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mardi 17 février 2009

Le Charançon Libéré

posté à 10h53, par JBB
23 commentaires

Quand l’homme dérange : transports en commun et encombrement humain.
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Si vous n’étiez pas là, il en serait fini des trains qui n’arrivent jamais à l’heure… Une évidence que rappellent deux récents faits presque anodins, l’interdiction des baisers sur un quai de gare anglais et la campagne de responsabilisation des usagers lancée par la RATP. Conclusion ? Il serait peut-être temps de se débarrasser de ces voyageurs qui font rien tant que se comporter de manière irrationnelle…

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L’homme ?

Allons : pas de gros mots.

S’il vous plaît…

Dites plutôt : l’usager.

Personnes désormais fichées, filmées et surveillées en permanence.

Gens dont on se méfie et corps social qu’on redoute.

Individus suivis pas à pas, tous sur la même ligne et que pas un ne dépasse.

Uniformité de clones urbains qu’on entend ramener à la seule juste mesure qui soit, celle de moutons mécanistes et quasi-robots.

Pour que cette société du futur - déjà la nôtre - tourne à plein régime, usine humaine aux rouages bien huilés et engrenages parfaits.

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En ce monde de vitesse et d’efficacité, l’homme, celui qui aime, ralentit, réfléchit, respire, prend son temps, change d’avis comme de chemin, marche à contre-sens ou sort des clous, s’impose de plus en plus comme une gêne.

Un désagrément.

Un facteur d’emmerdements.

Et les transports en commun fournissent une parfaite illustration à cette prétentions des grandes structures du corps social à réguler et ratiboiser nos humanités.

Evidence que Manue, militante du Réseau pour l’abolition des transports payants, rappelait récemment sur ce site, notant que « les transports en commun sont devenus un lieu d’expérimentation des politiques répressives et comportementalistes ».

Et amer constat que deux petits faits anodins - mais ô combien révélateurs - viennent d’entériner.

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Il n’est guère de limite à la connerie.

Et les dirigeants de la compagnie anglaise Virgin Rail viennent de brillamment le prouver.

En apposant, sur les quais de cette gare de Warrington dont ils ont reçu concession d’exploitation, un panneau interdisant aux voyageurs de s’embrasser.

Pour l’évident motif que les baisers d’adieu et autres attouchements sentimentaux provoquaient des « embouteillages » sur les quais.

Encombrements susceptibles de causer des retards, soucis d’exploitation et autres grippages majeurs de la machine à voyager.

Soit autant de problèmes pour une compagnie de chemin de fer qui s’est donnée - ironie qu’elle n’a même pas dû percevoir - pour joli slogan une maxime vantant la rapidité de notre siècle si pressé : « Love every second. »

Sans déconner…

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En comparaison, les usagers français du métropolitain sont privilégiés.

Eux qui ont encore le droit de coller leurs lèvres là où ils le souhaitent, d’échanger un peu de salive avec l’élu(e) de leur choix et même - qui sait - de se coller amoureusement à un être vivant.

Une latitude qui ne saurait durer.

Tant les dirigeants de la RATP font preuve de ce même souci de réduire l’humanité de ceux qu’ils transportent.

Transformant leurs clients en simples gêneurs, qu’il convient de responsabiliser et mettre au pas.

Ainsi que le souligne une nouvelle signalétique mise en place sur la ligne 13, laquelle fonctionne tellement mal que c’est miracle quotidien si les voyageurs ne mettent le feu aux stations à force d’énervement.

Initiative relevant, ce que note Bakchich, d’une « communication comportementale » censée rappeler chacun à ses responsabilités.

Et destinée à souligner « les efforts qui sont réalisés par les exploitants pour améliorer le service, et (à) sensibiliser les voyageurs sur leur possible contribution via une modification de leur comportement ».

Le dispositif imaginé - pour la modique somme de 150 000 € - rappelle ainsi chacun à ses devoirs.

Et réussit cet audacieux renversement de perspectives « de culpabiliser l’usager (…) et de lui montrer qu’il est le seul responsable des retards dans la succession des rames », comme le constate le blog Le Chasse-Clou en un billet intitulé C’est le voyageur qui gêne.

