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samedi 14 septembre 2013

Sur le terrain

posté à 21h18, par Mihaela Trifa
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« L’or, que l’enfer le mange ! » – Reportage à Rosia Montana

Rosia Montana est une petite localité roumaine, située dans les Monts Apuseni, en Transylvanie. Un écrin de verdure menacé par un gigantesque projet minier. Le métal visé ? L’or. Mais les habitants du coin, rejoints par de nombreux militants de toute la Roumanie, entendent bien s’opposer à l’entreprise. Comme viatique, cette expression locale : « L’or, que l’enfer le mange ! »

Sur le bitume de la rue principale de Rosia Montana, le va-et-vient des pick-up et des tout-terrains est incessant. La plupart, aux plaques d’immatriculation siglées RMG, appartiennent à la compagnie minière Rosia Montana Gold Corporation (RMGC), qui prévoit d’ouvrir près du village la plus grande mine à ciel ouvert d’Europe. Le gisement, estimé à 300 tonnes d’or et 1 400 d’argent, se trouve dans les monts Apuseni, au cÅ“ur du quadrilatère d’or roumain1. À Rosia Montana, le logo doré de l’entreprise est omniprésent, comme un symbole de la mainmise programmée de la compagnie sur le village. Si l’on y ajoute les façades en cours de rénovation, les petites caméras discrètes placées dans le centre du village et les allées et venues des ouvriers habillés de vêtements à l’effigie de la compagnie minière, cela fait furieusement penser à un Truman Show bas de gamme.

Sauf qu’aujourd’hui, la vraie vie déborde sur le village : une foule y déferle. Ça parle roumain, hongrois, français, allemand, c’est jeune et moins jeune. Harnachés de sac à dos, l’œil averti ou curieux, les présents bousculent cette fausse agitation entretenue par la RMGC. Tous sont là pour participer à la huitième édition de « Fânfest » (festival du foin), festival réunissant les opposants au projet minier.

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Ouvriers de RMGC, employés en contrats précaires de 3 à 6 mois

« Comment lutter ? »

Pendant quatre jours, concerts, débats, foire de produits paysans du terroir, échange de graines, projections, ateliers et visites guidées sont au programme. Partout dans le village, on entend les mots « lutte », « résistance », « organisation », « réappropriation », « autonomie ». Dans la cour d’une magnifique maison paysanne, sur des bancs en bois rafistolés pour l’occasion, des militants s’interrogent sur la phase embryonnaire de réveil de la société civile roumaine. Comment lutter ? Comment faire face à la violence des forces de l’ordre ? Comment créer du réseau ? Comment se montrer solidaires ? Pourquoi se désolidariser des partis politiques ? Comment se réapproprier la vraie politique, celle faite par les hommes, pour les hommes ?

Dans l’église unitarienne hongroise, mise à disposition par le pasteur, Mihai Gotiu, un journaliste indépendant roumain parle de l’incroyable lobbying politique et financier déployé par la compagnie minière aux États-Unis et au Canada. Cela fait onze ans qu’il suit de près l’affaire minière de Rosia Montana. Et il s’apprête à publier les centaines de pages d’informations récoltées au cours de ses investigations.

Plus loin dans le bourg, place aux ateliers de l’association d’architectes ARA. Cette dernière dénonce la prétendue réhabilitation par la RMGC de bâtiments du centre de Rosia Montana, classés monument historique. « Couler du béton, ce n’est pas réhabiliter », soulignent les membres de l’association. Pour cela, il aurait fallu respecter les techniques utilisées jadis, qui privilégiaient des matières plus nobles, telles la chaux ou le stuc ; il n’en a rien été.

