de l’argent dont elle dispose. Sont alors inaugurées aux côtés des Archives d’État, la Bibliothèque Civica (100 000 ouvrages), les Archives historiques de la commune (1985) et la Vidéothèque (1998). En plus des services culturels, le bâtiment accueille de nombreuses associations de quartier et en 1984, la coopérative sociale « I girasoli  » - Les Tournesols -, qui s’occupe de réinsérer par le travail des personnes handicapées, s’y installe.

L’Ospedale Vecchio se trouve dans le quartier de l’Oltretorrente – au-delà du torrent. L’Oltretorrente est LE quartier populaire de Parme, et ce, depuis le Moyen-Âge. A partir du XIXe siècle, il accueillera les Italiens pauvres des campagnes ou du Sud, et plus tard les étrangers. C’est un quartier rouge. Communistes, socialistes, anars et républicains s’unissent pour repousser les équipées fascistes lors d’une bataille mémorable : les barricades d’août 1922. Ils gagnent. Pas pour longtemps. En octobre de la même année, c’est la marche sur Rome et l’accession de Mussolini au pouvoir. La vengeance est un plat qui se mange froid. Sous couvert de salubrité publique, le pouvoir fasciste réhabilite le quartier. Il s’agit surtout de virer les rouges. Des zones entières, d’époque médiévale, sont détruites. Finies les ruelles tortueuses et sombres et les petits immeubles à trois étages tous serrés les uns contre les autres, comme leurs habitants. On construit du perpendiculaire, des grandes places et de grandes rues, bien larges, bien droites, qui serviront à de beaux défilés militaires. Aujourd’hui, les noms des rues ont changé, il y a la via Costituente, la place Matteotti et une statue de Guido Picelli, le commandant des victorieux Arditi del Popolo de 1922, érigée en face de l’église Santa Maria del Quartiere. Les communistes sont toujours là, les anars aussi, des immigrés, des vieux, des familles, des jeunes se côtoient mais à vrai dire ce n’est plus tout à fait la même chose. Il y a de la « requalification » dans l’air.

En 1998, rupture politique. Parme passe au centre-droit après cinquante ans de PCI/PSI. Le nouveau maire, Elvio Ubaldi (ex Démocratie Chrétienne), semble respecter les engagements précédents et adopte même en 2000 la loi POC visant à renforcer le programme socioculturel et de restauration de l’Ospedale Vecchio. En réalité, Elvio Ubaldi est un petit rusé. Plein d’une ambition dévorante pour sa ville, il désire faire de Parme un pôle européen, un carrefour économique, la faire redevenir « la petite capitale », comme on l’appelait au XIXe siècle. Les alliés ne manquent pas : au cœur de la food valley se trouvent d’énormes mastodontes de l’agroalimentaire tels que Barilla, Parmalat (la banqueroute, c’est en 20031) ou Parmacotto, mais aussi des entreprises du bâtiment comme Pizzarotti ou Bonatti. Tous membres de l’UPI2, l’Union locale des industriels, associée elle-même à la Cofindustria, le Medef italien. Comme certains font partie du conseil d’administration du quotidien La Gazzetta di Parma (40 000 exemplaires), le journal soutient activement la mégalomanie d’Ubaldi au service de leurs intérêts. La dernière année de sa première mandature sera d’ailleurs décisive : Ubaldi réussit à faire venir à Parme le siège de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Succès ! Triomphe ! Prolongations ! La métropole est proche. Il est réélu. La « requalification urbaine » peut alors commencer, la vente et la concession des biens publics aussi, qui iront de pair avec la privatisation de tous les services publics municipaux. C’est le temps du slogan : « Parme ville chantier », qui s’invite sur bon nombre d’espaces publicitaires pour vanter l’initiative et son développement. Des travaux sont lancés partout dans la ville. Les grues poussent comme des champignons. Le béton, comme l’argent, coule à flots. Ils envisageront même un métro, mais le projet sera abandonné, trop gros, trop cher, trop RIDICULE !3

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Elvio Ubaldi - jolie affiche de campagne....

