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samedi 16 janvier 2010

Le Cri du Gonze

posté à 11h24, par Lémi
11 commentaires

« Play with fire » : Sir Jagger 65 au microscope
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1965, les Stones n’ont pas encore déferlé sur le monde avec leurs gros sabots à paillettes. Il reste au blondinet Brian Jones quatre ans de sursis avant son funeste bain dans une piscine et Mick Jagger en est encore à peaufiner ses trucs de scène. Mais, pas d’erreur : c’est bien les derniers détails de son entrée en scène planétaire que le groupe de jeunots met au point. La preuve…

Gosh, quelles têtes à claques ! Et, surtout : quelle tête à claque ! Ils sont cinq à se foutre du monde, immobiles et méprisants, mais l’homme aux lèvres d’or les surpasse largement, aimante l’attention. Affalé sur son bolide grand luxe, surjouant la retenue, il déploie ostensiblement son piège hormonal, salaud aux faux airs candides. La foule tremble, se liquéfie, Sir Jagger est en chasse. La proie ? L’intégralité des minettes du monde occidental.

Trente fois qu’on regarde ces images, et toujours on hésite : encenser ou ironiser ? Le roi lippu contrôle tellement ses effets, on voit en lui tant de tics qui, plus tard, deviendront sa bouffissante marque de fabrique, qu’on oscille entre deux pôles, manichéisme hésitant ; cet homme-là ne peut qu’être aimé à la folie ou détesté dans les grandes largeurs, pas de compromis, pas d’hésitations possibles. Hypnotisé par ces improbables gros plans, tu te rends à l’évidence : déjà il maitrise tous ses trucs, du coup des grands yeux innocents à celui du sourire doucereux et méprisant en passant par cette terrifiante lippe en embuscade. L’animal Jagger dans toute sa splendeur, terrifiant, même au repos. Et quand soudain il fait mine de jaillir, l’effet ne se fait pas attendre. 1’45, Jagger sourit un peu plus franchement, moqueur en coin et illico ça défaille dans les allées : cris hystériques, orgasme teen collectif. Le salaud.

A dire vrai, Play with fire, enregistrée en 65 en face B de The Last Time (autre festival d’yeux papillotants, à voir ici), n’est généralement pas considérée comme très représentative des Stones. Trop linéaire, monocorde. Et puis, cette version live est à l’exact opposé de la mythologie stonienne : pas de tortillements jaggeriens, absence de l’alter ego Keith Richards (qui ronfle dans son coin avec ses partenaires), pas de crachotements d’amplis… Surtout, Jagger est ici presque anti-Jagger : il ne fait rien, ne bouge pas, ne tressaute pas, ne roule pas des hanches comme à son habitude. Impassible. Seule sa bouche et ses yeux font le boulot, le reste n’est que nonchalance étudiée.

Alors pourquoi parler de cette chanson ? Mh… outre un goût personnel très prononcé pour ladite perle, je dirais que c’est justement dans cet éloignement de la mythologie que le sens se fait, que les Stones - au premier rang desquels sir Jagger - révèlent le plus sur eux mêmes. Ils n’en font pas des tonnes, ne revêtent pas leurs bruyants habits d’apparats, à nu. Rassemblés, immobiles, ils se prêtent au microscope. La preuve en quatre gros plans disséqués.

La moue

On a tout dit sur la moue de Mick Jagger, sur ses airs de sainte-nitouche prétentieuse et ses postures de lombric mégalo, et toujours on a été loin du compte. 1965 et déjà tout est là : Roll Over le reste du monde et advienne que pourra. Tant qu’il y aura des filles pour hurler dès qu’il s’humecte les lèvres, Jagger continuera à parader.

Ici, les deux excroissances lippues n’en font pas des tonnes, elles se contentent de briller tranquillement, sereines. Tout est dans la retenue, dans l’attente, on dirait Manolete méditant une Véronique d’envergure, attendant le moment propice pour porter l’estocade. Soudain, plop !, elles s’entrouvrent, fruit mûr, 12 sur l’échelle de Casanova, et tout se désagrège dans un tourbillon d’hormones en folie.

Les yeux

Brrr, qu’il est fourbe ce Jagger ! Ça papillote, ça joue des cils, ça prend un air profond. Quand il regarde droit dans la caméra, on voit clairement les millions d’impulsions hormonées remonter les canaux cathodiques avant de prendre leurs aises dans les culottes des gamines affalées devant leur télé. 1965, Jagger commence juste à s’immiscer et déjà on sent bien qu’il n’est pas prêt de lâcher l’affaire, que Balavoine a bien raison : « Chanteurs de charme, rendez-nous nos femmes ! » Les Stones n’en sont qu’à leurs débuts, mais déjà tu peux tu lire dans les prunelles du roi du rock leur destin à venir, sex, drugs &, rock’n’roll, le tout enrubanné de clins d’œls suaves autant qu’imparables.

