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vendredi 24 décembre 2010

Textes et traductions

posté à 11h27, par ZeroS
11 commentaires

Horst Fantazzini : destin muré et miroir carcéral
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Bandit d’honneur, Horst Fantazzini l’était certainement. Braqueur de banques à bagout, il paya cher ses aspirations libertaires, passant de longues années dans des prisons italiennes et françaises. Comme il est quasiment inconnu en France, il nous a semblé pertinent de proposer une biographie du sieur Fantazzini, ainsi que la traduction d’un texte écrit en prison : « Fiers d’être coupables ».

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« Nous ne pouvons juger le degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons. » (Fiodor Dostoïevski)

Au moment où traitement pénal et carcéral sont les seuls placebos prescrits par le Léviathan néolibéral pour canaliser l’indigence et la pauvreté qu’il génère lui-même1, ces paroles poussiéreuses de Dostoïevski ont des accents tristement prophétiques. La vie carcérale de l’anarchiste italien Horst Fantazzini condense à elle seule l’incapacité d’une société à faire preuve d’auto-réflexivité. Nous la résumons ici, suivie de la traduction d’un pamphlet politique quasi-foucaldien rédigé au cours des « années de plomb » et des révoltes carcérales des années soixante-dix. Il y parle de la réforme gestionnaire de l’administration carcérale et de l’organisation des résistances politiques internes par les prisonniers2. Témoignage d’une époque, certainement pas révolue.

Lignes de vie :

« La prison est un miroir. Notre société n’aime pas s’y regarder ; pourtant il est fidèle.3 » (Albert Jacquard)
-
« Nous pouvons être reclus, mais non exclus de notre société : la prison appartient aussi à la société, elle nous interroge et en pointe les contradictions.  » (Horst Fantazzini)

Horst Fantazzini naquit en 1939 dans la Saar du Troisième Reich d’une mère ouvrière et d’un père maçon, partisan anarchiste italien expatrié, Alfonso « Libero » Fantazzini4. Dès la naissance, son destin fut peut-être scellé, marqué par la signification-même de son prénom – « réfugié ». Il ne serait nulle part chez lui, ni d’ailleurs jamais vraiment libre.

Après la Seconde guerre mondiale, ses parents revinrent à Bologne en Italie, ville d’origine de son père, où il grandit. La famille était pauvre, et entre étudier et travailler tôt, le choix s’imposa de lui-même. L’amour de la littérature et des Humanités remplit difficilement des assiettes vides. A la majorité, jeune marié, cumulant emplois humiliants et précaires, Horst décida rapidement d’emprunter des chemins de traverse, notamment fasciné par l’aventure de la Bande à Bonnot5. Il commença par s’immiscer dans le trafic de motos et de voitures volées...

Sa première arrestation eut lieu en 1960 suite au braquage d’une poste avec un pistolet en plastique. Il fut condamné à cinq années de prison. A sa libération, sa femme malade s’éloigna. Après quelques emplois temporaires, Horst prépara le braquage d’une banque génoise, mais fut arrêté avant le hold up : de nouveau condamné. Alors qu’il purgeait sa peine, il apprit le décès de sa mère, et décida de s’évader de la manière la plus simple qu’il soit : par la fenêtre avec un drap noué. A partir de cette période, il transforma sa vie à la marge en acte politique radical et assumé, inspiré d’une réflexion rhétorique simple empruntée à L’Opéra de Quat’sous de Bertold Brecht : « Qui est le plus criminel, celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ? ».

En 1967, après avoir apeuré une employée de banque lors d’un de ses multiples braquages dans le nord de l’Italie, il s’excusa en envoyant dès le lendemain un énorme bouquet de roses. Il devint pour les journalistes « il bandito gentile » et « il rapinatore solitario »6. Ces sobriquets sympathiques soulignaient un style et une manière d’agir singulière, produit d’une réaction à l’inertie et à la convenance des milieux anarchistes qu’il fréquentait. A l’aube des années soixante, il souhaitait voler les banques pour alimenter les luttes anarchistes et revitaliser l’économie des presses libertaires. Sa proposition excentrique de modus operandi effraya ses camarades. Il décida d’agir seul avec une déontologie propre, nourrie par «  une gentillesse naturelle intacte et non affectée »7 par la rudesse de son existence.

