samedi 24 janvier 2009
Le Charançon Libéré
posté à 15h22, par
82 commentaires
Ils y mettent toute leur conviction, toutes leurs forces : pour maintenir à flot l’illusion du système, les laquais de l’ordre néo-libéral sont même prêts à promettre qu’ils moraliseront le capitalisme. Tout, plutôt que d’avouer qu’il ne reste qu’une façon de résoudre cette crise qui risque bien de les emporter : taxer les riches, aplanir les inégalités, appauvrir l’oligarchie. S’ils ne le font pas…
Paul Lafargue
Ils se multiplient.
Et donnent de leurs forces sans compter.
Laquais de l’ordre social, soucieux de cacher la réalité.
Serviteurs des puissances en place, empressés de jeter un voile pudique sur la froide vérité.
Et oligarques privilégiés, désireux de tout faire pour que certaines conclusions évidentes, saines impulsions, coups de colère bienvenus, ne viennent à l’esprit de ceux qu’ils gouvernent.
Car enfin : si l’immense masse de nos concitoyens ouvrait les yeux, ceux qui sont aux commandes y perdraient leur trône, ainsi sans doute que leur tête.
Une question de vie ou de mort, donc.
Et cet aveu du président, sonnant comme un juste pressentiment : « Au nom du symbole, les Français peuvent renverser le pays. Regardez ce qui se passe en Grèce. (…) Les Français adorent quand je suis avec Carla dans le carrosse mais en même temps ils ont guillotiné le roi. »
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C’est ainsi que celui qui s’était un temps engagé à « aller chercher la croissance avec les dents » feint de gauchir son discours, appelant à « moraliser le capitalisme », à le « refonder », s’en prenant à ceux qui auraient « trahi l’esprit du capitalisme » et fustigeant « un système amoral où la logique des marchés excuse tout, où l’argent va à l’argent ».
Ainsi que le conseiller spécial du président, Henri Guaino, plaide aujourd’hui - en une longue interview au Figaro - pour une semblable refondation, ne dissimulant même plus ses craintes : « La crise change les rapports entre la politique et l’économie. Partout dans le monde, même aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, les gouvernements vont devoir gérer des tensions politiques et sociales très fortes », constate-t-il, sentant« poindre partout une révolte des classes populaires et des classes moyennes contre des inégalités de rémunération qui ont atteint des niveaux jamais vus depuis le XIXe siècle ».
Ainsi que Pascal Lamy, président de l’Organisation mondiale du commerce et chef de file de la cohorte des enfumeurs ne souhaitant rien tant que perpétuer l’ordre des choses, réclame une « régulation (...) au niveau mondial », parce que le capitalisme est un « système quand même très très injuste ».
Ainsi que Jean-Marie Messier, meilleure incarnation de l’ordre néo-libéral et de ses turpitudes, revient dans la course, pose au « citoyen engagé qui fait profiter de ses expériences » et se pique de « dessiner les contours du capitalisme de demain, un capitalisme tempéré reposant sur l’entrepreneur, l’éthique et le bon sens ».
Ou ainsi que le mensuel américain Fortunes, parangon de l’ultra-libéralisme et indécente bible de la richesse, ose titrer « Le moment est venu d’envoyer Wall Street en prison »1.
Oui : on rêve…
De ces pâles tentatives pour tout sauver et ne rien changer, mensonges servis par ceux-là mêmes qui ne modifieront rien au système qu’ils ont toujours servi et qui les a fait, il faut bien sûr ne croire ni la moindre syllabe ni le plus petit mot.
Tant il n’est qu’un discours réellement crédible aujourd’hui, celui qui s’attaque, de front et sans pitié, aux inégalités.
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C’est heureux, justement : l’effondrement de l’ordre néo-libéral donne un nouvel élan à la pensée radicale.
Et ceux qui étaient hier taxés avec mépris d’imbéciles marxisants et d’abrutis utopiques retrouvent peu à peu un public.
Gagnent en audience.
Et propagent leur vision des choses, celle-là même qui donne des cheveux blancs (pour peu qu’ils en aient encore…) à tous les tenants de l’ordre établi.
Au menu, donc, de salutaires proposition, frappant directement les riches au portefeuille.
Qu’il s’agisse de mettre un sévère frein à leur accumulation de richesses, en instaurant un revenu maximum admissible.
Ou de prélever une bonne part de leur patrimoine au bénéfice de la collectivité, en faisant peser de lourdes taxes sur les épaules cossues.
Auteur de Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Hervé Kempf2 invite ainsi à mettre en place un revenu maximum admissible :
« Le débat a été lancé aux Pays-Bas par le ministre des Finances, Wouter Bos, qui voudrait établir un plafond sur les rémunérations des dirigeants de compagnie : ’Non seulement, elles atteignent un niveau absurdement élevé, a-t-il dit, mais le lien entre revenu et performance est obscur’. On ranimera également une idée lancée en 1995 par une agence de l’ONU : ponctionner le patrimoine des grandes fortunes. La planète compte dix millions de millionnaires. Leur fortune totale est estimée à 40 700 milliards de dollars. Pour atteindre ’les objectifs du millénaire’, visant à réduire la pauvreté et la faim dans le monde, on estimait en 2005 qu’il faudrait 195 milliards de dollars par an d’ici à 2015. Un prélèvement de 5 % sur le patrimoine des dix millions de millionnaires fournirait la somme idoine. »
Une idée déjà (presque) mise en pratique après une autre crise, celle de 1929, par un homme qui avait autrement de convictions que notre présidentiel meneur de revue :
« En 1942, Roosevelt déclare : ’Aucun citoyen américain ne doit avoir un revenu (après impôt) supérieur à 25 000 dollars par an’, rappelle le professeur Jean Gadrey sur son blog. C’est l’équivalent de 315 000 dollars actuels, soit 8,5 fois le revenu disponible médian par personne (37 000 dollars), lequel vaut environ trois fois les plus bas salaires à temps plein. On aurait donc, si l’on appliquait aujourd’hui la norme de Roosevelt, un éventail de revenus de l’ordre de 1 à 25, hors personnes vivant sur la base de petits boulots ou d’aide sociale. C’est un écart encore énorme, mais c’est peu au regard de l’éventail de 1 à plusieurs milliers qui a cours actuellement. Roosevelt n’a toutefois pas pris une décision du type ’au-dessus de 25 000 dollars, je prends tout’. Il a mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88 % pour la tranche la plus élevée, puis 94 % en 1944-45. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400 000 dollars actuels a été imposée à 91 %, puis autour de 70-75 % jusque 1981. »
Exemple historique cité aussi par l’économiste Thomas Piketty, lequel explique dans une interview plutôt réjouissante :
« J’en suis venu à penser que la seule solution serait de revenir à des taux marginaux d’imposition quasi confiscatoires pour les très, très hauts revenus. Imposer des taux marginaux de 80%, voire 90%, sur les rémunérations annuelles de plusieurs millions d’euros me semble inévitable, incontournable. Cela prendra du temps, mais je pense qu’on finira par en arriver là. »
C’est cela : il faut frapper les riches au portefeuille.
Les tuer fiscalement.
Massacrer leur patrimoine.
Et égorger leur revenu.
Faute de quoi, c’est pour de vrai qu’ils se feront trucider.