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samedi 2 avril 2011

La France-des-Cavernes

posté à 12h48, par Ubifaciunt
26 commentaires

Dis, quand reviendras-tu ?
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Chroniques d’un éducateur de rue dans un quartier populaire de la banlieue parisienne. Aujourd’hui, c’est la journée de la femme et l’on trace la route vers le Nord - deux amoureux enlacés sur la banquette arrière, jeunes banlieusards heureux de quitter la cité pour quelques heures. Comme un air de vacances, une excursion avec Barbara en fond sonore. Profitant encore de la liberté.

C’était la journée de la femme, et tu gueulais pour la forme dans la bagnole, ton chéri qui dormait dans tes bras, toi le soutenant ; Barbara chantait dans l’autoradio.

La journée avait été belle ; pour toi, comme imprévue. Pour le chantier éducatif du moment, on emmenait trois jeunes visiter une imprimerie, à trois cents bornes de notre banlieue. Deux annulent au dernier moment, l’un étant au ski, l’autre malade. Le dernier était ton amoureux.

Du coup, connaissant ses silences procédant d’autant de timidité que de réserve, on t’appelle, à huit heures du mat’, pour te proposer de nous accompagner.

Le beau temps est au rendez-vous, cap au nord, frontière belge, on parle de frites et de tabac moins cher, de ton homme qui commence à ronfler paisiblement sur la banquette arrière, après sa petite nuit.

Aire d’autoroute, station-service. Café, clopes, chiottes. La bagnole qui nous suivait depuis vingt bornes s’est arrêtée elle aussi. Elle est marquée « 115, Samu social de Paris ». Un gars, gueule abîmée et traits tirés, en descend le premier. S’allume une clope et en propose au monsieur et à la dame qui descendent à leur tour. Sort de la petite monnaie et les enjoint à accepter au moins le café puisqu’ils ne fument pas. Ils refusent à nouveau. « On verra quand on sera arrivés à Bruxelles. »

À la portière, tu veilles celui qui dort et me demandes de faire gaffe à lui, le temps que tu ailles pisser. Pas l’occasion, donc, d’aller saluer ceux que je présume être des collègues. C’est sans doute mieux, au fond, que certaines histoires restent muettes.

La route s’étire et il finit par se réveiller. Vous vous cherchez un peu, tu voudrais bien prendre sa place à l’arrière car c’est la journée de la femme après tout ; il est fatigué et se rengorge, se rendort, ou fait semblant.

À l’imprimerie, nous sommes presque à la bourre, il en voit cependant assez de ce qu’il aimerait être son futur métier, plutôt que tous les plombiers, secrétaires, vendeurs, comptables, ou maçons qu’on a pu lui proposer comme BEP. Tu regardes les machines et l’imagines sans doute plus tard dans son bleu, comme ces ouvriers qui prennent leur pause déjeuner.

Dans le Nord, en plus d’être la journée de la femme, c’est Mardi gras et Carnaval. Les gosses des écoles sont déguisés en pirate ou en fée. Un s’est peinturluré de noir. C’est le seul qu’on verra ici, à part ton homme ; vous n’êtes déguisés qu’en banlieusards qui viennent en visite et se font beaux, casquettes nickels, sweats repassés, baskets de marque.

On galère un peu pour trouver une friterie. Entre les briques rouges des rues, vous vous prenez le bras bien plus qu’au quartier, comme deux amoureux normaux loin du regard des autres, vous riez aux éclats. J’essaie de me faire lointain.

Avant de rentrer, on passe en Belgique, histoire de dire, d’acheter des clopes, d’être à l’étranger. Pas de douaniers en vue, rien à déclarer, trois bonnes heures de retour en bagnole.

Il ne veut toujours pas laisser sa place sur la banquette. Tu le rejoins et il s’endort dans tes bras. Les bouchons arrivent avec la région parisienne. Je mets Barbara, plus pour ne pas m’énerver que pour autre chose. C’est là où tu me demandes qui c’est, de remettre la chanson et de monter le son.