L’Oltretorrente n’est pas épargné, bien sûr. On rénove pour louer plus cher, on construit des immeubles résidentiels, souvent de luxe, comme cet énorme complexe d’appartements chics en face du torrent et à la place de l’ancien État civil de la ville. En 2005, des travaux sont décidés en lieu et place du pavillon de psychiatrie du quartier (annexe de l’hôpital public) : ce sera un hôtel cinq étoiles. Et puis on détruit aussi l’ancienne usine de la Barriera Bixio, on y met un immeuble d’appartements (3 800 euros le mètre carré) et on y transfère – ça ne s’invente pas – les nouveaux locaux de l’Agence pour l’Emploi. Prix de la location pour les communes : 100 000 euros par an. Le tout bien quadrillé par un système élaboré de vidéosurveillance - jamais vu autant de caméras dans une ville.

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Mais revenons à notre Vieil Hôpital. Problématique pour les ambitieux car protégé par la loi. C’est sans compter sur le petit rusé : Ubaldi a tout prévu. En 2003, il fait voter par le conseil municipal, en toute discrétion, un décret à l’intérieur de la loi POC : d’« édifice à vocation culturelle », le bâtiment devient « édifice disponible », au même titre que les hangars abandonnés. Un effet de langage qui ouvre un boulevard à la restructuration et à la privatisation. Un appel d’offres est lancé dans la foulée. Trois entreprises sont sur le coup. Le gagnant sera Pizzarotti.

Pizzarotti, c’est le Bouygues local, un enfant du pays. Dans les années 1960, il reprend l’entreprise de son grand-père. En trente ans, il devient le troisième bétonneur national et fait grimper son capital à hauteur de 200 millions d’euros. Des ponts, des tunnels, des autoroutes, des barrages, le travail ne manque pas. Il est aussi présent à l’international. Eurodisney, c’est lui. La ligne TGV Tel-Aviv/Jérusalem qui traverse illégalement 6,5 kilomètres de territoires occupés4, aussi. Arrêté à deux reprises en 1993 au moment de Tangentopoli5, il sera à chaque fois absout par la justice.

Son projet, baptisé « La citadelle du papier et du cinéma », est engagé sous forme de project financing, ces contrats spécifiques de « partenariats » public/privé. Grâce à ce dispositif, il obtient la concession de presque la moitié de la surface de l’Ospedale Vecchio pendant 29 ans et demi, période pendant laquelle il pourra gérer librement des commerces et des « structures d’accueil », en échange de sa participation financière à hauteur de 14 millions d’euros (la « requalification » totale est évaluée à environ 20 millions d’euros, le reste de la dépense incombant à la ville). Toutefois, son projet est loin d’être clair. Pizzarotti évoque d’abord la création de commerces, d’un hôtel et d’un restaurant, d’une résidence de logements. Puis, en 2005, après que le ministère de la Culture lui demande de fournir un compte-rendu plus précis avant le démarrage du chantier, il détaille : il y aura des boutiques de luxe sous les arcades, un passage piétonnier sous la croisée, un complexe hôtelier de 62 chambres à la place de la bibliothèque Civica, une salle de conférences. Parallèlement, on signifie aux associations leur départ. Les nouveaux locaux qu’on leur propose sont tous en marge de la ville. Même I Girasoli, pourtant assurée de pouvoir rester en 2002 (l’association engage alors des travaux dans ses locaux), est prévenue un an plus tard qu’elle devra partir au début du chantier. Au milieu d’une zone industrielle derrière le périphérique. Fin 2007, le Centre du cinéma Lino Ventura (natif de Parme) apprend qu’il devra lui aussi déménager «  le jour où  », alors qu’il avait été inauguré en grande pompe quatre ans plus tôt, dans le cadre de l’amélioration de la vidéothèque.

