ARTICLE11
 
 

samedi 14 mars 2009

Le Cri du Gonze

posté à 12h13, par Lémi
15 commentaires

Eloge du Corbeau
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Pour parler franchement, on a beaucoup hésité à prendre position sur le sujet. On savait qu’on se ferait descendre en flamme, qu’une défense argumentée du corbeau nous ferait passer pour des fous furieux, des irresponsables propagandistes du 9mm. On a bien réfléchi, pesé nos mots, mais on a décidé d’y aller quand même : Article 11 aime le corbeau, il le clame haut et fort !

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"Prophète, dis-je, être de malheur ! prophète, oui, oiseau ou démon !
Que si le Tentateur t’envoya ou la tempête t’échoua vers ces bords,
désolé et encore tout indompté, vers cette déserte terre enchantée, vers
ce logis par l’horreur hanté : dis-moi véritablement, je t’implore ! y a-t-il du baume en Judée ? Dis-moi, je t’implore." Le Corbeau dit :
« Jamais plus !
 »
Edgar Poe, « Le Corbeau ».


Le corbeau est un oiseau de haute lignée, racé, son contour est parfait, il fait plaisir à voir. On a beau chercher, on ne sait pas pourquoi il a si mauvaise presse (« Menaces avec balle : le corbeau se manifeste à nouveau », titrait ainsi l’AFP ce matin, corbeauphobie évidente), des jaloux surement. Il suffit de le voir galoper dans les grands champs enneigés de Picardie à la recherche de sa pitance, gratouillant la terre glacée d’un bec déterminé, pour comprendre qu’il est de la race des seigneurs.

Le corbeau est intelligent, il ferait honte à la bécasse s’il se donnait la peine de lui expliquer pourquoi elle fait mauvaise route. Mais voilà, le corbeau n’aime pas trop se mêler au commun des mortels, il reste dans son coin à fixer tristement la vaine agitation de ses confrères – ah, ces pigeons, quelle décadence.

Le corbeau n’est pas aimé, il faut voir comme on le traite, c’est une honte1. Il paye pour sa classe. Pour sa franchise surtout. Quand le poète2 lui demande « Y’a-t’il du baume en Judée ? », d’une voix suppliante, implorante, le volatile n’hésite pas à brailler en retour « Jamais plus ! ». Ça claque. Mais il ne se fait pas que des amis avec ses sombres vérités. Et nul doute que si on lui demandait son avis sur la politique, il cracherait son mépris pour l’évolution actuelle des choses. Le corbeau est clairvoyant, pas question de se laisser marcher sur les pieds. Ou de garder des choses pour lui.

Le corbeau est chassé, on le traque. A coup de gros sel, de chevrotines, de gros calibres. Pas question de l’attaquer au 9mm, ce serait minable, il faut viser plus haut, plus fort, sortir l’artillerie lourde. Bientôt, sûrement, on le bombardera dans sa tanière, mais comme il est discret, il faut attendre encore un peu, des fois qu’on se trompe de cible, ça ferait mauvais genre. Imaginez un peu, vous ouvrez le journal, vous lisez : « Tragique méprise : le corbeau bombardé était en fait un héron.  » Ça embarrasserait en haut lieu, ça jaserait dans les campagnes, comme si un jour on apprenait que des innocents croupissaient dans les prisons de la République, mais je m’égare, revenons à nos corbeaux.

Le corbeau aime la justice même si il a une fichue tendance à vouloir la faire lui-même. « Vous croyez disposer de nos vies eh bien non, c’est nous qui disposons de la vôtre » m’écrivait ainsi un ami volatile très remonté, un m’as-tu vu pas peu fier de sa rébellion contre la race humaine. Car le corbeau aime provoquer, c’est son côté expéditif, soupe au lait. Il s’engueule avec un voisin pour une broutille, une brindille mal rangée, et ni une ni deux, c’est l’escalade, la prise de bec, ça dure des heures, c’est lassant. Mais, que voulez-vous ? On ne se refait pas.

