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lundi 15 décembre 2008

Le Charançon Libéré

posté à 11h17, par JBB
20 commentaires

L’idéal salarial ? Ne faire qu’un avec son entreprise. Hop, tous en rang !
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L’exploitation salariale ? Allons donc : ça n’existe plus. Aujourd’hui, les employés font corps avec leur entreprise, tirant fierté de concourir à une oeuvre commune et se glorifiant de représenter un idéal industriel. A tel point qu’attenter à l’image d’un groupe ou d’une entreprise signifie désormais manquer de respect à tous ceux qui y exercent leur force de travail. illustration.

Il m’arrive souvent de regretter de ne pas être salarié.

Tant me manque ce sentiment d’appartenance à une grande famille.

Et tant j’aimerais, moi aussi et de temps en temps, éprouver cette belle sensation de faire corps avec mes hiérarchie et mes camarades.

Pouvoir me glorifier de représenter un grand nom, une marque, un idéal industriel.

Et sentir que mon travail participe d’une belle et noble cause, douce fierté de prêter main forte à une œuvre commune.

J’adorerais.

Vraiment…

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Quoi ?

J’exagère ?

J’idéalise ?

Allons donc : il est loin le temps des carnets ouvriers, des excès patronaux dénoncés par Zola, de la mise au pas d’une main d’œuvre corvéable à merci pour le plus grand profit d’une petite caste de possédants.

Depuis le XIXe siècle, les choses ont changé.

Et plus rien aujourd’hui ne s’oppose à ce que salariés et patrons filent le parfait amour.

Tous unis dans leur volonté de servir au mieux l’entreprise.

Et si fiers de concourir à ce bien commun qu’ils font leurs l’identité et le nom de leur employeur.

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Un sentiment de corps que soulignait récemment - même si par la bande - André Roelants, président de la célèbre chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream, qui se félicitait en ces termes de décisions de justice donnant raison au groupe contre Denis Robert : « Pour nous et pour les 1 500 salariés de Clearstream dont le travail a été sali sans raison, une page se tourne. »

Tant il est vrai que le journaliste avait manqué de respect à chacun des salariés du groupe en osant enquêter sur la chambre de compensation.

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Un sentiment de corps que rappelait tout aussi récemment - même si toujours par la bande - Martin Bouygues, grand patron du groupe du même nom s’indignant qu’on puisse imaginer TF1 tirer les ficelles - et les marrons - de la réforme de l’audiovisuel public : « Je demande un peu de respect : Bouygues est un groupe qui existe depuis 1952, qui emploie 150.000 personnes et qui participe au développement économique et au rayonnement de la France. C’est très mal vécu par les salariés de Bouygues, qui se demandent : ’Pour qui ces gens nous prennent-ils ?’ »

Tant il est vrai que chacun des salariés du groupe Bouygues a perdu sommeil et santé à la lecture des viles attaques et perfides critiques qui ont émaillé la mise en place de cette réforme si profitable à l’intérêt commun…

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C’est pourtant clair : à Clearstream ou à TF1, tous unis face aux attaques de l’extérieur.

Et faisant front commun au service des intérêts supérieurs de l’entreprise.

Ce que Gérard Filoche dénonce - même si par la bande - dans sa chronique hebdomadaire servie à Siné Hebdo.

Où il s’insurge à juste titre de l’usage par l’entreprise du terme collaborateur en lieu et terme de celui de salarié :

« Le code du travail, c’est la contrepartie à la subordination. En supprimant la subordination, on cherche à enlever la contrepartie. On fait croire que dans l’entreprise, tous ont le même ’challenge’, le même ’défi’, que tous sont dans le même bateau… Jusqu’à ce que le patron parte avec le bateau et que le salarié reste amarré sur le quai à l’ANPE, et il s’aperçoit alors qu’il n’était pas collaborateur mais bel et bien subordonné…Or le patron et le salarié n’ont pas les mêmes intérêts. L’un cherche à vendre sa force de travail le plus cher possible, l’autre veut la lui payer le moins cher possible. »

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Un qui doit maintenant bien savoir à quoi s’en tenir sur la question, c’est ce salarié de Michelin qui avait cru bon de critiquer son employeur sur internet.

Et s’était pensé autorisé à le traiter « d’exploiteur ».

Licencié pour le compte, le bougre aura au moins appris les limites de la liberté d’expression.

Un principe qui ne compte plus - à l’évidence - face à la sacro-sainte « image » de l’entreprise, icône moderne dont il n’est pas permis de dénoncer les mensonges et les illusions.

Sauf à vouloir salir le travail et attenter à la fierté des 32 000 salariés de Michelin en france.

Et ça…

C’est mal.

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Bonus track…


COMMENTAIRES

 


  • Petite info intéressante : dans la loi anglaise, les employés sont désignés par le mot « servant » et les employeurs par le mot « master ». Serviteur et maître.