Mais les affaires ne sont pas si simples au cœur de l’Oltretorrente. Les habitants, déjà sur le qui-vive, s’organisent et se mobilisent, des associations et des comités de défense se créent. Des chercheurs, des historiens, des avocats, des archivistes, tout un tas de spécialistes s’engagent à leurs côtés et remettent en question le projet. Il y aura même une pétition internationale emmenée par le célèbre médiéviste français Jacques le Goff pour protester contre le transfert des Archives d’État, qui a finalement lieu en 2010 dans des conditions lamentables. Ils pourront aussi compter sur le soutien d’un procureur, Gerardo Laguardia et d’une professeure de philo, Cristina Quintavalla, qui en 1975 avaient contribué à révéler les malversations immobilières. C’est qu’à présent, tout le monde l’a bien compris, il va falloir s’adresser à la justice.

En 2004 et 2005, deux recours sont adressés au Tribunal administratif régional, par deux associations : Monumenta, créée pour l’occasion par un avocat combatif, Arrigo Allegri, et Italia Nostra, une association nationale de protection du patrimoine. En attendant l’avis du tribunal, la commune fait appel au Conseil d’État. Celui-ci, malgré deux jugements favorables aux associations, déboute Monumenta, considérée comme non-représentative ainsi qu’Italia Nostra, dont le recours est jugé trop tardif. Nous sommes maintenant en 2009. Le Conseil d’État vient de signer la victoire du project financing. Le nouveau maire, Pietro Vignali, exulte. La Gazzetta di Parma aussi.

Ancien adjoint à l’Environnement, Pietro Vignali est diplômé d’économie. Il a fait ses classes au PPI6, puis au CDU7, deux partis catholiques de centre-droit. Présenté comme son poulain par Ubaldi, qui ne peut prétendre à un troisième mandat, il est élu en 2007. Même ligne que son parrain, en pire. La spéculation continue.

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Il Mostro, en construction

Juste derrière la bibliothèque Civica et l’Ospedale Vecchio se trouve un terrain attenant à la Faculté de lettres et d’économie qui sert depuis dix ans de parking payant au bénéfice de la mairie. En 2008, cette dernière annonce par voie de presse la réalisation d’un projet de longue date : y construire des parkings souterrains, une compensation qu’elle accorde à la société Gespar pour des projets similaires annulés en centre-ville. En prime, il est décidé d’y ajouter un bâtiment comprenant des salles universitaires pour y accueillir les étudiants de la Faculté d’économie et de commerce, et qui doit remplacer des salles provisoires depuis des lustres. Le tout sans aucun appel d’offre ni accord signé avec l’Université. Pour ce projet, l’architecte choisi s’appelle Carlo Quintelli (également professeur à l’Université de Parme). Il lui arrive aussi de travailler pour le compte de Pizzarotti, lui-même actionnaire principal de la société Gespar. Les travaux commencent en 2009. Les usagers de la bibliothèque supportent les Caterpillar ; et aujourd’hui que tout est fini, ils ne voient plus le Parc Ducal des fenêtres de la Bibliothèque. En 2012, le gros monstre en béton –c’est comme ça qu’ils le surnomment à Parme, Il Mostro -, poussé en un an montre en main, recouvre finalement deux sous-sols de parkings (le creusement du troisième ayant provoqué des fissures dans la croisée de l’Ospedale) : 158 places, ouvert 24 sur 24, vidéosurveillé, 1,10 euro de l’heure. La société Gespar, qui a financé la construction, se frotte les mains. Elle en obtient la concession pour quarante ans.

Et comme « pendant les affaires, les affaires continuent » (merci Denis Robert), parallèlement aux travaux du Monstre, le project financing poursuit son chemin. Il faut d’abord vider les lieux. Après les associations, la commune décide le transfert des Archives. En janvier 2011, le déménagement est effectué en dehors du quartier, dans des sortes de hangars bien tristes et bien carrés construits ad hoc. Temps de l’opération : 26 jours chrono, le tout sans aucune politique archiviste. Actuellement, via la Spezia, la rue où se trouvent les nouveaux locaux, il manque des ordinateurs, il n’y a pas de consultation internet, le mobilier est insuffisant et les chercheurs ne disposent pas de toilettes. Une seule petite salle d’étude est mise à leur disposition. Toutes les archives communales sont en place mais pas celles de l’État. Une partie de celles-ci (des cartes, des microfilms) est consultable à l’Ospedale Vecchio, dans leurs locaux d’origine toujours plus abîmés par le manque d’entretien (et les tremblements de terre de janvier et mai 2012 n’ont rien arrangé), mais de nombreux documents restent inaccessibles et les jours d’ouverture sont réduits au minimum : trois jours via la Spezia et deux jours à l’Ospedale. Pis, la fin des travaux, prévue en janvier 2013 via la Spezia (bureaux et dépôts supplémentaires), ne sera pas respectée par cruel manque d’argent.