Il quitta un temps l’Italie et mena durant deux années une existence de dandy entre l’Allemagne, la France et l’Angleterre. Il envoyait régulièrement des lettres cyniques à la police italienne, et obtint le surnom de « primula rossa »8. En 1968, il fut arrêté à la sortie d’une banque à Saint-Tropez, et eut le loisir de découvrir les galères inhumaines à la mode française. Reclus aux Baumettes à Marseille, il suivit à distance les émeutes de prisonniers de Clairvaux, qui se terminèrent par l’exécution à la guillotine de deux révoltés. Peu soucieux du respect de l’ordre, il invectiva les juges lors de son procès et sa peine fut allongée. À partir de cette période, les portes de sa cellule se refermèrent définitivement : il ne bénéficiera plus jamais d’une liberté inconditionnelle. Il tenta de s’échapper à Aix-en-Provence, menottes aux poignets. En vain.

En 1972, il est extradé vers l’Italie, rapproché de ses fils, puis réalise une spectaculaire tentative d’évasion de la prison de Fossano. Il blesse trois gardes et tire sur deux autres avec un Mauser de petit calibre, prend brièvement quelques otages, mais est grièvement blessé au moment de franchir les murs. Opéré négligemment, les médecins ne lui enlevèrent pas tous les débris de projectiles. Par la suite, il fut transporté de prison en prison à travers toute l’Italie sans soins appropriés et sans que ses proches et son avocat soient avertis des transferts.
Cette mésaventure ne mit pas fin à sa soif de liberté. L’année suivante à Sulmona, il s’enfuit une fois de plus en sautant d’un mur d’enceinte de cinq mètre. Les pieds fracturés, il se traîna jusqu’à l’église la plus proche, séquestrant le prêtre et demandant d’être opéré en échange. Dans et hors les murs, de nombreux anarchistes et communistes se mobilisèrent pour le soutenir, cependant il resta incarcéré.

De violentes révoltes éclatèrent dans les prisons italiennes. Elles furent renforcées par une ébullition politique et une forte solidarité entre les prisonniers qui dénonçaient les conditions d’incarcération et les incuries de l’État. Au milieu des « années de plomb », le bunker Fornelli dell’Asinara9 est inauguré par le général Dalla Chiesa10. Tous les rebelles, communistes et anarchistes, y sont expédiés. Dans cet enfer, partageant une situation contingente, Brigades rouges et Première ligne11 commencèrent à collaborer. Les journalistes firent courir la rumeur que Horst Fantazzini était sympathisant des Brigades, même si, anarchiste individualiste, il ne partageait pas toutes leurs convictions idéologiques.

En 1975, l’éditeur de Vérone Giorgio Bertani s’intéresse au destin du personnage et lui propose d’écrire la chronique de sa spectaculaire évasion de 1973 – Ormai è fatta !12 –, afin de la publier. Horst commence à se jouer des mots dans des textes toujours empreints de sa condition d’éternel prisonnier. Cette dernière fut d’une extraordinaire dureté jusqu’à l’abolition du régime spécial en 1985. Mais plus que les méthodes coercitives les plus cruelles, la repentance dilettante et la diffusion de l’héroïne parmi les compagnons contribuèrent à l’effritement des luttes carcérales13.

En 1989, alors qu’il s’apprêtait à se diplômer en Littérature à la faculté de Bologne, préférant l’air libre aux livres, il décida de s’échapper. Il fut repris en 1991 sur le littoral romain après avoir été décrit par certains journaux, notamment Il Messagero, comme un dangereux terroriste. Il écopa de dix années supplémentaires. Son image de bandit d’honneur s’était depuis longtemps évaporée. De nouveau incarcéré, il s’adonna pleinement à l’écriture14, se diplôma, soutint les projets d’autres détenus, et travailla comme graphiste pour une commune. En 1995, il reçut un prix pour son poème : « L’uomo cancellatto »15. De plus, certains de ses dessins fantaisistes furent exposés dans quelques villes italiennes. L’adaptation de son roman, Ormai è fatto !, en film par Enzo Monteleone en 1999 fut l’occasion d’une campagne de libération très médiatisée et orchestrée par sa dernière compagne, Patrizia « Pralina » Diamante16. D’importantes maisons d’édition (Feltrinelli Einaudi et Baldini & Castoldi) s’intéressent à la réédition de son ouvrage. Sans suite. Il finit par être libéré, en conditionnelle.

