ARTICLE11
 
 

dimanche 12 octobre 2008

Entretiens

posté à 01h26, par PT
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Storytelling, tronçonnages et peopolisation : petit inventaire du sport à la télévision
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Jamais les télévisions n’ont donné autant d’argent pour retransmettre le spectacle sportif. Jamais autant de chaînes n’ont ouvert leur antenne aux directs de sport. Mais que cachent ces images absorbées par des millions de fans ? Et surtout que donnent à voir les télévisions, prêtes à toutes les manipulations pour retenir le chaland ? Article11 a interrogé le chercheur Jean-François Diana. Un entretien instructif.

Samedi soir, TF1 diffusait le match Roumanie - France de football. Carton d’audience assuré : ce soir-là, plus que la qualification pour la prochaine Coupe du monde, c’est le sort du sélectionneur Raymond Domenech qui était lié au résultat de la rencontre. Suspense, dramaturgie, petites phrases : tous les ingrédients d’un spectacle sportif réussi.

De plus en plus, les chaînes déboursent des millions pour s’attacher les droits de retransmission des rendez-vous majeurs du calendrier. La télé, au fil des décennies, est devenue un partenaire incontournable des Fédérations nationales et internationales. Un partenaire parfois encombrant qui suggère ses règles, ses conditions, quand elle ne les dicte pas. Dès lors, l’image devient cruciale. C’est elle qui raconte l’événement, elle qui sélectionne les points de vue. Elle orchestre le récit, le malaxe, le modifie. Se l’approprie. Ni vu ni connu - si l’on peut dire.

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Pour Article11, le sémiologue Jean-François Diana, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à Metz, membre du Centre de recherche sur les médiations et auteur de nombreuses études sur l’image de sport, l’esthétique et la communication audiovisuelle, dresse un passionnant inventaire du sport à la télévision. L’histoire d’un mariage de raison. L’histoire d’un mariage aux frontières du déraisonnable.



Article 11 : Canal + a bouleversé la manière dont le foot s’est montré à la télé. Vingt-cinq ans après, que donne à voir une retransmission en direct ?

Jean-François Diana : Rappelons tout d’abord que le football mobilise 400 heures d’antenne en 2005, soit 32 % des retransmissions sportives. En 2006, en raison de la Coupe du monde en Allemagne, la couverture médiatique augmente jusqu’à 570 heures. Le « Nouvel Economiste » du 23 mars 2006 écrivait que le football « attire plus de la moitié » des abonnés de Canal+.

Ensuite, il faut tordre le coup à une idée reçue. Le direct intégral est un mythe. Il n’existe pas. Il subsiste toujours un léger décalage entre la production, la diffusion et la réception. C’est un procédé d’écriture qui s’est imposé comme un impératif de la réalisation de sport. En tant que tel, il participe à réécrire l’événement, à le dramatiser, au sens qu’on donnait « aux dramatiques télévisées des années cinquante ».

Historiquement, le premier reportage en direct date du 4 mai 1952, à l’occasion de la finale de la Coupe de France à Colombes, entre Nice et Bordeaux. Quelques mois après (5 octobre 1952), « 1000 postes ont été vendus » pour suivre l’intégralité du match entre la France et l’Allemagne. Il ne subsiste aucune trace de ces documents, car le magnétoscope (Ampex) n’est apparu qu’en 1954. Mais le pli était pris. Le direct est un trait fondateur de la réalisation télévisuelle de sport, bien que le Groupement du Football Professionnel (ex-LNF) s’en inquiète de crainte de vider les gradins. L’accès au stade des caméras et des techniciens de télévision a été un moment interdit. Entre 1952 et 1957, un accord fragile a finalement permis la diffusion en direct des finales de la Coupe de France et au mieux d’un match de l’équipe de France.

Le 8 novembre 1959, Raymond Marcillac, célèbre pionnier des services des sports, s’est battu sans succès pour imposer la diffusion en direct de trois matchs de championnat déjà « avancés » au samedi pour éviter la collusion du dimanche. On lui concéda la diffusion en direct des dix dernières minutes de certains matchs. À son initiative, la RTF proposa « de force » le direct de la deuxième mi-temps du match Hongrie – Allemagne fédérale. En réaction, le GFP a pris la décision d’interdire toute retransmission en direct « d’un match de football en tout ou en partie » (12 novembre 1959). La situation était conflictuelle, et il fallut attendre 1964 pour que la Fédération accepte le principe du direct… sur des matchs sans intérêt.

