ARTICLE11
 
 

jeudi 9 octobre 2008

Entretiens

posté à 00h05, par PT
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David Foenkinos : « J’ai tout dit ! Maintenant, je peux faire un roman sur un gigot dépressif en Suisse »
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L’amour est-il soluble dans la littérature ? Une question qui n’en finit pas de hanter David Foenkinos, l’un des romanciers les plus fertiles de sa génération. Boosté par le succès du « Potentiel érotique de ma femme », le jeune « Dav Foenk » a le chic pour accoucher de textes doués d’une réjouissante mélancolie. Avec « Nos séparations », il récidive brillamment. Interview.

Une pièce de théâtre1, un roman, des projets cinéma : c’est ce qui s’appelle occuper la scène. Pour autant, David Foenkinos (photo ci-contre) n’est pas de ces écrivains qui cannibalisent les médias. Ou pas encore. A 34 ans, l’auteur du « Potentiel érotique de ma femme », gros succès d’édition de l’année 2004, s’est taillé une solide réputation de conteur fécond, loin des contemplateurs égotiques qui fournissent le gros des troupes hexagonales. Malin, il a laissé passer la vague de la rentrée littéraire pour offrir en ce mois d’octobre un roman délicat, « Nos séparations », tout entier consacré à l’amour et ses impossibilités. Fritz et Alice s’aiment, se déchirent, se retrouvent, se laminent, du classique. Mais les rebondissement se bousculent, le rythme s’affole, et le lecteur jubile. Alors, heureux ?

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Article11 : « Nos séparations » s’est installé ces jours-ci en librairie : c’est désormais un texte qui ne t’appartient plus…

David Foenkinos : Oui c’est vrai ! Et c’est valable dès le mot « fin », car j’aime bien vite me concentrer aussitôt sur un autre projet. Je suis nostalgique de beaucoup de choses, sauf de mes romans ! D’ailleurs, certains d’entre eux sont en cours d’adaptation, et je ne veux pas travailler sur le scénario. Car ce qui est fait est fait ! Alors maintenant ça appartient aux lecteurs, en espérant qu’ils ne soient pas deux.

Quel est le climat psychologique en période de sortie de roman ?

C’est le septième, alors je suis un petit écrivain rodé. Je n’ai jamais été très angoissé par la sortie d’un livre. Et c’est vrai qu’en ce moment, je pense surtout à ma première pièce de théâtre, car c’est une expérience nouvelle. Mais pour le roman, les premiers papiers sont bons, et j’ai des rendez-vous aussi avec des productions en vue d’un film. Je considère que tout ce qui se passe est comme du bonus. Je n’attends rien de particulier. C’est peut-être idiot de penser ça : mais je considère que le plus dur est fait : l’écrire.

Un réalisateur de film a le nez collé sur les chiffres dès après la première séance : les terreurs statistiques sont-elles identiques pour un romancier ?

Non. Et je vais même te dire : je ne sais même pas mon tirage ! Pourtant je m’y intéresse, ce n’est pas ce que je veux dire. Mais les chiffres, on les obtient plus tard. Plusieurs mois après, alors on ne peut pas suivre ça comme un réalisateur. Mais il y a des baromètres du succès, comme le nombre de messages sur Facebook ! C’est à ça que je calcule mes ventes !

Une sortie c’est aussi le moment des critiques ; de ce que j’en ai lu, l’accueil est plus qu’aimable. Quelle place occupe ce paramètre ?

C’est très important la critique, même si je préfère surtout avoir des lecteurs. Mais le livre est sorti il y a trois jours, et il y a déjà pas mal d’articles en route. Mais c’est encore trop tôt pour faire un bilan.