La bagnole

Who les ringards ! On dirait de minables gominés en sortie de boîte de night, des fils à papa qui draguent avec la turve paternelle - Je te laisse la prendre ce soir, mais tu tonds la pelouse demain. Unique élément du décor, la grosse bagnole blanche, racée, n’illustre pas seulement les paroles de la chanson : elle prouve que chez les Stones, tout est dans l’accessoire, la parure, la pose. Cette Brand New Cadillac est tout sauf dispensable, elle est l’élément validant ce qu’on pressentait : on est bien chez les rois du rock, ceux qui savent se doter du nécessaire pour la frime.

Les paroles

Uhuh, on se marre : Mick le dragueur fou le dit ici sans détour, il est sur la défensive sentimentale, il a rencontré une fille coriace, une bourge de la haute qui - la salope - se permet de jouer avec lui ! Elle se la ramène avec ses diamants, ses parents logent dans des palaces, etc. mais « elle ferait bien de faire gaffe à ce qu’elle fait » ou alors elle va pas tarder à « rentrer chez sa maman » en pleurant. On pense à Marianne Faithfull ou Anita Pallenberg, abandonnées en chemin comme des kleenex usagés. Et on se dit qu’au moins, il avait le mérite de la franchise…

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C’est en 1965 que les Stones sont rejoints par un certain Andrew Loog Oldham, qui devient leur manager. Bourré d’idées, convaincu qu’il faut que ses boys surjouent les mauvais garçons, il ne va pas tarder à imposer sa patte sur l’image du groupe. Exit la naïveté, celle qui transparait encore un peu ici, place au show.

Et c’est quand, beaucoup plus tard, devenu sosie officiel de Bernard Kouchner1, Jagger endosse des robes de chambres en lamé doré et prend des poses théâtrales que sa posture se désintègre : Jagger devient plagiat de lui-même, pantin grotesque.

A l’évidence, il y a bien un moment où les Stones meurent, s’évanouissent dans leur propre reflet. Comme l’écrit François Bégaudeau dans le très recommandé Un Démocrate : Mick Jagger, 1960-1969 (éditions Naïve), la magie s’évanouit un jour, et eux continuent à rouler, pierre de moins en moins inspirée. Bégaudeau fixe la date de leur mort au 6 décembre 69, ce jour où à Altamont leur service d’ordre Hells-Angelsien mit à mort un spectateur noir :

La vérité, c’est que Mick Jagger est né au printemps 60, et mort le 6 décembre 69. Et je dirai comment. C’est précis, c’est daté, c’est du document, ça se vérifie dans mes registres. Sur Mick Jagger je sais tout. Rien lu rien étudié, compulsé nulle archive, dépoussiérée, nul cadastre déterré, nulle relique, je sais tout.



1 Et Keith Richards celui de Jack Lang, c’est bizarre.


COMMENTAIRES

 


  • samedi 16 janvier 2010 à 14h55, par namless

    Quel contraste par rapport au premier extrait, très frais, où l’on se cherche. Le deuxième exhale des relents de faisandé. Les groupies eux aussi ont la voix plus rauque, les cheveux blancs, les Converses en cuir ou Docs orthopédiques (3 heures debout !) au pieds. Leur idole est là, elle chante pour eux, à prix d’or, enveloppé dans une couverture de survie. Pathétique papillotte qui aura échangé sa Silver Cloud contre une prime à la casse pour l’achat d’une Prius, tellement plus ... raisonnable !

    • lundi 18 janvier 2010 à 00h54, par lémi

      Ouaip, le jour et la nuit. Et encore, la « pathétique papillotte » (joli) dans sa couverture de survie n’en est qu’à ses débuts en matière de décrépitude. 1989, Sir Jagger a encore des progrès à faire en matière de boursouflure scénique...



  • samedi 16 janvier 2010 à 22h33, par pièce détachée

    L’orchestration de la deuxième version, on dirait la musique d’un porno soft agace-cul, en sourdine dans le mini-coin-télé, tôt dans le cœur de la nuit après la fermeture du bal des catherinettes, chez un retraité pourrave du PCF (Label 5™, le whisky des lendemains qui chantent, camarade). [1]

    Pour la bonne bouche (pfff...) : une autre vidéo des Stones (1967) sur une autre chanson (méconnue). En noir-et-blanc foutraque d’abord, et après, « in proper colour and decent quality » pour les gens bien, mais toujours aussi outrageant. Avec un Jagger à rendre encore plus jaloux (hinhin), un « LOL Brian Jones is fried » (commentaire sur You Tube), et Marianne Faithfull en Nitouche déjà androgyne (ça sent le ver dans le fruit), à qui tout ça fera passer le goût des trilles de rossignol pour éructer son seul truc un peu écoutable, A Child’s Adventure (1983) — orchestrations épico-stromboscopiques, irlandisantes au besoin, mais débordées de partout par une voix et des paroles complètement fuck off. Dommage que Jagger il était déjà en Lord-papy-robe-de-chambre quand il a croisé Carla Bruni. La déchéance de celle-ci aurait au moins du style.