À travers ces exemples, on remarque que c’est la télévision qui a imposé des exigences à la Fédération, laquelle a résisté tant qu’elle a pu. Notamment jusqu’en 1971, lorsqu’un calendrier de matchs à diffuser a été décidé à l’avance.

Il est donc impossible d’occulter cette partie de l’histoire si on veut considérer les relations entre Canal+ et le football. Canal+ s’est appuyé sur une tradition pour créer une école de style.

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Le dimanche 9 novembre 1984, la chaîne diffuse pour la première fois un match de football en direct (Nantes – Monaco). Pour l’occasion, le réalisateur Jean-Paul Jaud a mis en place un dispositif de cinq caméras, qui par la suite est passé à huit, composé de deux ralentis, un plan large, un serré dans les tribunes, une base, une caméra au sol derrière chaque but et une mobile.

À cette époque, Charles Biétry rappelle qu’à part les internationaux, les joueurs n’étaient pas habitués aux caméras. Loin d’être effrayés, les footballeurs ont favorisé l’entrée des vestiaires au nom d’une complicité entre l’équipe Canal+ et eux. Les journalistes et les techniciens donnaient l’impression aux footballeurs de partager le même langage, les mêmes valeurs. En conséquence, la liberté de mouvements de Canal a été telle que la chaîne a pu augmenter le dispositif (18 caméras puis 25), expérimenter des points de vue (caméra opposée, statistiques, etc.). Pour le dire clairement, il y a Canal+ et les autres, qui tentent de rattraper le wagon.

Gros plan répétés, ralentis récurrents, caméras braquées dans les tribunes, micro installé sur l’arbitre : le jeu est-il encore l’objet essentiel du direct ?

C’est la quadrature du cercle. À une période, Canal+ ne s’est plus sentie menacée. Elle a eu longtemps le monopole, ce que je trouve très gênant pour un sport universel. Je suis par exemple radicalement opposé au fait qu’il faille payer pour suivre une rencontre. Il suffit de voir ce que le, football anglais est devenu. Des résultats, certes, mais à quel prix ! Surtout une perte d’identité, une opacité dans le jeu et une faillite de l’équipe nationale. C’est l’hyperlibéralisme, les stratégies médiatiques et les financements douteux qui en sont la cause. La recherche de la rentabilité immédiate crée de l’éphémère (du plaisir immédiat) et confisque durablement au public l’histoire même de son club. Qui peut s’offrir désormais une place à Manchester, à Chelsea, à Arsenal ? On ferait bien d‘y réfléchir en France avant que le désenchantement ne soit irréversible… Où est le plaisir du jeu ?

Pour prendre l’exemple du ralenti. C’est une figure centrale, au même titre que le direct, que Jean-Paul Jaud a sublimé… et abîmé. Sa formation cinématographique l’attire vers le « montage instantané » de plans serrés. Résultat : on constate un hachement du jeu, et une spectacularisation. Concernant le rugby, qui prend progressivement le chemin du football, Jaud aspire à ce que « le téléspectateur [soit] sous la mêlée ». En vingt ans, il a contribué à banaliser l’usage de la caméra-loupe, qui tourne trois fois plus vite que les autres, offre une image très nette et ne laisse pas passer d’air entre le regard du téléspectateur et l’action. Confronté à une diversité de données, le public accède ainsi au statut de juge-expert. Cette compétence est accentuée par l’installation de la Live Slow Motion (LSM), qui permet de diffuser un ralenti de manière quasiment instantanée. Fréquemment convoquée dans les retransmissions de courses automobiles, de football et d’athlétisme, elle prétend offrir le paradoxe de l’effet de ralenti en direct (de 75 à 500 images par seconde). Le ralenti combiné au montage rapide confère une valeur instantanée d’hypervisibilité.

