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jeudi 27 août 2009

Le Charançon Libéré

posté à 17h23, par JBB
30 commentaires

Les 1 500 FFI morts pour la Libération de Paris voteraient Sarkozy. Si, si…
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Une simple affaire de manipulation. Rien de nouveau sous le soleil : pour Sarkozy, l’histoire est un matériau malléable qu’il convient d’orienter selon ses besoins, une mythologie sur laquelle faire main basse. Après le cas du plateau des Glières ou celui de la lettre de Guy Môquet, il en a donné une nouvelle illustration hier, à l’occasion de la célébration de la Libération de Paris.

Il en serait sans doute le premier surpris, lui satrape inculte qui ne s’est jamais penché sur les leçons de l’esprit et les enseignements du passé. Il hausserait le sourcil, l’air vaguement étonné. Clignerait trois fois des yeux, façon homme qui se demande si c’est du lard ou du cochon. Agiterait sa jambe en tous sens, habituel tic nerveux ne signifiant rien en l’espèce. Et puis, dirait, avec ce petit rire satisfait de celui à qui peu importe d’être ridicule tant il sait qu’il tire les manettes :

« Hegel ? Hegel ? Quoi, qu’est-ce qu’elle a, ma gueule ? »

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N’allez pas lui causer phénoménologie de l’esprit, à Nicolas, non plus qu’idéalisme allemand ou « Raison dans l’histoire » : le bougre ne fait pas dans les vieux classiques philosophiques. Logique, tant ce vieil emmerdeur de Georg Wilhelm Friedrich Hegel - teuton qui n’aimait rien tant que parler de Kant, Spinoza et Platon, lire les mêmes et écrire des ouvrages plus ardus encore - a un immense tort, celui de ne s’être jamais penché sur les belles gonzesses, les grosses bagnoles ou les montres de luxe. Pourtant…

Pourtant : le royal meneur de revue a quelque chose du sieur Jourdain, tout aise et fort guilleret de s’apercevoir qu’il « y a plus de quarante ans qu’(il) di(t) de la prose sans qu’(il n’en) susse rien ». Sans s’en apercevoir, lui fait du Hegel, recyclant - à sa sauce inculte, bien entendu - l’un des plus célèbres concepts du très ennuyeux philosophe allemand.

La raison dans l’histoire, donc. Pour le morne Friedrich, loin des apparences du chaos et de l’irrationnel, l’histoire aurait un sens et un but, celui de la réalisation de l’Esprit universel. Et peu importe les passades des autocrates et emballements des peuples : la raison finit toujours par se faire jour, une trame logique par se dégager, le progrès par… euh… progresser.

Et Nicolas, dis-tu ? Ben, c’est tout pareil : peu lui importe la réalité, peu lui chaud l’apparente vérité de l’histoire. Celle-ci ne signifie pas ce qu’on croit, ne dit pas ce qu’on pense y lire. En clair : elle a un sens caché, que lui seul est à même de révéler.

Une nuance, cependant : pour l’auguste présidentiel, il n’est guère question de réalisation de l’Esprit universel. Juste de profit personnel. Le sens caché est si bien dissimulé qu’on peut lui faire dire n’importe quoi n’importe comment. Et l’histoire n’est rien d’autre qu’un matériau malléable qu’il convient de modeler à sa guise : il suffit de la tordre et de la contraindre jusqu’à pouvoir en tirer profit et bénéfices. Le souvenir de Jaurès ou de Guy Môquet en ont fait - entre autres - les frais. Les derniers combattants du plateau des Glières aussi, eux qui ont vu débarquer à deux reprises un irrespectueux agité décidé à faire main basse sur les symboles de la résistance et du programme du Conseil national de la résistance2.

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Et ? Bis repetita, évidemment. Car jamais Nicolas ne se contient ni ne s’arrête. Le bonhomme, donc, n’a pas manqué de remettre ça à l’occasion de la célébration de la Libération de Paris, hier à la préfecture de police. Il a - c’est vrai - d’abord chanté en son discours le souvenir du « courage et (de) la volonté des Parisiens » qui se sont soulevés contre l’occupant, de « cette France surmontant ses divisions pour retrouver les valeurs auxquelles elle n’aurait jamais dû renoncer », de « la victoire de la volonté nationale guidée par la conviction politique que rassemblée, déterminée, la France a en elle les ressources pour forcer le cours du destin ». Fort bien ? Ben oui.