Et partout, dans cette bucolique vallée entourée de montagnes, cadre féerique, les gens discutent. La plupart ne manqueront pas de participer aux manifestations prévues les jours suivants. Avec le ferme espoir de mettre un frein au projet de loi concocté par le gouvernement et proposé au vote du parlement. Un texte des plus ubuesques et outranciers, puisqu’il prévoit de faire de Rosia Montana un « site d’intérêt national extraordinaire pour l’économie nationale ». En réalité, il s’agit d’un projet rédigé spécialement pour ce projet d’exploitation de la RMGC. Il instaure une forme d’état d’exception, afin de faciliter les expropriations dont aura besoin la compagnie minière. « Cette loi spéciale permettra de court-circuiter la vingtaine de lois et d’actes normatifs qui existent déjà et qui s’appliquent normalement en matière de droit de propriété, de libre accès des citoyens roumains à la justice, de protection du patrimoine culturel et environnemental, de régime des forêts, des pâturages, de l’eau, de la propriété publique, du Code fiscal etc. », résume Mihai Gotiu, journaliste indépendant. En clair : une loi taillée sur mesure pour le projet minier de Rosia Montana, exploitation privée qualifiée d’intérêt national extraordinaire.

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Publicité pour la compagnie minière sponsorisant l’équipe de foot de Alba-Iulia. Slogan c’est : « Nous croyons que l’union est une équipe en or » (L’union est le nom de l’équipe de foot)...

Comment mentir ?

En plein centre du village trône le centre d’information, ouvert par RMGC pour « Ã©clairer » les passants sur la future exploitation minière, basée sur la technologie des cyanures2. À grand renfort de maquettes d’un vert brillant, la compagnie détaille ce projet censé s’étaler sur 1 600 hectares, avec quatre carrières à ciel ouvert correspondant à quatre massifs montagneux (Cârnic, Cetate, Orlea et Jig). Et elle promet qu’à la fin de l’exploitation minière, aucun effort ne sera épargné pour nettoyer le site. De même pour la surveillance du lac de décantation de 363 hectares, où stagneront les résidus miniers. RMGC assure d’ailleurs d’un ton léger et dédramatisant qu’étant données les basses concentrations de cyanures des résidus miniers, soit entre 5 et 7 mg par litre (alors que l’UE permettrait jusqu’à 10 mg/litre, sic), il n’y a rien à craindre. Le café et le sel que l’on ingurgite quotidiennement en contiendraient plus, selon les communicants de la compagnie.Lesquels jouent en réalité sur la confusion avec les ferrocyanures, additifs alimentaires inoffensifs. Une manipulation qui fait partie d’une stratégie de communication à toute épreuve. De la propagande, purement et simplement.

Une nouvelle vie en parpaing…

Une bonne partie des habitants de Rosia Montana a vendu ses maisons à la compagnie. Avec l’argent empoché, les gens ont construit ou acheté des habitations ailleurs. 125 familles ont même choisi d’être relogées par la RMGC, qui a bâti pour elles un petit quartier dans la ville de Alba-Iulia, à 80 kilomètres de Rosia Montana. Elles vivent désormais dans des maisons alignées au cordeau, aux couleurs vives et à l’allure factice d’un quartier se voulant moderne. Le kitsch des murs orange ou jaune donne l’impression d’une ville monumentale de poupées bon marché. Ici, aucune montagne boisée ne se dessine à l’horizon.
Un nouveau monde, une nouvelle vie : pas évident de s’y adapter. « Ces gens ne sont tout simplement pas heureux, explique Christina Anghle, habitante d’Alba-Iulia. Ils étaient habitués aux larges espaces des fermes de Rosia Montana, et pour survivre ils commencent à élever des poules et des cochons sur leur 500 mètres carrés de terrain. Imaginez un quartier de type américain dans lequel on pratique l’élevage vivrier... » Surtout, le sens de la communauté n’a pas survécu à ce déménagement collectif, les traditions se perdent et les paysans se reconvertissent tant bien que mal en citadins. Ce qui rappelle furieusement un épisode de l’histoire roumaine que tout le monde voudrait oublier : celui de la transformation des paysans en prolétaires, acteurs d’une vie meilleure et d’un avenir radieux, sous le régime communiste d’État.