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Nous sommes au début de l’année 2011, et ça commence à chauffer sérieusement. La ville est de plus en plus endettée et fait face à de plus en plus de résistances. Les habitants se plaignent, exigent des réunions publiques, commencent à manifester. Leurs troupes grossissent. Ils accusent la ville d’avoir totalement abandonné ses obligations. Ce n’est pas difficile à prouver, il suffit d’ouvrir les yeux. Depuis dix ans, le bâtiment de l’Ospedale et ses structures publiques se trouvent dans une situation de plus en plus insupportable. Plus de manutention, plus d’entretien. Les tuiles tombent des toits, des plafonds s’écroulent, les pigeons envahissent les étages, vides depuis bien longtemps. Sans compter l’humidité galopante. À la bibliothèque, le personnel est réduit, les livres pas entretenus ni remplacés, les achats de nouveautés limités par manque de place. Aujourd’hui encore, le service internet de la Civica (environ 10 000 usagers par an) se contente toujours de trois pauvres vieux ordinateurs bien souvent en panne.

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Coupe axonométrique de l’Ospedale Vecchio.

C’est dans ce contexte sensible que l’architecte Quintelli ressort l’un de ses vieux projets par voie de presse : celui d’implanter au sein de l’Ospedale Vecchio le siège de la Faculté d’architecture, qui n’en possède pas. Selon lui, un campus universitaire redonnerait au quartier tout l’élan qui lui manque. Il est toujours question d’un hôtel, mais plus accessible, qui servirait à loger chercheurs, professeurs et étudiants de passage. Mais surtout, son projet ne toucherait pas à la bibliothèque Civica. A la mairie et chez Pizzarotti, c’est silence radio. Silence éloquent, se disent les habitants. Quelques mois plus tard, nouveau coup de théâtre : Pizzarotti déclare forfait pour son hôtel de luxe, une étude de marché lui ayant confirmé l’affaire peu juteuse dans une ville qui possède déjà d’importantes structures de ce genre – en réalité, il sait depuis 2008 par des statistiques de fédérations hôtelières qu’il y a trop d’hôtels à Parme et pas assez de touristes. Malgré ces tergiversations, qui mettent en évidence les difficultés des détenteurs du projet, personne n’oublie que le project financing est toujours entre les mains de Pizzarotti ; d’ailleurs, au début de l’été, ses géomètres commencent à prendre des relevés. Il faut donc à tout prix bloquer les travaux. Fin septembre, le procureur Gerardo Laguardia adresse un nouveau recours au tribunal.

Entretemps, il s’en est passé de belles à Parme. Un véritable tsunami. 2011, année de tous les bouleversements. Fin juin, une enquête révèle des abus de biens sociaux sur les budgets des espaces verts, ainsi qu’une affaire de corruption de fonctionnaires de la part d’entreprises privées qui veulent garder la main sur le marché des cantines scolaires (crèches et maternelles). Onze personnes sont arrêtées, parmi lesquelles le commandant de la Police municipale. Les Parmesans se réveillent avec la gueule de bois, la grande illusion, déjà bien entamée, s’écroule tout à fait. Des manifestations quotidiennes exigent la démission de Vignali. Celui-ci ne partira qu’en septembre, trois mois après les arrestations, trois mois après avoir répété qu’ «  il n’était pas au courant ». C’est à ce moment que Laguardia adresse son nouveau recours. Il demande l’ouverture d’une enquête sur d’éventuels délits de favoritisme impliquant 14 personnes - dont des adjoints au maire et Pizzarotti lui-même - et exige la mise sous séquestre de tout l’édifice pour violation de l’article 170 du Code de l’urbanisme et des biens culturels8. Sa requête est rejetée le 20 octobre par le Juge pour les enquêtes préliminaires. Huit jours plus tard, il fait appel au Tribunal de Parme, mais le recours est également rejeté en décembre pour vice de procédure. Laguardia est tenace. En mars 2012, un nouveau juge réexamine sa requête et l’accepte. L’enquête est ouverte, mais la mise sous séquestre est annulée en juin par la Cour de Cassation. Comme les processus de mise par écrit des décisions sont longs et que la décision d’annulation de Cassation devra de nouveau être discutée au Tribunal de Parme, les travaux sont bloqués. C’est l’essentiel.

