ARTICLE11
 
 

lundi 24 janvier 2011

Le Charançon Libéré

posté à 16h38, par JBB
28 commentaires

Courrier de l’au-delà : le docteur Destouches nous écrit à propos de « célébration nationale »
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Ah ça, il n’a pas aimé. Nourrissant les asticots depuis 50 ans, louis-Ferdinand Céline se pensait à l’abri d’une polémique nationale - politique et médiatique. Il se croyait - surtout - peu susceptible d’intégrer « la liste des individus dignes d’être célébrés » par la République. Erreur... Devant le scandale, le docteur Destouches a donc été contraint de reprendre la plume.

« Me l’ont-ils demandé, mon avis ? Pensez-vous... Le cadet de leurs soucis... Si je la voulais leur breloque ? S’en fichent... Louis-Ferdinand Céline enjeu du débat ! Et les crétins politiciens parlent de moi, sur moi ; en mon nom, même ! Et d’autres crétins contestent, protestent, vitupèrent - et jusqu’à la télévision ! Moi ! À la télévision ! Une enflure me crucifie... une autre prend ma défense... les deux d’accord pour débattre de ma petite personne. Ridicule emphase. Ah mais ! Je n’ai rien demandé ! Laissez-moi tranquille, enfin !

Ils avaient fait une liste. Une liste ! J’en ai dressé, moi, des listes, blazes de ceux qu’on devait exclure, attaquer, blesser, écharper, tuer, parce que juifs, communistes, différents. Avant... Longtemps... Mais la leur ! Cette liste ! Encore plus sale... Détestable ! Médiocre ! Épouvantable ! Une « liste des individus dignes d’être célébrés ». Ah, pâme ! Par un « Haut comité des Célébrations nationale ». Ah, fouette ! Et les flonflons, et la République, pompe, décorum, et le clairon qui sonne. Pom ! po ! pom ! Le tambour qui vibre. Ta ! ga ! dam ! Ta ! ga ! dam ! Les cons ! Me sacrer roi d’une pissotière... empereur des égouts... général d’une armée de pouilleux... Moi !

Ils s’écharpent sur mon nom, se paluchent sur mon œuvre, ils l’appellent ainsi, fats et sérieux. Ai-je voulu incarner quelque chose ? revendiquer une postérité ? Ah, infâme ! Sale mot, postérité. Invoquer la postérité, c’est faire un discours aux asticots1. Crache... suinte... sue... meurs... et cinquante ans après, on t’emmerde encore, on te sort du trou pour te promener et t’exhiber partout, défilé de cadavres pour grandir les vivants, Mort à crédit. Le cortège des pour, la manifestation des contre, drapeaux et foules au pas de l’oie. Garde à vous, fixe ! Et youp ! Et yop ! Caracole ! Quelle pagaye... La paix ! Fichez-moi la paix, je vous dis. En ai-je réclamé des tourbillons officiels ? des tribunes ministérielles ? un caniche d’État pour me décerner ou refuser un brevet de littérature ? une médaille ? à Louis-Ferdinand Céline la Nation reconnaissante ? comme à la guerre ? promu pour services rendus ? À l’aide, Bardamu ! Sors-moi de là, désertons ! À l’aide, je te dis !

On passe son temps à tuer ou à adorer en ce monde et cela tout ensemble. « Je te hais ! Je t’adore ! »2 Je n’ai jamais rien aimé, moi. La mort et la haine seulement, et entières, et totales. Si médiocre, vil, et lâche, je me pensais à l’abri. Détestable. Irrécupérable. Crois-tu ? Ils essayent quand même. Peur de rien, les bougres... Main basse sur mon cercueil ! M’arracher aux vers... se disputer mes restes, Bagatelle pour un massacre... fourgonner mes châsses... brandir mon squelette... sarabande d’os jaunis et puants... Ah, obscénité ! Repartez d’où vous venez ! Vade retro ! Viens-je me mêler de vos tristes affaires, moi ? mettre mon nez dans vos histoires de gouvernement et de publicité ? touiller votre merde ? Allons... Partez ! Maintenant !
Oubliez-moi. Ne m’aimez pas. Pas de discours, de célébration ou d’anniversaire. Oh ! là ! là ! Grotesque. Jamais ! Juste le silence, grand repos, lente mastication des vers et confort de la terre, mon Voyage au bout de la nuit. Ni pour, ni contre. Rien ! Mes mots, peut-être, qui restent là. Surnagent. Glissent. Zing ! zang ! zoung ! Et qu’on n’en parle plus. »



1 Dans Voyage au bout de la Nuit.

2 Itou.


COMMENTAIRES

 


  • Héhé... joliment imité, bravo.............. y a que le « à l’aide » qui me paraisse un peu trop.... enfin, je n’imagine pas Céline écrire « à l’aide » pour sa pomme.