Mais des irréductibles résistent et se refusent à quitter leurs maisons, sur les murs desquelles ils posent souvent une petite pancarte : « Cette propriété n’est pas à vendre ». Sorin Jurca vante ainsi le patrimoine historique et culturel de Rosia Montana, et s’insurge contre les méthodes de la compagnie : « Je ne partirai jamais, malgré la guerre psychologique qu’ils nous infligent. Il faut quand même prendre conscience qu’ici, une compagnie privée surveille les habitants de la commune avec des caméras. C’est scandaleux ! »

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portail en bois avec l’inscription « cette propriété n’est pas à vendre »

Un autre avenir pour Rosia Montana

Via un chemin escarpé, bordé d’herbe grasse, de pommiers et de vaches, on arrive chez Eugen David, président de l’association Alburnus Maior, principale opposante au projet minier. Aux yeux de la compagnie, il incarne le maudit symbole de la résistance paysanne de Rosia Montana. C’est contre des gens à son image, déterminés à ne jamais quitter leur village, que le nouveau cadre légal se prépare dans les coulisses politiques. Avant de démarrer l’exploitation, RMGC doit en effet acquérir tous les terrains situés sur le futur périmètre industriel. Sans exception. Il faut donc éliminer les derniers obstacles. Après tout, n’est-ce pas une promesse présidentielle ? « L’avenir roumain passe par les mines », a tonné récemment le président roumain, Traian Basescu.

Pas de quoi impressionner l’éleveur Eugen David : « Si la loi est votée, l’État n’hésitera pas à envoyer la police ou l’armée pour nous exproprier. Mais nous ne cèderons pas. Et sur nos torses, nous inscrirons : ’’Délogés par la force’’ ! » Lui ne croit pas à cet avenir basé sur l’extraction de l’or et de l’argent. Et pas seulement à cause des cyanures : «  Depuis 2000 ans, l’empire romain, puis l’empire austro-hongrois et tant d’autres, ont extrait des centaines de tonnes d’or de Rosia Montana. Ils se sont enrichis, pas nous. Il est temps de penser à long terme et de promouvoir l’élevage et le tourisme dans cette belle région, riche en vestiges antiques. »
C’est vrai : Rosia Montana fut longtemps une conséquente source d’or pour les empires et régimes en quête de gloire. Les richesses du sous-sol ont intimement lié son histoire aux dominations, occupations et prédations que le métal brillant a engendrées. D’ailleurs, partout dans le village, des pancartes jaune or le soulignent, clamant haut et fort : « Rosia Montana, ville minière  ». Comme pour rappeler aux habitants qui restent et aux touristes de passage la destinée millénaire de Rosia Montana. Refrain obsessionnel.

Si la compagnie RMGC se montre fière de son quartier d’Alba-Iulia, elle prétend en revanche qu’il n’y a rien à voir au village de Rosia Montana, sinon « la pollution générée par 2 000 ans d’activité minière ». Mais les touristes rencontrés affirment le contraire et se disent enchantés de leur visite souterraine des galeries minières romaines, ainsi que de leurs randonnées dans les montagnes environnantes. Celles-ci sont animées par Calin Capros, vice-président de l’association Alburnus Maior et passionné par les richesses environnementales et archéologiques de Rosia Montana. L’homme explique avec émotion que son village, s’il se trouvait ailleurs qu’en Roumanie, serait considéré comme un site d’exception, en raison de ses kilomètres de mines souterraines qui défient le temps depuis l’époque romaine. Le même s’indigne du comportement des hauts dignitaires de l’État, qui « font du lobbying » pour RMGC.