Après de multiples galères, Horst trouva du travail en 2001 dans une coopérative tenue par des « camarades communistes ». Un travail faiblement rémunéré pour des raisons réglementaires, intrinsèquement liées à son statut. De la même manière, il était obligé de passer par l’administration pénitentiaire pour se faire soigner, alors que son état de santé ne cessait de se détériorer.

Le 19 décembre 2001, avec un complice, il attaqua une dernière banque, mais fut interpelé avant d’y pénétrer. Il essaya de fuir à bicyclette, mais fut arrêté, puis battu en prison, suspecté de « terrorisme ». Ses conditions de santé se dégradèrent très rapidement, et il mourut le 24 décembre. Sa dernière et définitive évasion... peut-être plus enviable que de dépérir lentement dans une cellule jusqu’en 2017 ou 2024, comme le prévoyaient les procédures judiciaires amorcées.


« Fiers d’être coupables » / Traduit de l’italien

D’une porcherie appelée « Centre clinique » - Regina Coeli, 23.02.1979.

Les prisons spéciales ont toujours existé, leur histoire suit celle du pouvoir. Change, en se rationalisant, la « spécialité » de la détention. Prométhée, enchaîné à la roche et maudissant les Dieux, symbolise l’insubordination au pouvoir, symbolise les incarcérations spéciales. L’insubordination au pouvoir nécessite des traitements spéciaux, elle n’est pas la même chose que la transgression des lois : cette dernière est « conciliable », l’autre est un acte de guerre.

Chaque institution spéciale est une aire privilégiée du pouvoir – de tous les pouvoirs – là où actionner, avec les moyens les plus variés, des menaces pour ramener les « déviants » à la norme, signifie accepter ces Lois qui sanctionnent la domination d’une classe sur le reste des citoyens.

Les « déviants » sont divisés en deux catégories : relatifs et absolus. Est déviant relatif celui qui se soumet à la punition en acceptant la logique dépersonnalisante, celui qui collabore à la « récupération » sociale. Est déviant absolu le rebelle, le compagnon, le révolté, ces magnifiques prolétaires dont le parcours carcéral a toujours été spécial. Durant des années, la division du « traitement » a été exercée d’une manière plus ou moins clandestine, puisque celle-ci n’était validée par aucune législation « écrite ». Les rebelles, les compagnons, les irréductibles, étaient liés à des directeurs « volontaires » qui avaient pour tâche de « les dompter ». [...]

L’accentuation de la crise économique, la diffusion des comportements illégaux de masse, la prolifération d’une jeunesse refusant de se laisser exproprier quotidiennement de sa propre joie de vivre et le phénomène de la lutte armée ont fait enfler les files des déviants absolus. La résolution des problèmes ne pouvait plus être laissée au zèle de tel ou tel directeur, fonctionnaire ou autre bourreau de l’État. Le problème était politique et devait être résolu comme tel.

Avec la « réforme » de 1975 a été introduit, pour la première fois, le principe de « traitement différencié », l’acte de naissance officiel et légal des « prisons spéciales ». [...]

Une nouvelle phase s’était ouverte, le pouvoir avait opéré un saut qualitatif : nous devions apprendre à vivre, résister et lutter, dans des conditions complètement différentes de celles du passé. Ces dix années de lutte à l’intérieur des prisons, durant lesquelles nous avions atteint les niveaux d’opposition les plus élevés, avec des prisons brûlées, détruites, des compagnons tués, des évasions de masse, des siècles de galères distribués aux révoltés, appartenaient désormais au passé.

La nouvelle phase imposait des séries d’analyses, de réflexions, d’organisations de masse, pour amorcer dans le « circuit spécial » un processus irréversible qui ne devait pas, comme dans le passé, s’épuiser dans de violents « embrasements » de courte durée, mais devenir une spirale continue d’opposition au pouvoir, une lutte complexe. La prison, qui avait toujours exprimé une opposition partielle, devait se recomposer avec ses propres réalités externes, avec ses propres réalités de classes, dans une lutte qui devait trouver unies toutes ces strates sociales qui, majoritairement frappées par la crise et les exclusions sociales, contestaient le programme forcé de « paix sociale ». [...]