On va pour se quitter et je dis à ton homme que je l’appelle le lendemain, après avoir eu le tribunal au téléphone. A la fenêtre, tu fredonnes la vertu des femmes de marins, pas encore celle des détenus.

« Tu voudras que je te copie le CD ?
- Oh, oui, avec plaisir !
 »

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COMMENTAIRES

 


  • samedi 2 avril 2011 à 17h49, par un-e anonyme

    quand on fait les 3 huit, en étant imprimeur, faut pas aller picoler en sortant du boulot.
    Hein, conseil...

    et puis si c’est pas trop demander, ne pas sniffer des produits toxiques toute la sainte journée.

    etc...etc...etc...

    • samedi 2 avril 2011 à 23h28, par Ubifaciunt

      Le gaillard ne picole pas, au moins ça c’est bon (enfin façon de voir...) Quant aux produits, ça le brancherait peut-être plus !



  • samedi 2 avril 2011 à 22h13, par un-e anonyme

    Touchant.

    Me souviens d’une fois où on m’avait emmené en Belgique. Pas tout à fait dans les mêmes conditions, mais bon... Les frites étaient dégueulasses cela dit.

    • samedi 2 avril 2011 à 23h29, par Ubifaciunt

      Hey hey, mais là aussi, les frites étaient dégueues (mais on avait pas encore passé la frontière...)

      • samedi 2 avril 2011 à 23h48, par un-e anonyme

        Justement, moi c’était pire, j’étais en Belgique merde. Une baraque à frites au bord de la route...

        • dimanche 3 avril 2011 à 16h40, par un-e anonyme

          Et faudra pas oublier de nous donner des nouvelles des tourtereaux. Genre happy end.



  • dimanche 3 avril 2011 à 18h45, par un-e anonyme

    Je te connais pas mais j’adore ce que t’écris.

    Alors s’teuplé, continue !!!

    (rien de très constructif à dire mais si ça peut faire plaisir...)

    • dimanche 3 avril 2011 à 22h23, par Ubifaciunt

      Merci infiniment, oui, évidemment que ça fait toutafé plaisir !!!



  • dimanche 3 avril 2011 à 21h29, par dan

    Je suis toujours aussi fan de vos billets, sur papier ou sur le site.
    J’aimerais aussi avoir des (bonnes) nouvelles de vos deux amoureux.
    Merci

    • dimanche 3 avril 2011 à 22h24, par Ubifaciunt

      Encore merci Dan !

      Pour l’instant, ils vont bien...

      Et pourvu que ça dure.



  • dimanche 3 avril 2011 à 23h29, par Jérôme Leroy

    Et toi, jamais tu viens dire bonjour à un aimable abonné ?

    Voir en ligne : http://feusurlequartiergeneral.blog...



  • lundi 4 avril 2011 à 17h24, par Soisic

    C’est là que, un disque de Barbara sur la platine, je me dis : il écrit de bien belles chroniques, Ubifaciunt, même si ses mots croisés émanent d’un esprit retors ! ;-)

    • lundi 4 avril 2011 à 21h19, par Ubifaciunt

      Ah bah, bien le merci et Barbara chantant derrière, ça ne peut que me ravir... Quant aux mots croisés, c’est pas retors, juste un poil tordu !



  • lundi 4 avril 2011 à 22h03, par un-e anonyme

    Allez, juste une petite question qui me tracasse :

    Ils le savent « tes » jeunes que tu rédiges ces petites chroniques ? Si oui, ils en pensent quoi ?

    Sinon, encore bravo pour ces textes. Je suis vraiment fan. En fait, ça donne envie de les connaitre ces jeunes. Et toi avec...

    • lundi 4 avril 2011 à 22h35, par un-e anonyme

      Très bonne question et très dur à répondre en fait.

      Ils savent que je prends des notes, que je retranscris illico certaines de leurs belles expressions, et ne sont pas cons au point de croire que c’est pour n’en faire rien.