    Nous avons remarqué précédemment qu’un grand nombre de gens ne sont même pas conscients qu’ils vivent dans une société basée sur la location d’êtres humains. Mais avant que nous ne suggérions que « Le Grand Mensonge » ou la fausse conscience idéologique puisse aussi exister de ce côté-ci du Mur de Fer, nous devrions vérifier que les gens savent au moins le nom légal traditionnel de la relation de travail. Les esclaves savaient qu’ils étaient des esclaves, mais est-ce que les employés connaissent leur nom légal ? « Employeur-employé » n’est pas le nom traditionnel ; c’est du novlangue qui n’est entré dans l’usage de la langue anglaise qu’il y a moins d’un siècle. La société semble avoir « caché » dans la conscience populaire le fait que le nom traditionnel est « maître et serviteur. » Sans éducation particulière au niveau de la loi ou de l’histoire, on pourrait penser que le mot « serviteur » ne fait référence qu’aux domestiques. Mais les serviteurs domestiques ne sont que des serviteurs domestiques, tandis que les employés sont des serviteurs dans le sens technico-légal du mot.

    Voir en ligne : Lien

    • lundi 15 décembre 2008 à 19h47, par JBB

      Comme d’habitude dès qu’il s’agit de langue étrangère, je n’étais pas au courant.

      Ça a au moins le mérite de la franchise, je trouve. :-)



  • « Et plus rien aujourd’hui ne s’oppose à ce que salariés et patrons filent le parfait amour. »

    Une idylle avec Florence Parisot enfin rendue possible à tous les salariés ? c’est à ce genre d’avancée sociale que l’on mesure que la politique conjointe du MEDEF et de Sarkosy est vraiment avant-gardiste. Et dire que je ne fais plus parti de ce club de plus en plus fermé de ceux qui participent à la modernisation des rapports sociaux.Trop con !

    • Eh non ! Et ça te vaudra même un soufflet (c’est comme ça qu’on dit dans les faubourgs et à Neuilly) si tu essayes... Elle s’appelle Laurence, pas Florence !

      • lundi 15 décembre 2008 à 19h54, par JBB

        @ Wuwei : je suis sûr que si tu y mets beaucoup de bonne volonté, le club serait prêt à te reprendre. Suffirait que tu récites cinq Ave Cherèque tous les soirs, que tu promettes de lire tous les éditos de Joffin pour les trois prochaines années et que tu laisses de temps en temps des commentaires admiratifs sous les articles économiques du Figaro. Rien d’insurmontable, quoi…

        @ NaOH : ne jamais sous-estimer la violence symbolique de l’adversaire : à chaque fois que j’entends Laurence parler, c’est comme si elle me mettait des coups de boule à répétition…

      • @NaOH
        « Elle s’appelle Laurence, pas Florence ! »

        Je dois être influencé par l’Italie comme notre ex-chef de l’Europe mais toujours chanoine honoraire de St Jean de Latran.



  • Cela rappelle l’affaire de Petite Anglaise qui était d’une impertinence encore bien plus modérée, mais ses employeurs n’appréciaient guère son humour. Dans le cas présent, il ne s’agit même pas d’un détournement des outils de travail - le blogue était alimenté à domicile - ou d’une divulgation de secrets d’entreprise, mais clairement d’un délit d’opinion au sujet des conditions de travail et de salaire. Je crois que si ces propos avaient été tenus dans la presse ou à la télé ou à la radio, le résultat aurait été le même. Il n’y a pas de fait aggravant dans ce cas comme pour ce qui arrive au sujet d’autres propos tenus sur la Toile. Michelin est bien connu comme une entreprise discrète du point de vue communication (on est loin du bling-bling), paternaliste, et fort conservatrice. C’est son image qui était en jeu, sauf que pour une fois elle est mise en avant par sa réaction. C’est souvent contreproductif lorsqu’on s’attaque à la Toile (mais on a les exemples inverses du prof de ZEP ou de Bereno, l’inspecteur du travail).

    Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

    • lundi 15 décembre 2008 à 20h03, par JBB

      Pour le délit d’opinion, on est d’accord : ça se résume à ça.

      Par contre, je n’ai pas très bien compris de quel support il s’agissait. Tu parles de blog, mais j’ai aussi lu fiche copain d’avant (sur Arrêt sur Image) et forum (dans les articles de presse). Tu sais de quoi il s’agissait exactement ?

      • lundi 15 décembre 2008 à 21h17, par JBB

        J’ai rien dit, je viens de trouver la réponse dans un billet d’Arrêt sur Image : en fait, il l’avait inscrit sur Copain d’avant. Et sa remarque s’est retrouvée sur JDN réseau, parce que les deux sites ont le même proprio et qu’ils se permettent d’établir des passerelles automatiques entre eux deux.

        Hop, c’est tout.

