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mercredi 28 octobre 2009

Littérature

posté à 10h49, par Lémi
5 commentaires

Bernard Goldstein, un Juste
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Bernard Goldstein, figure du Bund, a été l’un des principaux meneurs de l’Insurrection du ghetto de Varsovie en avril 1943. Lui et une poignée d’hommes ont tenu tête plusieurs semaines aux troupes nazies, déterminés à ne pas mourir sans combattre. Dans L’Ultime Combat, il raconte cinq années de résistance clandestine dans le ghetto. Un récit sobre et poignant.

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« Les Nuits du ghetto sont noires. La lune pâle accentue l’impression de tristesse qui nous enveloppe. Des cauchemars nous hantent. Des soupirs et des gémissements emplissent l’air étouffant. » (Bernard Goldstein)

Ce n’est pas un livre facile. C’est même un livre dur, poignant. Après l’avoir reposé, tu ne manqueras pas d’y penser pendant quelques jours, quelques semaines, neurones troublés, de te représenter mentalement ce calvaire vécu par les populations juives des ghettos de Varsovie, le courage immense de ceux qui se sont levés en sachant qu’ils couraient à la mort. Tu n’évacueras pas si facilement1 ce récit de meurtres et de tortures, de déportations en masse, la détresse immense, tant d’innocents. Plus tu avances dans le livre (dont tu connais pourtant le terrible épilogue), et plus la boule dans ta gorge se fait présente, insistante. En arrière-plan de ce récit d’une lumineuse Résistance rôde, terrible, omniprésente, l’image des chambres à gaz et d’Auschwitz, du martyre d’un peuple et de l’immonde crime collectif d’un régime.

Bernard Goldstein (1889-1959), l’un des principaux commandants de l’insurrection de Varsovie, auparavant figure emblématique du Bund, l’organisation révolutionnaire des travailleurs juifs de Pologne (et donc cible toute désignée des tortionnaires nazis), n’a pourtant pas été déporté. Il échappa – caprice du destin autant que ressources combatives exceptionnelles – à ce sort auquel il était promis. Et même, la manière dont il est toujours parvenu à glisser entre les doigts des tortionnaires nazis et des indics polonais inciterait presque à sourire, si…

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Dans une préface à l’ouvrage de Goldstein, Leonard Shatzkin raconte la place immense qu’occupait dans son imaginaire de gosse New-yorkais (n’ayant pas vécu la guerre) la figure du « Camarade Bernard », « sorte de Robin des Bois ou de Jesse James » au centre de toutes les conversations de la diaspora, presque mythifié. Si Goldstein ne raconte pas dans son livre ce qui a précédé son combat au sein du ghetto de Varsovie, Shatzkin s’en charge. Et décrit par le détail les haut-faits de celui qui s’engageait alors à corps perdu dans le Bund, instance politique et syndicale dédiée à la défense d’une communauté déjà éprouvée et confrontée à une violent antisémitisme2. Avant même la guerre, dans ces combats quotidiens contre l’antisémitisme grandissant et l’esclavagisme patronal, pointe la stature impressionnante d’un homme qui n’a jamais cessé de se battre.

Ce qu’il réalisera pendant la guerre et qu’il décrit modestement dans son livre (écrit presque à contrecœur, pour témoigner, en cherchant à ne jamais se mettre en avant), Goldstein avait commencé à le faire bien avant. Résistant précoce, sans jamais tomber dans la haine et toujours armé d’une humanité farouche. Cela peut sembler mélo, dit comme ça, mais je suis sûr que ceux qui ont lu ce livre comprendront. Dans un avant-propos à l’ouvrage écrit en 2007, un autre Juste, Marek Edelman3, décrivait ainsi l’action de son Camarade et ami :

Je veux surtout dire ici que Bernard Goldstein a été un personnage très important. Non pas parce qu’il exerçait des fonctions importantes dans la vie partidaire et syndicale juive, ni même parce qu’il prenait en charge de manière si efficace la défense de la population juive contre les excès antisémites et les scissions communistes qui détruisaient le mouvement ouvrier, mais avant tout par sa bonté, par sa sensibilité, au service de toutes les victimes. Nous nous en sommes tout particulièrement aperçu dans le ghetto, où il prodiguait son aide et ses conseils à tous les affamés, à tous ceux qui n’arrivaient pas à se débrouiller ou à trouver leur place dans cette nouvelle réalité tragique. […] Grâce à lui, beaucoup ont été sauvés.

Goldstein n’a écrit qu’un livre, celui-ci. Et il a choisi de n’y parler de rien d’autre que de la guerre. Ce n’est pas une autobiographie, seulement un témoignage, quelque chose qu’il se devait de faire, pour mémoire. Sans paillettes ni effets de style, sans pathos, les faits se suffisent d’eux-mêmes.
Logiquement, son récit commence ainsi : « La guerre éclata le vendredi 1er septembre 1939, à l’aube. » La suite s’enchaîne avec une rapidité démoniaque : la Pologne envahie en quelques semaines, le désastre qui s’installe, durablement. Le ghetto est imposé dès octobre 1940. A partir de là, Varsovie est divisée en deux parties : la zone aryenne, où l’on vit presque normalement, et le ghetto où l’on meurt, de faim, de froid, où chaque jour des charrettes funèbres viennent ramasser les corps de ceux qui sont décédés pendant la nuit et se retrouvent empilés sur les trottoirs. Les premières rafles, exécutions sommaires et déportations ne tardent pas ; elles vont aller crescendo, jusqu’à dépeupler quasi intégralement le ghetto de Varsovie.