Jaud s’enflamme en avançant qu’ « [avec cette technique], tu as plein d’informations en plus, [tu saisis] plein de regards, [tu te rends compte] de l’effet du ballon ». Simplement, que fait-on de ces informations ? Qui peut en profiter ? En l’occurrence, les ralentis des plus limpides ont modernisé la perception publique du football et imposé une compréhension propre. Une rencontre ordinaire de championnat sur Canal+ compte plus d’une cinquantaine de plans au ralenti par mi-temps, la plupart en cadrage serré. Soit près de 10 % de la diffusion se superposant à la durée du jeu. Par ordre de fréquence, ils sont consacrés à ce que le réalisateur juge comme étant des temps forts : occasions franches, buts, fautes et événements péri-sportifs (plans du public en général et des personnalités en particulier).

À titre d’exemple, le 25 avril 2004, Canal+ diffusait le classico Real Madrid - FC Barcelone, attendu par l’Espagne du football. Cet événement était couvert par 17 caméras réparties autour de la pelouse. Certaines, plus inquisitrices par le choix des gros plans, étaient dévolues au ralenti qui ne manqua pas de focaliser sur les buts et les incidents de jeu, afin d’accentuer la rivalité entre les deux clubs. Plus que ces situations attendues, le ralenti fut, à cette occasion, mobilisé également pour maintenir la tension du flux télévisuel : les vides et les interruptions apparents étaient recouverts parfois par des plans de réaction d’une personne anonyme du public, parfois par la répétition au ralenti d’actions bien antérieures au présent du jeu. Cet usage, encore original en Europe, revèle assez explicitement que le ralenti a aussi pour fonction de contenir l’événement dans l’espace médiatique de visibilité aux limites imperméables. En-deçà de l’image, la réalité du sport est rendue accessoire. Le ralenti est assimilé à une performance technologique, et à une volonté manifeste de l’autorité de l’institution télévisuelle sur l’événement sportif lui-même.

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De plus en plus, les retransmissions des événements majeurs (Mondial de foot, JO, Coupe du monde de rugby…) obéissent à un cahier des charges établi par les organisateurs (FIFA, UEFA, CIO, IRB…) Peut-on parler de censure a priori ?

On pourrait formuler l’hypothèse autrement : « en dehors des médias, point de salut ! » Surtout si on prend en compte un troisième terme dans ce mariage de raison : l’argent. Les professionnels des médias et du marketing sont peut-être des amateurs de sport à l’origine, mais leur souci est avant tout de trouver des niches à profits. La transformation du football et de la Formule 1 est symptomatique de cette évolution. En 2004, Canal+ obtient l’exclusivité de la retransmission des matchs de la Ligue 1 de football pour 1,8 milliard d’euros sur trois ans. Le championnat français devient le deuxième plus cher d’Europe (derrière l’ultralibérale Angleterre) sans que cela ne corresponde à une valeur intrinsèque du jeu. Les clubs sont emprisonnés dans une sorte de « télé-dépendance ». Par exemple, les droits télévisés deviennent les principales ressources des clubs (49 % des budgets), ce qui leur permet de recouvrir un équilibre financier.

Les moyens extraordinaires mis en œuvre pour le Grand Prix nocturne à Singapour méritent aussi qu’on réfléchisse à l’évolution de la représentation du sport. D’un côté, faut-il aller dans le sens de la surenchère ? D’un autre, le sport n’est-elle pas la nouvelle usine à rêves comme on le disait de l’industrie cinématographique entre les années 30 et 60 ?

Ce qui est certain c’est que le sport est un fonds de commerce rendu inépuisable par un calendrier ininterrompu de compétitions internationales (Coupe du monde et championnats européens de football, Jeux Olympiques,…). Le sport devient même un spectacle transmédiatique (internet, téléphonie mobile, etc.), ce qui a pour conséquence une hausse fulgurante des droits de diffusion. Cependant, on peut noter que la médiatisation du sport ne peut s’appuyer sur une réglementation forte. Quand on parle de censure, c’est celle que se mettent les disciplines elles-mêmes pour apparaître plus télégéniques. Par exemple, la faible exposition médiatique du judo est en décalage avec ses nombreux licenciés (560 000). Malgré son prestigieux palmarès, le handball reste assimilé à une discipline scolaire. L’escrime n’est attractive que lors de grandes compétitions (Jeux Olympiques), tout comme le patinage artistique, discipline reine dans les années 90. Même la temporalité dramaturgique des confrontations de tennis résiste encore à l’écriture télévisuelle. Il ne s’agit pas pour autant de dénaturer le sport. Il faut simplement reconnaître qu’on ne peut plus penser le sport sans l’image qui le véhicule. La télévision exerce donc une influence sur le déroulement des épreuves. Jacques Rogge, président du CIO, au Sportel de Monaco en 2005, a rappelé sa volonté d’adapter les disciplines sportives aux besoins télévisuels. Le volley-ball transforme son mode de comptage de points, le tie-break a amélioré la visibilité du tennis, et le tennis de table se joue avec des balles plus grosses et se décide par manche de 11 points. Pour Londres 2012, il est question de décaler les horaires de certaines épreuves phares pour le public nord-américain2.