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Or et politique, main dans la main

Soutenu par les politiques, le projet a particulièrement été mis en avant à partir de 2009, lorsque le ministre de l’Économie de l’époque, Adriean Videanu, a déclaré à la presse roumaine : « Nous voulons inclure dans le programme du gouvernement le démarrage rapide du projet minier de Rosia Montana. » Sans surprise, les actions de Gabriel Resources3 ont alors augmenté de 9 % à la bourse de Toronto. Et une semblable augmentation des cours s’est produite quand le président roumain a fait, en août 2011, une déclaration favorable au projet. Traian Basescu promettait même de boire l’eau du futur lac de décantation, les spécialistes l’ayant assuré qu’il contiendrait moins de cyanures que le café. Un geste démagogique censé « démontrer que cette eau ne sera aucunement toxique ». Le parti-pris présidentiel revêt des allures si douteuses que beaucoup se demandent si sa dernière campagne électorale n’aurait pas été quelque peu facilitée par l’argent de RMGC.

Quant au Premier ministre actuel, Victor Ponta, il était plutôt opposé au projet minier avant sa nomination à la tête du gouvernement. Mais il a changé d’opinion par la suite, allant jusqu’à porter devant le Parlement le controversé projet de loi qui concerne directement l’exploitation du périmètre minier de Rosia Montana.

Ce soutien politique s’étend jusqu’au maire du village, Eugen Furdui, que les opposants au projet surnomment le « porte-voix » de la compagnie RMGC. L’édile voit en effet dans l’ouverture de la mine la solution aux problèmes de la commune : « Cela créera des emplois, au plan local et national.4. » Il faut dire que sa mairie a longtemps occupé un vieil immeuble branlant du XIXe siècle, aujourd’hui à l’état de ruine. Jusqu’à ce que la compagnie RMGC vole au secours de l’autorité locale, proposant de l’héberger dans un des immeubles qu’elle possède à Rosia Montana. Chose que le « primar  » (le maire) a accepté. Quoi de plus naturel ?

David vs Goliath

Face à un tel arsenal financier et boursier, soutenu par des politiques de tous bords, l’association Alburnus Maior, créée en 2000, s’est fixée comme objectif de combattre par voie juridique les multiples démarches d’autorisation du projet minier. Parfois avec succès. En 2006, le collectif a ainsi réussi à faire cesser les forages d’exploration de RMGC : le tribunal a donné raison à Alburnus Maior, considérant que ces forages dépassaient le cadre de la seule licence d’exploitation possédée par la compagnie. Le plan d’urbanisme voté par le conseil municipal de Rosia Montana en 2002, par lequel le village de zone résidentielle devenait une zone mono-industrielle destinée à l’activité minière, a aussi été attaqué par Alburnus Maior et annulé par le tribunal en 2008. Parmi les motifs retenus, le conflit d’intérêt : les conseillers municipaux entretenaient en effet d’étroits liens d’ordre patrimonial et contractuel avec la compagnie minière. Certains de ces conseillers figuraient même sur la liste des employés RMGC.

L’annulation en instance, toujours en 2008, du certificat de décharge archéologique5 pour le massif de Cârnic, le plus riche en or mais aussi en patrimoine (avec ses sept kilomètres de galeries romaines protégées), a représenté une autre bataille d’envergure. Sauf que cette victoire juridique n’a pas fait long feu. Un deuxième certificat a été émis en juillet 2011 par le ministère de la Culture, malgré la première décision censément irrévocable de la justice.
La confrontation est totalement inégale, souligne ainsi Stefania Simion, juriste de l’association Alburnus Maior : « RMGC se situe en position de force. Elle met un mois pour obtenir une nouvelle autorisation, alors que nous avons besoin de trois à quatre ans pour l’annuler ou la suspendre en justice. » Stefania continue pourtant à courir les tribunaux dès que la compagnie brandit une nouvelle autorisation, réussissant parfois à faire repousser ses procédures douteuses.