Le corbeau, ce n’est pas rien, inspire le poète. Lui glisse au cerveau ses meilleures strophes. D’ailleurs, ils s’entendent comme larrons en foire. Rarement on aura vu couple plus assorti. Quand ils marchent dans la rue, bras-dessus-aile dessous, les gens se retournent, éberlués – « Quel couple, ça a quand même une autre gueule que les Karembeu  », entendis-je proclamer un jour sur leur passage. Et ça ne date pas d’hier, cette relation privilégiée. Du coup, à force, les gens se sont lassés, ils ont jalousé leur union, et ils ont tout mis dans le même panier, poètes et corbeaux, quelle tristesse. C’est pour ça qu’elles sont tristes nos rues, allez-donc vivre sans la plume de l’un et le bec de l’autre, c’est sombre à mourir. On vire les Rimbaud, on garde les Jean-Pierre Pernaut, étonnez-vous ensuite que le noir volatile soit en colère contre lui.

Les récentes accusations contre le corbeau nous paraissent peu crédibles, on le croasse haut et fort. D’abord le corbeau ne vit pas en « cellule  », 34 ou pas, il est trop épris de liberté pour ça. Et puis, s’il a quelque chose à dire, il le dit sans barguigner, il ne se planque pas dans l’anonymat. Quant à son style littéraire, il n’a rien en commun avec la prose un tantinet fatigante de l’individu en question, le corbeau écrit comme un Dieu. Ceci dit, il lui arrive parfois d’être un peu confus, surtout qu’il est un peu stressé en ce moment, on peut le comprendre. Mon ami Edgar Poe, autre grand admirateur du volatile, écrivait ainsi : « Je m’émerveillai fort d’entendre ce disgracieux volatile s’énoncer aussi clairement, quoique sa réponse n’eût que peu de sens et peu d’à-propos.  » Alors : qui sait, le corbeau pourrait finalement bien être le coupable tant décrié ?

Dans ce cas, de rudes moments attendent le pauvre corbeau. On n’aimerait pas être à sa place quand le chasseur lui mettra la main dessus. Il le placera surement en cage, le malheureux en deviendra fou - encore plus - , il s’en déplumera mentalement. Et nous, bipèdes, on sera bien démuni, sans corbeau. Qui nous donnera alors les sombres vérités que personne ne veut entendre ? Nicolas Sarkozy et Jean-Pierre Pernaut, évidemment, tristes palmipèdes cloués au sol, leurs ailes rognées. Je préfère le corbeau.



1 Même le divin William Blake a tiré sur l’ambulance du corbeau, un jour où l’inspiration lui manquait : « L’aigle ne perdit jamais plus de temps que lorsqu’il consentit à recevoir les leçons du corbeau », brama t-il dans Le mariage du Ciel et de l’Enfer, faute de goût évidente.

2 Un certain Edgar Allan Poe.


COMMENTAIRES

 


  • samedi 14 mars 2009 à 13h41, par Zeck

    Corbeau de l’an neuf
    Plus haute la vague
    Plus haut l’envol

    • dimanche 15 mars 2009 à 00h24, par lémi

      Plus haut l’envol, certes,
      mais je crains pour notre malheureux volatile une chute des plus vertigineuses qui ne manquera pas de faire des (hautes) vagues...



  • samedi 14 mars 2009 à 15h39, par wuwei

    Même Ovide a chanté l’oiseau :

    "Jadis en effet, cet oiseau avait l’éclat de l’argent et des plumes de neige,
    au point qu’il rivalisait avec toutes les colombes immaculées
    et ne le cédait ni aux oies qui, grâce à leur voix vigilante,
    sauveraient un jour le Capitole, ni au cygne, ami des rivières.
    Sa langue le perdit ; sa langue bavarde aidant, celui qui était
    blanc est maintenant de la couleur opposée au blanc"

    Ovide, Métamorphoses

    • dimanche 15 mars 2009 à 00h28, par lémi

      Si même Ovide (l’actrice porno ?) acquiesce à mon propos, valide mon sujet d’étude, je m’estime comblé (enfin la reconnaissance de mes pairs)...



  • samedi 14 mars 2009 à 15h47, par arthur

    "Faites s’abattre des grands cieux
    Les chers corbeaux délicieux.
    (...)
    Par milliers, sur les champs de France,
    Où dorment des morts d’avant-hier,
    Tournoyez, n’est-ce pas l’hiver,
    Pour que chaque passant repense !
    Sois donc le crieur du devoir,
    Ô notre funèbre oiseau noir
     ! "

    • dimanche 15 mars 2009 à 00h33, par lémi

      J’avais hésité à l’utiliser, ce cher Arthur, et puis flemme aidant, il m’a semblé que Poe était le plus adapté à la chose. Mais finalement, à relire ces lignes, je trouve cette idée de « crieur du devoir » parfaitement adaptée aux sommations biscornues (et légèrement psychopathes) du Corbeau qui affole nos têtes couronnées...