Pour être complet sur cette question, l’accord entre les médias et les fédérations sportives ne se règle pas uniquement sur le plan de la rentabilité, mais se soucie davantage d’une retombée d’image et de standing.

« Avec le ralenti, nous perdons la réalité des choses »

Dans le cas du rugby, vous expliquiez durant la dernière Coupe du monde que la représentation du sport comptait plus que les règles elles-mêmes. Autrement formulé : qu’importe la compréhension du téléspectateur, pouvu qu’il s’intègre au spectacle ?

Ce n’est pas exactement cela. À bien y regarder, l’évolution des règles ne trahit pas l’essence du jeu, mais tient compte d’autres paramètres : un calendrier plus serré, une intensité plus forte, les chocs, les enjeu, et naturellement ce qui détermine le tout : le capital symbolique du rugby véhiculé par l’image et qui attire les non spécialistes (ce qui n’est pas un jugement de valeur). Le rugby se définit d’abord comme un combat, un sport de sang et de contact, à l’exemple de la tauromachie. C’est aussi défendu par les aficionados comme un art de vivre, une attitude. Ce sont des traits très médiatiques qui valorisent la beauté du sport dans ses dimensions humaines et historiques. Rappelons que le rugby était considéré comme une discipline distinctive et un sport de high life réservé à une certaine élite, attachée aux termes de liberté, de plaisir et de mouvement. C’est là-dessus que se fonde le spectacle.

Pour prendre à nouveau l’exemple du ralenti, le rugby, devenu récemment une discipline majeure présente dans les médias, n’échappe pas à son usage abusif. Cependant, celui-ci acquiert une autre dimension. Au cours de la dernière Coupe du monde en 2003, la médiatisation des rencontres apparaissait moins fragmentée. On dénombrait environ dix ralentis par mi-temps : les plans étaient plus longs, cadrés plus larges et privilégiaient la fluidité et la progression du mouvement collectif d’équipe. Dans ce cas précis, les ralentis ne constituent en aucun cas une intervention superfétatoire par rapport au récit des événements, mais collaborent à sa lisibilité. « Moins on commute, plus on est clair pour le rugby, [avec le ralenti] nous ne sommes plus sur le terrain, et nous perdons la réalité des choses […] trop de ralentis nuisent à la compréhension du jeu », déclare le réalisateur Laurent Daum. Ce parti-pris n’a évidemment pas résisté au modernisme du sport télévisuel. Ainsi, lors de la finale du championnat de France entre le Stade Français et Clermond-Ferrand, le 9 juin 2007, nous pouvions compter une trentaine de plans au ralenti par mi-temps et autant de plans serrés.

Vous prétendez également que le vedettariat accordé à Sébastien Chabal résulte des recettes du story-telling appliquées au sport…

C’est paradoxal pour quelqu’un qui répète à longueur d’interviews qu’il ne veut pas se livrer. Ça me fait penser à la définition que Gilles Deleuze donne de l’alcoolique : « il ne cesse d’arrêter de boire ». Parmi les vedettes du sport, il y a des toxicomanes « qui ne cessent de dire qu’ils arrêtent » : regardez Amstrong qui veut revenir, Jordan à une époque. À l’exception de Prost, qui avançait d’autres raisons, il n’y a guère que les pilotes de formule 1 qui ne reviennent pas sur leur décision, parce qu’ils savent qu’ils se mettent en danger. Et ils savent de quoi ils parlent. Chabal est en grande partie responsable de l’image qu’il offre. Si cela n’altère pas ses performances sur le terrain, il s’est construit un personnage : sorte de Raspoutine, de méchant de conte qu’on adore détester. Il y a d’autres exemples dans d’autres sports.