La presse, moins chère que les gorilles…

Côté média, les critiques du projet minier sont rares. Mircea Toma, ancien journaliste pour la publication satyrique Academia Catavencu, ne mâche pas ses mots : «  Les dépenses de communication de la compagnie RMGC ne vont pas uniquement dans la publicité ; une partie d’entre elles sert à bloquer toute publication d’informations critiques et indépendantes. Il s’agit d’éviter qu’un article froissant l’image de la compagnie puisse être publié. »
Mircea Toma sait de quoi il parle : il a en effet quitté l’Academia Catavencu après qu’un de ses articles portant sur le brûlant sujet de l’exploitation minière a été largement modifié avant parution - il a été réécrit sur un ton favorable à RMGC. C’est que le groupe média possédant le journal satyrique avait conclu un contrat de « protection » et de publicité avec la compagnie. Ce qui fait dire à Mircea Toma qu’après la censure de la dictature communiste d’État, celle imposée par l’argent de RMGC est la plus puissante. Même pas besoin de menaces physiques, explique-t-il : « En Roumanie, la presse est moins chère que les gorilles que l’on paie pour intimider les opposants... »

Une transparence à deux vitesses

RMGC se défend des critique. Elle affirme benoîtement communiquer dans le noble but de la transparence et pour informer au mieux les Roumains sur les bienfaits du projet minier. Elle le fait même à l’intérieur de la villa bucarestoise où la compagnie a installé son siège, au cÅ“ur du quartier Primaverii, haut-lieu des apparatchiks durant le régime communiste d’État de Ceausescu. Sur les murs de la belle bâtisse, les mots « communauté humaine », « environnement », « bonnes pratiques », « experts de l’or » jouent de la récurrence pour mieux retentir dans l’inconscient du visiteur. Mais la « transparence  » a des limites : Horea Avram, vice-président de la compagnie et responsable des problèmes environnementaux, refuse ainsi de répondre à certaines questions, renvoyant au service communication. Il assure par contre que le projet respectera la directive européenne des déchets de l’industrie extractive (2006/21/EC) ainsi que la législation nationale. Et il affirme qu’une garantie financière, pour fermer la mine puis nettoyer le site après extraction, sera « probablement  » déposée dans un compte à disposition des autorités roumaines. Un contrat d’assurance avec un broker international prendrait en charge une partie des risques en cas d’accident ou de fermeture prématurée de la mine. Quant à la critique des gigantesques dimensions du projet minier, elle provoque chez le vice-président une réponse se voulant pragmatique : « Cela reflète la viabilité du projet. Avec 13,4 millions de tonnes de minerai exploité chaque année, le projet reste rentable quelles que soient les fluctuation en bourse du cours de l’or ».

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Montagnes de rosia montana. Au fond, la vallée qui serait remplacée par un lac de décantation rempli de résidus miniers cyanurés

Cyanures, toujours

Il y a d’autres chiffres dont la compagnie se vante moins. À commencer par celui-ci : chaque année, 12 000 tonnes de cyanures seront utilisées afin d’extraire les métaux précieux du minerai. Rien d’étonnant à ce que RMGC fasse silence sur le sujet. Ionel Haiduc, président de l’Académie roumaine (équivalent du Collège de France) et chimiste reconnu, souligne en effet l’agressivité des cyanures et les dangers que leur utilisation induit à si grande échelle. Le processus de neutralisation de ces réactifs chimiques n’est que partiel : les restes, contenant des métaux lourds très toxiques et d’autres métaux qui fixent les cyanures, seront déposés dans le lac de décantation. Une méthode utilisée dans plusieurs pays, mais jamais aussi près des communautés humaines : « La ville d’Abrud avec ses 10 000 habitants se trouve à moins de 4 kilomètres de l’emplacement du futur lac de décantation, constate Ionel Haiduc. Alors qu’on installe généralement les mines de cette envergure dans des lieux isolés, afin d’amoindrir les effets d’un éventuel déversement ou d’une infiltration des nappes phréatiques ». D’autant plus problématique que la compagnie n’entend pas en rester là, selon l’académicien : « Ce n’est que le début : il existe des plans d’exploitation pour tous les Monts Apuseni, et notamment le quadrilatère de l’or. »

« La révolution est née à Rosia Montana »

Ces dix derniers jours, des manifestations contre le projet ont rassemblé à Bucarest, Cluj, Alba-Iulia et dans d’autres villes roumaines des milliers de personnes de tout âge. La preuve qu’un nouvel esprit contestataire roumain s’incarne dans la défense de Rosia Montana. Un véritable réveil de la société civile, au sein et autour de cette lutte emblématique. Laquelle cristallise d’ailleurs bien d’autres combats, comme celui contre les gaz de schiste ou contre les OGM. 