Bernard Pivot a écrit dans le « JDD » que c’est un roman plein de charme, que l’on quitte à regret2. Quand tu étudiais les lettres à la Sorbonne, tu imaginais qu’un jour le type qui a tenu la baraque dans Apostrophes pendant 25 ans allait s’envoyer en l’air avec tes textes…

Non ! Et je dois dire que puisqu’on parle des critiques, ça c’était un rêve ! Pivot a été le premier a parler du livre… et j’ai des échos en ce moment qui me disent qu’il en parle souvent ! Mais de là à dire qu’il s’envoie en l’air, ça, c’est ta responsabilité !... J’ai lu aussi dans un journal que Marie Gillain aimait mes livres, ça aussi, ça me fait plaisir !... Pas le même genre que Pivot, mais elle aussi, je l’adorais quand j’étais à la Sorbonne… l’époque de « L’appât ».

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En parlant de ce qui s’écrit sur « Nos séparations », on te met en garde : en farfouillant sur le net, on est tombé sur un site marchand qui sous couvert de refourguer quelques exemplaires, déballe carrément le fin mot de l’histoire…

Ah oui ! J’ai vu ça… sur un site, ou quelque part, je ne sais plus. C’est dommage. Surtout qu’à la fin… ils achètent un chien !... Non, ce n’est pas vrai ! Mais c’est très important pour moi l’histoire, j’ai envie que le lecteur prenne du plaisir, alors c’est un peu dommage de savoir la fin. Mais bon, c’est déjà bien que ce soit la bonne fin… parfois sur le net, on retrouve des résumés qui ne résument pas du tout mon livre !

Je ne voudrais pas en faire des tartines avec Pivot, mais il ajoute à propos du roman qu’il est le tenant d’une tradition française : s’amuser de ce qui serre le cœur. C’est quoi le romantisme à la française en littérature ?

C’est drôle ça, car je ne me pensais pas du tout être dans un tradition française. Je veux dire mes livres sont plutôt drôles et imaginaires, etc… et pourtant je me souviens que mon éditrice allemande m’a dit : votre livre, c’est le charme à la française. En fait, je m’exporte bien, car j’évoque le charme à la française malgré moi !... Mais je vois ce que veut dire Pivot (enfin, maintenant qu’il a parlé de mon livre, je peux me permettre de le flatter !), c’est le côté un peu nostalgie douce, et mes livres sont très influencés par l’univers de Truffaut.

Quel est ton regard sur la création contemporaine ? Le landernau des auteurs français ? On te sait pote avec Jaenada, Joncour par exemple…

Oui c’est vrai que j’aime bien les écrivains qui commencent par un J. Je me sens proche de ceux qui ont de l’humour, ceci étant dit, l’année dernière, j’ai été très marqué par le livre de Philippe Forrest, « Le nouvel amour ». Jean-Philippe Toussaint aussi a eu son importance pour moi, surtout ses premiers romans comme « La Salle de bains » ou « La Télévision ».

Les rapports amoureux sont au centre de chacun de tes romans. La seule matière dont on ne viendra jamais à bout ?

Je ne fais pas exprès !… Mais c’est vrai qu’il y a des thèmes récurrents, et aussi des détails que j’aime retrouver. Comme les cheveux lisses. Mais c’est vrai que c’est un thème infini, et je l’explore encore avec « Nos Séparations ». J’avais envie de raconter une histoire d’amour sur 20 ans, un peu comme dans le film « Quand Harry rencontre Sally ». Et puis, ça parle aussi du syndrome du premier amour, celui qui ne finit jamais vraiment. Alors, je crois que maintenant, j’ai tout dit !... Je peux faire un livre sur un gigot dépressif en Suisse.

Dans « Les cœurs autonomes » en revanche, tu étais sorti des clous…

Mais non ! C’est peut-être mon livre le plus centré sur une histoire d’amour. L’histoire de Florence Rey, qui a inspiré le livre, est une histoire hautement passionnelle. Mais c’est vrai que, pour une fois, ce n’était pas un livre de totale imagination. Donc, dans ce sens là, c’était une sortie des clous. C’était pour une collection qui demandait aux écrivains de s’inspirer d’un fait divers réel3. A ce moment là, je voulais vraiment changer d’univers, m’échapper du drôle, respirer, comme un adultère de l’imagination.