Constat illustré de photos que je me permets de reproduire ici :

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Qu’il s’agisse d’interdire aux voyageurs de se bécoter sur les quais.

Ou de lui intimer l’ordre de se presser au nom d’une inexistante responsabilité collective et pour l’effarante raison que prendre son temps pour quitter la rame équivaut à « retenir le métro ».

C’est au fond une même logique qui transparaît.

Laquelle fait du transporté un emmerdeur dont il s’agit de canaliser toute prétention à l’individualité.

Et des comportements humains des obstacles à la rapidité et à l’efficacité des machines.

En ce monde de vitesse et de contrôle, il faut se féliciter que l’homme ait encore une petite place.

Ça ne va pas durer…


COMMENTAIRES

 


  • mardi 17 février 2009 à 11h50, par Françoise

    Les usagers ? Mais voyons, il faut réviser ton vocabulaire. Il n’y a plus que des clients. Clients qui payent leurs trajets plein pot et sont suivis à la trace...

    http://www.rue89.com/2009/01/31/bol...

    […] des comportements humains des obstacles à la rapidité et à l’efficacité des machines.

    En effet ! Les « usagers » usagés qui veulent en finir avec la vie sont priés d’aller le faire ailleurs que sur les voies de chemin de fer, ça perturbe trop le trafic...

    La SNCF va tenter de limiter le nombre de suicides sur les voies de chemin de fer, en forte augmentation en Ile-de-France, et qui créent d’énormes perturbations dans le trafic, a indiqué lundi Jean-Pierre Farandou, en charge du transport régional de l’entreprise.On constate une « forte recrudescence » du nombre de suicides sur le réseau SNCF en Ile-de France, avec une hausse de 22% en 2008 par rapport à 2007 (181 contre 148), soit en moyenne un tous les deux jours, a relevé M. Farandou, lors d’une conférence de presse sur le transport régional. Les suicides entraînent « forcément une interruption très longue » du trafic, en général de deux heures en raison de l’intervention de la justice, de la police, puis des pompiers ou des pompes funèbres, a continué Jean-Pierre Farandou. Une centaine de trains et jusqu’à 100.000 voyageurs peuvent être retardés par un suicide, a-t-il précisé. D’autant que c’est aux heures de pointe que les suicides ont le plus augmenté, d’après la SNCF (+72% entre 2007 et 2008). Si la SNCF « n’a pas l’ambition de traiter les causes profondes », il s’agit de « dissuader les gens de choisir le train pour se suicider » […]

    http://www.google.com/hostednews/af...

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/



  • En voyant ces autocollants dans le métro j’ai eut envie d’en rajouter du style « quand j’ai envie de pisser je vais aux toilettes » ou encore « quand j’ai sommeil je vais au dodo » ou « quand j’ai faim je bouffe ». Au delà de l’infantilisation des usagers, c’est le gachis de fric ajouté à une pollution visuelle qui me choque. Combien la RATP a payé pour engraisser une agence de com à faire ça ? Cette somme ne pourrait-elle pas aider à payer des salariés en plus par exemple, ou à être moins dépendant de la pub qui envahit de + en + d’espaces ?

    • « Combien la RATP a payé pour engraisser une agence de com à faire ça ? »

      D’après Bakchich, 150 000 €. Autant dire que les boîtes de comm savent comme personne rentabiliser trois slogans débiles, sans doute dénichés en deux trois mouvements par un stagiaire quelconque…



  • mardi 17 février 2009 à 14h22, par Irène Delse

    Cette affaire de baiser interdit sur les quais, c’est de la folie furieuse. Mais les Anglais sont plus avancés que nous en matière de régimentement de la la société, avec l’inflation de caméras de surveillance, etc.

    Les autocollants dans le métro... Hélas, c’est débile, mais cela correspond à une certaine réalité : les gens se bouscule, retiennent les portes, etc., tout simplement parce qu’il n’y a pas assez de trains sur certaines lignes ou à certaines heures ! Évidemment, ça met les usagers (ha, les clients, s’ils préfèrent !) à cran...