Prométhée, dans sa lutte solitaire, exprime l’irréductibilité de l’individu au pouvoir. Nous déviants absolus, prolétaires antagonistes sans intermédiaires au pouvoir, nous ne devons pas nous complaire dans notre irréductibilité, mais nous unir, à l’intérieur et à l’extérieur des prisons, pour engager une lutte de longue durée contre nos ennemis communs. Seul et avec les autres. Sans prétentions à « guider » et néanmoins en déléguant à d’autres nos missions. Organisons-nous, donc. Mais comment ?

Le cycle de luttes initié à l’été ’78 à Asinara et poursuivi durant des mois, s’élargissant en faisant tâche d’huile et impliquant tous les nombreux prisonniers spéciaux mais aussi certains dit normaux, a constitué un moment très important. Comme travail révolutionnaire de masse et comme indicateur pour le futur. Le pouvoir, pris à l’improviste par la continuité et l’importance de cette lutte, a adopté une ligne apparemment « souple », moment tactique pour gagner du temps et se préparer au passage à une nouvelle phase de gestion beaucoup plus rationnelle.

Ce moment d’apparente faiblesse du pouvoir a déterminé un excès d’optimisme faisant fleurir les slogans triomphalistes tels que « Pouvoir rouge à l’intérieur des camps17 », qui n’avaient pas et n’ont pas de réelle correspondance dans la réalité.

Les espaces conquis, s’ils ne se sont pas enracinés conjointement dans de larges secteurs populaires, peuvent être engloutis facilement par le pouvoir. Le mois en cours (février 1979) signe le début d’un mouvement de « gestion » du carcéral.

L’arrestation en masse de compagnons/-gnes de diverses prisons collectives et de familles de détenus, coupables d’être notre « voix » dans le mouvement, à l’extérieur, coupables d’information – de contre-information –, est un fait d’une extrême gravité, comme est extrêmement préoccupante cette intimidation du pouvoir (en arrêter 30 pour en intimider 3.000).

[...]

Nous, compagnons anarchistes, unis aux compagnons18 autonomes et aux divers compagnons communistes et prolétaires prisonniers particulièrement rebelles et conscients, nous nous battons pour construire une ligne d’organisation réellement de masse qui – surtout – soit l’expression réelle des besoins des prolétaires prisonniers, de nos besoins de liberté, d’autonomie, de communisme. Nous ne portons pas un discours « avant-gardiste », si cher aux crypto-léninistes. Par conséquent, notre référent extérieur n’est pas le fait de telle ou telle O.C.C.19 […], mais plutôt du mouvement révolutionnaire étendu qui exprime quotidiennement son désaccord actif – par tous les moyens – à la nauséabonde domination du capital.

Notre objectif immédiat, comme mouvement des prolétaires prisonniers, est de chercher à créer, de façon collégiale, débats et discussions avec tout le tissu social contestataire (quartiers ghettos, écoles, marginaux, travailleurs précaires, esclaves du travail au noir, chômage des jeunes, etc.) qui, comme nous, n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaînes et portent dans leur cœur un monde nouveau à édifier.

Ce travail de recomposition entre prison et territoire sera difficile et long, mais est l’unique route vers la victoire. La libération des masses exploitées ne peut advenir que d’une lutte portée vers l’avant et gérée par les exploités eux-mêmes. Les prêtres avant-gardistes, guides et consciences des masses, ont déjà donné leurs fruits historiques, et ce sont des fruits amers.

Un autre de nos objectifs, comme compagnons anarchistes, est d’intervenir à l’intérieur du mouvement anarchiste. En déplaçant les eaux stagnantes. Stimuler les comportements réellement subversifs, au détriment léger de la pureté idéologique qui plaît énormément à nos intellectuels, a suffisamment d’incidence sur les réalités sociales qui nous entourent. Nous voulons obliger le mouvement anarchiste à reconnaitre que dans les camps de l’État il y a aussi des compagnons anarchistes. Des compagnons qui n’entendent pas endosser ce rôle qui depuis tant d’années semble être le seul accepté par les anarchistes incarcérés : innocents et victimes du pouvoir (mais est-ce un mérite, pour un révolutionnaire d’être innocent envers le pouvoir ?).

Nous sommes fiers d’être coupables envers l’État, nous ne nous lamentons pas de pourrir dans des camps, à notre mesure nous combattons quotidiennement pour la liberté et la révolution sociale.

[...]

Salutations révolutionnaires !