    C’est vraiment des connods les valets de la république, z’ont qu’à nous ressortir Pierre Benoît comme ça y aura pas de vagues. Oh et puis non, tiens qu’ils crèvent !!!

    • « qu’ils crèvent !! ! »

      Pas mieux.... :-)

      Et puis, c’est vrai, Céline n’est pas trop crédible, en mec poussant des appels au secours. Quoique... L’estimable Georges Weaver rappelait ceci, en commentaire à un très récent billet littéraire de Lémi :

      « Il était très avide de reconnaissance. Dans les dernières lettres qu’il adresse à Gaston Gallimard, après que Paulhan a jeté l’éponge et refuse de poursuivre sa correspondance avec pareil mauvais caractère, Céline s’offusque de ce que son œuvre ne reçoit pas assez de publicité, et il presse l’éditeur de le publier en Pléiade (voir Lettres à la N.R.F. (1931-1961), Gallimard, 1991). »

      • mercredi 26 janvier 2011 à 17h07, par George Weaver

        Oui, mais en même temps ce n’est pas du tout formulé comme des appels au secours ou des demandes d’aide : en réalité, il ne cesse d’agonir Gaston d’injures plus ou moins directes et de lui adresser des reproches, voire des menaces plus ou moins fantaisistes (la dernière, la veille de sa mort : venir défoncer l’immeuble de la rue Sébastien-Bottin, aux commandes d’un bulldozer !). Mais quelle que soit la férocité de la charge, Gaston ne se départit jamais d’un flegme qui rend cette correspondance assez désopilante. Ainsi, lorsque Céline lui reproche de ne même pas faire figurer ses ouvrages au catalogue de la maison, Gallimard a beau jeu de lui rétorquer que le catalogue mentionné est celui de la collection… « Du monde entier », réservé aux auteurs étrangers !



  • lundi 24 janvier 2011 à 17h46, par Cui cui fit l’oiseau

    Ah ! Brillant pastiche !

    Je suis même presque certain que ce sont exactement les mots qu’il aurait employés s’il était encore de ce monde !

    Faut il qu’on vive dans un monde bien terne pour ne trouver personne pour le remplacer et pour justifier sans cesse ce besoin de commémorations.

    Sors du corps de JBB, Céline ! ;-)

    Encore bravo.

    Voir en ligne : http://cuicuifitloiseau.blogspot.com/



  • Le défi était de taille. Vous l’avez joliment relevé.
    La rubrique Courrier de l’au-delà est toujours savoureuse...



  • C’est vrai que ce pastiche de Céline est troublant et très bien réussi .
    Il y a un consensus qui gêne quand même : tout le monde martèle qu’il s’agit d’un immense écrivain (de mittterrand au nain, mais même chez beaucoup d’artistes) et d’un ignoble individu.

    Or, par rapport à d’autres écrivains du même siècle comme Michaux, Prévert, Beckett, Char, Ollier, Gracq,Le Clézio, Manchette, Modiano, par exemple, je ne vois pas-sacrilège...- en quoi il serait « meilleur ». Il est même franchement moins bon et -gasp ! hyper sacrilège !!!-surfait : la raison de ce consensus ne serait elle pas que aussi ignoble fût il, il était surtout très à droite, et qu’il est bon d’ insinuer que le « génie littéraire » est de droite : un rêve de droite de plus .

    • mardi 25 janvier 2011 à 08h47, par cultive ton jardin

      Ah ben si, il a inventé une langue. La première fois que tu lis Céline, tu ignores tout le reste, tu prends un coup dans l’estomac. C’est poignant de hargne et de désespoir. Plus tard, quand tu as appris qui c’était, tu t’interroges : peut-on être écrivain de génie et salopard ? Ben oui, évident. Comme on peut être excellent plombier et voter FN, comme on peut être compositeur ou philosophe et être, quand même, une ordure. Je crois que ce qui a conduit Céline vers l’abjection, c’est cela même qui fait son génie, la haine, la hargne, le désespoir. Rien ni personne à « sauver ». Je l’entends ricaner, en effet, dans ce texte. Bien vu. Et il y a une partie de nous qui ricane avec lui, c’est par là qu’il nous touche.

      Rien à voir avec Prévert par exemple. Lui aussi a inventé une langue. Une autre. Et comment comparer Céline avec Prévert ? ils ne sont tout simplement pas dans le même monde. Certes, les machins qui nous gouvernent ne nous proposeront pas de commémorer Prévert. S’ils osent (ils ont bien osé pour Camus) il faudra leur taper sur les doigts, très sec !