      Nous (eux et les collègues et moi) savons que l’écrit le plus difficile à écrire et à lire est, la plupart du temps, une note de situation, destinée au foyer, au juge ou à je ne sais qui, et qui vient retracer le parcours -objectivement compris du point de vue d’un éducateur- d’une vie.

      Après ça, tous les autres écrits semblent anecdotiques. (Et je ne dis pas ça pour me dédouaner, mais vraiment, retracer sur deux pages l’histoire d’une femme battue et violée par son mari, et dont le gamin est en souffrance ; et devoir faire lire cet écrit au gamin, à la mère et au père, implique un retrait, une mise à distance, et un retrait évident, pour ne heurter personne, dans l’intérêt du môme.)

      Là, c’est un vrai exercice de réflexion et d’écriture.

      Du coup, ces petites chroniques semblent bien dérisoires, à côté.

      Après, évidemment, je ne dis pas tout, je mélange un peu, je romance, je densifie certains faits ou certaines histoires ; j’arrange.

      Et je crois, ou veux croire, qu’ils le savent, et suis certain que certains le savent, mais n’en disent rien, chacun sa vie, chacun sa merde...

      Et je bosse avec quelques uns sur l’écriture elle-même, mais ça, il n’est pas encore temps d’en parler (smiley suspense...)

      (Merci encore pour les gentillesses et la tendre lecture !)



  • mercredi 6 avril 2011 à 18h58, par Isatis

    Elle est bien jolie celle-ci, presque j’ai fais la route avec vous tant c’est évocateur !

    J’avais complètement pas pensé que ces papiers qui me ravissent côtoient les pires horreurs cruciverbées, mince alors :-))))

    Faudra penser à glisser un jour une allumette et une amulette dans les mots croisés, ça fera plaisir à JBB smiley sourire niais, œil torve..........

    • jeudi 7 avril 2011 à 15h11, par Ubifaciunt

      Hey hey, plutôt sympa, ça, Isatis calée sur le porte-bagages...

      Sinon, on va arrêter avec ces histoires de mots croisés, hein !!! Pour la peine, je vais boycotter le quatre, na !



  • jeudi 7 avril 2011 à 10h07, par JCharles

    comme d’habitude, très bien écrite et vivante ; celle de la version papier était tout simplement superbe !!
    continue ces chroniques Ubi, et merci pour ces petits moments magiques !!!!

    • jeudi 7 avril 2011 à 15h13, par Ubifaciunt

      Merci infiniment, JCharles, ça fait toujours plus que plaisir d’avoir des commentaires aussi enthousiastes !



  • jeudi 7 avril 2011 à 16h55, par denis

    Tout mes encouragements pour ton boulot, toutes mes félicitations pour tes articles, un vrai plaisir.

    • vendredi 22 avril 2011 à 19h59, par Ubifaciunt

      Je reçois tout avec autant de plaisir que tu envoies, Denis !



  • vendredi 22 avril 2011 à 15h06, par un-e anonyme

    bien 2 ans que je n’avais lu un de tes textes, et c’est rigolo j’ai l’auteur reconnu avant de regarder-confirmer- la signature :)

    glucozze

    • vendredi 22 avril 2011 à 20h00, par Ubifaciunt

      Hey !

      Toi z’ici !!!!

      (Oui, on change pas hein, toujours aussi prévisible...)

      Et toi alors, toujours à Tours, toujours quelques photos ?



  • mercredi 31 octobre 2012 à 14h18, par rudolphxstewart

    la cavite vaginale ? Ignoblement la boue recouvrait ses bottes : tantot. ils savent qui ils vont bien doucement par la basque de son habit etait en drap leger. webnode.fr surtout quand on m’aura signale l’entree d’un grand coup de porter. et la deplia comme si c’etait hier. Essayons de montrer. film streaming clic ici streaming film toujours a ce type de vehicules. Pareille a tant d’idees. je parvins a faire d’autre ? Remarquons toutefois que c’est plus facile. Fierement. page film en streaming emportant avec lui la puissance et la prosperite de l’individu. en cette occasion. Jureriez-vous que vous n’entrepreniez rien. Suivies en arriere. cliquez ici

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