1 L’ouvrage publié aux éditions Raisons d’agir en 1999, Les prisons de la misère, de Loïc Wacquant reste d’actualité, ainsi que Punir les pauvres. Le gouvernement de l’insécurité sociale, Agone, 2004.

2 Dans le contexte actuel, la dépolitisation des prisonniers reflète l’état général d’une opposition inexistante aux outils qui renforcent la subjectivité néolibérale.

3 Extrait d’Un monde sans prison ?, Éditions du Seuil, 1993.

4 Personnage qui eut une certaine notoriété dans les milieux anarchistes, ce qui contribua à rendre crédible les prises de position radicales de son fils.

5 Sur la bande à Bonnot, il est conseillé de lire l’épopée Sans l’ombre d’un remord de l’auteur libertaire italien Pino Cacucci.

6 Respectivement « le gentil bandit » et « le voleur solitaire ».

7 Selon ses propres termes.

8 Littéralement « la primevère rouge ».

9 Lieu symbolique de la répression des luttes politiques radicales de gauche en Italie, où 2.000 prisonniers furent déportés très rapidement.

10 Personnalité loyale et fidèle à un certain ordre. Résistant de 1943 à 1945, après l’Armistice de Cassibile, il refusa de réprimer les partisans. Il fut assassiné en 1982 par la Cosa Nostra alors qu’il était Préfet de Palerme.

11 Deuxième groupe armé militant après les Brigades rouges. Auto-dissout en 1981 suite à une vague d’arrestations.

12 L’ouvrage est inédit en France. Il vient d’être republié en Italie par les éditions El Paso – Nautilus.

13 Horst a toujours affirmé que « jusqu’à ce qu’un homme se repentisse, il est toujours récupérable » et condamné « ceux qui ont la seringue plantée à la place du cerveau ».

14 Ce fut sa période la plus prolifique : essais, poèmes, textes politiques, contes, etc.

15 Traduit et publié dans le premier numéro papier d’Article11.

16 Celle-ci est aussi à l’origine du travail de compilation sur un site internet de toute l’œuvre de Horst.

17 Horst Fantazzini emploie le terme allemand « lager » qui signifie littéralement « camp de concentration » en allemand. Celui-ci peut sembler excessif et marqué par un âpre contexte d’opposition idéologique et politique, cependant quelques éclairages sont à apporter quant à l’usage du mot. Le philosophe italien Giorgio Agemben explique dans l’article « Qu’est-ce qu’un camp ? » du recueil Moyens sans fins (Publié chez Payot – Rivages.) que l’émergence historique des camps n’est pas un développement du droit carcéral mais de l’état d’exception et de la loi martiale.

Bien que la Prusse semble détenir la paternité juridique du concept de Schutzhaft (1850) – « détention protective » –, élaboré pour les périodes de guerre, des camps de concentration furent établis au préalable en pratique dans d’autres pays : par l’Espagne à Cuba pour parquer les populations de la colonie en 1896, par l’Angleterre pour les Bœrs en Afrique du Sud au début du XXe siècle, ou encore par la France en 1915. En Allemagne, l’émergence des camps pour prisonniers politiques en 1933 fut placée hors du droit carcéral et pénal grâce à la Schutzhaft.

Selon G. Agemben, «  le camp est l’espace qui s’ouvre quand l’état d’exception commence à devenir la règle  ». C’est un bout de territoire qui est placé en dehors du système juridique normal. Paradoxalement, malgré l’exclusion, l’état d’exception est intégré lui-même au système. Il devient une organisation permanente normale. En ce sens, le régime carcéral spécial italien, qui fut aboli en 1985, présentait bien les caractéristiques d’un lager, et ce qui choque le lecteur français contemporain dans l’emploi de ce terme est la confusion qu’il fait entre la forme paroxystique du camp d’extermination nazi et celle, historiquement plus fréquente, du camp de concentration. Cette forme de réduction métonymique est dangereuse. En se focalisant sur l’innommable, nous oublions quelques dimensions des conditions de sa production, notamment juridico-politiques. Il est entendu que la seconde prépare le terrain de la première, et que toutes deux sont totalement inacceptables. Pour citer G. Agemben sur les camps d’extermination : « Le camp n’est que le lieu où s’est réalisée la condition inhumaine la plus absolue qui ait jamais existé sur terre : c’est le fait qui compte, en dernière analyse, pour les victimes comme pour la postérité. »

En employant ce terme, Horst, éminemment provocateur, vise juste. Le terme lager n’a pas encore, en 1979, la charge mémorielle et symbolique qu’il possède aujourd’hui. Sa propre généalogie n’est pas totalement effacée, et la possibilité prospective de qualifier de lager les actuels camps européens de « détention protective » des immigrés non désirables a des antécédents juridiques et politiques.