      • @ cultive ton jardin :

        « Comme on peut être excellent plombier et voter FN, comme on peut être compositeur ou philosophe et être, quand même, une ordure. »

        Ben non, on peut pas !

        Et si cet excellent plombier est un facho, je le fais pas bosser et en choisis un autre !

        Seriez fiers que votre fils soit Céline ? Pas moi...

        Lui serreriez la main ? Pas moi !

        Y a des trésors engloutis pour l’éternité au fond des océans ; peuvent bien y rester...

        • @ rature : c’est très bidon, ce que je vais dire, mais je pense qu’on touche là à la pure subjectivité. Personnellement, je ne me retrouve pas beaucoup dans les auteurs que tu cites (sinon Manchette ; mais, par v exemple, je n’aime vraiment pas Le Clezio), tandis que le style et la langue de Céline me laissent complétement pantois, admiratif à chaque page, ébahi et toujours impressionné. Bref, le côté « surfait » me paraît propre à chacun - donc, à chaque fois et en même temps, éminemment contestable et défendable.

          @ cultive ton jardin : rien à ajouter à tout ce que tu écris, c’est exactement ça et joliment dit. J’adhère.

          @ anonyme : « Et si cet excellent plombier est un facho, je le fais pas bosser et en choisis un autre ! »

          Là, c’est autre chose. Le truc, c’était de dire qu’on peut être immensément bon quelque part et salopard par ailleurs. Une fois ceci posé, il n’y a rien qui t’oblige à prêter attention et à savourer ce talent - bien au contraire. Mais s’il fallait éliminer de ma bibliothèque tous les écrivains qui ont pu se comporter comme des salauds (à des titres divers, hein, ça va du réac classique à la Ellroy jusqu’au facho insupportable façon Céline), il y aurait comme un grand vide.

      • samedi 26 février 2011 à 23h28, par David Marsac

        J’approuve votre commentaire : ON peut être excellent gauchiste (et plombier) et voter FN. ON peut être désespéré et voter FN. On peut être rebelle et voter FN. ON peut finalement être tout et son contraire et lire Céline, ce radoteur de l’art roman. ON peut même être antisémite et raciste et voter FN et lire Céline. ON peut sans doute lire Article11 et voter FN. ON est peut être n’importe qui et faire n’importe quoi. Et vous, qui cultivez votre jardin, vous vous situez où et vous votez quoi, à part lire Céline ?
        Me gêne votre manière de noyer la question Céline, façon rebelle et contre tous, alors qu’il existe de bons livres, à commencer par l’œuvre de Céline à lire bien au-delà du Saint Voyage, qui montrent le contraire. Vous en verriez des vertes, des mûres et puis surtout des brunes de couleurs, qui vous donneraient envie de répondre à la question suivante : Pourquoi n’aimez-vous pas Céline pour ce qu’il est : un grand écrivain raciste ? Votre réponse aurait le mérite d’éclaircir la question au lieu de la redéfinir à force de recadrages piteux sur l’œuvre et l’écrivain Céline. On peut finalement être aveugle et lire Céline.

        Voir en ligne : http://www.lesdoigtsdanslaprose.fr



  • Sachez avoir tort. Le monde est rempli de gens qui ont raison. C’est pour cela qu’il écoeure.

    La merde a de l’avenir. Vous verrez qu’un jour on en fera des discours.

    Ce sont deux autres diagnostiques assez pertinents du docteur . En tout cas clap, clap, clap et re-clap, pour ce « courrier » toujours si pertinent.

    • diagnostics et non pas diagnostiques, bien sur. Vite chez mon oculiste !

      • « Au cul, les listes ! », aurait dit Céline.

        • @ Wuwei : ces deux citation sont parfaites. C’est d’ailleurs toujours étonnant de vérifier combien il a pu toucher juste sur certains points et se planter lamentablement sur d’autres. C’est très bateau à dire, mais il y a là un subtil mélange de talent, lâcheté, vive intelligence et médiocrité - ça me surprend toujours.

          @ George Weaver : eheh.... :-)

          • talent lachete vive intelligence et mediocrite, ouais...

            Ca me fait penser a un passage du « traite de savoir vivre... » de Vaneigem

            (reproduction de mes notes, autour de la page 64, je sais pas si les citations sont exactes)

            Le désespoir est la maladie infantile des révolutionnaires de la vie quotidienne
            Au royaume du desespoir, la lucidité aveugle à l égal du mensonge
            L usure des gestes freinés, entravés, interdits, ronge plus sûrement qu un cancer, mais rien ne généralise le « cancer » comme la conscience claire d une telle usure.
            Il existe une prise de conscience admise par le pouvoir car elle sert ses desseins : ou la mort contre le pouvoir, ou la mort dans le pouvoir.