Après sept mois de gestion provisoire de la municipalité par un commissaire en intérim, les élections municipales de mai 2012 portent à la tête de la mairie un certain Federico Pizzarotti (un homonyme, rien à voir avec notre bétonneur). Il obtient 60 % des voix (contre 19 % au premier tour). Sa victoire a été acquise grâce à de nombreux reports de voix, de droite et de gauche, mais aussi de ceux des électeurs de la Ligue du Nord, fraîchement déçus par son fondateur Umberto Bossi qui, après avoir fait pendant vingt ans son jus sur « Roma ladrona », venait de se faire tauper la main dans la caisse, se servant de l’argent des militants pour se payer des bagnoles et offrir un faux diplôme universitaire albanais à son fifils, entre autres joyeusetés.
Federico Pizzarotti fait partie du mouvement Cinque Stelle. C’est un quadragénaire informaticien travaillant dans le secteur bancaire. Les Cinque Stelle, c’est cette espèce de fourre-tout populisto-libéralo-marketing ayant pour leader Beppe Grillo, un comique pas mal éructant qui fait ses meetings qui fait ses meetings sur scène sous forme de one-man-show, petit micro collé à l’oreille. Très connu, d’abord grâce à la télé puis par son blog, il a réussi en une dizaine d’années à devenir le chef de file d’un mouvement politique important au point de faire élire au niveau régional 250 personnes. Les Cinque Stelle prônent la démocratie participative et la transparence. Ils se disent attentifs à l’énergie, au développement d’internet - considéré comme révolutionnaire -, à l’eau, aux déchets et aux services sociaux, qui symbolisent chacune des cinq étoiles de leur logo. Ils considèrent la politique comme une mission ponctuelle et non comme un métier. En cela, ils gênent les vieux briscards. Pour ce qu’ils pensent de l’immigration, c’est beaucoup plus classique : facteur d’insécurité, nécessité de la régulation, problème de la méconnaissance de la langue du pays d’accueil, etc. Ils plaisent aussi parce qu’ils sont nouveaux - tout nouveaux, tout beaux ? - et qu’ils ont tout à prouver. Ils ont obtenu quatre mairies à ces élections. Parme est la plus importante. Et la plus endettée : tout compte fait, de près de 860 millions d’euros.

En août, les différents comités de l’Ospedale Vecchio finissent par rencontrer l’adjoint à l’Urbanisme de la nouvelle équipe au pouvoir, Michele Alinovi. Le dialogue semble ouvert. En attendant les décisions de justice, celui-ci s’engage à réaliser les premiers travaux d’urgence et à fermer certains accès au bâtiment qui se révèlent dangereux. Mais pour ce qui concerne l’Ospedale Vecchio dans son ensemble, le problème reste entier : l’édifice a besoin d’une restauration complète et scientifique. Enfin, si la ville se retrouve à nouveau l’unique propriétaire de l’édifice, et même si l’usage totalement public du lieu semble être une exigence partagée avec les comités, il lui faudra bien trouver des sous d’une manière ou d’une autre, soit en vendant d’autres zones ou bâtiments de moindre valeur, soit en faisant appel à des partenariats privés ou à du mécénat. Ma foi, rien de bien nouveau. Il faut attendre et voir.