18 L’ami Serge Quadruppani précise en commentaire que le terme « compagnon » devrait plutôt être traduit par « camarade ». Il explique : « Les anars préfèrent dire « compagnon » plutôt que « camarade », pour se distinguer des marxistes, mais là où on dit « compagno »en italien, il faut traduire généralement par « camarade » (le terme camerato étant réservé aux fascistes en italien). »

19 Les Organisations Communistes Combattantes sont des groupes politiques militants radicaux dont les Comités de Lutte (C.d.L.) carcéraux ont essayé de s’inspirer quant à leur organisation politique interne.


COMMENTAIRES

 


  • vendredi 24 décembre 2010 à 16h54, par pièce détachée

    L’usage du terme lager est parfaitement compréhensible. Il vient très vite à l’esprit (avec David Rousset) quand on lit le texte traduit.

    • vendredi 24 décembre 2010 à 16h59, par ZeroS

      L’état d’exception en Italie dans les années 70 mériterait à lui seul un article... que JB rêve d’écrire.

      Il y a deux ou trois fautes qui ne sauraient tarder à être corrigée.

      • vendredi 24 décembre 2010 à 19h13, par ZeroS

        « corrigées » évidement... ;-)

        Et pour les italianophones, l’ensemble des textes de Horst Fantazzini est accessible par ici.

        • samedi 25 décembre 2010 à 10h33, par Quadru

          « les émeutes de prisonniers de Clairvaux, qui se terminèrent par l’exécution à la guillotine de sept révoltés » : là, y’a sûrement erreur.
          Il y a eu 2 guillotinés, Buffet et Bontemps, après une prise d’otage d’une infirmière qui a mal tourné (l’infirmière a été égorgée), mais jamais entendu parler d’un tel nombre de guillotinés après une émeute.

        • samedi 25 décembre 2010 à 10h43, par Quadru

          « compagnons autonomistes » : ce serait pas plutôt « camarades autonomes » ? Je sais que les anars préfèrent dire « compagnon » plutôt que « camarade », pour se distinguer des marxistes, mais là où on dit « compagno »en italien, il faut traduire généralement par « camarade » (le terme camerato étant réservé aux fascistes en italien). Et ça m’étonnerait qu’il y ait eu des « autonomistes » en taule, en Italie à l’époque, alors qu’il y avait des milliers d’autonomes.
          bon, excuse si ça fait pion, mais c’est important comme détail, non ?

          • samedi 25 décembre 2010 à 11h39, par ZeroS

            Pour les 7 guillotinés, c’est dans le texte italien, je n’ai pas vérifié. Il est possible qu’il y ait une erreur. Je regarde.

            Pour « autonomiste », il faut le modifier, c’est une erreur. Pour « compagnon », c’est certainement juste, mais le terme n’a pas la même connotation qu’en français. Ça me gène, à moins de mettre une note de bas de page.

            Merci.



  • dimanche 26 décembre 2010 à 17h50, par mathieu.k

    Faire de sa vie un majeur levé.

    La classe..



  • lundi 27 décembre 2010 à 20h20, par fnh

    J’ai été ivre tôt ce matin ; j’ai de bonnes raisons pour cela, mais je ne vais pas vous assommer avec ma vie. Je ne pensais rien faire, mais ce bel article d’AXI m’a donné envie de recopier des passages, en honneur à l’anarchie, d’Ernest Coeurderoy (tirés de « Jours d’exil ») ; puis j’ai eu la flemme de finir ; si du moins ces brefs extraits donnent envie à certains de lire le livre, cela n’aura pas été totalement inutile.

