ARTICLE11
 
 

lundi 1er décembre 2008

Le Cri du Gonze

posté à 09h10, par Lémi
9 commentaires

Ce que les tatous patagons nous disent du système capitaliste…
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Cool, les tatous ? Plus que ça, même : avec sa grosse carapace et son allure un brin empruntée, la bête a tout de l’icône animalière. Sauf qu’elle n’est pas non plus très maligne… Sur la péninsule de Valdés, la majeure partie de la population tatoutienne a ainsi disparu après s’être un peu trop habituée à dépendre des touristes pour son alimentation. Ça ne vous rappelle rien ?

« La mer de tatous, au loin, oscillait doucement dans la fraicheur du crépuscule patagon. Epaules contre épaules, armures contre armures, les minis-chars d’assaut quadrupèdes n’en finissaient pas de frissonner d’aise. C’est ainsi qu’ils prenaient leur pied, atteignaient l’extase : en troupeau. Stupides bestioles. »

Janus Lumignon, Pour un flirt avec la Pampa, 2008.
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Il en est de la gente animale comme des enseignements de Marx ou des chansons de Balavoine : en abuser outre-mesure serait contre-productif, mais on aurait tort de ne pas s’y référer dans les moments cruciaux.
Qu’on se rassure, Article 11 n’a pas viré SPA-babos mou. Point ne mangeons de ce pain là1. Reste que c’est une évidence : un monde sans animaux serait plus terrifiant, vide et glauque. Eric Chevillard le rappelait récemment dans un entretien, on aurait tort de sous-estimer l’importance de la gente non-humanoïde :

« Le monde sans l’animal, borné à l’homme, serait d’une tristesse infinie. On crèverait bientôt de cet inceste. Or nous vivons dans une insouciance totalement irresponsable vis-à-vis des animaux. Une caille aux raisins et un documentaire animalier nous tirent parfois de notre indifférence, mais elle se reforme vite. Nous le paierons cher. »

On est tout à fait d’accord avec l’illustre Eric Chevillard : de l’animal, on a beaucoup a apprendre. Et sa disparition nous laisserait bien marris. Car ce que l’homme vit, en bien ou en mal, l’animal l’a déjà expérimenté, testé : le machisme et les lions, le communisme et les fourmis, le suicide collectif et les lemmings, le militantisme UMP et l’apathie ovine… Autant de domaines foireux dans lesquels l’animal s’est illustré.
Ainsi du tatou patagon, bestiole quasi préhistorique, soit-disant taillée pour résister des milliards d’années aux aléas de la vie et dont le comportement en période de crise nous en dit long sur le système capitaliste bipède.
Une analogie stupide ? Que nenni. Explication.

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Au commencement était un lieu paradisiaque infesté de pumas, de baleines, de lions de mers et d’une palanquée de créatures merveilleuses : la Péninsule de Valdés. Situé au Sud de l’Argentine, en Patagonie, autant dire au milieu de nul part, le lieu brille autant pour ses paysages que pour sa faune surabondante. Il se murmure d’ailleurs dans les lieux bien informés que Saint-Exupéry, alors pilote de l’Aéropostale, se serait inspiré de la forme particulière d’une ile qu’il survolait fréquemment pour dessiner son éléphant avalé par un boa au début du Petit Prince. Ça vous pose un lieu, mine de rien...

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Et donc, sur cette péninsule, tout est fait pour favoriser la faune animale et maritime : on met en garde les rares touristes en les abreuvant de recommandations, on écologise a tout va, on préventionne à tire-larigot...
Le résultat ? Ça grouille, littéralement. Des genres de kangourous-antilopes galopent dans les broussailles, des baleines s’ébattent a l’horizon en compagnie d’orques farouches, des mouettes-condors tournoient en troupeaux dans le ciel limpide et les tatous… _… brillent par leur absence.

Car, c’est triste a dire, mais de tatous à Valdés, il n’y a plus, ou presque. Il y a quelques années encore, pourtant, ils s’ébattaient par milliers dans les hautes herbes, roulaient dans la pampa en piaillant d’allégresse, multitude bienheureuse. Le paradis du tatou avait pour nom Valdès. Pas une roche qui ne portait la marque de leurs griffes, pas un horizon qui ne s’ornait de dizaines de carapaces s’agitant doucement en cliquetant au rythme de la douceur de vie patagone. Le gibier ne manquait pas, la compagnie non plus, les prédateurs étaient inexistants, bref, tout marchait comme sur des roulettes pour la communauté tatoutienne.

Et puis, un jour, les tatous « comprirent » qu’il était plus facile de mendier la nourriture aux touristes que d’aller la quérir par soi-même. Tous, d’un bloc, ont alors lâché la chasse aux insectes et la course aux rongeurs pour aller faire les pitres devant les hordes teutonnes et japonaises. Comme de juste, ceux-ci se montrèrent réceptifs aux désidératas tatoutiens. C’est que la petite bête, cette sotte, a du charme à revendre. Pas un touriste digne de ce nom pour lui refuser l’aumône d’une chips ou d’une frite mayonnaise. Et les tatous d’engraisser dans la joie et l’allégresse le temps d’un été argentin, gras comme des éléphants de mer.
Bien sûr, cela ne pouvait durer. Un jour, la saison touristique prit fin et la manne se tarit : pendant 6 mois, les touristes désertèrent.