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De ce jour où, pour paraphraser Imre Kertész (déporté à Auschwitz puis Buchenwald), on lui a « refusé le statut d’être humain », Goldstein s’est insurgé au nom de la vie. Passant de planque en planque, organisant la résistance, puis exfiltré hors du ghetto, en zone « aryenne », afin de coordonner la jonction avec la résistance polonaise. Autour de lui, les camarades tombent, les massacres se multiplient, les réseaux de Résistance sont démantelés. Lui échappe à tous les coups fourrés. Il finit par revenir dans un ghetto qui, chaque jour, se fait plus désertique (alors qu’il compta jusqu’à 380 000 habitants). Ne restent plus que des ombres amaigries, impuissantes mais déterminées : « Chaque survivant du ghetto devint un combattant ; il forgea sa douleur pour la transformer en arme. »

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Aucun angélisme dans le récit de Goldstein. Il voit bien la bassesse des hommes envahir son propre camp. L’envahisseur a même crée une police juive dans le ghetto, qui rivalise presque en cruauté avec le troupes nazies. Et, alors que le ghetto est ravagé et que tous ou presque ont été emportés, certains ouvriers s’enrichissent encore en promettant des passe-droits qu’ils ne délivrent pas : « Hélas, des hommes du peuple martyrisé s’associent aux assassins, partagent le butin avec eux, puis leur livrent les malheureux, dépouillés. Quel marécage de pourriture… »

Avant la débâcle finale, le ghetto s’est finalement insurgé, a attaqué l’ennemi nazi, en avril 1943, après avoir longtemps tergiversé. C’est la certitude de la déportation et de l’extermination, confirmée par des espions qui ont ramené des témoignages des camps, qui a emporté la décision : se battre plutôt que partir à la mort en courbant l’échine. À un contre mille. En courant à la mort, parce que la dignité l’imposait. Un temps, les troupes allemandes surprises par l’organisation et la détermination de ces troupes passant d’un immeuble à l’autre grâce à un système de souterrains, confectionnant des bombes incendiaires, s’emparant parfois de chars ennemis et combattant avec leurs tripes, se laisse désemparer. Mais la Wehrmacht finit par écraser l’insurrection4. Reste que cette résistance désespérée de quelques centaines d’hommes, tenant tête plusieurs semaines à l’aigle nazi, eut un impact psychologique important sur les autres résistances européennes et la destinée du peuple Juif : les légions de bourreaux, un temps, se firent écraser par leurs victimes affaiblies.

Il y a une phrase qui résume si bien le sens de cette révolte, celle d’un autre combattant de l’insurrection, Arie Wilner : «  Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d’ici. Nous voulons sauver la dignité humaine. »



1 Et c’est tant mieux, ai-je besoin de le préciser ? Ce même sentiment que tu as ressenti (sans véritable comparaison possible, ceci dit, car le livre de Goldstein ne décrit pas une expérience concentrationnaire) après les lectures des récits de Primo Levi (Si c’est un homme) et Imre Kertész (Etre sans destin), après le visionnage des films d’Alain Resnais (Nuit et brouillard) et Claude Lanzmann (Shoah), s’il n’est pas confortable, jamais tu n’en nieras l’importance fondamentale.

2 L’édition de Zones propose également une préface de Daniel Blataman éclairant l’histoire du Bund. Ce n’est pas le sujet de ce billet, mais ce texte est essentiel pour comprendre en quoi ce combat de Goldstein et des insurgés de Varsovie s’inscrivaient dans une logique aussi politique et sociale, une continuité à des actions passées.

3 Alors le dernier commandant du ghetto de Varsovie encore en vie : il est mort le 2 octobre 2009.

4 Goldstein et quelques autres, une poignée, sont parvenus à survivre en attendant l’arrivée, toujours repoussée, des troupes russes. Reclus dans des bunkers souterrains, affamés, malades, délirants, ils ont échappé miraculeusement à la mort.


COMMENTAIRES

 


  • mercredi 28 octobre 2009 à 18h19, par Neither

    Juste une erreur « se firent écraser », et non se firent écrasées".
    Merci pour cet article en tout cas



  • mercredi 28 octobre 2009 à 21h18, par DJM de Cambrai

    L’ultime combat : toujours à recommencer.

    Merci pour cette piqure de rappel - de rébellion.

    • jeudi 29 octobre 2009 à 09h50, par lémi

      « Piqure de rappel - de rébellion », c’est bien dit, c’est un peu ce que je ressentais en lisant ce livre, l’impression d’une leçon intemporelle, qu’il ne faut jamais oublier. Le genre de vaccins anti-apathie à renouveler très fréquemment...



  • jeudi 29 octobre 2009 à 19h39, par nterr

    Important effectivement d’insister sur le Bund.
    Y a eu pas mal d’articles sur Edelman dernièrement, dans « Leur Presse » (pour reprendre l’expression utilisée par le jura libertaire), d’ailleurs.
    Par exemple : http://www.courrierinternational.co...
    Ce qui permet aussi de tisser un lien vers Israël et la Palestine.

    Voir en ligne : http://news.google.fr/news/story?um...

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