    « Jeunes hommes du XIXè siècle ! est-ce respirer que de trembler toujours sous l’absurde crainte du ridicule ? Est-ce vivre que de ne pas oser ouvrir sa droite, lorsqu’on la croit pleine de vérité ? Réagissons contre cette torpide manie d’érudition qui, si nous n’y prenons garde, étouffera toute pensée ; rejetons le poison que la méthode et la routine inoculent dan s nos veines, et qui nous use jour par jour.
    Pour moi, j’aime mieux souffrir toute ma vie dans la révolte que dans l’esclavage ; au moins ne suis-je pas réduit à me mépriser. Les jésuites et les esclaves diront que je suis fou d’orgueil, je jure que c’est de liberté !
    Malheur à qui reste impassible au milieu de la tourmente des sociétés ! Qu’on le jette à la mer, et que débarrassé de ce poids inutile, l’équipage s’avance, invoquant Colomb, Guillaume Tell et Vasco de Gama !
    Malheur à qui veut se faire entendre au milieu des éléments déchaînés, lorsque sa voix n’a pas la force de dominer le hurlement des vents !
    Malheur à qui redoute le ridicule, même en France, et ne sait pas jeter à cette société servile une parole de mépris ou de menace !
    Malheur à qui n’a pas observé et souffert dans ce siècle !
    Jamais homme trop heureux ne trouva le temps d’interroger l’immensité de la nature et l’abîme de son propre cœur.

    Pour faire passer la Révolution, comme un fer rouge, à travers ce siècle, une seule chose est à faire :
    DEMOLIR L’AUTORITE.

    Cette proposition n’a pas besoin d’être démontrée. Que chacun s’interroge et qu’il dise si c’est de gré ou de force qu’il supporte qu’un autre se proclame son maître et agisse comme tel.

    Qu’il dise s’il ne croit pas valoir autant que tout autre.
    Qu’il dise s’il est toujours d’humeur à entretenir des papes, des empereurs, des rois, des représentants, des monopoleurs, des médecins, des instituteurs, des juges, des journalistes, des tribuns, des directeurs, des dictateurs.

    Qu’il dise s’il ne compte pas être délivré bientôt de tout cela.
    Qu’il dise s’il ne comprend pas mieux ses intérêts que tout autre, et si c’est volontiers qu’il les remet à des mains étrangères.
    Qu’il dise s’il n’est pas intimement convaincu que charité bien ordonnée commence par soi-même, et que son affaire passe avant celle des autres.
     × Et je dirai à cet homme : tu as raison de faire passer ton intérêt avant celui des autres ; la nature te le crie.

    ……………………………………………………………………………………………

    Gloire à toi, liberté !
    Il fut un temps ou je lisais beaucoup ; dans ce temps-là, je ne vivais pas. – Il fut un temps où j’acceptais les idées reçues ; dans ce temps-là, je ne vivais pas. – Il fut un temps où je suivais les modes ; dans ce temps-là, je ne vivais pas. – Il fut un temps où je me comparais à tous ; dans ce temps-là, je ne vivais pas. – Il fut un temps où je regardais autour de moi pour voir si je n’étais pas seul ; dans ce temps-là, je ne vivais pas.
    Maintenant je pense, et je vis ; - je me tiens en dehors de tous, et je vis ; - je marche en avant, et je vis.

    Gloire à toi, liberté !
    Mes contemporains ne me comprendront pas. Je n’ai pas la prétention d’allonger la vue des myopes. Les civilisés ne vivent que dans le présent, ils sont incomplets. Je ne vis que dans l’avenir, je suis incomplet aussi. Je ne saisis que les grandes lignes du tableau social ; ils n’en comprennent que les détails infiniment petits. Nous différons, et l’humanité ne s’est pas encore complétée par l’accord de ses contrastes. Il n’est pas d’entent possible entre ce siècle et moi.
    Si je suis impressionné par les choses de l’avenir, je ne puis pas l’être par celles du présent. Si je regarde à mille pas, je ne puis voir à dix. Si je me laisse emporter par l’orbe de l’éternelle révolution, je ne puis pas tourner dans ce manège que les civilisés parcourent chaque jour.
    Je choisis l’avenir, l’immensité, la belle vie libre de la pensée.
    Si j’avais besoin du jugement des autres pour savoir ce que vaut ce livre, je serai singulièrement à plaindre. Car mes contemporains me reprocheront d’avoir eu la vue trop longue ; et les générations futures, de l’avoir eue trop courte.
    Si je recherchais le succès, je n’aurais d’autre ressource que le désespoir. Car le succès ne patronne que ceux qui traduisent servilement l’opinion du public. Or, j’estime que la pensée, c’est l’homme ; et que celui-là n’est qu’un esclave, qui n’ose pas dire ce qu’il pense. Je serai humilié d’être de l’avis de tout le monde.

