mercredi 2 septembre 2009
Sur le terrain
posté à 12h26, par
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Jeudi-Noir, collectif créé autour du problème toujours croissant de la précarité des logements, a réquisitionné le 22 août un immeuble désaffecté du très à la mode passage de la Bonne-Graine. Objectif : transformer l’endroit en résidence étudiante sauvage. Une visite s’imposait, histoire de voir comment s’organise la vie sur place et de discuter un brin avec les squatteurs.
Tout a commencé par un événement très con mais qui a le mérite de pourrir la vie : en me levant, j’ai constaté que ma cafetière avait rendu l’âme. La gueule dans le sac et aimable comme un chiwawa de vieille, je suis sortie à la recherche d’un caoua convenable. Passant par le passage de la Bonne-Graine, le nez en l’air sous la pluie, les banderoles de Jeudi-Noir, flottant sur la façade tristouille d’un bâtiment désaffecté, ont traversé mes brumes avec une jubilation certaine. Ni une ni deux, j’ai fait demi-tour, j’ai chopé un appareil photo et suis retournée sur les lieux.
La pluie avait redoublé et on avait le ciel sur les genoux. Pendant que je prenais des clichés de la façade, une patrouille de bleus motorisés s’est arrêtée derrière moi. « Vous êtes du collectif ? » et moi de répondre avec un sourire de crotale : « Non. Je suis journaliste. ». Ah ! Le joli mot qu’il est magique ! Immédiatement devenu aimable, le représentant de la loi affichait un sourire venu se caler sur son morne visage (sûrement la pluie…). Incident clos, la voiture disparait bientôt de l’horizon du passage aux pavés traîtreusement imbibés d’eau. Comme par miracle, une porte s’ouvre et un type arborant le tee-shirt Jeudi-Noir me lance : « Tu veux rentrer ? ». J’acquiesce et lui emboîte le pas.
Le rez-de-chaussée et le premier étage sont totalement murés et éclairés aux néons, mais la cuisine, aménagée à la va-vite, est plutôt chouette. Ils sont une dizaine autour de la table du petit-dej’. D’âges différents, ils se marrent, se réveillent, discutent. L’ambiance est détendue, étonnamment calme : pas de tension hystérique de militant nerveux, pas de plan de bataille fébrile, pas d’angoisse. On se présente et je me rends compte que, n’ayant toujours pas ingurgité mon litron de cambouis matinal, j’ai les neurones en vacance. Je présente donc à la ronde un million de plates excuses quant à la platitude des questions que mon esprit mouligasse a pu extirper de leur magma primordial. En gros je peux les résumer à des grognements préhistoriques du genre : « Combien ? », « Quand ? », « V’voulez quoi ? ». Comme il est de peu d’intérêt de retranscrire l’entretien dans sa totalité vu le gaz dans lequel je me trouvais, voilà l’essentiel des infos glanées.
Les locaux, inutilisés depuis 2005, ont été repérés par la tournée de la rentrée que Jeudi-Noir opère tous les ans. « Tous les ans, me direz-vous, alors, pourquoi ne les a-t-on pas vus avant ? ». La raison en est simple : l’immeuble n’est muré que depuis quelques mois. Et qui dit « locaux murés » dit également « pas de vigiles ». Ils se sont donc installés (ne me demandez pas comment ils ont fait, je n’ai même pas eu la présence d’esprit de le leur demander…) le 22 août, avec en tête le projet d’une résidence d’étudiants sauvage.
Sur le sujet de l’occupation des bâtiments inoccupés, la loi française est simple : s’ils peuvent justifier de plus de quarante-huit heures d’occupation, la police ne peut plus évacuer les gens sans que le propriétaire, par l’avis d’expulsion, n’engage de procès. C’est pourquoi nos malins traqueurs d’espaces ne sont sortis qu’hier à visage découvert, les traces d’habitation étant devenues indéniables. La mairie de Paris a conseillé aux propriétaires de négocier un accord à l’amiable.
Le projet immobilier qui touche ces locaux, encore au stade de l’appel d’offre, est un projet social qui vise à créer des locaux pour jeunes travailleurs. « Horreur ! », objecterez-vous peut-être, « pour une fois qu’un projet immobilier n’est pas spéculatif, on en entrave le cour. Honte à ces vils sapajous ! ». Je rappellerai pourtant le cas des bâtiments du Crous de Paris rue de la Harpe, qui attendaient depuis plus de trois leur réfection quand Jeudi-Noir s’en est emparé. Un accord à l’amiable avait été trouvé entre les deux partis : on autorisait l’occupation des bâtiments et Jeudi-Noir s’engageait à rendre les clefs dès le début des travaux. Six mois plus tard, la rénovation commençait…
Ce que veulent les militants de Jeudi-Noir ? Parvenir au même type d’accord qui, tout en permettant à des étudiants de se loger à très peu de frais, ont pour vertu de booster sacrément un projet immobilier à but social. D’une pierre deux coups.