Sauf que le discours est ensuite méchamment parti en quenouilles. En un très culotté renversement de perspectives, Nicolas s’est permis de faire main-basse sur l’héritage du programme du Conseil National de la Résistance avant d’inviter les policiers présents à la préfecture de police à se montrer « dignes » du glorieux exemple de ceux qui se sont battus en 1944, de leur « refus de subir (et) d’accepter l’inacceptable ». Pour enfin traiter les citoyens en hommes libres ? Cesser la chasse perpétuelle aux faibles, clandestins et autres exclus ? Appliquer les plus élémentaires règles de respect vis-à-vis de ceux qu’ils sont censés protéger ? Oh que non ! Si les policiers sont promus à l’égal de ceux qui se sont héroïquement soulevés pour libérer leur ville, c’est parce qu’ils ont reçu « mission fondamentale » de lutter contre l’insécurité. Si les flics se trouvent comparés aux combattants de 1944, c’est parce qu’ils ont charge d’appliquer le programme sécuritaire, « priorité absolue de l’action du gouvernement de François Fillon ». Si les policiers se voient brossés-à-reluire en héritiers des audacieux hommes libres de la résistance - et non de tous ces uniformes français qui ont, pendant de longues années, prêté main-forte aux nazis dans leurs plus basses et ignobles besognes - , c’est parce qu’ils auraient stoppé « la tendance à l’augmentation ininterrompue de la délinquance ». Un très audacieux renversement dialectique, façon triple boucle piquée de la pensée, qui permet à l’opportuniste en chef de terminer sur ce vibrant passage :

Et je vous le dis en conclusion, faire votre devoir, obtenir des résultats, c’est votre façon d’honorer la mémoire des policiers qui, il y a 65 ans, se sont battus pour libérer Paris, pour mettre fin à l’arbitraire, pour permettre le rétablissement de la légalité républicaine.

Oui, tu as bien lu : les policiers de 2009, ceux qui pourchassent sans relâche les clandestins et traitent les gens en moins que rien, comparés à ceux qui ont pris les armes en 1944 au nom de valeurs exactement inverses à celles professées par le président. Il fallait oser.

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Ce n’est au fond qu’un point de détail. Un exemple supplémentaire de cette récupération historique perpétuelle pratiquée sans aucun scrupule par le résidant de l’Élysée. On pourrait même en rire, voire s’en fiche, tant les cas de ce genre sont légions, récurrents, perpétuels. Mais voilà : s’indigner est l’une des seules choses qu’il nous reste, avec ce souvenir que le peuple français a su, quelquefois et en de lointaines circonstances, bien se comporter. Alors : pas touche, salopard !



1 Portrait de Hegel par Schlesinger (1831).

2 Ceux qui ne l’ont pas encore fait ne manqueront d’ailleurs pas de visionner la remarquable intervention de Stéphane Hessel - en réaction notamment à cette tentative de hold-up sarkozyste - sur le plateau des Glières, le 17 mai 2009 : ICI.


COMMENTAIRES

 


  • et non de tous ces uniformes français qui ont, pendant de longues années, prêté main-forte aux nazis dans leurs plus basses et ignobles besognes.

    Quoi ? mais le Général de Gaulle n’avait-il pas dit que tous les français étaient dans la résistance ?

    • Ce qui manque, dans ce genre de situation, c’est la présence d’un type assez cultivé et courageux pour interrompre le discours et s’exclamer : « Mais Monsieur le Président, il n’y a aucun rapport entre les résistants d’hier et les policiers d’aujourd’hui. Vous dites n’importe quoi ! ». On pourrait peut-être voir ça dans un film. Dans la réalité c’est impossible, tout le monde écoute poliment.