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Alors qu’il s’en défend, Chabal est significatif des rugbymen actuels qui prétendent posséder pleinement et entièrement leur corps public, les gaillards d’aujourd’hui cèdent désormais à l’image polymorphe de l’information et du divertissement, de la télévision et de la publicité. Physiquement solides, psychologiquement préparés, numériquement retouchés, commercialement (dés)habillés, les rugbymen sont préoccupés par l’apparence qu’ils renvoient. Ils sont force, puissance et courage. Ils bandent leurs muscles, exhibent des tatouages, lissent et colorent leurs chevelures, affûtent leurs regards. Leurs corps se démultiplient autant de fois que d’affichages : en action (le jeu) ou au repos (les obligations publiques).

La télé dicte ses stars, désigne le cas échéant des boucs-émissaires : décide-t-elle aussi du score ?

Vous évoquez indirectement la notion de dramatique sportive, avec tout ce qu’elle contient de tragédie. L’historien Pierre Vidal-Naquet offre une belle définition. Selon lui, la tragédie consiste à convoquer un héros qui vient du passé, à le mettre en scène devant le peuple tout entier et à montrer que sa solitude héroïque le conduit à la catastrophe, à la mort. Bien heureusement, le sport est rarement le théâtre de la mort, mais c’est arrivé (Simpson, Munich, le Heysel, Furiani, l’histoire de la course automobile, etc.). Le héros sportif est forcément confronté au drame que les médias mettent en résonance. C’est intéressant de rappeler que la médiatisation du sport doit une partie de son esthétique aux dramatiques télévisuelles. L’école des Buttes-Chaumont, haut lieu du genre, dirigée par André Franck définissait, comme en a témoigné Marcel Bluwal, un certain nombre de principes de réalisation pour la télévision comme l’intimité du gros plan et le direct. La dramatique est assimilée à une course à la performance. Des formules les plus entendues de ces pionniers, comme Pierre Badel, devenu par la suite réalisateur de sport, étaient « le goût de l’exploit […], le risque toujours repoussé par souci d’auto-dépassement, […] le travail du cadreur demandait d’abord des grandes qualités sportives ». On n’est pas loin de l’actuelle forme télévisuelle du football assimilé à une dramatique, certes sans les répétitions, mais conçu stratégiquement, de manière à anticiper plusieurs scenarii de jeu. Il est indéniable que la culture du sport (maîtrise des dates, des événements antérieurs, des statistiques, des acteurs émergents, etc.) a vocation à maîtriser les effets des aléas, fussent-ils en direct.

Le réalisateur de dramatiques Michel Mitrani pensait que « le direct faussait un peu le jeu des comédiens qui avaient parfois tendance à en rajouter ». Il parle d’un « sur-jeu dans le déroulement de l’action ». Remarque assez annonciatrice du rapport entre la caméra et le joueur professionnel. Pour citer son cas, Lilian Thuram, talentueux sportif et, en même temps, citoyen concerné par les affaires de la vie civile et politique, rappelle que sa « première télévision » a ajouté à la pression, de sorte qu’il passa à travers du match et endossa la responsabilité d’un but.

La télévision scénarise le réel et, comme l’a écrit l’ethnologue belge Gérard Derèze, se charge de réduire la frange d’incertitude du sport, et donc d’isoler des figures parfois pour de bonnes et souvent pour de mauvaises raisons. Par nature, l’image accuse plus facilement qu’elle n’explique les raisons d’une défaite. Il faut bien trouver un responsable. L’entraîneur, le plus souvent. Le football est fondamentalement un milieu conservateur où règne le consensus. C’est pour cela qu’il ne faut attendre ni révolution, ni engagement politique et social, ni bouleversement culturel pour l’instant. Les débats autour du vidéo-arbitrage en sont un exemple, et l’idée même que les joueurs puissent envisager de faire grève n’est pas prise au sérieux par le secrétaire d’état aux sports (Bernard Laporte)3.


Second volet de cet entretien prochainement sur notre site.




1 Photo extraite du blog d’Alexis Dussaix

2 Ce cas de figure s’est déjà présenté aux JO de Pékin, cet été, avec pour la première fois la programmation matinale des finales de natation, afin de permettre au public américain de suivre les exploits de Michael Phelps en prime-time. NBC, qui obtint ce « privilège » est l’argentier principal du CIO.

3 Les liens hypertextes de cette interview sont le choix d’Article11 aux seules fins d’apporter quelques précisions biographiques.


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