Et les tatous ? Et bien, les tatous attendirent. Chaque jour, ils rappliquaient ventre a terre pour quémander leur pitance. Peine perdue, personne ne les attendait plus. Et la chose de continuer ainsi jusquà ce que, de plus en plus maigres, les tatous dépérissent l’un après l’autre. Trois mois après la fin de l’été, ils étaient quasiment tous morts.

Ça ne vous rappelle rien ?
L’allégresse de et la joie artificielles, le plaisir lâche de se placer entre les mains d’un destin qu’on ne maîtrise ni ne comprend, mais qui semble bienveillant.

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Puis la chute, le jardin d’Eden factice qui devient désert hostile, montre son vrai visage.

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Et chez les victimes, l’incapacité de reprendre leur destin en main, d’envoyer valdinguer la main (invisible) qui nourrit et dans le même temps enchaîne à ses caprices.

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Mmhhhh ?

Bien sûr : cela vous a des petits airs de système capitaliste en période de crise. Le système financier et ses affidés décérébrés jouant le rôle des touristes capricieux et peu dignes de confiance. Et nous, ballotés au rythme d’une crise que l’on nous promet toujours éphémère, on attend les jours meilleurs en niant l’évidence : ce jour meilleur ne pourrait rappliquer qu’en dehors de notre servitude volontaire.
Et, multitude stupide, on attend.
Comme les tatous.

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Lueur d’espoir : il reste quelques tatous sur la péninsule de Valdés, survivants miraculés. Et, désormais, quand un touriste tend un bout de pain, miracle, ils le mordent jusqu’au sang…



1 Et d’ailleurs, à titre personnel, on ne crache jamais sur un bon steack de cheval ou un manteau en poils de chat s’il est bien taillé. Et si notre route croise un jour celle du chien de Michel Drucker, autant vous dire que la bête prendra sévère...


COMMENTAIRES

 


  • lundi 1er décembre 2008 à 10h37, par dav

    Bien vu.

    Tatou dit, tatou bon.

    • mardi 2 décembre 2008 à 18h46, par lémi

      Merci.
      Et Tatou seigneur, tout honneur, en tant que premier commentateur de ce billet a faire une vanne avec « tatou », tu gagnes le tatou d or de la vanne pourrave Art.11, celui qui semblait promis a un certain Zgur. Congratulations



  • lundi 1er décembre 2008 à 11h05, par Benj

    « Le monde sans l’animal serait d’une tristesse infinie »

    Si c’était que ça... mais le monde sans l’animal n’existerait tout simplement plus !
    L’humanité en tout cas, n’aurait aucune chance de survivre à la disparition du reste du règne animal.
    Je ne parle pas de la poignée dérisoire de mammifères (5000 espèces tout au plus, tatou compris) dont la disparition n’aurait sans doute pas un impact important, mais des millions d’autres qui sont indispensables à la survie de leurs écosystèmes terrestres ou aquatiques.
    Eliminez les vers de terre de la planète : plus aucune agriculture n’est possible ; supprimez les crustacés des océans : plus de poissons !
    Heureusement ça ne risque pas d’arriver : l’homme disparaitra bien avant le dernier insecte et la dernière éponge, qui en ont vu d’autres.

    • mardi 2 décembre 2008 à 18h52, par lémi

      Tout a fait d accord. A ceux qui ne seraient pas convaincus, je conseille d ailleurs l écoute du must chansonnier sur la question, « animal on est mal », par gerard Manset. Absurde et croustillant, et tout à fait révélateur du malaise animalier actuel. D’ailleurs si les ordis Chiliens tout pourris n étaient pas ce qu il étaient, a savoir des ordis tout pourris, j’aurais mis la chanson en fond sonore du billet.



  • lundi 1er décembre 2008 à 12h28, par Françoise

    Si tu entends le tatou crier, tu peux trembler ! (Vieux proverbe patagon).

    Qui sait si on n’entendra pas, un matin ou un soir, des fenêtres de l’Élysée, le cri des tatous affamés ?

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/

    • mardi 2 décembre 2008 à 18h59, par lémi

      Je m’interroge, du coup. A quoi peut bien ressembler un cri de tatou ? Un genre de miaulement néandertalien ? de Feulement caverneux ? de piaillement perçant ?
      En tout cas, j aimerais voir la tête décomposée du locataire de l’Elysee quand le premier cri de tatou déchirera l air, le jour de l insurrection (« qui vient », faut il encore le répéter ?) géneralisée.
      En attendant, j affute ma carapace.



  • lundi 1er décembre 2008 à 22h25, par wuwei

    Ta tout dit !

    • lundi 1er décembre 2008 à 23h46, par onoée

      Oui, à quelque chose près : demain il y aura un loup noir derrière chaque tatou.
      Et ce loup noir..., ce sera le flic Bien de chez nous.
      T’as tout, oui, mais nous on t’a Bien.
      Et on ta-Basse fort !!!

      Voir en ligne : http://www.parallelement.fr/

      • mardi 2 décembre 2008 à 19h07, par lémi

        Tatou juste. Face a l’émergence des tatoués, accusés de marginalisme (bandes de pounks), voire pire (« avoue, racaille, t’as t(o)ué »), la recrudescence de forces de l ordre ne tardera pas à s annoncer. ceci dit, un loup, même adopté, il y a toujours un moment où il rejoint la vie sauvage (cf « l appel de la forêt »). Tout n est pas perdu donc.

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