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Aux dernières nouvelles, relate un article du 20 septembre dernier paru dans La Gazzetta di Parma, Alinovi prévient qu’ « il faut avoir le courage de faire des choix, parfois douloureux, au point de mécontenter de nombreuses composantes sociales  ». Cela se passe lors d’une rencontre (un workshop) à l’Université d’architecture sur le thème « La ville compacte », ou comment « relancer l’exigence d’une plus ample mise en œuvre de valorisation du noyau historique de la ville » (autrement dit, l’Oltretorrente). On y a discuté de la nécessité d’introduire dans le quartier des « éléments distinctifs architecturaux de notre temps, pour contribuer à le rendre vivant et dynamique », ou de la réalisation d’une grande porte qui permettrait de faire valoir le Campus universitaire de l’Oltretorrente, en présence de nombreux étudiants et professeurs européens (financement Erasmus), de jeunes architectes parmesans (choisis par l’Ordre des architectes de Parme) et du Responsable scientifique du Workshop… Carlo Quintelli en personne. La directrice du Patrimoine historico-artistique de Parme, Mariella Utili, était également présente et joua le rôle de gardien du temple : « Repenser le centre de façon contemporaine ne signifie pas faire exception de la valeur historique inhérente aux lieux des interventions  », affirma t-elle lors d’une table ronde avec l’adjoint Alinovi. Mais ce sont sur les mots de ce dernier que l’article se conclut : « Par rapport à d’autres quartiers de la ville, le centre possède toute une série de différences qui seront mises en valeur dans une optique de fonctionnalité. » Une dernière chose : le jour de sa nomination par Federico Pizzarotti, le 26 juin 2012, Michele Alinovi avait tenu à défendre le projet « Parme ville chantier » d’Elvio Ubaldi. Il faut dire que Michele Alinovi possède son propre cabinet d’architecture à Parme. Mais cela n’a sans doute rien à voir...

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Ps  : Celles et ceux qui parlent italien peuvent, entre autres, consulter le site de l’Ambulatorio dell’Ospedale Vecchio, collectif de Parmesans s’opposant aux différents projets de requalification du Vieil Hôpital.



1 En novembre 2003, un trou de 14 milliards d’euros est découvert dans les comptes de Parmalat, qui se déclare en banqueroute à la fin de l’année. Avec ce qui est qualifié de «  plus grand scandale financier depuis 1945 », plus de 115 000 épargnants italiens perdent les sommes plus ou moins importantes qu’ils avaient placées dans l’entreprise.

2 UPI : Unione Parmense degli Industriali.

3 Sur le sujet, voir cette vidéo. Et les lectrices et lecteurs maîtrisant l’italien ne manqueront pas d’en profiter pour écluser en long, en large et en travers les articles et billets du site hébergeant la vidéo, Insurgent City.

4 Voir le site StopThatTrainBDS.

5 La grande enquête qui révéla la corruption de toute la classe politique italienne en 1993.

6 Partito Popolare Italiano (nouveau nom de la Démocratie Chrétienne)

7 Cristiani Democratici Uniti.

8 Datant de 2004, cet article a renforcé la loi de 1939 en punissant d’arrestation quiconque s’arroge le droit d’y contrevenir.


COMMENTAIRES

 


  • Merci pour ce voyage parmesan. Malgré tout, l’Italie est en pleine ébullition. Les gens ne sont pas tous résignés...

    Pour preuve, à Naples, un collectif, La Balena, a réquisitionné voici un peu plus de six mois l’Ex Asilo Filangieri, Q.G. du Forum mondial de la Culture pour 2013. Si je ne me trompe pas, le collectif est en train de réclamer le statut de bene comune qui existe dans la Loi italienne - c’est-à-dire d’en faire un lieu ni public, ni privé, mais dont tout le monde peut jouir. Ce n’est pas gagné en terme d’organisation interne, d’ouverture sur l’extérieur, cependant la réflexion et les expérimentations en tout genre battent leur plein.



  • Bravo pour cet article clair, très documenté, et solidement charpenté... et qui fait également froid dans le dos. Thierry nous avait indiqué celui-ci et il a très bien fait ! NB : oui ici PP, les grrzzz, tu sais, les exilés parisiens au pays des escargots...



  • vendredi 4 janvier 2013 à 04h30, par Henri Beyle

    Ils n’ont pas pensé à y construire une chartreuse, tout simplement ?
    Cela devrait attirer les touristes...

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