    Voir en ligne : http://www.irenedelse.com

    • « Cette affaire de baiser interdit sur les quais, c’est de la folie furieuse. »

      Oh que oui. A ce point de bêtise, ça touche presque au sublime…

      « Évidemment, ça met les usagers (ha, les clients, s’ils préfèrent !) à cran... »

      Oui. Et encore : je trouve les gens très très disciplinés sur ma ligne (la honnie ligne 13) : chaque jour, c’est la merde, avec ce même message en boucle annonçant un énième retard ou problème technique ; et chaque jour, ils serrent les dents et prennent leur mal en patience. Pour être franc, je m’étonne à chaque fois qu’il n’y ait pas d’émeute.



  • mardi 17 février 2009 à 17h05, par Dominique

    Moi, cela me fait surtout songer à une sorte d’infantilisation du comportement des voyageurs. Il existe bien déjà des rappels du réglement des transports par des listes récapitulatives d’un certain nombre d’obligations que l’on trouve en général en hauteur (ne pas sortir avant l’arrêt complet, ne pas parler au conducteur...) et on avait déjà le délicieux « E pericoloso sporgesi » rouge situé à proximité des fenêtres. Mais cela ne se lit sans doute plus trop et il faut sans doute baliser l’espace avec d’autres signes plus brefs, plus circonstanciels. J’y vois une sorte de rapport avec la pratique de certains de mes collègues enseignants qui multiplient les affiches dessinées qui invitent les élèves à adopter telle attitude (je lève le doigt avant de parler, je ne dessine pas sur les tables, je sors mes affaires après m’être assis). Tout cela est de bon sens, mais quand on se retrouve dans une telle salle de classe, on peut se demander si la matière de l’enseignement n’est pas le comportement et si cela ne pourrait pas être formulé oralement au cas par cas. C’est assez rare parmi ce que j’ai vu, mais enfin... cela m’a un peu surpris. Tout comme la décoration d’une cantine scolaire qui invitait aux bons gestes pour que la file d’attente soit réduite, que le travail des agents de nettoyage soit limité ou que le tri sélectif soit bien effectué. Ces rappels à l’ordre tous les mètres sont à la fois régressifs et contreproductifs, car ils finiront par ne plus se voir tellement l’univers urbain est envahi d’injonctions parmi une profusion d’autres écrits et d’autres images. On dissémine les ordres en croyant les rendre plus visibles et plus efficaces qu’une liste située en un seul lieu, mais comme il y a tellement d’autres invitations (par exemple commerciales dans le métro) ailleurs qu’ils se perdent dans une sorte de brouhaha auxquels ils participent. Reste que cette stratégie du balisage pour toutes les actions était il y a quelques décennies celle adoptée seulement dans les plus petites classes.

    Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

    • mardi 17 février 2009 à 19h15, par Irène

      Il y a de l’infantilisation dans ce mode de communication par signes et dessins. Mais je me demande si cela ne correspond pas aussi, dans une certaine mesure, à un glissement culturel général vers une importance croissante du visuel par rapport à l’écrit dans les sociétés du XXIe. Non que l’usage d’images à la place ou en soutient aux messages verbaux soit neuf, mais plutôt que j’ai l’impression (je peux me tromper) que ce mode d’expression est en train de devenir incontournable.

      Voir en ligne : http://www.irenedelse.com

      • @ Dominique : infantilisation est le mot juste. A commencer par le lapin qu’on voit partout, surmonté de cette phrase : « Attention, ne mets pas tes doigts sur les portes, tu risques de te faire pincer très fort. » Il a même droit à un long billet dans Wikipedia

        Et je crois que tu as raison : prendre les gens pour des abrutis, c’est sans doute se donner toutes les chances pour qu’ils le deviennent.

        @ Irene : il doit y avoir de ça, mais je ne pense pas (je peux me tromper) qu’on inondait autant de messages de prévention les gens voilà cinquante ans. A tel point qu’on recommande aux femmes enceinte de ne pas boire d’alcool sur les bouteilles ou qu’on rappelle sans cesse aux fumeurs qu’ils vont mourir sur leurs paquets.