      Merci pour cet article qui nous montre que Sarko ne s’est pas arrangé pendant les vacances.

    • “Quoi ? mais le Général de Gaulle n’avait-il pas dit que tous les français étaient dans la résistance ?”

      Si il l’a dit...

      • @ Sexylion : oh que si ! L’immuable génie français, le grandiose honneur de la Nation, la France mère de la résistance qui jamais ne s’abaisse face à la barbarie, toussa-toussa…

        @ Crapaud Rouge : je me le suis souvent dit aussi. Juste un homme qui se lève dignement et s’impose sans hausser la voix, simplement par ce qu’il à dire. Ce serait un vrai bonheur.

        @ Jibe86 : il me semblait bien aussi.

      • Et qui plus est : seul de tous les grands responsables de l’ère Pétain à avoir été fusillé, c’est Pucheu, qui a refusé la grâce que de Gaulle accorda à tous les autres, ces autres qui retrouvèrent leurs places dans toutes les instances de l’Etat et la gérance des grandes sociétés privées ! (Aucune gloire à Pucheu qui fut un grand salopard... Mais aucune non plus à de Gaulle qui surfa finalement sur la résistance de la dernière heure et sur la seule gloire d’avoir parlé à Radio Londres.)

        De Gaulle c’était malgré tout la Droite et le clan de la calotte. C’est peut-être mieux que la cagoule que fit Pétain avant Pétain (1930-39) mais c’est pareil que le vrai Pétain qui fut soutenu ensuite par toute l’Eglise et ses ouailles autant que par l’armée et les gendarmes... qui ratissaient de partout pour soulever les juifs.

        Une seule différence était, non pas du fait que dorénavant, ils ratissaient les « Bougnouls », non la différence était que les gendarmes, dont la majorité était très liée aux années de Pétain, étaient réticents à de Gaulle qu’ils prenaient comme un imposteur et ce dernier dut se replier sur l’armée des CRS... pour assurer sa sécurité. (Bien légère différence !)

        Dans tout le sud de la France, la guerre aux résistants, cela avait été le fait des gendarmes ! Autant dans les Pyrénées que dans les Alpes... avant le déferlement des occupants... Et à l’encadrement des Jeunesses, ces gendarmes, ils y ont aussi participé, et c’était un encadrement fasciste pur et dur du même type qu’en Allemagne... Encadrement qui envoya finalement bien des jeunes au travail obligatoire en Allemagne...

        En fait, si l’on comprend bien Sarkozy, ce sont les fascistes de l’intérieur qui ont repoussé les fascistes de l’extérieur... Il a raison en bon opportuniste, parmi les policiers, il n’y en a pas beaucoup de gauche... Il n’y en a jamais eu. Alors comment mieux parler aux policiers que comme il l’a fait ! Et leur donner un rôle de résistants, même si c’est de l’avant dernier dixième de seconde de la fin de la dernière heure avant la libération, c’est très cohérent ! Les nouveaux vernis sont très synthétiques et de plus ils se font à l’eau ! Quand bien même sortirait-elle des fosses septiques.

        Voir en ligne : http://www.amaranthes.fr



  • déja à l’attaque JBB dans les mollets direct - pas perdu les incisives sur la plage toi...

    réponse à l’autre avec un S comme Zèbre

    http://www.walterretourenresistance.com/

    un film de chez mon pays qui cartonne en rhône alpes et sortie nationale prévue 4 novembre

    faire pub

    Voir en ligne : http://rue-affre.20minutes-blogs.fr/



  • lien pas marcher - recommence

    Voir en ligne : http://www.walterretourenresistance.com/



  • De retour et au top de sa forme le JBB ! Tant mieux car l’inculte vaticinant va continuer à nous abreuver des sous-produits de sa sous-pensée et nul doute qu’il va devoir se dépasser pour essayer une fois encore de donner le change pour masquer ses mensonges et son incurie totale dans sa façon de gouverner.