        • lundi 15 décembre 2008 à 22h09, par Dominique

          J’ai fait une confusion avec le deuxième employé mis à pied pour des propos plus cohérents au sujet de ses cadences et de son salaire, là ce n’était pas dans la fiche de Copains d’avant, plutôt sur un blogue ou forum. Mais je ne peux retrouver la référence, car je l’avais lu sur un autre micro. En tout cas, vu les précisions d’asi on se retrouve alors dans le cas de Petite Anglaise avec une plaisanterie (idiote certes, mais là n’est pas la question) fort innocente et une sanction disproportionnée.

          Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

          • mardi 16 décembre 2008 à 11h35, par JBB

            Exactement. Et la question de la responsabilité du site qui est engagée, puisque c’est par lui, qui s’est permis de répandre la citation, que le scandale arrive.

            Il y a heureusement un truc de presque sûr : ce salarié ne peut que gagner aux Prud’hommes. Enfin, j’espère.



  • J’ai mis cette annonce chez ma crémière : « A vendre pour pas grand chose : un train de pneus usagés de marque Michelin. »

    (Je n’ai pas envie de rouler avec des pneus fabriqués par un exploiteur...)

    Personne n’en a voulu, on m’a même dit que Michelin ferait mieux de faire des savonnettes. Preuve que son image de marque s’effondre avec cette histoire.

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • lundi 15 décembre 2008 à 20h11, par JBB

      C’est pas un pneu exagéré comme réaction ?

       :-) (Désolé, c’était juste pour la placer. Au fond, c’est ce quis’appelle mettre ses convictions en accord avec sa locomotion.)



  • Je suis d’accord pour conspuer les Bouygues et autres Parisot (est-il bien besoin de le préciser ?...), m’enfin quand même, c’est pas pour dire du mal de la classe laborieuse, hein... Mais il existe une proportion absolument désespérante de « collaborateurs » qui clament qu’il ne faut pas cracher dans la soupe, qu’il faut pas se plaindre parce qu’ailleurs c’est pire, qu’« on » a au moins la chance d’avoir un boulot, etc. Le plus souvent, ce sont les exploités, et non les exploiteurs, qui font remarquer à un autre exploité qu’il critique trop l’entreprise qui le fait vivre, qu’il est une sorte de brebis galeuse. (Il faudrait aussi rappeler que c’est très à la mode de vendre des actions de son entreprise aux salariés, parce que ce truc provoque une sorte de clé de cerveau... On devient complice de l’actionnariat et du patron ; c’est une technique de musèlement très efficace).

    J’ai toujours pensé que le Système nous rendait plus ou moins schizophrènes. Mais là, avec la Criiise, c’est proprement ahurissant.
    (Je suis claquée et j’ai pas l’impression d’arriver à dire ce que je voudrais. Je crois que je réessaierai demain...)

    Bises et bonne nuit !

    PS : je suis tombée sur un article hallucinant sur le site Capital, où il est question de patron qui peut porter même contre un ex-salarié pour diffamation...
    « Cette affaire prouve bien que le salarié doit faire preuve de discrétion même lorsqu’il quitte son entreprise. Sous peine d’être attaqué en diffamation. » (burp)

    Voir en ligne : http://flopy.canalblog.com

    • mardi 16 décembre 2008 à 11h46, par JBB

      « Le plus souvent, ce sont les exploités, et non les exploiteurs, qui font remarquer à un autre exploité qu’il critique trop l’entreprise qui le fait vivre. »

      C’est clair. En même temps et crise aidant, si ceux qui vivent grâce à l’entreprise sont de moins en moins nombreux, le camp de ceux qui « collaborent » va méchamment se réduire.

      « On devient complice de l’actionnariat et du patron ; c’est une technique de musèlement très efficace. »

      Tout d’accord. (Mais j’ai l’impression d’avoir déjà entendu ça :-) Heureusement qu’il reste des âmes intègres pour refuser de jouer ce jeu biaisé de l’actionnariat salarial.)

      Pour Capital, je suis aussi surpris que toi. Je ne pensais pas que les entreprises pouvaient avoir une telle latitude pour faire taire les voix critiques. Et puis, je suis tombé sur ce lien, « Comment réagir à une diffamation de votre entreprise sur Internet ? » : entre l’action en référé et le prétexte du dénigrement, on se rend compte qu’une boîte peut obliger quiconque au silence.



  • « Et tant j’aimerais, moi aussi et de temps en temps, éprouver cette belle sensation de faire corps avec mes hiérarchie et mes camarades. »

    en plus, c’est rien avec le plaisir que t’aurais de pouvoir diriger tes subordonnés avec mépris.

    Vanadium.... pour un Chef :
    http://snurl.com/8ctqw

    • mardi 16 décembre 2008 à 11h51, par JBB

      Si c’est pour le chef, le doigt est bienvenu. :-)

      (Mais je ne me suis plus fait avoir, cette fois-ci…)



  • Mon petit bonus track beaucoup moins ironique et plus radical :

    écouter ?

    see ya !

    Voir en ligne : Mon blog actif et militant (?)

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