« J’ai le syndrome de la page noire »

Autre trait commun dans ton travail : les héros atteints, sinon de TOC, à tout le moins de troubles du comportement amoureux. D’où viennent ces manies insistantes ?

Ce sont des héros obsessionnels. Pour moi, c’est comme le travail de l’écrivain. Je passe mon temps à m’étourdir de détails. L’obsession, c’est la façon de se rassurer. Et je veux que mes héros parviennent à se détendre vers le mot « fin ». Mais ce sont des folies douces, jamais graves. Parfois, il s’agit simplement d’aimer l’oreille d’une femme.

Ton précédent roman, « Qui se souvient de David Foenkinos ? », a failli s’intituler « Alice ». Or Alice est devenue un personnage pivot de « Nos séparations ». J’ai posé la même question à Philippe Jaenada (il avait bien aimé) : que deviennent tes héros ? Survivent-ils à ceux qui leur succèdent ?

J’adore les ponts entre les livres. On retrouve par exemple toujours deux Polonais. Mais ce ne sont jamais les mêmes. Je veux que les livres soient indépendants. Alice correspond à mon désir de l’héroïne. Tout comme le fut Jean-Jacques. Ou maintenant Fritz. C’est tellement important de trouver un prénom. C’est presque tout le travail d’un personnage. Après c’est facile. Alice a des attitudes d’Alice. Pas besoin d’expliquer. Ce n’est pas la même que dans « Qui se souvient de David Foenkinos ? », mais elle a forcément les mêmes caractéristiques des Alice, cette façon catholique de dire « oui » par exemple.

Dans « Qui se souvient de David Foenkinos ? », tu campais un personnage pas loin d’être autobiographique aux prises avec le syndrome de la page blanche. Question bateau : c’est une angoisse prégnante chez l’écrivain ?

Non, c’est le contraire. J’ai le syndrome de la page noire. Alors j’essaye de décrocher. Je publie trop. Alors, j’ai trouvé : écrire pour le théâtre. Mais rien à faire, j’ai déjà un nouveau roman qui me grimpe dans la tête.

Avec ce livre, tu cherchais aussi à donner un prolongement au succès du « Potentiel érotique de ma femme », en interrogeant sur ses incidences, les exigences qui en découlent ?

Je cherchais surtout à rencontrer une femme suisse dans un train ! Mais c’est vrai que tout a découlé du succès du « Potentiel… ». Je me suis dit : et si je n’arrivais plus à écrire ? Et si je n’avais plus d’idée ? C’est le point de départ de ce roman où le personnage, David Foenkinos, cherche à retrouver son idée perdue dans un train. Cette idée qui lui permettra de renouer avec le succès. C’est un livre qui annonce « Nos Séparations », car je crois que le thème principal est la nostalgie.

Tu as déclaré dans une interview sur le net : « Même quand je n’écris pas je suis en train d’écrire. » Et quand tu as fini d’écrire, que le roman est entre les mains du lecteur, qu’est-ce que tu deviens ?

Mais je suis en plein cœur d’autres projets !.... Des pièces, un film… et j’ai replongé, mince !, pour un nouveau roman. Mais c’est vrai qu’écrire, ce n’est pas réduit au moment où l’on est devant son ordinateur. C’est un processus qui ne s’arrête jamais. Un coin de son cerveau dédié à un monde parallèle. J’ai lu récemment le livre d’entretiens avec Woody Allen, c’est assez drôle de voir son rapport à la douche. Il en prend plusieurs par jour, car c’est l’endroit propice selon lui. Son imagination est très douche.4



1 « Célibataires », avec Catherine Jacob et Christian Charmetant, jouée au Studio des Champs Elysées, à Paris.

2 L’intégralité de l’article est à retrouver ici.

3 Collection Ceci n’est pas un fait divers, chez Grasset, à laquelle contribua également Philippe Besson avec le très décrié « L’enfant d’octobre », qui s’attardait sur l’affaire Villemin.

4 Entretien réalisé par mails.


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