    • Au top, je ne sais pas (mais c’est gentil) ; disons que je vais reprendre tranquillement et en douceur. En tout cas, c’est un plaisir de te retrouver et de voir ces lieux revivre. :-)

      « l’inculte vaticinant va continuer à nous abreuver des sous-produits de sa sous-pensée »

      Au moins, il reste constant en la matière. Médiocre un jour, médiocre toujours !



  • Nabot 1er s’est emmêlé les pinceaux, il fallait entendre :

    Et je vous le dis en conclusion, faire votre devoir, obtenir des résultats, c’est votre façon d’honorer la mémoire des policiers qui, il y a 67 ans, se sont battus pour remplir le Vel d’Hiv, pour mettre fin à l’Etat de droit, pour permettre le rétablissement de la légalité réactionnaire.

    • Eheh, tu lui ôtes les mots de la bouche. Si l’homme était un tant soit peu honnête, c’est effectivement ce qu’il aurait dû dire. Qui sait, sa langue finira peut-être un jour par fourcher, lui si inondé de mensonges et de manipulations qu’il ne saura plus déceler le vrai du bidon, ce qu’il comptait dire et une version plus juste des choses.



  • Pffft, faire voter les morts c’est une très vieille combine !

    ...Et c’est vrai qu’à l"époque aussi la police était dans le mauvais camp il me semble...

    Voir en ligne : Aucun rapport



  • jeudi 27 août 2009 à 22h56, par CaptainObvious

    comparés à ceux qui ont pris les armes en 1944 au nom de valeurs exactement inverses à celles professées par le président

    Bof, c’était les mêmes qui 2 ans auparavant raflaient des juifs pour le vel d’hiv, alors....



  • ...Et pendant ce temps-là, la police française version 2009 continue à contrôler les papiers des arrières-petits-fils des soldats de la 2e DB...
    ...La décomplexion, la décomplexion...



  • Magnifique exemple de double-pensée orwellienne que ce retournement de perspective historique...

    « En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. » Georges Orwell, 1984.

    Voir en ligne : http://jide.romandie.com



  • vendredi 28 août 2009 à 15h37, par luc nemeth

    comparer ceux des policiers qui font aujourd’hui le sale travail à ceux qui se sont battus pour libérer Paris fait partie de la routine, pour les gouvernants de ce pays : et ces trouducuteries n’avaient pas meilleure odeur quand elles étaient signées Mitterrand, ou... de Gaulle, post-1958. Mais ce qu’il y a ici d’ignoble, et dont on peut même s’étonner que les commentaires ci-dessus ne l’aient pas souligné, c’est que dans son racolage lépéniste sans fin : le salopard en arrive de fait à amalgamer les envahisseurs (sans-papiers, etc.) et l’occupant nazi.

    • vendredi 28 août 2009 à 17h37, par JBB

      « le salopard en arrive de fait à amalgamer les envahisseurs (sans-papiers, etc.) et l’occupant nazi »

      Bien vu. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais c’est bien à ce résultat qu’on arrive en poursuivant sa mise en parallèle. Ça fout le vertige…

      • vendredi 28 août 2009 à 18h24, par luc n.

        ...oui mais, j’ai forcément une sensibilité particulière face au charmant bambin (sans perdre de vue bien sûr qu’il n’est jamais que le numéro un de la fine équipe, et que ceux qui l’entourent ne valent pas plus cher que lui) : mon père avait quitté la Hongrie, et ce, pour des raisons diamétralement opposées à celles qui firent qu’en 1944 des Sarközy de Nagy-Bocsa jugèrent plus prudent de mettre une frontière derrière eux.



  • Les flics se conduisent en flics. L’action admirable d’août 1944 ne doit pas faire oublier la chasse aux résistants et la rafle du Vel d’Hiv. Un flic reste un flic même 65 ans plus tard.



  • Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît...

    Cela dit, notre épicier en chef est gonflé de revendiquer pour ses poulets le programme du Conseil National de la Résistance... alors qu’il est en train de le foutre par terre.

    Voici ce que disait Denis Kessler, n° 2 du medef, en novembre 2007, dans la revue Challenges, à propos du tout nouveau gouvernement Sarkozy...

    Voir en ligne : Sur le site des républicains gaullistes !

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