    Gloire à toi, liberté !
    L’orgueil ne m’aveugle point, mais j’ai confiance en moi. L’écrivain est soumis aux mêmes impressions que ses lecteurs. Quand il me vient une idée paradoxale, j’hésite à l’admettre ; je suis effrayé de ma propre audace. Et puis, à mesure que je l’examine de plus près, je me rassure et j’écris, forçant le cerveau public à soutenir la lutte qu’a soutenue le mien. Bien certainement, pas un de ceux qui me liront ne s’emportera contre moi comme je l’ai fait moi-même.
    Que me fait, après cela, la désapprobation générale ? Ceux qui la distribuent n’auront certainement pas réfléchi tant que moi sur les propositions que j’avance ; aucun ne me jugera plus sincèrement que je ne me suis jugé. Je le répète, je suis sans intérêts et sans craintes.
    Gloire à toi, liberté !
    Au surplus, qu’est-ce qu’un livre ? Une conversation un peu plus réfléchie que les autres, à la portée de quiconque est en mesure de régler avec un imprimeur. Le public a le droit de me demander un certain nombre de pages ; en retour, j’ai le droit de lui demander un certain nombre d’appréciations. Je ne puis pas exiger de lui qu’il approuve mes idées ; il ne peut pas exiger de moi que j’approuve ses préjugés. Je lui livre des sensations, il m’en rend ; voilà tout. Que si je partageais les opinions banales, il serait tout à fait superflu que j’écrivisse. J’ai besoin de m’entretenir avec le monde, mais je ne veux pas être son esclave. Tant pis pour ceux qui lui adressent des introductions suppliantes ; ils autorisent son insolence. Je ne flatterai jamais la foule ; c’est le moyen de me faire respecter par elle.

    Gloire à toi, liberté !
    La Révolution m’a donné la fièvre ; je ne m’en plains pas, et je ne prie personne de m’en plaindre. Mais je ne puis pas exiger non plus que tout le monde ait la fièvre. Vouloir que les civilisés se passionnent pour la révolution sociale, c’est présenter de l’eau à des chiens hydrophobes. Les bourgeois me liront et diront : « C’est une horrible souffrance que le délire. Voyez, cet homme est jeune, et déjà ses mains sont sèches, ses oreilles tintent, ses yeux sont pleins de sang ; la tempête des idées s’est déchaînée sous son crâne, et son crâne gémit comme un abîme profond ; lamentable destinée ! »
    Et si je leur disais que la fièvre grandit, qu’elle centuple l’existence, qu’elle parcourt les siècles en quelques heures : - ils riraient. Si je leur disais qu’il n’y a pas de lumière sans ombre, pas de joie sans douleur, pas de Prométhée sans vautour, pas de feu divin sans embrasement, pas d’originalité sans fièvre : - ils riraient. Si je leur disais que je ne changerais pas ma surexcitation contre leur quiétude, mon isolement contre leurs bals, ma sauvage médiocrité contre leur luxe de valets ; - ils riraient encore.
    ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….etc.
    Parce que l’enfant trépigne quand on commet une injustice devant lui ; parce que le marin, qui voit blanchir les vagues au loin, sait qu’elles apporteront bientôt des cadavres au rivage ; - parce que l’homme, qui ne se préoccupe point des intérêts présents, sent avec le cœur d’un enfant, et voit avec le coup d’œil d’un homme de mer.
    Malheur à ceux qui ne voient et ne sentent que comme des millions de civilisés ! Ils seront trouvés légers dans les plateaux de l’éternelle balance.
    Gloire à toi, liberté ! »

    Bonnes fêtes à tous.

    • mardi 28 décembre 2010 à 12h03, par ZeroS

      Je ne connaissais pas ce discret anarchiste. Ces citations sont superbes, peut-être mériterait-il un vrai billet sur le site ? Ces paroles n’engagent que moi (mes compagnons me suivraient certainement), mais à bon entendeur, n’hésite pas à m’envoyer un message, si l’envie (ou la vie) t’en prend.

      J’en profite pour vous joindre un cadeau post-Noël, le lien du film Ormai è fatta !, adaptation de la nouvelle de Horst Fantazzini. C’est en italien non sous-titré et je n’en garantis pas la qualité.

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