  • samedi 14 mars 2009 à 21h24, par skalpa

    Y en a même qui ont des baskets !

    Voir en ligne : Kprodukt, Mon blog actif et militant (?)

    • dimanche 15 mars 2009 à 00h35, par lémi

      Argh, le corbac aux baskets mon idole, ma Némésis ! Comment ai-je pu oublier de le mentionner ? Merci d’avoir réparé cet irréparable impair...

    • dimanche 15 mars 2009 à 19h53, par Zgur

      Le corbac aux baskets aurait un imper ?

      C’est quoi cette histoire ?

      Et vive Fred, et aussi Philémon, le A et le Manu Manu !

      Arf !

      Zgur

      Voir en ligne : http://zgur.20minutes-blogs.fr

      • dimanche 15 mars 2009 à 22h42, par lémi

        Oui mais rien ne dépasse le Corbac, pas même les autres chefs d’oeuvre de Fred (il y a bien tes jeux de mots pourraves/magistraux qui sont en compétition, mais je suis trop jaloux pour les encenser comme ils le méritent...)



  • dimanche 15 mars 2009 à 04h09, par grendel

    En parlant de corbeau, difficile de ne pas citer Coleridge...

    Il y avait sous un vieux chêne

    De porcs une compagnie pleine

    Qui grommelait en croquant la glandée :

    Bien mûre, elle tombait en quantité.

    Puis ils trottèrent au loin, comme le vent forcissait,

    En laissant un seul gland - et rien d’autre sous votre guet.

    Par la suite il vint un corbeau, qui ne goûtait point ces folies :

    Sa maîtresse était, disait-on, la sorcière Mélancolie !

    Il était encore plus noir que le plus noir des jais,

    Volait bas sous la pluie, ses plumes n’y mouillait.

    Il ramassa le gland et l’enfouit à l’instant,

    Sur la rive d’un fleuve aussi profond que grand.

    Où lors s’en fut le Corbeau ?

    Par en bas et par en haut,

    Par les monts et les vaux s’en fut le noir Corbeau.

    Bien des automn’ et des printemps

    Il prit la route aux quatre vents,

    Bien des hivers et des étés -

    Je n’en sais dire la moitié.

    Accompagné d’une Elle, il revint à la fin,

    Et le gland avait crû en chêne géantin.

    Il se firent un nid sur le rameau dernier,

    Eurent des oisillons, furent heureux assez.

    Mais bientôt, tout en cuir, il vint un bûcheron ;

    Sur ses yeux comme un auvent s’abaissait son front.

    Il avait une hache en main : sans dire un mot,

    À grand ahan, par force coups, tantôt

    Il mit à bas le chêne du pauvre Corbeau.

    Ses oisillons, ne pouvant partir, furent tués,

    Et leur mère en mourut le cœur brisé.

    Le bûcheron sépara les branches du tronc,

    Et sur le fleuve on le flotta depuis l’amont.

    En planches on le scie, d’écorce on le dépiaute,

    Et l’on fait un bon bateau de cet arbre et d’autres.

    On lança ce bateau ; mais en vue de la terre,

    Une tempête se leva que pas un bateau n’eût souffert.

    Il s’échoua sur un rocher, les vagues entrèrent brutales ;

    Le corbeau volait tout autour, en croassant dans les rafales.

    Il ouït le dernier cri des âmes agonisantes -

    Voyez ! dessus le mât de hune roule l’eau démente !

    Bien content, le Corbeau s’empressa de filer,

    Rencontra la Mort de retour, à cheval sur une nuée,

    Et la remercia tant et plus de ce bon procédé :

    On lui avait tout pris, IL ÉTAIT DOUX DE S’EN VENGER !

    • dimanche 15 mars 2009 à 22h39, par lémi

      « On lui avait tout pris, IL ÉTAIT DOUX DE S’EN VENGER ! » : encore un, et pas des moindres, qui avait prédit les actions de notre corbeau à nous, et ses motivations profondes (reste que celui de Coleridge maitrise, c’est indéniable, un tantinet davantage la langue de Molière...).



  • dimanche 15 mars 2009 à 19h39, par Zgur

    Moi j’aime bien Jo Corbeau :

    Croarf !

    Zgur

    Voir en ligne : http://zgur.20minutes-blogs.fr

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