        • mardi 17 février 2009 à 20h48, par Irène

          Ce qui est intéressant, avec ce lapin, c’est qu’il est placé à la hauteur approximative d’un jeune enfant. C’est de la communication directe vers la cible, sans passer par les « adultes responsables » qui sont censés accompagner les bambins dans le métro.

          (L’article Wikipédia fait aussi le parallèle avec une mascotte similaire pour la prévention dans le métro japonais. Mais là-bas, l’utilisation de visuels de type manga avec un style que nous trouverions très enfantin, à la fois soft et comique (le fameux « kawaii »), est générale dans les messages de prévention, les informations sur les emballages, la signalisation, etc. Y compris quand cela s’adresse aux adultes.)

          Voir en ligne : http://www.irenedelse.com



  • « C’est au fond une même logique qui transparaît. Laquelle fait du transporté un emmerdeur »

    Cela va même plus loin, c’est le peuple plus généralement qui les emmerde grave.

    Il vote « Non » au TCE alors que ceux qui savent leurs disent de voter « Oui ».

    Il fait grève alors que c’est mauvais pour le MEDEF et la croissance.

    Il renâcle contre les « justes » réformes, nécessaires et indispensables pour faire de la France un pays moderne.

    Il ne veut pas travailler plus pour gagner plus.

    Il ne veut pas d’OGM.

    Il ne comprend pas pourquoi en ces temps de disettes, « l’histrion suprême » gave grave le patronat alors que les caisses étaient vides il y a peu.

    Il a même guillotiné un roi !

    Solution : il leur faut vite dissoudre le peuple car ça commence à bouillir un peu trop à leur gout.

    • Tout d’accord.

      Il y a ce but que tu pointes, celui de réduire le citoyen à un consommateur-usager qu’on n’entendrait jamais se plaindre ni protester, juste bon à relancer la croissance en courant les magasins et à servir d’alibi politique à certaines décisions biaisées. Mais surtout pas plus.

    • mardi 17 février 2009 à 21h37, par complémentdinformation

      C’est l’escalade : on commence par interdire aux gens de s’embrasser sur les quais, et bientôt ils ne pourront même plus faire des galipettes sur les banquettes ou dans les toilettes des wagons.
      Affaire à suivre...

      Sinon c’est en fait une nouvelle stratégie de marketing, qui consiste à être agressif avec le client : il doit aimer ça, ça se vérifie dans tous les domaines : consommation culturelle ou alimentaire (plus c’est mauvais et plus il achète) et politique (même chose).

      Un client rudoyé ne se plaint pas, il est au contraire fier et content de payer pour cet honneur qu’on lui rend. Si on commence a être à son service, il a tendance à ne plus se sentir p..., et va se mettre à avoir des exigences déplacées.

      • Oui, c’est la vieille tactique du « prends-toi ma tatane dans la gueule et avec ça qu’est-ce que ce sera ». Chez moi, ça me fait fuir en courant, mais faut croire que certains apprécient puisque, comme tu le remarques, Sarko a été élu. L’avantage, c’est que quand le client est habitué à de telles manières, il n’hésite plus à les pratiquer aussi quand il en sent le besoin. Bref, le mépris et la violence se retournent.



  • C’est facile de se moquer des messages infantilisant de la RATP. Mais essayer de faire appel à l’intelligence des voyageurs est peine perdue dans la très grande majorité des cas.

    Si le comportement des gnous et gnoutes qui prennent la ligne 13 tous les jours (comme JBB et moi) se comportaient un peu mieux, cela ne réparerait pas les rames obsolètes mais cela faciliterait la vie de tous dans le métro.

    Et ce n’est pas seulement une question d’obsolescence des rames puisqu’on retrouve les mêmes comportements d’abrutis sur la toute neuve ligne 14.

    Arf !

    Zgur

    Voir en ligne : http://zgur.20minutes-blogs.fr

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