    [1] Les commentaires sur mon imagination débordante sont fermés.

    • lundi 18 janvier 2010 à 01h09, par lémi

      Mh, clair que ton cerveau ne cesse de m’épater (pourquoi fermer les commentaires ?). Si je vois tout à fait le côté easy-listening porno (avec les petites notes pourries au synthé, doudou, dou, doudou), j’ai plus de mal à visualiser le côté retraité pourrave du PCF ingurgitant sa dose de fanfreluches viagratesques. Ou en tout cas, je n’y aurais pas pensé de moi-même. (Georges Marchais a fait du porno ?)

      Quant à ta pépite, elle gigote tant et plus, un coup à fatiguer les yeux mais décapsuler le cervelet. Quelle idée de l’avoir passée en couleur, aussi ? Le fried zombie Brian Jones est beaucoup plus effrayant en couleurs d’époque.

      Dommage que Jagger il était déjà en Lord-papy-robe-de-chambre quand il a croisé Carla Bruni. La déchéance de celle-ci aurait au moins du style. On ne saurait davantage opiner, ou alors on passerait salement épileptique.



  • dimanche 17 janvier 2010 à 16h01, par un-e anonyme

    Ah ! Bégaudeau.........

    « Rien lu rien étudié, compulsé nulle archive, dépoussiérée, nul cadastre déterré, nulle relique, je sais tout. »
    Ça doit bien faire trente ans que d’autres ont fixé la mort des Stones après Altamont et il arrive loin derrière pour inventer le fil à couper le beurre.

    J’en ai lu un de Bégaudeau, excellent vaccin contre la récidive ;-)

    Sir Mick, c’est un business man planétaire. Je n’aurais pas pensé à analyser le parcours mais c’est vrai que c’est troublant les deux vidéos, de « l’innocence enfantine » au kitchissimes dorures. Quand même, il y a bien un tas de vieux qu’aimeraient avoir sa gueule et sa vitalité.

    • lundi 18 janvier 2010 à 01h12, par lémi

      Bah je pensais la même chose de Bégaudeau, mais celui-ci, s’il ne brille par l’originalité du propos, brille par le style, enfin je trouve. Je partais soupirant d’avance, et puis non, Bégaudeau parle très bien des Stones, je persiste, signe et t’encourage à aller y jeter un oeil.

      • lundi 18 janvier 2010 à 08h25, par Isatis

        Ben alors........... je vais y aller chercher ce bouquin, en trainant les godasses, puisque c’est toi qui le dit et que j’aime les Stones.

        N’empêche, c’est (c’était) des blues men blancs ces mecs, pas étonnant qu’ils aient invité ce Wolf que je ne connaissais pas.



  • dimanche 17 janvier 2010 à 19h39, par The great rock’n’roll Swindle

    les rolling stones : peut être LE groupe le plus surfait et donc un des plus commerciaux et manipulés de l’histoire du rock...
    On les a vus dans le film sur l’effondrement de l’argentine (2001)lorsqu’ils étaient fiers de rendre visite à leur ami l’escroc et chef d’état néo libéral Carlos Menem avant qu’il ne prenne la fuite...
    Ce sont les mêmes qui par opportunisme avaient fait le risible « street fighting man »...Une farce...
    A part ça, rien.

    Ah si :« jamais eu l’impression de vous être fait avoir ? » a dit Johnny Rotten à la fin du dernier concert des Sex Pistols. Lui, au moins, il l’a dit.

    • lundi 18 janvier 2010 à 01h28, par lémi

      Ouaip, en fait c’est le grand drame des Stones, ne pas avoir su (ou pu) s’arrêter à temps, avant qu’ils ne deviennent des pantins abonnés aux stades et aux réceptions de Carlos Menem. De l’escroquerie, ok, mais pas au début...

      A part ça, rien. : tu es sévère. ils ont aidé Howlin Wolf quand il était dans la mouise en le faisant venir sur des plateaux télé. Ca compte...

      • lundi 18 janvier 2010 à 12h13, par The great rock’n’roll Swindle

        Ce qui fait le plus mal c’est d’imaginer la honte que le grand Howlin’ Wolf a dû ressentir d’avoir été trop fauché pour refuser de servir de caution à cette bande de joyeux cockneys et de petits blancs qui récupéraient -si mal- sa musique.

        Preuve qu’il y a la lutte des classes dans la musique aussi.

    • mardi 19 janvier 2010 à 23h45, par Bonzo

      Entièrement d’accord sur l’aspect commercial de leur carrière, Jagger n’a pas fait la London School of Economics pour rien.
      Néanmoins, pour les avoir vu en concert récemment, ils ont beau être vieux et cessé d’être créatifs, ils surpassent en intensité 83% des groupes actuels. Ils ne sont peut-être pas à la hauteur de Iggy Pop, qui trouve toujours le moyen de se mettre à poil et se branler sur ses amplis à chaque concert, mais quand même.

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