            Je pense que ca définit assez bien le Céline : une prise de conscience claire et nette de LA NUIT, de « la mort qui nous gouverne », mais pas une once de cette joie pure nécessaire a transformer cette conscience puissante en puissance créatrice.

            Ce qui n enlève rien a la portée de l oeuvre, pourvu qu on s interesse a sa suite et a ses consequences...



  • Bravo pour ce brillant texte tout frais issu de l’école des cadavres !

    Cette affaire tourne au massacre pour une bagatelle, comme dirait Émile Brami



  • Saludos !

    Les vrais cons de cette tempête dans un verre à dents sont ceux qui ont cru qu’on pourrait inscrire Celine
    parmi “ceux dont la vie, l’œuvre, la conduite morale, les valeurs qu’ils symbolisent sont, aujourd’hui, reconnues comme remarquables".

    L’oeuvre ? Oui, bien sûr.
    Mais la vie et la conduite morale ? Mwahahahaha.

    A moins que ce ne soit encore un coup fourré des « Célinens » (pas des « petits gris » venus d’une autre planète, non, ceux dont parle Emile Brami dans son livre cité plus haut ?) qui n’ont de cesse depuis toujours de vouloir réhabiliter l’homme parce que son oeuvre littéraire est immense.

    Et la veuve, Lucette ? Elle en pense quoi, la veuve ?
    A part empêcher toute réédition même savante et critique des fameux pamphlets (qu’on trouve pour 250€ sur amazon et qu’on peut aujourd’hui lire pour rien (sinon pour vomir) ailleurs sur internet).

    En conclusion je conseillerais à tous la lecture des deux livres suivants :

     × “ Céline en chemise brune ” de Hans- Erich Kaminski Kaminski (écrit en … 1938 !!! ) réédité par Mille et une nuits en 1997.

     × “ Céline ou D’une gêne persistante à l’égard de la fascination exercée par Louis Destouches sur papier Bible ”, de Jean Piere MARTIN Éditions José Corti, 1997

    Ça calme les ardeurs en réhabilitation.

    Et comme pied de nez de l’histoire, j’ai vu que Frédéric Mitterrand, neveu de qui on sait, est aussi petit neveu d’Eugène Deloncle (le bien nommé ;0), cofondateur de La Cagoule.

    Petit monde rance, tout ça.

    Alors pour changer d’air et de style, je vais aller relire à mes zguriños « Les contes de la rue Broca » d’un autre sacré salopard, Pierre Gripari, qui écrivit quand même de bons livres à mettre même sous les yeux des enfants.

    Arf !

    Zgur

    Voir en ligne : http://zgur.20minutes-blogs.fr/arch...



  • Hello

    Je ne suis point un littéraire et encore moins porté sur le « jugement », mais un salop reste un salop, qu’elle que soit son « génie » artistique.

    « La bonne question n’est pas de savoir comment un libertaire en vient à s’acoquiner avec des nazis mais pourquoi ce genre de personnage croit bon de se déguiser en libertaire. »

    Michel Bounan, l’Art de Céline et son temps (Allia, 1997, 112 p.)

    amitiés



  • J’avais 13 ans quand mon père, anar, m’a fait lire « Mort à Crédit », et 14 ans quand j’ai entendu « Rock around the clock » pour la première fois au cinoche. Quel rapport ? Deux chocs. L’un littéraire, si l’on peut dire car Céline massacrait allégrement ce que l’on entendait jusque-là par « littérature », l’autre musical, encore que Bill Haley et ses Comets donnaient moins envie de les écouter que se dresser de son fauteuil pour aller gesticuler dans l’allée. Dans les deux cas, divorce entre la forme et le fond, comme cela a été rappelé. « Graine de violence », le film de Richard Brooks auquel « Rock around the clock » servait de musique de fond est un film que l’on qualifierait aujourd’hui de « sécuritaire ». Il relate la reprise en main par un enseignant sympa mais à poigne d’une classe dressée contre lui à l’instigation d’un voyou réellement méchant, avec l’excellent acteur Gleen Ford — colonel de l’US Air Force et réac notoire dans le civil — dans le rôle du prof. Quant à Céline, tout a été dit (surtout des conneries) sur le personnage, mais on cherche encore, depuis lors, un écrivain français capable d’inventer un style susceptible de vomir par les mots la saloperie du monde bourgeois. Je sais bien qu’il y a des gens qui souhaiteraient pouvoir prendre leur pied en lisant un auteur dévastateur noyant sous un torrent verbal l’abjection de son époque, non pour s’y complaire, mais pour s’en libérer et inciter ses lecteurs à faire de même. En attendant, ils n’ont qu’à (re)lire Rabelais !
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