En attendant le verdict du Parlement, qui doit statuer ce lundi sur le projet de loi, les gens se mobilisent massivement dans les rues. Ils veulent l’annulation du projet, la démission des politiques impliqués dans son processus d’autorisation et l’interdiction des cyanures dans les activités minières en Roumanie. Et ils se solidarisent avec les mouvements de résistance contre l’exploitation des gaz de schiste et contre les cultures OGM. Mais plus largement encore, un message flotte en filigrane de leur mobilisation : « Nous ne voulons plus de la politique faite par les hommes politiques ! »

Si le projet passe, ce sera la révolution en Roumanie, disent les opposants. S’il ne passe pas, ce sera une première belle victoire pour la société civile roumaine.



1 La plupart des réserves d’or roumaines se trouvent dans les Monts Apuseni, sur un périmètre de 500 kilomètres carrés, appelé le quadrilatère de l’or.

2 Cyanure de sodium et cyanure de potassium, deux réactifs chimiques toxiques, utilisés dans l’exploitation de l’or et de l’argent.

3 Gabriel ressources est l’actionnaire majoritaire de RMGC. L’occasion de revenir sur la genèse de la compagnie : L’affaire Rosia Montana débute en 1997, lorsque le fondateur de la toute jeune compagnie canadienne Gabriel Resources, Frank Timis, bien connu des marchés boursiers et surnommé « The Gusher » (le jaillissant, celui qui agit sans retenue), obtient de l’État roumain une concession aurifère de 7 000 hectares couvrant les communes de Rosia Montana et Bucium. Il crée alors une société mixte, avec pour partenaires la société minière d’État Minvest et sa propre compagnie, Gabriel Resources. De cette fusion naît Eurogold, qui deviendra par la suite la Rosia Montana Gold Corporation (RMGC). En 1998, l’État roumain, via l’Agence nationale des ressources minérales, accorde une licence d’exploitation à la compagnie Minvest, qui la transfère en 2000 à RMGC, pour la somme dérisoire de 3 millions de dollars américains, sans concours d’offres, grâce à un simple décret du gouvernement, signé par le ministre des Industries et du Commerce de l’époque, Radu Berceanu. L’État roumain, via Minvest, détient 19,3 % des actions, et Gabriel Resources est très largement majoritaire, avec plus de 80%. Spécialement conçue pour les affaires minières en Roumanie, Gabriel Resources a plusieurs filiales off-shore dont une à Jersey (celle qui détient 80 % de la RMGC) et une autre aux Barbades, deux paradis fiscaux notoires.

4 Selon, RMGC, l’entreprise proposerait 2 300 emplois pendant la phase de construction de la mine, puis 800 tout au long de son fonctionnement. Mais Françoise Heidebroek, ancienne responsable des analyses économiques et financières dans le cadre de projets financés par des Institutions financières internationales, affiche son scepticisme : « Une étude menée par Independent Mining Consultants pour RMGC, publiée puis retirée du site Internet de la maison mère Gabriel Resources, estime à 248, le nombre maximum d’emplois créés. »

Quant aux bénéfices attendus, là aussi, les points de vue divergent. RMGC parle de 4 milliards de dollars de bénéfices pour la Roumanie, tandis que l’Académie de sciences économiques de Bucarest table sur un gain largement inférieur, qui ne dépasserait pas les 865 millions d’euros. Et ceci dans le meilleur des cas, sur un marché favorable aux ventes d’or. (Extrait du Rapport de la commission de sauvegarde de Rosia Montana, de l’Académie roumaine de Sciences Économiques.)

5 Acte officiel délivré par le ministre de la Culture et qui remet dans le circuit économique et industriel un site archéologique, considérant que sa « valeur » ne justifie pas une protection.


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